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mercredi 19 avril 2017

France. Présidentielle 2017. Lettre ouverte aux étudiants de 'Science Po'

On dit encore Institut d'Etudes Politiques.

[Précision utile : j'ai prévenu la direction de 'Sciences Po Paris' de l'imminence de la parution de cet article.]

Les visiteurs de ce blog qui ne connaissent pas bien la France doivent savoir qu'outre son système universitaire classique, ce pays compte un nombre important d'instituts de l'enseignement supérieur où l'on n'accède que par le biais de concours fort sélectifs (culture élitiste oblige !), qu'il s'agisse de former des ingénieurs, des hauts-fonctionnaires, des militaires voire la fine fleur de l'Administration.

S'agissant des Instituts d'Etudes Politiques, on y enseigne la mouture la plus élaborée de ce que les collégiens connaissent fort bien sous le sigle : E.C.J.S. (Éducation Civique Juridique et Sociale), et que j'évoque souvent ici.

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Alors, comme ça, avec vos confrères et consœurs de l'ENA [certain(e)s fort(e)s en thème cumulant ou ayant cumulé les deux !], vous constituez la future élite politico-médiatique de la France !?

Permettez-moi de regretter qu'il se trouve si peu de scientifiques parmi vous. Après tout, pourquoi ne serait-ce, donc, pas possible ? Le fait est que la classe politique française est étonnamment pauvre en scientifiques de haut niveau ; tout au plus a-t-on aperçu, ici ou là, quelque ancien élève de l'Ecole Polytechnique (Valéry Giscard d'Estaing, Nathalie Kosciusko-Morizet), ce qui, de mon point de vue, ne veut strictement rien dire. Je doute, en effet, que le peu de temps passé à l'"X" suffise à pourvoir les élèves concernés du bagage requis pour être un scientifique de haut niveau, le plus important étant ce qu'on fait après être sorti de "Polytechnique". Par ailleurs, si je prends deux scientifiques de haut niveau ayant tâté de la politique : Claudie Haigneré et Claude Allègre, par exemple, je ne sache pas qu'ils soient jamais passés par Polytechnique. Ce qui est certain, en revanche, c'est qu'ils ne doivent pas avoir gardé un souvenir impérissable de leur passage dans la politique.

Mais où veut-il en venir ?, s'interrogent certains.

J'y viens !

Il se trouve que je suis persuadé, depuis pas mal de temps maintenant, que politique et science ne font pas bon ménage, dès lors que le discours politique se fonde sur des 'a-priori' idéologiques, tout le contraire du discours scientifique, lequel repose sur des 'a-posteriori'. C'est ainsi qu'Archimède ne dit pas "je trouverai !" mais "j'ai trouvé !", quand les politiques passent le clair de leur temps à s'envoyer des anathèmes du type : "Mais votre politique ne marchera jamais !", ou encore, s'agissant des projets européens de certaine candidate : "Les projets de M. L. P. avec la sortie de l'Union européenne vont être une catastrophe pour la France !", et patati et patata.

Vous comprenez maintenant pourquoi je me désole que fort peu d'entre vous aient une vraie culture scientifique ?

Mais au fait, pourquoi cette lettre ouverte ?

Tout simplement parce que, parmi vos illustres professeurs, anciens ou actuels, il y a de nombreux commentateurs politiques, caste fort prisée sur les plateaux de télévision et dans les studios de radios, notamment en période électorale.

Et là, j'avoue que si je devais attribuer une note à l'ensemble de nos grands politologues, dont certains enseignent voire ont enseigné à Science Po, aucun d'entre eux ne décrocherait la moyenne.

D'où une question lancinante : mais pourquoi diable vos (anciens) profs sont-ils aussi nuls ?

Vous me trouvez outrecuidant, d'oser ainsi jeter l'anathème sur la fine fleur de l'intelligentsia politique française ?

Je vais être plus précis.

Exemple n° 1 : le président de la République s'appelle Nicolas Sarkozy. Il a pour premier ministre François Fillon. Et voilà que le Landerneau se met à bruisser de mille rumeurs selon lesquelles Jean-Louis Borloo allait, incessamment, remplacer Fillon à Matignon. (Liens : 1  -  2)

Et nos grands "politologues", que je préfère appeler des "politocrates" d'y aller de leurs commentaires : "c'est normal, c'est le président de la République qui décide."

Et, à l'époque déjà, je pensais  : "Faux, archi-faux !". Lisez mon (autre) blog !

Evidemment que le président de la République ne doit pas - parce qu'il ne peut pas ! - virer son premier ministre.

J'en vois qui lèvent les yeux au ciel : "mais qu'est-ce qu'il raconte ! Evidemment que le président peut...".

Et moi, je vous dis qu'il ne peut pas ! Du reste, lors d'une fameuse interview assez "glamour", réalisée par l'animatrice Karine Lemarchand, sur la chaîne M6, Fillon a clairement martelé qu'une fois nommé, le premier ministre ne pouvait pas être destitué par le Président.

"Le premier ministre, une fois qu'il est nommé, ne peut pas être démis de ses fonctions par le président de la République... Il faut qu'il soit mis en minorité par l'Assemblée Nationale." (Source)

Et c'est là que nos grands politocrates vont s'empresser de dégainer..., quoi déjà ?, ben, l'article §8 de la Constitution de la Vème République.

Et c'est là que je les attendais au tournant. Car que dit ce fameux article, que je cite de mémoire ?
Le Président de la République nomme le Premier ministre. Il met fin à ses fonctions sur la présentation par celui-ci de la démission du Gouvernement... 
Le problème avec les politocrates, dont vous ferez partie, peut-être, si vous héritez des mauvaises habitudes de vos anciens, c'est qu'ils lisent les choses en diagonale.

Il se trouve qu'il y a cette expansion au groupe verbal fondamental - comme on dit chez les grammairiens - introduite par la préposition "sur" : "sur  la présentation par celui-ci...".

Syntaxiquement parlant, sans la proposition subordonnée qui le suit (alias "groupe verbal dépendant") [!!! Voir erratum infra], le groupe verbal fondamental ['il met fin à ses fonctions'] n'a pas de sens.

En bon français, en l'absence d'une présentation - au président de la République - par le premier ministre de la démission du gouvernement, ledit premier ministre ne peut pas être débarqué... En clair, c'est lui et lui seul qui a la main, et ce, malgré des décennies de conneries proférées par moult politologues, politocrates et/ou profs à Science Po ! 

Entendu, tantôt, à la télévision française (France 2), lors d'une émission dominicale consacrée à Edith Cresson, ex-premier ministre de François Mitterrand. Mme Cresson y a confié à Laurent Delahousse qu'on (Mitterrand) lui avait discrètement suggéré de présenter sa démission.

En voilà au moins un qui avait lu la Constitution ; rien à voir avec l'autre..., l'ancien de Normal Sup', l'agrégé de lettres classiques (Georges Pompidou), qui s'est permis de 'virer' un premier ministre (Jacques Chaban-Delmas) qui venait d'obtenir un vote de confiance à l'Assemblée Nationale ! 

Un autre qui ne semble pas avoir compris grand chose à la Constitution, c'est ce pauvre François Hollande (cf. ses confidences à des journalistes à propos de l'éviction de Jean-Marc Ayrault de Matignon). 

Tout le monde aura noté le recours à une formule volontairement floue ("quand c'est flou, c'est qu'il y a un loup !", dixit Martine Aubry) : "met fin à ses fonctions", plutôt que "le démet de ses fonctions". Il faut dire que ce simili-dictateur qu'était De Gaulle préférait avancer masqué !

Vous voulez savoir pourquoi le président de la République n'a pas à 'se séparer' d'un premier ministre ?

La réponse coule pourtant de source ; et c'est le genre de choses qu'on explique aisément à de petites têtes blondes ou brunes, en cours d'ECJS, je veux dire, au collège.  

En fait, l'explication est fort simple, ainsi que le suggère François Fillon dans l'interview précitée : nous avons à l'Elysée et à l'Assemblée Nationale deux instances tirant leur légitimité du suffrage universel. Or, l'Assemblée Nationale a le pouvoir de mettre un gouvernement en minorité, ce qui entraîne automatiquement la démission de toute l'équipe gouvernementale. On imagine mal que le Président de la République puisse se dresser contre l'avis souverain de la "représentation nationale" ! Car, sinon, cela voudrait dire qu'il y aurait un suffrage universel de première classe - inhérent au Président de la République - et un suffrage universel de seconde classe, dont se réclamerait l'Assemblée Nationale !

Mais c'est précisément ce qui rend la Constitution de la Vème République si bancale, avec cette cohabitation de fait entre deux émanations du suffrage universel direct, lesquelles, en principe, devraient jouir de pouvoirs égaux, avec toutes les difficultés que cela implique.

D'aucuns ont cru bon de contourner la difficulté en inventant ce monstre baptisé "majorité présidentielle"... Vous parlez d'un oxymore !

Mais ce n'est pas tout !

Entre nous, ça veut dire quoi ce "met fin à ses fonctions" ?

Imaginons un premier ministre observant la procédure de l'article §8 et présentant la démission de son gouvernement au Président de la République. Cela entraîne-t-il immédiatement la fin de ses fonctions ? Il me semble que le Président commencerait - en cas d'acceptation de la démission du gouvernement - par se mettre à la recherche d'un nouveau premier ministre.

Il se trouve simplement que les fonctions du premier ministre démissionnaire ne prennent fin que lors de la passation de pouvoirs sur le perron de l'Hôtel de Matignon. PAS AVANT !

Par conséquent, ce fameux article §8 de la Constitution de la Vème République a été fort mal rédigé... Et il n'est pas le seul dans ce cas ! Parlez-en, donc, avec vos profs !


Exemple n° 2

Avril-mai 2017 : la France est en période d'élection présidentielle.

De quelque côté que l'on se tourne, on n'entend que ça dans la bouche des journalistes, des politologues et des politocrates, sans oublier les inévitables instituts de sondages : "mais quel est le programme économique d'un(e) tel(le) ?", "mais un(e) tel(le) ne dit pas grand chose de son programme en matière de sécurité", "qu'un(e) tel(le) a le programme le plus convainquant en matière de santé", etc.

Et moi de me demander si ces gens ont vraiment lu la Constitution de la Vème République, laquelle ne consacre que quinze articles (sur 89) au seul Président de la République.

Ce que tout bon observateur peut constater, c'est que, depuis quasiment les origines, les candidats à la présidence de la République confondent leurs futurs fonctions, en cas d'élection, avec celles d'un (super)premier ministre, et le fait qu'aucun politologue ou politocrate, fût-il/elle prof à Science-Po, ne soit capable de le relever, me laisse tout bonnement pantois !

Par parenthèse, vous savez, bien évidemment, ce qu'est un "décret en conseil des ministres" ! Jetez donc voir un oeil... au hasard, sur... l'article §13 de la Constitution de la Vème République ! (Lien)

Ce que je constate, en tous cas, c'est que, sur lesdits "cinq grands candidats" à la présidentielle de 2017, j'en vois au moins quatre qui vont devoir, très vite, violer leurs promesses électorales, et ce, dès la livraison par le futur premier ministre de son discours de politique générale !

Alors, chers amis de Science-Po, on parie que j'ai raison ?! Parlez-en, donc, avec vos profs, et lisez la suite de mon analyse sur ce blog.


Erratum

Un certain "Canard" aurait rangé cela dans la rubrique "pan sur le bec" ! Je dois vous avouer que je suis un petit dormeur, soit autour de quatre heures chaque nuit. Et cette nuit-là, couché vers une heure du matin, je me réveille vers les cinq heures, quand, tout d'un coup, quelque chose dans ma tête fait "tilt".

Et là, j'entends la voix qui m'interroge : "Non mais, qu'est-ce que tu as écrit dans l'article ? "sur la présentation..." serait un groupe verbal !? Non, mais mon pauvre ami, il va falloir que tu révises tes cours de grammaire, niveau CM1 !"

Et dire que je faisais l'admiration de mes profs de français... Ils m'appelaient "le grammairien" !

Donc, bien évidemment, "sur la présentation par celui-ci de la démission du gouvernement" est ce qu'on appelle un groupe prépositionnel ; pour être verbal, il aurait fallu qu'il comportât un verbe (!!). En fait, il y a eu une petite confusion mentale (dans ma tête) entre le substantif : "présentation" et le verbe correspondant : "présenter", ce qui a conduit à une sorte de court-circuit cérébral.

Question : mais pourquoi, donc, ne me suis-je pas contenté de corriger discrètement la bourde mentionnée plus haut ? Ben, tout simplement parce que j'ai une petite culture scientifique, et que, dans les sciences et techniques, on met toujours un point d'honneur à reconnaître qu'on s'est trompé ! Par ailleurs, nombreux sont les visiteurs de ce blog vivant à l'étranger, et comme tout le monde n'est pas forcément francophone ou -phile, je saute sur l'occasion pour aider ceux qui apprennent ou pratiquent un peu le français à s'y retrouver, voire à mieux comprendre cette langue un peu biscornue. Prof un jour, prof toujours !