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dimanche 4 octobre 2020

Referendum en Nouvelle-Calédonie : Bismark en a rêvé...

 
Comme un air de Grand Remplacement !

La fachosphère adore les formules ronflantes, une de ses marottes étant ce soi-disant "grand remplacement" qui menacerait une France vouée aux invasions migratoires. Problème : la même fachosphère est d'une discrétion de Sioux face à une purification ethnique parfaitement avérée, celle mise en place par le colonisateur français en Nouvelle-Calédonie. Amnésie quand tu nous tiens !

Petit retour en arrière :
1853
L’amiral Febvrier-Despointes hisse le drapeau français à Balade, sur la côte est de Grande Terre, et prend possession de la Nouvelle-Calédonie sur ordre de Napoléon III, qui cherche un territoire où établir une colonie pénitentiaire.

1864
L’Etat français établit le bagne où 21 630 personnes seront envoyées jusqu’en 1897. Dont 4 250 révolutionnaires de la Commune de Paris, dont Louise Michel.

1874
L’exploitation du nickel, minerai découvert dix ans plus tôt par l’ingénieur Jules Garnier, débute près de Nouméa.

1878
Le chef Ataï mène la première rébellion kanak contre la colonisation. 1 200 Kanak et 200 Européens sont tués. Ataï est décapité et sa tête envoyée à la Société d’anthropologie de Paris pour étude.

Ainsi commence le récit de l'immonde colonisation de la terre des Kanak par la France, laquelle France va voir les républiques assumer, voire revendiquer, sans sourciller, l'héritage sanglant de l'Ancien Régime.

De la prise de possession par la France de la Nouvelle-Calédonie en 1853 jusqu’à 1858, les attributions de terres aux colons étaient limitées. Mais à partir de 1858, l’administration française entame une politique de colonisation offensive, spoliant les autochtones. De 1862 à 1877, l’emprise foncière européenne passe de 27.000 à 150.000 ha. En assimilant les jachères à des terres vacantes qu’elle accapare l’administration déstabilise l’économie vivrière. Le bétail des colons dévaste les cultures autochtones. Les Canaques sont repoussés dans les hautes vallées de la chaîne sur des terrains pauvres, et sont décimés par les maladies importées par les colons (il y avait 32.000 Canaques en 1860, et 24.000 en 1878). (voir source plus bas)

Question : comment s'y prend-on pour organiser un referendum dit "d'auto-détermination" qui ne dise rien du groupe concerné par le préfixe "auto" ? 

Réponse : ben, on fait comme Staline avec Trotsky, on joue de la gomme !

Présentation :

La Nouvelle-Calédonie est un archipel de l’Océanie situé dans l’océan Pacifique, à 1 500 km à l’est de l’Australie et à 2 000 km au nord de la Nouvelle-Zélande, au nord du tropique du Capricorne. Distante de la France métropolitaine de près de 17 000 kilomètres, cette collectivité (ancien territoire d’outre-mer) située en Mélanésie relève de la souveraineté française depuis 1853. Son territoire maritime couvre une gigantesque étendue de 1 386 588 km2 et représente donc un espace stratégique pour la France. Sa population est estimée à environ 271 940 habitants au 1er janvier 2020. (...) Le statut futur de la Nouvelle-Calédonie est lié à un référendum d’autodétermination qui s’est tenu le 4 novembre 2018. L’accord de Nouméa (5 mai 1998) précisait que : « La consultation portera sur le transfert à la Nouvelle-Calédonie des compétences régaliennes, l’accès à un statut international de pleine responsabilité et l’organisation de la citoyenneté en nationalité ». Ainsi, s’offre à la Nouvelle-Calédonie un ensemble de choix sur son futur statut (État associé à la France, indépendance, large autonomie au sein de la République française, etc.). Ce référendum a finalement maintenu la Nouvelle-Calédonie au sein de la France. Deux autres référendums d’indépendance pourront cependant être tenus dans les prochaines années. (source)

Ne cherchez aucune référence au peuple autochtone de Nouvelle-Calédonie, il n'existe pas !

Il se trouve que ce que Bismark n'a pas fait en Alsace-Lorraine, annexée au IIème Reich après la défaite des troupes de Napoléon III en 1870, la France l'a fait sur ce territoire arraisonné par les troupes du même Napoléon III en 1853 : la Nouvelle-Calédonie, la soi-disant République française ayant fait ce qu'aucun démocrate allemand n'aurait osé faire dans une Pologne ou sur des terres sudètes autrefois annexées par Hitler ! Lequel Hitler proclamait que tout territoire occupé par des allemands avait vocation à être annexé au Reich.

Hitler en a rêvé ? C'est ça aussi, la France, ce pays volontiers donneur de leçons, qui n'hésite pas à endosser, sans la moindre vergogne, les pires crimes de l'Ancien Régime. “Je veux du Blanc... en Nouvelle-Calédonie !”, clamait Pierre Messmer, l'âme damnée de De Gaulle (voir la sale guerre de la France au Cameroun), puis de Pompidou (2).

De fait, ce que Bismark n'a pas réalisé en Alsace-Lorraine, la France l'a fait en terre kanak, rendant les indigènes de ce pays minoritaires sur leur propre sol, pour ensuite organiser un semblant de referendum. Et comme preuve que tout cela ne sent pas très bon, ne voilà-t-il pas que la spoliation organisée va se dérouler en deux temps, sous la forme de deux referendums (2018, 2020). Mais pourquoi voter à un si faible intervalle, vous demandez-vous ?

C'est que le malaise est profond. Normalement, “auto-détermination” - 'auto' se traduisant par 'self' en anglais - concerne des peuples à qui la Charte des Nations Unies reconnaît le droit de se prendre en charge eux-mêmes. Et cet “auto” se retrouve dans “autochtone”. La formule consacrée dit “droit des peuples à disposer d'eux-mêmes”.

- Et ce serait quoi, le “peuple”, en l'occurrence ?

- Ben, on ne sait pas ! 

- Comment ça, on ne sait pas ?

C'est qu'à en croire le fameux referendum, la terre des Kanaks ne comporterait aucun peuple autochtone ; en tout cas, le fait n'est mentionné nulle part !

- Mais qui s'auto-détermine alors ? 

- Ben, les Calédoniens !

Vous avez compris ? À l'instar d'un Staline, faisant retoucher par ses sbires des photos officielles pour en faire disparaître tel ou tel personnage tombé en disgrâce, la République française n'hésite pas, à son tour, à retoucher l'histoire d'un pays, la Nouvelle-Calédonie, pour en faire disparaitre les indigènes : les Kanaks, seul peuple autochtone du territoire, les autres n'étant que des colons installés là par la puissance occupante et sans l'accord des autochtones.

Un double viol, donc, pour commencer : d'abord on s'empare du territoire, puis on y installe qui on veut, afin de rendre les autochtones minoritaires sur leur propre sol, voire un triple viol, si l'on y ajoute l'activisme séculaire des missionnaires, mandatés pour éradiquer patiemment, méthodiquement et systématiquement les coutumes et traditions locales.



Pauvres Kanaks, dont la culture ancestrale n'existe plus que sous la forme de lambeaux accrochés ici ou là dans quelque musée ethnographique, les femmes ayant abandonné leurs tenues traditionnelles pour la fameuse “robe-mission”, cette horreur imposée par les missionnaires dans le but de cacher ces corps que l'on ne saurait voir, hommes et femmes se réunissant désormais, tous les dimanches, dans l'inévitable église, afin d'y adorer un dieu venu d'ailleurs (pour mémoire, l'auteur de ce texte est fils de missionnaire ; il connaît la chanson, ou le cantique !).

Que ceux et celles que ça intéresse aillent faire un tour dans un musée ethnographique, par exemple le musée parisien du Quai Branly, pour y constater la quasi disparition de toute culture kanak néo-calédonienne, exception faite de territoires mélanésiens comme le Sépik, la Papouasie-Nlle-Guinée, les Îles Salomon...

Les élites kanak ? Des pasteurs, des catéchistes, des prêtres catholiques, d'anciens séminaristes et des bonnes soeurs. Ici, comme un peu partout, le colonisateur pense surtout à former des gens d'église et des commis d'administration, pas des médecins, scientifiques, ingénieurs, enseignants, magistrats ; ceux-là, on les fait venir à grand frais de métropole. Regardez simplement qui est préfet, procureur de la République, président de tribunal, proviseur de lycée ou principal de collège dans l'ensemble de ces colonies françaises baptisées départements et territoires d'Outre-mer !

Et en face d'une oligarchie importée de métropole, on a quelques faire-valoir : cette petite bourgeoisie locale gentillette et proprette, petite clique d'Oncle Tom dociles et soumis, prêts à avaler toutes les couleuvres, et dont l'obséquiosité explique que, de temps à autre, une jeunesse excédée par ce conformisme rue dans les brancards en déboulonnant quelques statues ici ou là.

Et pendant que la petite clique de notables roupille, la lave enfle dans les flancs du volcan. Les territoires d'Outre-mer sont certainement les régions de France ayant connu le plus de soubresauts violents depuis la fin de la Seconde Guerre Mondiale. Cela a commencé avec l'Algérie, Madagascar, l'Indochine, tous les territoires qui allaient basculer vers l'indépendance au tournant des années 1960.

Mais il y eut aussi du grabuge en Guadeloupe, en Nouvelle-Calédonie, à la Réunion..., tous ces territoires que la République française entend, mordicus, maintenir dans son giron. Vanuatu, Fidji, Trinidad et Tobaggo, les Bahamas, Saint-Kitts-et-Neville, Jamaïque, Dominique, Surinam, Guyana, Île Maurice et plein d'autres ont eu accès à l'indépendance, et, pendant ce temps, Martinique, Polynésie, Guadeloupe, Guyane, Réunion, Wallis et Futuna... doivent encore se farcir des préfets métropolitains, dont aucun ne ressemble à un autochtone, comme signe de la dérive quasi-psychopathique que vit la France en matière coloniale : une forme d'addiction, et aucun remède en vue ! Ne parlons même pas d'un vaccin !

Pour s'en convaincre, il suffit d'observer la classe politique française : de l'extrême-droite à la gauche - exception faite d'une certaine extrême-gauche -,  pas un mot sur la violation séculaire des droits des Kanaks et sur la pantalonnade référendaire organisée pour camoufler ce crime ignoble qui perdure. Il faut dire qu'en la matière, ladite “Gauche” a pris toute sa part à l’esbroufe (3). Les plus anciens doivent se souvenir d'Edgar Pisani, puis de Michel Rocard, de Lionel Jospin, ainsi que de Manuel Valls, les trois derniers agissant en qualité de Premier Ministre.

Le fait est qu'un referendum au sein duquel le corps électoral voit les autochtones du pays noyés parmi des colons rendus majoritaires est contraire au droit des peuples garanti par les traités internationaux, que la France les ait ratifiés ou non.

De fait, ce soi-disant referendum est une imposture qu'il incombera aux instances compétentes de l'ONU d'anéantir en organisant rapidement une consultation basée sur la Déclaration des Nations Unies sur les Droits des Peuples Autochtones.

Il reste que si les actuels animateurs, encore intègres, des communautés kanak ne se mobilisent pas, notamment à l'échelle internationale (voyez la puissance du tsunami Black Lives Matter), personne ne le fera à leur place.

 

Épilogue. Je discutais récemment avec quelqu'un à propos de la fameuse parabole de Malcolm X sur le "house negro" et le "field negro", la personne m'expliquant qu'il s'agissait là d'un mythe (poncif ?) plus ou moins éculé. J'ai alors argumenté en affirmant que ce n'était d'abord que l'avis de Malcolm, mais, surtout, que j'estimais qu'il y avait bien plus de deux types de cet acabit "esclave domestique" (= grimé comme son maître au point de quasiment lui ressembler et affligé des mêmes tics comportementaux ou de langage) ou "esclave des champs" (= brut de décoffrage voire un peu primitif et arriéré par rapport à son congénère précédent), dans la mesure où l'on pouvait y adjoindre au moins une catégorie supplémentaire, celle du "harki", du "collabo", en clair, du "traître à sa propre cause". Nous en avons plein d'exemples à travers l'histoire des colonisations.

S'agissant de la Nouvelle-Calédonie, nous avons un formidable récit de trahison, qui nous est rapporté par Louise Michel, déportée sur le Caillou à la suite de la Commune de Paris.

Il faut absolument lire et faire lire Louise Michel dans les écoles, collèges et lycées de France, de Navarre, et d'ailleurs.

 

Citation

Dans un passage fameux de ses Mémoires, Louise Michel a raconté la mort d’Ataï :

« Ataï lui-même fut frappé par un traître. Que partout les traîtres soient maudits ! Suivant la loi canaque, un chef ne peut être frappé que par un chef ou par procuration. Nondo, chef vendu aux blancs, donna sa procuration à Segou, en lui remettant les armes qui devaient frapper Ataï. Entre les cases nègres et Amboa, Ataï, avec quelques-uns des siens, regagnait son campement, quand, se détachant des colonnes des blancs, Segou indiqua le grand chef, reconnaissable à la blancheur de neige de ses cheveux. Sa fronde roulée autour de sa tête, tenant de la main droite un sabre de gendarmerie, de la gauche un tomahawk, ayant autour de lui ses trois fils et le barde Andja, qui se servait d’une sagaie comme d’une lance, Ataï fit face à la colonne des blancs. Il aperçut Segou. Ah ! dit-il, te voilà ! Le traître chancela un instant sous le regard du vieux chef ; mais, voulant en finir, il lui lance une sagaie qui lui traverse le bras droit. Ataï, alors, lève le tomahawk qu’il tenait du bras gauche ; ses fils tombent, l’un mort, les autres blessés ; Andja s’élance, criant : tango ! tango ! (maudit ! maudit !) et tombe frappé à mort. Alors, à coups de hache, comme on abat un arbre, Segou frappe Ataï ; il porte la main à sa tête à demi détachée et ce n’est qu’après plusieurs coups encore qu’Ataï est mort. Le cri de mort fut alors poussé par les Canaques, allant comme un écho par les montagnes. » (source)

   

Lectures

(1) ONU

(2) Messmer : "Je veux du blanc !"

(3) Parti Socialiste : question de "neutralité"

(4) Malcolm X, une parabole

(5) Silence on tue ! De Gaulle, Foccart et Messmer au Cameroun 

(6) Pierre Messmer, un portrait

     

mardi 11 février 2020

Sémantique de la désinformation #26


Épisode §26. Et ils le baptisèrent "grand remplacement"

À l'attention de ceux et celles de mes visiteurs qui ne connaissent pas la France : le "grand remplacement" est une théorie fumeuse, inventée par je ne sais quel crétin, qui n'a jamais mis les pieds dans une quelconque université pour y apprendre ou la sociologie, ou la démographie, ou les statistiques, mais bon..., et qui, par ailleurs, n'a jamais entendu parler de la Nouvelle Calédonie, cette terre canaque sur laquelle un referendum, disons, même pas d'autodétermination (1), a eu lieu en 2018. Pourquoi "même pas d'autodétermination" ? Pour la simple raison que la France nie les droits des autochtones calédoniens, le peuple canaque, seul peuple susceptible de jouir d'une "auto"-détermination, s'étant vu noyé sur son propre sol par des arrivées massives de colons, le tout dans le cadre d'une politique délibérée d'expropriation des autochtones, rendus minoritaires sur leur propre sol.

Vous comprendrez, par conséquent, que les inventeurs de la théorie du Grand Remplacement, qui sont tout sauf des intellectuels rigoureux, se gardent bien d'évoquer le sort des Canaques dans leurs diatribes.

Mais il ne sera pas question de canaques, ici, que j'évoque, par ailleurs, quelque part sur ce blog. Le fait est qu'en inspectant mes archives, je suis tombé sur un texte fort intéressant sur le départ vers leur pays d'origine de travailleurs nord-africains, à la suite de fermetures d'usines du côté de Sochaux (Montbéliard).

Il va s'agir de la citation d'une citation.

Montbéliard : les dégâts du départ des immigrés 

Gérard Mamet 

Extrait d’un article paru dans Les Cahiers de l’AERIP (Association d’Étude des Réalités Institutionnelles et Politiques), n° 3, octobre 1987, sous le titre « Les dégâts économiques et humains du départ des immigrés. L’exemple de la région de Montbéliard ».


La région de Montbéliard est profondément marquée par la mono-industrie. L’usine de Sochaux, qui est la plus grande concentration ouvrière de France est en train de connaître des changements très importants qui ont des graves répercussions sur toute l’économie de la région. Entre 1979 et 1987, les effectifs de la firme Peugeot de Sochaux sont passés de près de 40 000 salariés à 23 500 fin 86. Pendant cette période, le nombre de travailleurs immigrés est passé de 8 500 (avec les intérimaires) à environ 2 700 aujourd’hui. Ce sont donc eux les premières victimes de la crise que traverse actuellement l’industrie automobile.
[...]

Quand survient la baisse de production en 1979 les intérimaires sont renvoyés sur le champ. Ils ont servi de marge de manœuvre.

En juillet 1980, Peugeot lance une première opération « retour des étrangers » au pays d’origine. Ils reçoivent 10 000 F de l’État et 15 000 F de Peugeot. 1 000 travailleurs immigrés partent dans le cadre de cette opération qui se termine en mars 1981.

Mais ce n’est pas suffisant pour Peugeot et en 1984 la direction met au point un dispositif plus alléchant appelé pompeusement « convention de mise en œuvre des aides à la réinsertion des travailleurs immigrés dans leur pays d’origine ». Ce sont les « contrats ONI » qui font partie d’un ensemble plus vaste baptisé « plan social » qui comprend aussi les mises en préretraite FNE [1] et l’incitation au départ volontaire.

Le contrat ONI est présenté comme une « aide conventionnelle à la réinsertion en faveur des travailleurs étrangers ». Il donne droit à une prime qui peut paraître mirifique de 100 000 à 140 000 F suivant la situation familiale et l’ancienneté.

Voici la composition de la fameuse prime :
  • le versement par l’État d’une somme pouvant atteindre 20 000 F
  • une aide au déménagement qui varie selon les pays
  • le billet de retour par avion pour l’intéressé, le conjoint et les enfants mineurs
  • une indemnité correspondant à 66 % des droits aux ASSEDIC
  • l’indemnité de licenciement
  • une prime de 15 000 F de Peugeot.
Mais en contrepartie, le travailleur perd ses droits sociaux acquis en France et n’a plus la possibilité de revenir. Pour ceux qui sont près de la retraite, c’est un véritable marché de dupes.

L’aide au retour ne s’adressait normalement qu’à des travailleurs volontaires. L’article 6 de la convention indiquait : « L’ONI veille à la bonne information du personnel et au strict respect du volontariat des candidats ». Peut-on vraiment parler de volontariat dans une situation de chômage et de racisme larvé ? Beaucoup de travailleurs ont eu peur du lendemain, peur de se retrouver à la porte, sans rien, quelques mois plus tard. Après 15 ou 20 ans de travail à la chaîne, certains étaient las. Ils en avaient assez du bruit, du travail pénible et des vexations de certains petits chefs réceptifs aux idées du Front national.

La première convention a donc rencontré un certain succès : 1561 départs pour la seule usine de Sochaux (478 Turcs, 441 Algériens, 330 Yougoslaves, 166 Portugais, 115 Marocains, 27 Tunisiens et 4 divers). Mais la deuxième convention qui a démarré le 1er février 86 marche beaucoup moins bien. Les explications sont multiples. D’abord il reste beaucoup moins d’immigrés et ceux qui étaient le plus enclins à partir l’on déjà fait. Mais beaucoup d’immigrés hésitent aussi parce qu’ils reçoivent des mauvaises nouvelles de ceux qui sont rentrés : la réinsertion se passe mal. Alors on voit fleurir dans la région des tracts odieux avec le slogan « La valise ou le cercueil » et signés « Comité contre le racisme anti-français » ou des tracts un peu moins grossiers signés « Comité pour l’emploi des Français ». Si on n’a jamais su exactement qui était derrière ces diffusions de tracts anonymes, on a parfaitement compris à qui cela profitait.

Peugeot, de son côté, ne ménage pas sa peine pour persuader les immigrés de tous les avantages de l’« aide à la réinsertion ». […] Il n’y aura malgré tout que 180 travailleurs pour signer la deuxième convention ONI.

Des conséquences désastreuses

Avec les familles, ce sont près de 7 000 immigrés qui ont quitté la région de Montbéliard en 2 ans, soit plus de 5 % de la population. Dans une ville de la région, Bethoncourt, les 1 100 départs représentent 10 % de la population. Dans certains quartiers, les départs correspondent à 15 % du nombre d’habitants. […]

Tout le monde s’aperçoit vite de l’effet désastreux des départs dans de nombreuses activités : l’enseignement, le logement, le commerce et les services, etc.

[...]

– Dans la région de Montbéliard, le nombre de logements vides s’accroît de 979 de mars 85 à mars 86, principalement à cause des départs ONI. On arrive ainsi à 2 810 logements vacants pour les 3 organismes HLM en janvier 1987. Le journal local « Le Pays » du 20 février 87 annonce 16 millions de pertes pour l’habitat social. Les bâtiments vides sont murés, véritable spectacle de désolation. On voit même fleurir des inscriptions comme « dead city », ville morte, sur des bâtiments fantômes.

Certes le départ des immigrés n’est pas la seule cause de cette situation. […] Mais il en est une des causes majeures. Le secteur du bâtiment et des travaux publics a perdu 1 000 emplois en 5 ans.

– À la rentrée 85, l’inspection académique a donné les chiffres suivants concernant les départs d’enfants d’immigrés : maternelles : 480 ; primaire : 1300 ; collège. : 293 ; Total : 2073.

Les chiffres fournis par la préfecture font apparaître que le nombre d’enfants de moins de 16 ans est passé de 9 849 à 6 992 au cours de l’année 85. Dans la mesure où le ministère de l’Éducation se refuse à diminuer les effectifs des classes de façon significative dans les zones prioritaires, cela se traduit par de nombreuses suppressions de postes. Par exemple sur le quartier des Buis qui compte 4 000 habitants, l’inspection académique vient d’annoncer, en février 87, 9 suppressions de postes : 6 en primaire et 3 en maternelle.

– C’est certainement dans le commerce et les services que les suppressions d’emplois induites sont les plus importantes. Aucune évaluation n’a été faite à notre connaissance, mais on peut dire sans risquer de se tromper qu’il s’agit de plusieurs centaines de suppressions d’emplois.

Les élèves d’un collège ont réalisé une enquête auprès des commerçants du quartier des Buis à Valentigney. Voici ce qu’ils ont entendu :
  • Supermarché RAVI : baisse de 30 % du chiffre d’affaires
  • Boulangerie : grosse baisse des ventes due au départ des Maghrébins
  • Boucherie : le départ des Portugais qui étaient des gros acheteurs a entraîné une nette baisse des ventes – Bureau de tabac, pressing, […]
  • Les moyens financiers des communes sont également touchés par la diminution de la taxe d’habitation et de la Dotation générale de fonctionnement qui sont liées au nombre d’habitants.
[…]

Nous assistons donc à un véritable engrenage de la récession économique. Les suppressions d’emplois chez Peugeot et les départs des immigrés entraînent une diminution du nombre d’habitants donc de consommateurs. Cela induit des suppressions d’emplois dans d’autres secteurs comme le commerce, le bâtiment, l’enseignement, etc. Ce qui, par contrecoup, induit une nouvelle baisse de la consommation donc de nouvelles suppressions d’emplois, etc. La firme Peugeot s’en tire et devient sans doute plus compétitive, mais cela se fait au détriment de tous les autres secteurs de l’activité économiques de la région. […]

Retour ou exode

Quand un travailleur immigré quitte son pays pour des raisons économiques, il part dans l’idée de revenir au pays et cet espoir va le suivre pendant des années avant de se réaliser ou de glisser lentement vers l’oubli. Souvent le retour subsiste au niveau des mots, du rêve, du mythe. Il vit d’abord en célibataire dans l’espoir de réaliser rapidement les économies qui lui permettront de réaliser son rêve : l’achat d’un commerce, d’une ferme, d’un véhicule de transport, etc. Mais l’argent ne se gagne pas aussi vite qu’il l’espérait. Il fait venir sa femme et ses enfants. Ces derniers sont scolarisés en France et commencent à vivre comme tous les jeunes et tous les enfants de leur âge.

La pression du racisme et les primes proposées aux candidats au départ sont venues perturber les mécanismes normaux d’intégration dans la société française. Les familles immigrées se sont trouvées déstabilisées et certaines d’entre elles se sont décidées à quitter notre pays. Le collège des Tâles à Valentigney a organisé une correspondance avec les enfants rentrés au pays de leurs parents pour savoir ce qu’ils étaient devenus. Le collège a reçu des dizaines de lettres pleines de tendresse et de nostalgie. Cet échange de courrier, s’il n’a pas le caractère d’une enquête scientifique, permet de se faire une idée sur les difficultés de réinsertion de ces enfants. Ce sont eux les véritables sacrifiés de cette politique dite d’aide au retour.

Que disent-ils dans leurs lettres ? D’abord que certains parents n’ont pas trouvé de travail. Sur 21 pères, 11 se sont installés comme commerçants, 5 ont un autre travail et 5 sont au chômage, soit près de 25 %. Cela vient contredire le discours officiel de l’ONT qui laisse croire que la réinsertion se passe bien. L’ONI devait d’ailleurs vérifier le sérieux des projets de réinsertion avant la signature des contrats. Les projets de réinsertion ne correspondent que rarement aux besoins des pays d’origine. L’Algérie ou la Turquie ont besoin d’ouvriers très qualifiés, de techniciens, d’ingénieurs, etc. et pas tellement de commerçants. Il faut donc battre en brèche un certain discours sur le retour considéré comme un outil du développement de pays du Tiers-Monde. La France n’a d’ailleurs jamais fait un effort sérieux de formation professionnelle des travailleurs immigrés. À Sochaux, ils sont ouvriers à plus de 99 % (en 1977, seulement 6 ingénieurs et cadres et 40 employés, techniciens, agents de maîtrise sur 6 500 étrangers).

La réinsertion scolaire est également très problématique. Les enfants algériens disent qu’ils ont beaucoup de mal avec l’arabe classique. Les jeunes rentrés en Turquie ne maîtrisent pas la langue turque. Certains disent qu’ils ne comprennent rien à aucune matière. Ce qui est dramatique, c’est que ces enfants qui commençaient à réussir dans l’école française se retrouvent à la case départ. Certains expliquent dans des termes bouleversants qu’ils ne pourront pas réaliser leur projet de devenir infirmière ou technicien.

Mais c’est sans doute au niveau psychologique que leur situation est la plus dramatique.

[…]

En fait, ces enfants, ces jeunes étaient intégrés dans la société française, parfois peut-être sans s’en être rendu compte.

Mais nous avons aussi des échos des adultes. Certains connaissent de grosses difficultés : chômage, absence de logement, différences de mode de vie, etc. Le syndicat CGT de Sochaux par exemple a reçu plusieurs lettres disant : « Nous avons été trompés, nous n’avons pas de travail, aidez-nous à revenir. Nous sommes prêts à rembourser les primes ». Quand François Mitterrand est venu à Montbéliard, SOS Racisme l’a d’ailleurs interpellé sur cette question. Il faudra bien que la France accepte que ceux qui ne peuvent pas se réinsérer puissent revenir. Certains sont déjà là avec des visas de tourisme.

L’attitude des amicales qui entretenaient plus ou moins le mythe du retour a changé. Pendant longtemps, l’Amicale des Algériens par exemple, disait que l’Algérie était prête à accueillir tous ses ressortissants. La crise économique : baisse du pétrole et baisse du dollar, a entraîné une modification du discours. L’AAE insiste maintenant sur le droit de rester, ce que fait aussi l’ATMF depuis plusieurs années. L’ATMF dit même : les immigrés sont intégrés dans la société française et ils resteront ici. Point de vue que nous partageons complètement.

 

En guise de conclusion

1 – La région de Montbéliard a fait l’expérience de la politique de renvoi massif des immigrés, préconisée par Le Pen puisque le quart des immigrés est parti. Les effets en sont catastrophiques pour l’économie de la région. Les commerçants des quartiers sont peut-être ceux qui font le plus les frais du départ des immigrés. Ce qui est sûr : les déséquilibres économiques se sont encore accentués.

[…]

2 – Les problèmes humains de ceux qui sont partis ont souvent été négligés. La prime, même si elle atteint les dix ou douze millions de centimes, ne résout pas magiquement les problèmes de réinsertion. Elle a finalement empêché les familles de faire un véritable choix qui tienne compte de tous, c’est-à-dire aussi des femmes et des enfants.

Article extrait du Plein droit n° 4, juillet 1988


Source 


(1) Auto..., en anglais self. S'agissant de la Nouvelle-Calédonie, à qui peut bien renvoyer ce "self"/"auto" ? On ne sait pas. En tout cas, le concept même de "peuple autochtone" semble avoir été effacé des tablettes, à la manière des sbires de Staline retouchant une photographie gênante afin d'en faire disparaître un quidam tombé en disgrâce ! France, pays des droits de l'Homme, mais pas de ceux des Canaques !


Lecture


jeudi 23 janvier 2020

Sémantique de la désinformation #24


Épisode n° 24. Où l'on reparle de l'"antisémitisme"

Cette fois, ça va être très bref.

Le hasard me mène tout récemment sur un forum sur lequel apparaît ce qui suit.


Ainsi, donc, le sieur Mohamed Sifaoui y est allé de son couplet sur l'"antisémitisme" (chez moi, les guillemets sont toujours de rigueur), mais pour dire quoi ?

Pour affirmer, haut et fort, que les (Arabes) Saoudiens sont des antisémites.

Et moi de penser : "décidément, con un jour, con toujours !"

Outre le fait, assez affligeant, s'agissant d'un sujet d'origine berbère, de dénier, pour lui-même, le fait d'appartenir à la famille sémitique - voyez ce que Malcolm X dit de l'autodénigrement chez les sujets sous domination coloniale - Sifaoui s'enfonce dans le ridicule en montrant à la face du monde que sa propension à la flagornerie n'a d'égale que son immense inculture académique, dès lors que pas un sujet détenant un niveau de culture universitaire moyen n'ignore la composition des peuples se réclamant du "sémitisme".

Bien évidemment, je me suis fendu d'un petit "tweet" à l'attention de ce pauvre type...



Citation :
« Parmi les esclaves afro-américains, Malcom X faisait la différence entre les “noirs domestiques” (house negroes) et les “noirs des camps” (field negroes). Les premiers vivaient sous le même toit que leur patron ; leur mentalité était plus esclavagiste que l’esclavagiste lui-même ; ils parlaient de “notre plantation”, de “notre maison” ; ils s’inquiétaient quand leur patron tombait malade ; si un incendie se déclarait, ils déployaient toute leur énergie pour l’éteindre. Les seconds étaient exploités dans des camps ; ils haïssaient leur patron ; quand leur patron tombait malade, ils priaient pour qu’il meure, si la demeure prenait feu, ils priaient encore pour que le vent souffle plus fort. Reproposant cette distinction pour les Etats-Unis des années 60, Malcom X distinguait ceux qui parlaient de “notre gouvernement” et ceux qui disaient simplement “le gouvernement”. “J’en ai même entendu un qui disait "nos astronautes, racontait-il. Mais ce noir est un noir complètement fou !” (Source)

On résume ? On pense ce qu'on veut de l'intégrisme rétrograde et totalitaire des Wahhabites saoudiens, mais de là à taxer le noyau même de la culture et de la civilisation (arabo)sémitique d'antisémitisme relève du plus pur crétinisme !
 


Liens : 01 - 02


mercredi 4 septembre 2019

France Ô ou une certaine idée de la (re)colonisation #9


Épisode §9. Encore une histoire (presque) sans paroles...

Cette fois, ça va être très court...

Dans notre série d'articles concernant cette formidable chaîne de télévision, la seule - du paysage audiovisuel français directement accessible sur la TNT (Télévision Numérique Terrestre) - à être parfaitement calibrée pour la mondialisation, c'est-à-dire dont la majorité des émissions peuvent être diffusées n'importe où dans le monde - notamment dans au moins trois continents : Afrique, Amériques, Asie/Océanie -, moyennant la simple adaptation du son (doublage) selon le pays concerné - chaîne qu'une petite clique de guignols stupides et phénoménalement incultes souhaite rayer de la carte -, pour rester dans la rubrique "Que serait la France sans ses sportif/ve/s issues des colonies ?", voici une image faisant logiquement suite à l'épisode précédent, et que je vous présente sans le moindre commentaire.



Citation : 
Les recherches conduites par le CNRS en outre-mer concernent des disciplines aussi diverses que l’écologie, les sciences de la vie, les sciences de la Terre, la physique, la chimie ou les sciences humaines et sociales. Ces recherches sont transversales et interdisciplinaires, fondamentales mais aussi appliquées. Elles mobilisent une communauté importante de chercheurs, enseignants-chercheurs, ingénieurs et techniciens. (...) Les territoires d’outre-mer sont, de par leur localisation, des lieux privilégiés pour les études sur l’environnement, notamment en ce qui concerne les modifications induites par les changements climatiques. (...) Cette exposition témoigne des travaux menés par les chercheurs des laboratoires du CNRS en outre-mer : Guyane française, Polynésie française, Antilles françaises, Nouvelle-Calédonie, îles antarctiques et subantarctiques françaises, îles Éparses, la Réunion. (Source)

Liens : 01 - 02 - 03 - 04 - 05 - 06 - 07 - 08 - 09 - 10 - 11


P.S. J'écoute souvent (toujours !) de la musique en travaillant sur mon ordinateur. Et là, ça a été (pour la 2584ème fois !) les Quatre Derniers Chants (Vier Letzte Lieder) de J. von Eichendorff et quelques comparses, mis en musique par Richard Strauß (pron. 'straouss'), et chantés par... à votre avis, qui d'autre que Jessye Norman ? Je vous laisse apprécier "Im Abendrot", 'featuring' Gewandhaus Orchester Leipzig + Kurt Masur. (By the way, Norman et Masur sont à la limite du décrochage, comme on dirait en aéronautique ; il faut dire qu'elle était/est une des rares à pouvoir se permettre de telles séquences d'apnée... À comparer avec la "grande" Elisabeth Scharzkopf (10' contre 8'25 ; cf. R. Fleming : 9'25, L. Popp/G. Solti, une catastrophe, surtout le chef : 6'01 !!!), que j'adore par ailleurs, chez Mozart notamment, ou dans le rôle de 'Die Marschallin', (cf. la production mâââgique de Walter Legge, avec quelques jeunes gens, dont une certaine Christa Ludwig et un certain Herbert von Karajan)...  moins ici, ces Quatre Chants exigeant que la cantatrice ait vraiment du coffre !). (Lien) (Lien) (Lien) (Lien/cf. le titre et le dernier paragraphe sont (surtout le titre !!!) à hurler de rire, enfin...)


Ça c'est un "lapsus calami" qui aurait plu à Siegmund Freud ! Où le "Chevalier à la rose" est devenu "Piano à la rose". Hilarant, non ? Mais j'imagine que M. Rockwell n'a pas saisi le texte lui-même et ne s'est relu qu'en diagonale ! Quant à sa (probable) secrétaire, loin de moi l'envie de l'incriminer : tous les dactylographes un peu rapides (j'en fais partie) ont une méchante propension à trop faire confiance à leurs doigts et ne se relisent qu'en diagonale ; et je suis le premier à être conscient de la chose. Cela dit, quand on s'appelle le NYT, on se doit d'avoir des 'relecteurs' performants. Mais d'un autre côté, il y a certainement une explication technique : l'article d'origine a été numérisé, et les logiciels de reconnaissance des caractères se trompent parfois, comme expliqué ci-dessous :

"Occasionally the digitization process introduces transcription errors or other problems. Please send reports of such problems to archive_feedback@nytimes.com.

Je me suis, donc, empressé de signaler la coquille au service des archives du grand quotidien newyorkais. 



mercredi 21 août 2019

Vu à la télé #2.2


Épisode §2.2. Deuxième partie : arrêts sur images

Pour comprendre ce qui va suivre, vous allez devoir afficher également l'épisode précédent sur l'écran en cliquant sur le lien.

Bien évidemment, les férus d'ethnographie ou simplement les téléspectateurs fidèles à France Ô n'auront eu aucun mal à "légender" la soixantaine d'images que j'ai extraites du reportage évoqué au précédent chapitre, fût-ce de manière sommaire, dès lors qu'à elles seules, ces images ne donnent qu'une vision forcément parcellaire du contenu du reportage ; j'en suis tout à fait conscient. Néanmoins, ces images sont tout à fait parlantes, puisque c'est moi qui les ai choisies pour ce faire !

Et, au risque de me répéter, j'affirme ici que ceux et celles qui souhaitent faire disparaître la chaîne France Ô du paysage audiovisuel (national) français, soit n'ont jamais regardé cette chaîne (avec l'acuité de quelqu'un disposant d'un bagage intellectuel moyen), soit se targuent d'afficher au grand jour, et ce, sans la moindre vergogne, leur phénoménale stupidité, doublée d'une non moins phénoménale inculture.

Par parenthèse, je viens d'adresser un tweet à Mme D.E., présidente de France Télévision, pour l'inviter à constituer un jury d'experts autour de chercheurs du CNRS (Centre National de la Recherche Scientifique...), mais affichons plutôt le tweet !
Pour mémoire (à l'attention de mes visiteurs lointains), la France est le pays de grands ethnologues  ou ethnographes [je n'aime pas trop les assimiler à des anthropologues, terme que je réserverais à des biologistes ou des paléontologues comme Yves Coppens, les premiers : ethno... étant surtout des experts du mode de vie de "micro-sociétés", quand les autres (bio-, paléo-, s'occupent aussi, par exemple, des groupes sanguins, de la morphologie, de l'ADN..., en clair, de l'Humain pris dans sa globalité.)] ; citons Marcel Mauss, Maurice Leenhardt, Claude Levi-Strauss, Françoise Héritier..., un des derniers de cette illustre lignée étant Jean Malaurie, dont j'espère qu'il jouit encore d'une énergie toute juvénile, malgré son grand âge.

Et c'est précisément là que je mets volontiers la dame de France Télévision au défi de faire expertiser l'audiovisuel français (= la trentaine de chaînes gratuites de la Télévision Numérique Terrestre) par un jury d'experts présidé par notre grand ethnologue (qui vient des sciences pures, comme tous les vrais philosophes !), afin de noter ces chaînes selon la richesse culturelle de leurs programmes : histoire, géographie, sciences, traditions, ethnographie, éducation, diversité, etc.

On dit chiche à Madame la Présidente de France Télévision ?

J'affirme, ici, que sur ce plan : richesse culturelle, dépaysement, découverte des autres peuples et recherche permanente de l'excellence, hormis la chaîne internationale ARTE et (un peu moins) France 5, la chaîne généraliste française la plus enrichissante, mais aussi la mieux adaptée au paysage audiovisuel mondial qui s'impose à nous chaque jour un peu plus, c'est France Ô.

Le fait est que, lorsque je prends de volée le petit reportage évoqué dans l'épisode précédent, je retrouve l'essence même de France Ô, qui nous plonge quelque part dans le vaste monde.

Et, bien évidemment, dès la deuxième image, vous aviez compris qu'on était en Océanie, chez les Maoris. Mais comme j'ai coupé le son, je me perds en conjectures, tant l'espace maori est vaste ! 
Image n° 2. À dire vrai, ce qui m'incite à lancer l'enregistrement de ce reportage, ce n'est pas tant le fait d'être chez les Maoris, mais plutôt un sujet qui m'intrigue depuis longtemps : l'obésité chez les Polynésiens.

Et à la réflexion, comme j'avais suggéré, lors de l'épisode précédent, que le petit reportage en question pouvait servir de base à un mémoire universitaire, je vais faire les choses comme je suggérerais à un(e) jeune confrère/consoeur de le faire : plutôt que de commenter les images une à une, nous allons faire ressortir quelques thèmes importants et nettement lisibles sur les images. Ces dernières sont affichées dans un ordre strictement chronologique.

1. Le thème du reportage m'a échappé à moitié, ayant pris le sujet en cours de route, et n'ayant pas pu mettre la main sur le "podcast". Titre de l'émission (plutôt bizarre, voire un tantinet racoleur) : "Icôniques vahinés". En fait, il s'agissait du portrait d'une jeune fille se préparant à un concours de Miss, dans son île, quelque part assez loin de Tahiti (pour mémoire, la Polynésie Française s'étend sur au moins 2000 km).

Et c'est là que réside tout le talent d'une chaîne comme France Ô : car là où une chaîne vulgairement commerciale (cf. TF1 ou M6) se serait bornée à aller à Tahiti pour y faire de gros plans sur les rondeurs des filles, les déhanchements et les couronnes de fleurs, ici (France Ô), les producteurs, tout en se focalisant sur le sujet principal du reportage, en ont profité pour faire des incursions ici ou là, histoire de prendre en compte divers aspects de la culture polynésienne, de quoi permettre à un(e) étudiant(e) en ethnologie - que je ne suis plus - d'acquérir, en moins d'une heure, une foule d'informations qu'il/elle aurait mis des années à collecter,  moyennant des milliers de kilomètres de parcourus !

Quand je pense qu'il y a des "intellectuels" qui prétendent ne pas regarder la télévision parce qu'elle ne leur apporterait rien de substantiel !  

2. Le cadre géographique : nous sommes en Océanie et, précisément, sur un "motu", soit l'équivalent d'un village fort éloigné d'une ville et localisé sur une île, voire un atoll. Comme indices, on a la mer et les maisons traditionnelles (cf. img. 1, 14, 58-60). De fait, l'unique plan tourné en ville apparaît tout à la fin du reportage (cf. img. 66).

3. La population : aussi étrange que cela paraisse, je n'ai pas vu un seul "alien" durant tout le reportage, je veux dire pas un seul non-tahitien. Ce qui suggère fortement que les producteurs ont fait le choix délibéré de s'enfoncer dans la Polynésie profonde, loin du métissage folklorique et superficiel d'une ville comme Tahiti. C'est en tout cas une interprétation toute personnelle que je retire de ce reportage.

4. L'obésité : ben oui, il faut bien y revenir, tant la chose explose durant tout le reportage (cf. img. 2, 3-5, 7). Et là, je repense à ce chanteur hawaïen, Iz (1959-1997) popularisé par une reprise de "Over the rainbow". Le garçon était plus qu'obèse et n'a pas vécu bien longtemps ! Notons que bien des jeunes dans ce petit patelin sont déjà en surpoids (cf. img. 13)

Source
Nous sommes là en présence de l'obésité sous sa forme la plus morbide, qui crée des handicapés à l'espérance de vie bien réduite, une obésité à la nord-américaine, face à laquelle les médecines les plus modernes semblent bien impuissantes.

Voici ce qu'on pouvait lire, en 2014, sur un site nord-américain :
Until now, Americans have been losing the battle of the bulge. (...) More than a third of all adults and 17 percent of young people are obese, according to the experts, and many of them have been consigned to troubled lives with obesity-related health problems such as type 2 diabetes, coronary heart disease and stroke, hypertension, arthritis and even cancer. Without major government and private intervention and a sea change in many Americans’ unhealthy eating habits, the adult obesity rate could reach 50 percent by 2030, according to one study. (source)
Traduction : Jusqu'à présent, les Américains ont perdu la bataille du surpoids. (...) Plus d'un tiers de tous les adultes et 17 pour cent des jeunes sont obèses, selon les experts, et beaucoup d'entre eux ont été confinés dans des conditions de vie perturbées par les problèmes de santé liés à l'obésité, pour citer le diabète de type 2, les maladies coronariennes et les accidents cérébrovasculaires, l'hypertension, l'arthrite et même le cancer. Sans une intervention majeure du gouvernement et du secteur privé et un changement radical dans les habitudes alimentaires malsaines de nombreux Américains, le taux d'obésité des adultes pourrait atteindre 50 % d'ici 2030, selon une étude.
Le fait est que surpoids et obésité touchent particulièrement les populations les plus pauvres du monde. C'est ainsi qu'en France, l'obésité est quatre fois plus importante chez les enfants d'ouvriers que les enfants de cadres. Et s'il y a une chose que les sociétés de l'opulence ont réussi à exporter dans le reste du monde, c'est précisément ce surpoids (l'obésité n'étant souvent que l'arbre qui cache la forêt) qui a tout envahi, notamment les pauvres où qu'ils vivent.

Et comment les Outre-mer auraient-ils pu échapper à la pandémie, eux dont les élites vivent dans l'hystérie permanente de vouloir copier leurs modèles occidentaux ?
Source

Citation, dans la rubrique "C'est à peine croyable !" :
Mercredi 27 mars 2013, les députés de la majorité ont voté en première lecture une proposition de loi socialiste visant à mettre fin à une situation étonnante : dans les DOM-TOM, certains produits alimentaires comme les sodas ou les yaourts contiennent bien plus de sucre que leurs équivalents vendus en France hexagonale. (...) Tout comme le scandale du chlordécone et son cortège de cancers et de retards psychomoteurs, c’est à une autre exception mortifère des outremers français que s’attaque le Parlement. (...) Retour sur un scandale de santé publique, ou comment les industriels « se sucrent » sur le dos des Français d’Outre-Mer. (Source)
Dans le même temps, ces sociétés dites pauvres, où l'obésité explose, sont aussi des contrées où les humains bougent parce que forcés de le faire : traverser la forêt à pied pour les besoins de l'agriculture ou de la chasse, pagayer des heures durant sur une rivière, un fleuve, voire en pleine mer, pour les besoins de la pêche, transporter à dos d'homme ou de femme des marchandises pour se rendre au marché, transporter à dos de femme ou d'enfant des calebasses remplies d'eau entre le marigot le plus proche et le village, etc. Bien plus que la pratique du sport, ces gens vivent essentiellement de manière sportive, parcourant des dizaines de kilomètres par jour !  Par parenthèse, avez-vous déjà vu des Pygmées, des Massaïs ou des Bushmen obèses ? 





5. Sports. Précisément, les Polynésiens sont les inventeurs du surf et du va'a (course de pirogues à balanciers), ce qui en fait de grands sportifs, l'aire de jeu la plus immédiate pour les enfants et les adolescents étant le lagon (cf. img. 14). Et à quoi voit-on que c'est un lagon ? Ben, au fait qu'il n'y a pas de vagues, pardi !

Prenez le va'a, la course de pirogues : ici, l'obésité n'a pas sa place, ne serait-ce qu'en raison de l'étroitesse des embarcations. 



Ce qui fait que la société polynésienne présente à la fois des morphotypes costauds et musclés, et d'autres morphotypes plutôt enveloppés, voire obèses, à l'instar de ce qu'on peut voir aux États-Unis, le pays le plus couvert de médailles olympiques, mais aussi le champion du monde de l'obésité ! 

La question qu'il faut se poser serait de savoir comment des contemporains vivant dans un même village polynésien peuvent afficher des apparences physiques aussi disparates que sur les deux images qui suivent (cf. l'homme musclé, à gauche sur la deuxième image). 
 
 


6. Métissage : on présente généralement la Polynésie comme étant le pays des Maoris. C'est à la fois vrai et faux. Il suffit de considérer quelques patronymes : au hasard, ce politicien qui a longtemps dirigé le gouvernement local (Gaston Flosse), ou encore cette reine de beauté (Mareva Galanter) élue miss France il y a une vingtaine d'années ;  des patronymes qui n'ont rien de "maori", sans parler du phénotype bien peu "tahitien" de la Miss France 1998 ! Sans vouloir médire - mais tout en médisant -, je dirai que la miss France de 1998 ressemblait autant à une Tahitienne qu'une coccinelle Volkswagen pouvait ressembler à une Rolls-Royce !

Il suffit parfois de tomber sur d'anciennes illustrations pour se rendre compte que les Vahinés d'antan n'ont pas du tout le même "look" que celles d'aujourd'hui.  C'est ainsi que celle que l'on aperçoit ci-dessous est presque noire de peau !


Par ailleurs, tout le monde a pu voir que les Vahinés de Gauguin avaient la peau plutôt foncée.  Voilà qui nous donne une idée du profond métissage subi par la société polynésienne à travers les siècles, notamment depuis la colonisation européenne et l'immigration chinoise.


On estimait notamment qu'en 1983, il y avait deux tiers de Polynésiens "non mixtes", soit, théoriquement, un tiers de sangs-mêlés, ce qui a tout de même incité un chercheur à écrire que "tenter aujourd'hui de déterminer le pourcentage d'insulaires de sang mêlé ou celui de Polynésiens de sang pur est, pour tout le Pacifique, une tâche insurmontable, en raison de l'intensité du métissage et de son ancienneté." (Source

Ce phénomène est aisément "lisible" dans notre reportage : on peut dire, en gros, que les Maoris ont le visage plutôt rond et les yeux peu voire pas du tout bridés, et les images 11 et 12 nous permettent de déceler des origines distinctes chez les deux hommes : je dirai que le premier (img. 11) est un maori mâtiné de chinois, tandis que le second (img. 12) a des origines européennes bien visibles. Nous aurons l'occasion de mieux illustrer ce phénomène chez les membres d'une même famille.

Cela dit, j'en entends qui s'insurgent : "Visages ronds des Maoris ? Peut-être, mais avez-vous oublié le faciès particulier des Mohaïs de Rapa Nui ?"

Et là, je réponds : "Excellente objection !". Le fait est que les statues de l'Île de Pâques (Rapa Nui), avec leurs longs visages émaciés, n'ont que très peu de rapport avec le faciès arrondi, supposé être celui des Maoris pur jus, tels que je me les représente et qu'on peut le voir un peu partout.


Alors, ce serait quoi l'explication ? J'avoue que, pour ma part, je me perds en conjecture..., so far, comme diraient les anglo-saxons ! 

7. Paganisme. Il faut dire que France Ô nous a livré là un reportage bien étonnant ! Rendez-vous compte : d'habitude, dans les Mers du Sud, on ne pouvait pas voir un documentaire quelconque à la télévision, sans qu'à un moment ou un autre, une église n'entre dans le champ de la caméra.

Citation :
Il suffit de faire le tour de l'île pour s'apercevoir que les missionnaires ont eu à cœur de s'installer sur le Territoire maohi! Partout... partout des églises. Des grandes, des petites, des baroques, des coloniales, des classiques, des jaunes, des roses, des rouges, des blanches. Dans un même village dans un rayon de moins de 500 mètres, nous en avons compté quatre.
Impossible de sous-estimer l'impact de l'établissement de la chrétienté sur la société maohie. Elle a infiltré tout le fonctionnement de l'archipel.
Certaines églises siègent sur le lieu même des maraes originels. Pendant plus d'un millier d'années, les insulaires vénérèrent leurs dieux maohis. En tête, Taaroa, le créateur du monde, suivi par des dieux secondaires, mais néanmoins importants, tel Oro, le dieu de la guerre, ou Tané, le dieu de la beauté. Les anciens respectaient les « tupapau » les esprits des choses ou des revenants... Tout un culte qui rythma la vie des Maohis pendant des centaines d'années. Puis, en quelques décennies, ils oublièrent tout : cérémonies, signification des rites, déroulement de leur quotidien.
Malgré les quelques « martyres » que l'Eglise eut connus, elle se tailla la première place, selon des méthodes éprouvées au travers des siècles. Ainsi, en culpabilisant la population, elle acquit une partie de son audience. Elle convainquit le reste à la rejoindre, par la force. Partout, les tikis en bois furent brûlés, les tikis de pierre mutilés ou détruits à coup de masse. Les maraes furent détruits ou servirent de soubassements à la nouvelle Eglise. Les chants et danses païens furent interdits. Le port du pareu et des « petites tenues » remplacé par les robes missionnaires. Les tatouages proscrits. (Source)
Mais comme dirait Alain Delon dans une fameuse publicité, "Ça c'était avant !", tant on sent bien que, de nos jours, les missionnaires reculent partout, voire ont disparu complètement - remplacés, il est vrai, par des supplétifs locaux - les Polynésiens étant de plus en plus nombreux à renouer avec leurs racines ancestrales, ce que ce "petit" reportage qui ne paie pas de mine illustre de façon éclatante.

Ici, aucune église visible, aucun missionnaire, aucun prêtre, aucun pasteur ! C'est tout juste si l'on aperçoit tantôt un crucifix dans une habitation (cf. img. 32). En revanche, les références aux cultes ancestraux sont bien là, avec ces "tikis" que l'on aperçoit ici ou là (cf. img. 44, 48, 61). Vous imaginez ma stupéfaction !

8. Nudité des corps : voilà qui coule de source à la suite de la section précédente. Il faut dire que les missionnaires n'ont pas fait les choses à moitié, imposant aux vahinés le port de robes longues et amples destinées à couvrir ces seins que l'on ne saurait voir ! Lisez l'article intitulé 'Robe mission' sur une fameuse encyclopédie en ligne : 

La robe mission, robe empire ou robe popinée (Nouvelle-Calédonie) est un vêtement féminin porté dans toute l'Océanie. Il s'agit d'une robe longue et ample sans décolleté mais aux couleurs généralement bariolées. Elle a été imposée par les missionnaires chrétiens, venus évangéliser cette partie du monde au XIXe siècle, en remplacement des tenues traditionnelles impudiques à leurs yeux. Les Océaniennes se sont peu à peu approprié cette robe qui a pris des tons bariolés. Son port est désormais revendiqué et fait office de costume local. Ainsi, en Nouvelle-Calédonie, les équipes féminines de cricket s'affrontent en robe mission d'une couleur différente pour chaque équipe. (Source)

C'est là qu'il y aurait une petite recherche comparative à faire entre Polynésie et Calédonie. 

Source
Visiblement, côté Maori, c'est raté pour les missionaires, les Polynésiennes s'ingéniant désormais à découvrir leur peau à la moindre occasion (cf. img. 9, 10, 31, 41, 48).

9. Corps fleuris : l'Océanie est la région du monde où l'on se pare volontiers de fleurs, et où les nouveaux arrivants reçoivent systématiquement un collier bien parfumé autour du cou. Ce qui m'a surpris ici, c'est de voir un homme arborer une fleur à sa tempe, pratique que je croyais réservée aux femmes. En fait, les hommes en portent aussi, mais l'expérience montre tout de même que la chose est fort rare (cf. img. 26-29, 42-49). Soit dit en passant, l'homme que l'on aperçoit durant une séance de "coaching" de futures miss a les traits plutôt effeminés et porte des habits féminins (cf. img. 42), ceci expliquant probablement cela.

La question est maintenant de savoir si, à l'instar du foulard des Antillaises, par exemple, un code particulier est attaché au port de la fameuse fleur de tiaré. Car, quand on connaît les coutumes vestimentaires de certaines populations à travers le monde, on se doute bien qu'il y a anguille sous roche.

10. Tatouages : encore un échec cuisant pour les missionnaires, tant on peut constater que la magie du tatouage a repris du poil de la bête, ce à quoi les missionnaires ont probablement contribué, à leur corps défendant.

Rappelons que les premiers missionnaires ont souvent été, également, des ethnographes de fait, s'appliquant à décrire par le menu les sociétés qu'ils étaient venus détruire. Je pense à l'école allemande de la revue "Anthropos", qui nous a laissé de très riches archives sur les langues, les mœurs et coutumes des peuples rencontrés, la géographie, l'histoire, etc. 

Lisez cette présentation d'un ouvrage titré Du missionnaire à l'anthropologue :
L’engouement du public pour les écrits missionnaires, les journaux ou les récits de voyage alimente de nos jours toute une politique de réédition. Anthropologues et historiens découvrent ou redécouvrent avec un grand intérêt les ressources ethnohistoriques et ethnolinguistiques des journaux de bord tenus par les missionnaires européens ou indigènes, catéchistes ou évangélistes, répondant tantôt à la demande d’information de l’autorité institutionnelle de leur congrégation, tantôt à leur propre quête et curiosité. (...) De la traduction de la Bible en langue vernaculaire à la production 
de traités savants sur la parenté ou la religion primitive, en passant par l’élaboration érudite de dictionnaires, de nombreux missionnaires ethnologues ont apporté une contribution majeure à l’émergence de la discipline ethnologique. À partir des années 1960, la consécration de l’anthropologie comme discipline universitaire et la professionnalisation du métier d’ethnologue ont amené les générations plus récentes à repenser les liens, les compromis ou les malentendus entre vocation religieuse et carrière d’ethnologue. Depuis lors s’est ouvert un vaste débat méthodologique entre historiens, anthropologues et missiologues. (Source).

En ce qui concerne les Mers du Sud, force est d'admettre que la sophistication du tatouage maori n'a rien d'équivalent dans le monde et il y a fort à parier que les toutes premières descriptions de ces tatouages sont apparues dans des récits de voyages produits par des missionnaires. De fait, contrairement aux réalisations commerciales et vulgaires que l'on aperçoit un peu partout, le tatouage polynésien s'appuie sur un puissant fonds patrimonial et ancestral aisément accessible grâce aux archives. Du coup, il suffit désormais aux artistes Maoris d'aller inspecter les traités d'ethnographie ou les récits de voyageurs ou de missionnaires, dans les musées et les archives, pour retrouver intact l'art de leurs ancêtres. Je dois dire que cette séquence a été un des passages les plus fascinants du reportage. (Cf. img. 2-10, 15-22).

Et comme cela ne suffisait pas à l'humiliation des barbares en soutanes venus "civiliser les sauvages", voilà que le tatouage maori a essaimé dans le monde entier. Il faut dire qu'il est particulièrement spectaculaire. Voyez ces sculptures aperçues au Musée du Quai Branly.


11. Muséographie et archives 

Les auteurs de notre "petit" reportage sur France Ô ne se sont pas contentés de promener leur caméra au sein de cette communauté polynésienne, puisqu'ils ont eu la judicieuse idée de consulter quelques archives, notamment dans un musée ethnographique de Nouvelle Zélande. C'est ce qui nous vaut ce sublime croquis d'un guerrier des Marquises entièrement couvert de tatouages, au point qu'il paraît être de race noire (il a effectivement la peau très foncée).

À l'époque, il valait mieux être svelte et musclé pour faire face aux ennemis éventuels, et savoir également manier la massue, cet énorme objet tiré d'un bois fort difficile à sculpter, pesant près de cinq kilos, et que l'on abattait sur le crâne d'un adversaire ou d'un sujet soumis au sacrifice.


Des exemplaires de ces massues étaient récemment visibles lors de la formidable exposition consacrée à l'Océanie (et déjà évoquée ailleurs sur ce blog) au musée parisien du Quai Branly.




12. Une simple élection de miss ?

Il faut bien admettre que le titre du reportage "Iconiques vahinés" était plutôt biaisé, une vahiné (femme, épouse, concubine, maîtresse) n'étant pas nécessairement candidate au titre de "miss". Mais bon, l'essentiel était ailleurs, n'est-ce pas ?

Toujours est-il que nous suivons une jeune Polynésienne dans sa préparation pour l'élection, dont elle sortira gagnante (cf. img. 26-32, 53-57). Mais il semble qu'ici, les Polynésiens aient adapté le concept de "miss" à leurs propres codes traditionnels.

13. Parures végétales

Précisément, parmi les codes vestimentaires de cette élection, il y avait l'obligation pour les candidates et leur entourage de confectionner des costumes traditionnels à base de végétaux, histoire d'illustrer le talent des candidates dans le maniement des techniques vestimentaires ancestrales. Le fait est que, hormis les chaussures, tout l'habillement est fait main, à base de fibres végétales et de fleurs locales (cf. 23-25, 38,39, 51-55).


14. Familles adoptives

Il est une tradition bien connue des Polynésiens, le f'a'a'amu, qui consiste à confier des enfants à une parente plus ou moins éloignée, voire à une amie, qui va jouer le rôle de mère adoptive sans qu'à aucun moment l'enfant ne se détache de sa famille biologique. 

Citation : 
Le "fa’a’amu" fait partie de la vie du polynésien depuis des siècles. Pour preuve, des récits mythologiques où l’on retrouve l’adoption d’un prince mi-homme, mi-dieu sur le mont Temehani, à Raiatea (îles sous-le-vent). Nombreuses sont les légendes qui mettent en avant ce côté spécifique du triangle polynésien. Au henua ‘enana, on raconte l’histoire d’un jeune guerrier de l’île de Ua Pou lequel aurait été adopté par une vieille dame nommée Taheta (d’autres disent qu’il s’agirait plutôt d’un grand-père). Une indication précieuse est donnée ici pour une compréhension générale du phénomène. On y parle « d’une grand-mère » et non pas de « sa grand-mère », ce qui revient donc à dire que le système tendait peu à peu vers une forme d’adoption plus élargie, dépassant le cercle des "feti’i" (famille). Les amis pouvaient, eux aussi, adopter.

Dans la vie quotidienne d’antan, il n’était pas rare qu’après une bataille, les enfants des vaincus étaient souvent adoptés par le clan des vainqueurs. Des témoignages de navigateurs, de missionnaires ou autres visiteurs relatent des scènes d’adoption auxquels ils ont assisté. Si le côté traditionnel restait obligatoire, il n’en n’était pas de même pour le côté affectif. Les enfants fraîchement adoptés n’étaient pas forcément acceptés par leurs nouvelles tribus. Même pour ceux qui étaient recueillis par les familles royales elles-mêmes. Heureusement, ce comportement restait exceptionnel et isolé. La tendance était plutôt vers un bon accueil et un amour égal à celui donné aux membres « de sang » d’une même famille. L’avenir et le nouveau mode vie allait mettre en avant une autre classe d’ « adoptant »…les étrangers.
(Source)

Mais, comme cela se produit parfois, les meilleurs idées du monde se trouvent souvent dénaturées par la société de consommation et les inégalités sociales, ce qui fait que cette bien inoffensive tradition consistant à "prêter" un enfant à une femme stérile vivant dans le village ou l'île d'à côté, s'est trouvée régulièrement dévoyée lorsque de petits Polynésiens se sont retrouvés littéralement déportés de leur archipel natal à des milliers de kilomètres de distance, vers de riches familles vivant dans de lointaines contrées opulentes d'Europe ou d'Amérique du Nord.

Il faut croire que nos reporters ont eu beaucoup de chance, pour se retrouver en présence d'une personne (l'héroïne du reportage) ayant fait l'objet d'un f'a'a'amu, avec pour cerise sur le gâteau la présence - apparemment exceptionnelle, au point que la principale intéressée en a été submergée par l'émotion - de la mère adoptive (à gauche) aux côtés de la mère biologique (en rouge, à droite). Par parenthèse, le père de la reine de beauté apparaît quelque part lors du reportage (cf. img. 25, le gaillard musclé à gauche).


 
 


15.  Métissage (suite)

Nous avons illustré la multiplicité des phénotypes plus haut. La question prend une tournure particulière lorsqu'on l'évalue au sein d'une même famille. C'est ainsi que l'une des héroïnes du reportage s'est trouvée être une ancienne lauréate de l'élection de miss filmée par nos reporters.

Et voilà que notre ancienne miss s'en va rendre visite à sa famille proche. Nous la voyons ci-dessous aux côtés de sa grand-mère et de sa mère, soit trois générations d'une même lignée (tiens, pas d'homme, comme aux Antilles et en Guyane ?), dont on peut dire sans mal qu'elles affichent des phénotypes assez dissemblables, entre le type nettement "asiatique" (chinois) de la grand-mère, celui plutôt hybride et mâtiné de caucasien de la mère, et le faciès nettement plus "maori" de la jeune femme.


 
 



16. Générique de fin 

Ledit générique (cf. img. 67-71) nous apprend que le reportage émane d'une "boîte de production" privée, pratique fort courante de nos jours. Et il y a fort à parier que, compte tenu du caractère supra-géographique du sujet (voyez la taille de l'Océan Pacifique, donc, de l'Océanie !), nos producteurs n'aient pas eu de mal à vendre leur sujet à moult chaînes de télévision au sein de l'immense espace polynésien, voire au-delà.

C'est précisément cela, la mondialisation des images, telle qu'elle s'impose de plus en plus au téléspectateur lambda disposant d'une connexion au câble ou au satellite.


Bilan : 

J'étais parti avec en tête une dizaine de thèmes à retirer d'un bout de reportage de vingt-six minutes. Au final, j'en ai tiré une quinzaine de sujets. Ce petit travail m'a pris deux fois deux heures en deux après-midi distinctes et, pour ce faire, je n'ai eu besoin d'aucune note, mon carnet de notes s'appelant 'Gogol', je veux parler du fameux moteur de recherche.

Le fait est que les petits développements qui précèdent sont à la portée de tout quidam disposant d'une culture générale moyenne, soit après deux ou trois années d'études universitaires, même si je suis persuadé qu'un(e) très bon lycéen(ne), habitué(e) à lire autre chose que des mangas, à fréquenter musées et salles d'expositions, et à regarder des choses intelligentes à la télévision, ne devrait avoir aucun problème pour produire une analyse consistante d'un reportage comme celui évoqué ici.

Il va sans dire que bien d'autres thèmes que ceux évoqués ici auraient pu être abordés, et peut-être l'ont-ils été dans la première moitié de l'émission, que je n'ai pas vue ; je pense à quelques incontournables de la vie polynésienne, comme le va'a, le surf, le coprah, le monoï, le heiva, mais aussi l'océan omniprésent, les récifs de corail, l'huître perlière, le volcanisme, qui a donné à ces îles ce "look" échancré et escarpé que l'on retrouve un peu partout, par exemple à Hawaï, mais aussi à la Réunion (cf. img. 1).


Bien entendu, je n'ai cité ici que peu d'"experts" ou d'ethnologues. Il n'a jamais été question de produire un travail savant, le reportage concerné ne s'y prêtant pas forcément, et ce, malgré une richesse documentaire sans commune mesure avec les niaiseries auxquelles la télévision commerciale nous a habitués. Pour les sources, il y a l'Internet, qui vous livre en un temps record l'information désirée pour peu que vous saisissiez les bons mots-clés.

La question est maintenant de savoir si la petite clique de guignols désireux d'avoir la peau de France Ô dispose du minimum de culture générale requis pour produire une petite analyse comme celle affichée plus haut. Entre nous, j'en doute ! En tout cas, ce petit article leur a fourni l'occasion de tester leur culture générale, dont on peut se douter qu'elle ne vole pas très haut !

Le fait est que France Ô n'est pas une chaîne de télévision locale, ni même (franco)française, mais un programme destiné au vaste monde ; la seule et unique chaîne généraliste française calibrée pour la mondialisation, c'est-à-dire que l'on peut regarder de n'importe quel pays du monde, pour peu que l'on adapte la langue du doublage, dès lors que nous avons là la seule chaîne de télévision (dans le monde) basée non pas dans un pays, mais dans un espace géographique allant de l'Atlantique Nord (Saint-Pierre et Miquelon) aux terres les plus lointaines de l'Océan Pacifique, dans ce gigantesque espace incluant Polynésie, Calédonie, Wallis et Futuna, en passant par des îles africaines dans l'Océan Indien, la Mer des Caraïbes, le Nord-Est du continent sud américain, soit aux confins de quatre continents (Amériques Nord et Sud, Afrique, Asie-Océanie), avec ce qu'on imagine en termes de décalage(s) horaire(s) et de diversité géo-ethno-socio-culturelle.

Rien que ça ! 


Et même la chaîne mondiale de référence qu'est la BBC ne couvre pas (plus !) un domaine aussi vaste. Et nous avons là des guignols stupides et phénoménalement incultes qui n'ont visiblement rien compris !          



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