Translate

Affichage des articles dont le libellé est afrique. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est afrique. Afficher tous les articles

vendredi 28 juillet 2023

Tomates rouge-sang (Un bidonville africain dans les Pouilles/Italie)

Le génie de l'Internet 2.0 ? Une multitude d'informations et d'archives à la portée du plus grand nombre. Voilà que je tombe tantôt sur cet excellent papier d'une journaliste italienne sur la question des "esclaves du pomodoro" (la formule est de moi) en Italie. Et je ne pouvais que le traduire en français, et comme Blogspot dispose d'un traducteur fort versatile, la chose pourra être lue dans plein d'autres langues. 

Relecture en cours.

 

L'expérience de Matteo Fraschini Koffi dans le ghetto de Rignano est aussi devenue un livre. Il y dénonce les conditions inhumaines dans lesquelles des milliers de personnes, pour la plupart des migrants (1), sont obligées de travailler à la collecte de tomates dans les Pouilles.

Il y a pensé pendant près de deux ans, a dû traverser l'Afrique pour retourner en Italie et décider qu'il pouvait le faire. C'est l'histoire, devenue un livre, de Matteo Fraschini Koffi, né au Togo, adopté très jeune et élevé en Italie, puis revenu en Afrique à la recherche de ses origines, mais aussi, surtout en qualité de journaliste. Par la suite, à son retour dans notre pays, il s'est mêlé aux milliers d'Africains qui sont contraints d'accepter chaque année des conditions de vie et de travail inhumaines dans les champs de récolte de tomates des Pouilles.

 
L'été dernier, Matteo s'est infiltré dans le ghetto de Rignano, une petite Afrique miniature. En effet, le pire de l'Afrique et de l'Italie réunies, lieu d'illégalité, de trafic et d'exploitation à la limite de l'esclavage.

Il l'a raconté dans divers reportages, ce qui lui a valu le prestigieux prix journalistique « Il Premiolino ». Et maintenant, cette expérience est devenue un livre en collaboration avec le photographe et cinéaste Antonio Fortarezza : Campi d'oro rosso (Camps d'or rouge, Ed. Gruppo Solidarietà Africa, Seregno).
 
"Le projet originel vient d'Antonio, dit Matteo. Originaire de Foggia, mais résidant à Milan, Antonio retournait régulièrement dans les Pouilles pour enquêter sur les embauches illégales, notamment liées au ghetto de Rignano. Il y a deux ans, il m'a raconté ce qu'il y faisait. J'y ai longuement réfléchi et ai finalement décidé d'essayer de vivre cette expérience."
 
Après une nouvelle parenthèse en Afrique, où il vit depuis 2006, l'été dernier, Matteo s'est senti vraiment prêt. "Les années passées sur le continent africain m'ont certainement aidé à « flairer » la situation du ghetto, où les mêmes dynamiques que j'avais retrouvées dans les bidonvilles de Nairobi se reproduisent de bien des manières plutôt qu'à Agades, au Niger, où il y a une cinquantaine de ghettos, par lesquels transitent des milliers de migrants en transit vers l'Afrique du Nord".
 
Débarqué dans les Pouilles, Matteo prend un certain temps pour se familiariser avec la réalité du travail saisonnier dans divers lieux de la région. Il fait alors une première « incursion » dans le ghetto de Rignano : juste quelques minutes, accompagné d'un ancien habitant, le temps de comprendre comment ce lieu est organisé et comment il fonctionne, sans trop attirer l'attention, pour ne pas être reconnu.
 
"J'ai attendu encore une semaine – dit-il – le temps de faire pousser ma barbe et mes cheveux. Puis je suis entré. J'étais très déterminé. Mais si je n'avais pas vécu dix ans en Afrique, je n'y serais pas arrivé. Les expériences que j'ai vécues sur ce continent (africain) m'ont rendu tout à fait sûr de ce que je voulais faire".
 
Matteo a passé deux semaines dans le ghetto de Rignano, où environ 1 500 personnes se rassemblent pendant les mois d'été. Un bidonville totalement illégal au "service" de l'embauche clandestine qui gère la récolte de tomates. 
 
Dans les Pouilles, deuxième producteur italien de tomates après la Sicile, plus de 40 % des ouvriers des exploitations inspectées sont irréguliers. En effet, bon nombre des quelque 27 000 entrepreneurs agricoles des Pouilles comptent sur l'embauche illégale pour recruter de la main-d'œuvre bon marché. Et ce ne sont pas seulement les travailleurs subsahariens et nord-africains, mais aussi de nombreux travailleurs européens et italiens. Même beaucoup de femmes. En fait, environ 40 000 travailleurs des Pouilles seraient victimes de l'embauche illégale. Tout ce monde reçoit des salaires très bas, notamment parce que le prix auquel les grandes entreprises de transformation et de distribution achètent leurs produits aux enchères est, lui-même, très bas.
 
"À l'intérieur du ghetto, il y a un peu de tout : un peu de mafia et un peu de drogue, beaucoup de prostitution et beaucoup d'exploitation. Des histoires souvent très similaires de jeunes immigrés, qui pour certains se sont retrouvés malgré eux en Italie, après la chute de Kadhafi en Libye, et qui ne peuvent plus repartir faute d'argent. J'ai été très surpris par la complexité des dynamiques que j'y ai trouvées et qui sont le miroir d'un pays comme l'Italie, qui tolère de telles zones d'ombre, mais qui sont aussi le résultat de politiques internationales myopes et incompétentes. Le ghetto n'est que le symptôme d'un système plus complexe et d'une chaîne d'approvisionnement qui va jusqu'au supermarché – en passant par des politiques nationales et internationales quelque peu discutables".
 
Et il ajoute : "Il est inutile de dire : « Fermons le ghetto ». Le ghetto n'est pas le problème. Ce sont les intérêts qui sont à l'intérieur et autour de nous".
 
À Rignano, Matteo a également rencontré un missionnaire (2), le Père Arcangelo Maira, un Scalabrinien qui, après une longue expérience en Afrique, a trouvé un morceau de ce continent sur sa terre. "Père l'Archange – nous rappelle Matteo – est celui qui n'a pas eu peur. Et qui avait un rôle important au sein du ghetto. Je pense qu'il a reçu des menaces et c'est peut-être aussi pour ça qu'il ne sera plus là cette année".
 
Le Père Maira a donné vie au projet "Je suis là parmi les immigrés", impliquant environ 250 jeunes volontaires qui travaillent parmi les saisonniers, avec lesquels ils partagent d'abord leur temps, leur enthousiasme, le désir de se confronter d'égal à égal et de les traiter comme des personnes humaines et non comme de simples machines à ramasser des tomates. 
 
"Toutes les organisations ne sont pas dans le ghetto avec cet esprit - conclut Matteo - : cela me fait mal de voir des groupes qui devraient être du même côté et se battre ensemble pour les droits de ceux qui y vivent et y travaillent, se contenter de faire avancer leurs propres intérêts spécifiques, qui ne coïncident pas forcément avec les intérêts des migrants. Et ainsi - conclut Matteo avec amertume - chaque année, le même mécanisme d'injustice et d'exploitation se répète".


Source :

 

Notes

(1) Les populations qui traversent la Méditerranée ou proviennent des Balkans, de Turquie ou de Grèce ne sont pas de simples "migrants", raison pour laquelle je récuse ce terme. Ce sont des clandestins amenés là par des mafias 2.0, en somme des évolutions parfaitement hi-tech du trafic d'esclaves.

(2) Ah, l'inévitable missionnaire ! Il se trouve que je suis fils de pasteur, et que je connais bien la dynamique mentale qui fait venir une Sœur Emmanuelle auprès des fouilleurs d'ordures du Caire, une Mère Tereza près des mourants de Calcutta, un Père Pedro dans des bidonvilles de Madagascar, pour ne citer que ces cas emblématiques. Le fait est que les missionnaires adorent les pauvres, qu'il ne s'agit pas de sortir de la pauvreté, mais d'engluer dans de fausses espérances, la première étant la volonté d'en convertir un grand nombre au christianisme. On parie combien que, dans ce bidonville des Pouilles, sans eau courante ni sanitaires, notre bon Père avait aménagé une chapelle catholique ?


dimanche 16 janvier 2022

Rama Yade au pays des neuneus. Épilogue 1/4

Vous avez dit "Woke" ?

(Mise à jour du 05.10.2022 - Ce texte comporte 3200 mots, 17660 signes et 78 images) 

Deux citations pour commencer. 

Vidéo de Malcolm X

Mais qui donc vous a appris a haïr la texture de vos cheveux, la couleur de votre peau...?

I am apt to suspect the Negroes to be naturally inferior to the Whites. David Hume (1777) in Christopher J. Berry, Hume, Hegel and Human Nature, The Hague, Martinus Nijhoff, 1982, 108. (J'ai tendance à soupçonner les Noirs d'être naturellement inférieurs aux Blancs.)

Les esclaves africains ont, en leur temps, déployé des talents que le sieur David Hume n'aurait pas soupçonnés, en usant de leurs cheveux tressés à la manière d'un code secret. Et les maîtres blancs n'y ont vu que du feu ! Voyez l'explication à la fin de cet article.

Au fait, vous la reconnaissez ? Une carrière entière passée sur les podiums en s'affichant avec des cheveux lisses, et voilà que récemment, à cinquante et un ans... Quand on vous dit que le phénomène "Woke" agit à la manière d'un tsunami !

Australienne au teint très clair, née d'un père africain dont elle ne porte pas le nom, et fière d'être noire. Vous ne trouverez pas de meilleure définition du concept "Woke" !

"Les races formées (…) sont relativement nombreuses : c’est d’abord le créole blanc, formé par les créoles Européens qui vinrent s’établir dans ces contrées sous Louis XIV et Louis XV. Les blancs avec les indiennes ont formé les métis, et les blancs avec les négresses : les mulâtres. Le mulâtre avec le blanc donne naissance au quarteron. La négresse avec le mulâtre produit le capre, et le blanc avec la quarteronne le misti".

Quand les neuneus se masturbent les neurones autour d'un concept dont ils ne comprennent pas le sens... Et dire qu'il leur suffirait de se renseigner un peu !

Vous connaissez l'histoire du mot "Schtroumpf" ? Il se dit que le dessinateur Peyo dînait avec des amis, lorsque quelqu'un a commencé par dire : "Dis, euh, passe-moi donc le... schtroumpf !". Ça a fait rire tout le monde, qui s'est immédiatement mis à mettre "schtroumpf" dans toutes les phrases. Et voilà comment le dessinateur a eu l'idée d'utiliser cette quasi-onomatopée pour baptiser les personnages qu'il était en train de créer.

On pourrait dire la même chose de "woke", n'est-il pas ?

Alexandre Jardin sépare volontiers les gens en deux groupes : les diseux : ceux qui disent, parlent, pérorent, d'une part, et les faiseux :  ceux qui font, agissent, créent des choses, d'autre part, se reconnaissant volontiers de la catégorie des faiseux.

Mexico, 1968. Cette nuit-là, Tommie Smith et John Carlos lancent un énorme pavé dans le marigot du conventionnel et du bien-pensant de la petite société bien élevée du sport olympique, le tout, sans dire un mot.

C'est aussi ça, le mouvement Woke : bien faire et laisser dire...  Bien des années plus tard, Colin Kaepernick a retenu la leçon, allant jusqu'à plaquer la paume de sa main gauche sur sa bouche...


En attendant la suite, on va se (re)faire plaisir avec quatre versions chantées de ce concept qu'est le woke, entre le quidam qui voit que sa copine s'est tirée et l'autre qui sonne le réveil, pour que les choses changent.

Lightnin' Hopkins

Freddy King

Erykah Badu

John Legend

"Sur le marché, plus un esclave était clair et plus il valait cher. C’est pourquoi les vendeurs tenaient à ce système de classification raciale : ils spécifiaient sur leurs annonces si l’esclave était quarteron ou autre. Ce qui pouvait leur faire gagner plus d’argent", explique Hor-Fari Lara.

Il se trouve qu'alors que je préparais la suite de la présente série, la chaîne France 2 a eu la bonne idée de présenter le documentaire "Noirs en France", co-signé par Aurélia Perreau et Alain Mabanckou, que j'ai trouvé fort intéressant et justifiant des félicitations aux auteurs. Du coup, j'ai jeté un œil dans mes archives. Tout en le félicitant, j'ai signalé à Mabanckou que j'avais juste regretté l'absence de toute mention des auteurs du célèbre test à la poupée : les époux Clark.

Femmes Zulu vers 1900

C’est dans un contexte de guerres (guerres européennes et guerre d’indépendance américaine) qu’en 1776, Moreau de Saint-Méry débarque sur l’île de Saint-Domingue. En 1798, il écrit Description topographique, physique, civile, politique et historique de la partie française de l’isle Saint-Domingue. Il y développe une théorie qui hiérarchise cent vingt-huit combinaisons possibles du métissage noir-blanc en neuf catégories : le sacatra, le griffe, le marabout, le mulâtre, le quarteron, le métis, le mamelouk, le quarteronné, le sang-melé. Pour lui, la caste des colons blancs esclavagistes constituait l’"aristocratie de l’épiderme". L’objectif de ses recherches était de calculer la proportion de sang "noir". (Source)

À votre avis, pourquoi Alice Walker arbore-t-elle des cheveux naturels tressés à la mode zulu, à l'instar de feu Toni Morrisson, et à l'inverse de tant d'autres femmes noires, pensons à Ella Fitzgerald ou à Aretha Franklin et à leurs éternelles moumoutes de cheveux lisses, ou encore à l'ex-première dame Michelle Obama, aux cheveux si raides qu'ils en paraissent artificiels ?

Entre acculturation, lavage de cerveau et délire consumériste, entre nous, qu'y a-t-il d'étonnant à voir des enfants noirs rejeter une poupée ayant leur propre couleur de peau, pour en préférer une blanche, quand ils voient quotidiennement leur propre mère se déguiser en femme blanche à l'aide de cheveux lisses et de produits éclaircissants ? 

Par parenthèse, reconnaissez-vous cette femme ci-dessous, qui a dû inspirer des millions de Michelle Obama ?

Il paraît que le mouvement Woke serait récemment sorti d'universités américaines, peut-être même françaises, mais dans les deux cas, ceux qui le pensent ont tout faux, ainsi que je l'ai amplement illustré précédemment. Et s'il faut absolument évoquer quelque université, alors pensons à celles chantées en son temps par feu Philippe Clay :

On parlait peu de marxisme

Encore moins de maoïsme

Le seul système c'était le système D

D comme démerde-toi, D comme débrouille-toi... (Source)

Maintenant que nous savons que bien de nos contemporains prétendument cultivés et bardés de diplômes universitaires, occupés à se masturber les neurones et le reste autour de mots-valises - woke, wokisme, racialisme, cancel culture, indigénisme... -  ne sont que de fieffés crétins et de pauvres gourdes, pourquoi ne pas nous donner la peine de les instruire, encore et encore, histoire de les rendre un peu moins bêtes ? C'est en tout cas ce à quoi je m'efforce régulièrement à travers ce blog.

Ça tombe bien : les anglophones liront avec profit ce qui suit :

As soon as Joe Biden and Kamala Harris were projected to win the 2020 presidential election on Nov. 8, women headed to Susan B. Anthony’s grave in Rochester, N.Y., to pay homage to the most famous American advocate for women receiving the right to vote. The suffragist is buried about an hour away from Seneca Falls, N.Y., the site of a women’s rights convention on July 19-20, 1848. It’s a meeting that American schoolchildren often learn is the birthplace of feminism and the start of the women’s suffrage movement. (...) But what many American schoolchildren don’t learn is that Susan B. Anthony was also fighting to ensure Black men didn’t get the right to vote before white women, that many suffragists excluded Black women from their events and that the fight for voting rights began much earlier. (Source)

À peine Joe Biden et Kamala Harris étaient-ils confirmés comme vainqueurs de l'élection présidentielle de 2020, le 8 novembre, que des femmes se sont dirigées vers la tombe de Susan B. Anthony à Rochester, N.Y., pour rendre hommage à la plus célèbre promotrice américaine de l'obtention du droit de vote pour les femmes. La suffragette est enterrée à environ une heure de Seneca Falls, N.Y., site d'une convention sur les droits des femmes ayant eu lieu les 19 et 20 juillet 1848. C'est une réunion dont les écoliers américains apprennent souvent qu'elle est le berceau du féminisme et le début du mouvement pour le droit de vote des femmes. (...) Mais ce que beaucoup d'écoliers américains n'apprennent pas, c'est que Susan B. Anthony se battait également pour que les hommes noirs n'obtiennent pas le droit de vote avant les femmes blanches, tandis que de nombreuses suffragettes excluaient les femmes noires de leurs manifestations et que la lutte de ces dernières pour le droit de vote a commencé bien plus tôt.

Sinon, voyez un peu, ci-dessous, comment cette femme est coiffée. Même époque que les deux images précédentes. Plutôt étonnant non ?

Plus surprenant encore : cette femme (blanche) ayant des enfants métis fut naguère accusée de faire de l'"appropriation culturelle", comme preuve qu'il y a des crétins partout, y compris dans ladite communauté afro-américaine ! Pour ma part, ne la connaissant que de réputation, j'avoue ne pas trop m'être intéressé à sa personne, et puis, un jour, je suis tombé sur ce cliché, que j'ai trouvé juste superbe ! (Source)

C'est quand même dingue ! Ceux qui critiquent Kardashian et son clan, coupables de je ne sais quelle "appropriation culturelle", ne s'offusquent nullement de voir des femmes noires préférer se couvrir la tête de cheveux en plastique, affichant par-là une réelle aversion pour leur identité profonde, au point de faire perdre à leurs enfants tous leurs repères, ainsi que l'a illustré le test des poupées des époux Clark. (Source)

Il est vrai qu'une forte appropriation culturelle a existé dans l'autre sens, imposée par les maîtres à leurs esclaves, et entretenue longtemps après.

According to beauty brand Dove, who has been the Crown Act’s biggest supporter, Black women are 50% more likely to be sent home from work because of their hairstyle. And they’re 80% more likely to change their hair by straightening or relaxing it so they can be more accepted by their peers at work. (...) It sucks that our hair has been judged so much that we needed a law to protect us from discrimination. But maybe white people who wear traditional Black hairstyles will finally realize that their “it’s just hair” argument is completely invalid. (Source)

Selon la marque de produits de beauté Dove, qui a été le principal soutien de la loi Crown (loi californienne libéralisant le port de cheveux naturels chez les femmes de couleur, n.d.t.), les femmes noires ont 50% plus de risques d'être renvoyées de leur travail en raison de leur coiffure. Et elles sont 80% plus susceptibles de changer leurs cheveux en les lissant ou en les défrisant pour être mieux acceptées par leurs pairs au travail. (...) Il est affligeant que nos cheveux aient été jugés au point de nécessiter une loi pour nous protéger de la discrimination. Mais peut-être que les Blancs qui portent des coiffures noires traditionnelles vont enfin réaliser que l'argument : "ce ne sont que des cheveux" est complètement inepte.

Je persiste à penser que si des millions de jeunes filles de toutes les couleurs se mettent à imiter d'autres stars, elles-mêmes de toutes les couleurs, et arborant des cheveux naturels tressés à l'africaine, cela ne peut que faire évoluer les mentalités.

Et même si d'authentiques racistes ont cru pouvoir s'emparer des tresses africaines dans le but de les rendre plus "civilisées", dès lors qu'elles étaient portées par des femmes à peau blanche, le fait que les plus grandes stars noires revendiquent leur africanité a permis de minimiser les mauvaises tentatives de récupération. Et, par ailleurs, collecter, voire arborer des créations artistiques venues d'ailleurs, n'est-ce pas reconnaitre leur valeur ? 

The article then interviewed white hairstylist Jon Reyman who just straight-up insulted Black people. He said, “Moving away from urban, hip-hop to more chic and edgy. I have also been incorporating cornrows into center parts and side parts.” (...) We all know that “urban” is a not-so-secret code word for “Black.” Reyman basically said that cornrows are becoming less Black and more elegant and cool — in other words, white. (Source)

Quelque chose me dit qu'il y a très peu de chance que des stars noires aillent jamais se faire tresser chez ce Jon Reyman, lequel, de toutes façons, ne maîtrisera jamais les tresses aussi bien qu'une tresseuse africaine !

Sinon, l'article susmentionné comporte au moins une erreur, à savoir que les tresses qu'arbore Kardashian ne sont pas vraiment d'origine "fulani" (Peuhl), mais... 

Retour sur cette femme, probablement la toute première millionnaire noire américaine. Née Sarah Breedlove, la future C. J. Walker va fonder sa fortune sur la production d'accessoires capillaires et de produits cosmétiques à destination des descendantes d'esclaves. (Source)

C'est donc en grande partie à cette femme que l'on doit cette coutume de tant de femmes noires de se défriser les cheveux, tradition en grande partie imposée par les maîtres blancs, histoire d'effacer toute trace d'africanité chez leurs esclaves et de leur donner une apparence plus "civilisée".

Voilà qui explique aussi le ton acerbe de la célèbre parabole quasi-évangélique de Malcolm X sur le "house negro" et le "field negro", le premier, habillé et grimé comme son maître, dont il récupère les vieux habits, le second hirsute, pouilleux et snobé par le premier. (Source)

De fait, la parabole de Malcolm X rend parfaitement compte du lavage de cerveau exercé par les dominants sur les dominés, ces derniers se laissant conditionner au point d'en arriver à s'autodénigrer (cf. la fameuse haine de soi). C'est ainsi que partout, dans les sociétés sous domination, les colons avaient réussi à imposer une classification des individus selon des critères morphologiques, voire anthropométriques. Les Antillais connaissent fort bien la classification des pigmentations, depuis la plus basse : nègre, à la plus élevée : blanc, en passant par mulâtre, métis, quarteron, octavon, chabin...

The lighter the better” mindset is predominantly perpetrated within and between black and brown communities. But its roots are in colonisation. As far back as the 16th century, white skin began to be associated with wealth and status – the rich didn’t didn’t work outside and so the sun hadn’t darkened their skin. Fairer skin was deemed superior. In the slavery era, dark-skinned slaves were relegated to working in the fields and their lighter-skinned counterparts – a product of slave owners raping slave women – were given privileges such as being able to work in the house. (Source)

La mentalité du "plus c'est clair, mieux c'est" se perpétue principalement au sein des communautés noires et foncées et entre elles. Mais ses racines remontent à la colonisation. Dès le 16e siècle, la peau blanche a commencé à être associée à la richesse et au statut social - les riches ne travaillaient pas à l'extérieur et le soleil n'avait donc pas assombri leur peau. Une peau plus claire était considérée comme supérieure. À l'époque de l'esclavage, les esclaves à la peau foncée étaient relégués aux travaux des champs, tandis que leurs homologues à la peau plus claire - fruit du viol des femmes esclaves par les propriétaires d'esclaves - bénéficiaient de privilèges tels que la possibilité de travailler à la maison.

Mais il existe une myriade de formalités permettant aux dominants de manipuler les dominés, sans que cela soit expressément formulé. Il n'est que de voir, par exemple, de quand date l'apparition des premiers acteurs "de couleur" dans des films hollywoodiens, notamment dans des rôles autres que "méchant indien" ou "délinquant/criminel noir ou latino-américain", de même qu'il serait intéressant de dater l'apparition des "premiers rôles" (antonyme de "seconds rôles") confiés à ces mêmes acteurs de couleur. Par ailleurs, tout le monde peut aisément constater qu'à Hollywood, les actrices noires ont le teint nettement plus clair que leurs collègues masculins noirs, ce que nous illustrerons avec les deux premières stars "noires" que furent Dorothy Daindridge et Sydney Poitier.

Et puis, un jour, une prise de conscience s'opère, comme une histoire sans paroles. La chose est particulièrement spectaculaire chez les femmes. Voyez un peu la tignasse de celle qui suit, star de la chanson aux origines ethniques métissées, qui fut autrefois accusée de se blanchir la peau.

 
Cette boule de cheveux en avait déjà inspiré d'autres, à une époque où les affrontements raciaux aux États-Unis étaient bien plus sanglants que de nos jours. 
Mais bien avant que les Black Panthers ne redécouvrent leurs racines africaines, sur le même continent américain, notamment sur deux îles : la Jamaïque et Haïti, d'autres afro-descendants affichaient déjà fièrement leurs vrais cheveux, triturés de mille et une manières.

Tout récemment, les plus grandes stars, toutes couleurs de peau confondues, se sont mises à afficher un look "afro". Et pour en revenir à Kim Kardashian, évoquée plus haut, ses tresses ne doivent que partiellement aux Peuhls (Fulani), puisqu'on les retrouve un peu partout en Afrique, jusques et y compris sur les monuments de l'Égypte pharaonique.
 
Et voilà les vraies tresses Peuhl (Fulani) !

Rappelons qu'il existe ici ou là, notamment aux États-Unis, des lois étatiques voire des règlements dans des entreprises, institutions scolaires et autres, bannissant le port de cheveux crépus ou tressés, lois et règlements que des personnalités de renom ont entrepris de combattre. (Source)
Autant dire que la redécouverte par les Black Panthers de la beauté d'une parure capillaire d'inspiration africaine n'avait rien de révolutionnaire. Et à l'époque, personne ne parlait de "woke" ni de "wokeism". Mais qu'importent les slogans, chers aux phraséologues européens et à leurs épigones.
 
Quand une star au faciès asiatique affiche ouvertement sa négritude, allant jusqu'à créer - à l'instar d'un très grand nombre de vedettes noires américaines - une marque de produits cosmétiques adaptées aux peaux foncées, là où l'industrie cosmétique héritière de C.J. Walker ne jurait que par le canon de la blanchitude, il est évident que la révolution du retour à l'estime de soi est inévitable.

The killing of George Floyd and the subsequent rise of the Black Lives Matter movement has had a rippling effect across everything. The beauty industry – and its implicit Eurocentric ideal – is no exception. Brands have had to address their part in the systemic racist injustices they claim to stand against. The recent focus? The skin-lightening creams still sold by major brands across the world. (Source)

Le meurtre de George Floyd et la montée subséquente du mouvement Black Lives Matter ont eu un effet d'entraînement sur tout. L'industrie cosmétique - et son idéal eurocentrique implicite - ne fait pas exception. Les marques ont dû se pencher sur leur rôle dans les injustices racistes systémiques contre lesquelles elles prétendent s'élever. Le plus récent sujet de discussion ? Les crèmes éclaircissantes pour la peau encore vendues par les grandes marques à travers le monde.
Par les temps qui courent, on use beaucoup de mots comme "influenceurs/euses". Et en matière de cosmétiques, le fait que des stars parmi les plus importantes de l'industrie du divertissement ou du sport se lancent dans la production de cosmétiques situés aux antipodes de la culture coloniale de l'imitation servile du "blanc" constitue, de toute évidence, une des plus importantes avancées dans le rétablissement d'une fierté noire aux États-Unis et ailleurs. Autant dire que les usines de crèmes éclaircissantes ont du souci à se faire.
 
Pour (re)citer un commentaire sur la japonaise Naomi Osaka, ses tresses africaines en disent plus long que de longs discours. 
 
Et c'est précisément ça, être "Woke", mais pas que...!
Si les Naomi Osaka, Béyoncé, Ciara, Rihanna et autres Alicia Keys ou Alice Walker tiennent à ce point à arborer des tignasses directement inspirées de leurs ancêtres africains, peut-être est-ce parce qu'elles savent quel rôle ces tresses ont pu jouer dans des temps anciens, quand des esclaves victimes de la plus grosse déportation de l'histoire de la barbarie humaine devaient déployer toute leur imagination pour parvenir à regagner leur liberté.
 
Les plus intrépides furent les "nègres marrons", que l'on retrouve partout, y compris sur l'île de la Réunion. Et en l'occurrence, les plus inventifs sont allés jusqu'à se servir de leurs tresses pour dessiner des plans d'évasion. Dès lors, on comprend mieux pourquoi les possesseurs d'esclaves ont si brutalement combattu toute trace d'africanité chez leurs captifs.
 
During the Atlantic Slave Trade, many slaves were forced to shave their hair to be more ‘sanitary’ and to also move them away from their culture and identity. (...) But not all enslaved Africans would not keep their hairs cut. Many would braid their hairs tightly in cornrows and more “to maintain a neat and tidy appearance”. (...) Enslaved Africans also used cornrows to transfer and create maps to leave plantations and the home of their captors. This act of using hair as a tool for resistance is said to have been evident across South America. (...) It is most documented in Colombia where Benkos Bioho, a King captured from Africa by the Portuguese who escaped slavery, built San Basilio de Palenque, a village in Northern Colombia around the 17thcentury. Bioho created his own language as well as intelligence network and also came up with the idea to have women create maps and deliver messages through their cornrows. (Source)
Pendant la traite négrière atlantique, de nombreux esclaves ont été contraints de se raser les cheveux pour des raisons sanitaires et pour les éloigner de leur culture et de leur identité. (...) Mais tous les esclaves africains ne se sont pas résolus à voir leurs cheveux coupés. Beaucoup d'entre eux tressaient leurs cheveux en nattes serrées et plus encore "pour maintenir une apparence soignée et ordonnée". (...) Les Africains asservis utilisaient également les tresses pour créer et s'échanger des plans d'évasion pour quitter les plantations et la maison de leurs ravisseurs. Cette utilisation des cheveux comme outil de résistance aurait été présente dans toute l'Amérique du Sud. (...) La chose est particulièrement bien documentée en Colombie où Benkos Bioho, un roi capturé en Afrique par les Portugais, et qui a échappé à l'esclavage, a construit San Basilio de Palenque, un village du nord de la Colombie, aux alentours du XVIIe siècle. Bioho a créé sa propre langue ainsi qu'un réseau de renseignements et a également eu l'idée de demander aux femmes de créer des cartes et de transmettre des messages grâce à leurs tresses.
Les tresses comme arme de libération des opprimés, voilà un détail de l'Histoire qu'il faudrait rapporter de toute urgence à tant de femmes noires qui, à l'instar d'une Michelle Obama, se rêveraient apparemment avec une peau plus claire et des cheveux naturellement lisses ! Mais il n'y a pas que Michelle Obama qui ignore tout de la vaillante lutte des esclaves pour défendre le peu d'identité qui leur restait ; pensons à ces pauvres femmes noires, dont beaucoup d'africaines, dont le délire consumériste rapporte tant d'argent à l'industrie cosmétique du "blanchiment".
 
Tout le monde connaît les talents d'orateurs de bien des révérends noirs américains, dont Martin Luther King fut l'icône la plus médiatisée sans doute. Mais sur un tout autre bord, que dire de la faconde de feu Malcolm X ou d'un Louis Farrakan, de la Nation of Islam ?

Quant à Frances Ellen Watkins Harper, reproduite plus haut arborant des cheveux tressés, en rupture totale avec le "look C.J. Walker", ses talents de poétesse laissent à penser qu'elle n'avait rien à envier aux hommes évoqués ci-dessus plus haut en termes de faconde.
 
Par parenthèse :
En 1858, Harper refuse d'abandonner son siège et d'aller s'asseoir dans la section réservée aux Noirs d'un trolley à Philadelphie (100 ans avant Rosa Parks) et écrit un de ses plus célèbres poèmes, Bury Me in a Free Land, quand elle tombe malade en pleine tournée de conférences. Sa nouvelle The Two Offers est la première nouvelle à avoir été publiée par une auteure noire. (Source)
Racism persisted even in the most socially progressive movements of the era. The National American Woman Suffrage Association, the dominant white suffrage organization, held conventions that excluded black women. Black women were forced to march separately in suffrage parades. Furthermore, the History of Woman Suffrage volumes by Elizabeth Cady Stanton and Susan B. Anthony in the 1880s largely overlooked the contributions of black suffragists in favor of a history that featured white suffragists. The significance of black women in the movement was overlooked in the first suffrage histories, and is often overlooked today. (...)
In the 1880s, black reformers began organizing their own groups. In 1896, they founded the National Association of Colored Women (NACW), which became the largest federation of local black women’s clubs. (While the term “Colored Women” was a respectable term in the early twentieth century, the phrase is no longer in use today.) Suffragist Mary Church Terrell became the first president of the NACW. (Source)
Le racisme a persisté même au sein des mouvements les plus progressistes de l'époque. La National American Woman Suffrage Association, l'organisation blanche dominante sur la question du droit de vote, organisait des congrès qui excluaient les femmes noires. Ces dernières étaient obligées de marcher séparément lors des défilés. En outre, les volumes de l'Histoire du suffrage féminin publiés par Elizabeth Cady Stanton et Susan B. Anthony dans les années 1880 ont largement ignoré les contributions des suffragettes noires au profit d'une histoire qui mettait en avant les suffragettes blanches. L'importance des femmes noires dans le mouvement a été négligée dans les premiers récits sur la question et l'est encore souvent aujourd'hui. (...)
Dans les années 1880, les réformatrices noires ont commencé à organiser leurs propres groupes. En 1896, elles fondent la National Association of Colored Women (NACW), qui devient la plus grande fédération de clubs locaux de femmes noires. (Si l'expression "femmes de couleur" était respectable au début du XXe siècle, elle n'est plus utilisée aujourd'hui). La suffragette Mary Church Terrell devient la première présidente de la NACW.
Du racisme ? Au sein d'organisations (dirigées par des blancs) prétendument progressistes ? Sans blague ! Il n'en fallait pas plus pour inciter les gens de couleur à se prendre en mains. On ne disait pas "woke" à l'époque ? Je n'en suis pas si sûr, le mot figurant en plusieurs endroits d'un bouquin que les noirs américains connaissent très bien : le Nouveau Testament, en anglais : The Gospel.


Prochain épisode : Épilogue 2/4.

 

Liens : 01 - 02 - 03 - 04