Translate

Affichage des articles dont le libellé est politique. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est politique. Afficher tous les articles

jeudi 21 juillet 2022

Comment le lobby israélien dépense des millions pour faire battre les démocrates progressistes dans les élections primaires

Ceci est ma traduction d'un article sur les ingérences à peine dissimulées du lobby pro-israélien aux États-Unis, dans sa tentative d'étouffer toute voix discordante concernant la question palestinienne. 

Breaking! Les premiers résultats des primaires pour la Chambre des Représentants sont en train de tomber aux États-Unis, et comme illustration du papier qui suit, la marionnette (cf. photo) noire pilotée par l'AIPAC dans le Minnesota pour contrer la démocrate Ilhan Omar a été battue de peu mais battue quand même par cette dernière. Source

Le lobby israélien dépense des millions pour vaincre les démocrates progressistes dans les élections primaires

Les groupes de pression pro-israéliens ont dépensé des sommes "délirantes" pour changer le cours de plusieurs primaires du Congrès démocrate au cours de la seule année écoulée, rapporte notre invité Peter Beinart. La dernière intervention en date a eu lieu dans le Maryland, où l'ancienne élue du Congrès, Donna Edwards, a dépensé sept fois moins que l'avocat d'affaires Glenn Ivey, dans sa tentative de regagner son ancien siège dans le 4e district du Congrès de l'État. Beinart, rédacteur en chef de "Jewish Currents", affirme que les PAC, dirigés par l'AIPAC, camouflent leur entreprise [de lobbying] derrière des considérations purement locales, mais visent en réalité à évincer les candidats qui prennent des positions en faveur des droits des Palestiniens et des travailleurs.

Ce texte est juste le fruit d'une transcription urgente. La présentation qui suit n'a pas encore acquis sa forme définitive.
 

AMY GOODMAN : C'est Democracynow.org, Le rapport sur la guerre et la paix. Je suis Amy Goodman, avec Juan González.

Aujourd'hui, c'est jour de Primaire dans le Maryland. Dans une course étroitement surveillée, l'ancienne élue du Congrès Donna Edwards cherche à regagner son ancien siège dans le 4e district du Congrès du Maryland, non loin de Washington, DC. Elle fait face à l'avocat d'entreprise Glenn Ivey, qui a recueilli sept fois plus d'argent. Le New York Times rapporte qu'un nouveau super PAC dirigé par l'AIPAC, l'American Israel Public Affairs Committee, a dépensé près de 6 millions de dollars pour cette primaire dans le but de vaincre Edwards, qui a siégé au Congrès pendant quatre mandats ayant pris fin en 2017. En 2008, Donna Edwards est entrée dans l'histoire en devenant la première femme noire élue au Congrès du Maryland. Un autre groupe lié à l' AIPAC, la Majorité Démocrate pour Israël, a dépensé plus de 425 000 dollars pour aider à vaincre Edwards. Les deux groupes ont également versé de l'argent dans les efforts pour vaincre d'autres démocrates progressistes, notamment Nina Turner dans l'Ohio et Jessica Cisneros au Texas.

Nous sommes maintenant rejoints par Peter Beinart, rédacteur en chef de Jewish Currents. Il a récemment écrit un article intitulé "The Israel Lobby's New Campaign Playbook" [Le nouveau manuel de campagne du lobby israélien]. Peter Beinart est professeur à la Newmark Graduate School of Journalism de la City University de New York.

Merci beaucoup de vous joindre à nous, Peter. Pouvez-vous parler de ce à quoi Donna Edwards est confrontée en ce moment dans le Maryland, en ce qui concerne les sommes dépensées pour la vaincre ?

PETER BEINART : C'est vraiment extraordinaire pour une campagne locale que de voir une organisation, un super PAC, dépenser près de 6 millions de dollars. Ce que nous voyons à travers le pays, c'est que le super PAC de l'AIPAC dépense souvent autant que les candidats eux-mêmes. C'est en partie le résultat de Citizens United, la décision de la Cour suprême en 2010, qui a créé les super PAC, qui sont ces entités qui peuvent accepter des sommes d'argent illimitées et dépenser de l'argent de manière toute aussi illimitée tant que ces mouvements ne sont théoriquement pas coordonnés avec la campagne des candidats. Et c'est aussi le résultat du fait que l'AIPAC et les organisations alliées de l'establishment pro-israélien ont vu une menace à partir de 2019, lorsque des personnes comme Rashida Tlaib et Ilhan Omar et Alexandria Ocasio-Cortez ont été élues au Congrès, et ont décidé de dépenser des sommes d'argent pratiquement illimitées pour s'assurer que la politique de ces élus, qui est plus pro-droits palestiniens, mais qui est aussi plus progressiste sur les questions économiques, ne devienne pas l'avenir du Parti démocrate.

JUAN GONZÁLEZ : Dites, Peter, pourriez-vous parler de ce que vous avez découvert en termes de connexions ou de liens entre des groupes comme les démocrates traditionnels et d'autres lobbyistes pro-israéliens, comme la Majorité Démocrate pour Israël ?

PIERRE BEINART : Oui. L'une des choses que j'ai constatées, c'est que très souvent, lorsque ces organisations pro-israéliennes ciblent un candidat progressiste, ces candidats sont également ciblés par des groupes qui ne se concentrent pas sur Israël-Palestine mais qui veulent simplement vaincre cette personne parce que cette personne peut être progressiste sur les questions de soins de santé, ou elle pourrait soutenir le Green New Deal.

Donc, il y a un groupe appelé Mainstream Democrats. Si vous regardez leur site Web, il ne dit rien sur Israël-Palestine. Il dit simplement qu'il ne veut pas que le Parti démocrate soit repris par des groupes d'extrême gauche. Mais les démocrates traditionnels sont en fait dirigés par la majorité démocrate pour Israël. Donc, ce que vous voyez, c'est cette alliance très, très étroite. Ils travaillent dans les mêmes bureaux avec le même personnel, donc, essentiellement, cette relation extrêmement étroite entre les groupes qui veulent vaincre les progressistes parce qu'ils soutiennent les droits des Palestiniens, et les groupes qui veulent juste vaincre les progressistes parce qu'ils veulent essentiellement que le Parti démocrate soit dominé par des gens comme Joe Manchin et Kyrsten Sinema, qui se livreront à des enchères sur l'industrie des combustibles fossiles, l'industrie de la santé, l'industrie des services financiers.

JUAN GONZÁLEZ : Et dans quelle mesure ces efforts ont-ils été couronnés de succès dans le passé ? Amy a mentionné les campagnes de Nina Turner dans l'Ohio et de Jessica Cisneros au Texas, qui ont toutes deux été ciblées par l'AIPAC et qui ont toutes deux été battues. Quel a été le bilan de tous ces efforts ?

PETER BEINART : Ces efforts, malheureusement, ont été très fructueux. Il y a eu quelques courses – une en Pennsylvanie, une dans l'Illinois – où les candidats progressistes ont pu gagner. Mais dans la plupart des cas, les candidats visés ont perdu. Et même lorsque les candidats ciblés ne perdent pas, cela a un effet paralysant. Les politiciens là-bas voient cela et pensent : "Je ne veux pas que des millions et des millions de dollars soient investis dans une course à la Chambre contre moi", et donc ce qu'il a tendance à faire, c'est des candidats en pointe sur certaines questions et qui pourraient être plus enclins à adopter des positions progressistes sur les droits des Palestiniens ou sur d'autres questions, se mettre à faire profil bas et éviter d'adopter ces mêmes positions, afin d'éviter le genre d'attaques auxquelles d'autres progressistes ont été confrontés.

AMY GOODMAN : Alors, permettez-moi de vous demander, revenons à la course de Donna Edwards, Peter - vous avez la présidente de la Chambre, à droite, Nancy Pelosi, qui vient en fait du Maryland, bien qu'elle représente San Francisco, qui soutient pleinement Donna Edwards. Maintenant, alors que la majeure partie de l'argent dépensé dans la course provient du super PAC aligné sur l'AIPAC, les publicités financées par le soi-disant United Democracy Project ne mentionnent pas le Moyen-Orient. Et je voulais ensuite parler de Nancy Pelosi, qui s'est vraiment manifestée et a attaqué tout cet argent, les publicités lancées par des groupes alignés sur l' AIPAC, comme United Democracy Project, provoquant cette réponse en juin de Nancy Pelosi.

NANCY PELOSI : Lorsque Donna Edwards a représenté pour la première fois le 4e district du Congrès du Maryland - et cela pendant près d'une décennie - elle était l'un des membres les plus efficaces du Congrès. Donna s'est battue avec acharnement pour le comté de Prince George, pour des emplois et des investissements dans sa communauté, pour aider les électeurs dans le besoin et pour obtenir des résultats. En tant que conférencière puis dirigeante, je savais que je pouvais toujours compter sur Donna Edwards en tant que membre apprécié de notre équipe de direction.

AMY GOODMAN : Donc, c'est Nancy Pelosi qui soutient Donna Edwards. Maintenant, il y a ces campagnes publicitaires, et ces candidats qui sont soutenus par ces énormes - je veux dire, l'énorme somme d'argent, des millions, dans le cas de cette campagne, allant à son adversaire - ils ne soulèvent pas la question d'Israël et de la Palestine, n'est-ce pas ? Et aussi, soyons clairs : il y a d'autres groupes pro-israéliens, comme JStreet, plus progressistes, qui soutiennent Donna Edwards.

PETER BEINART : Oui, mais JStreet n'a pas - n'a qu'une petite fraction de la somme d'argent que l'AIPAC et la Majorité Démocratique pour Israël ont de l'autre côté. Mais vous avez tout à fait raison. Dans presque aucune de ces courses, les campagnes publicitaires n'ont réellement quelque chose à voir avec l'agenda réel des organisations qui les paient. Et c'est parce que l'AIPAC et le DMFI savent que peu d'électeurs dans ces circonscriptions se soucient réellement d'Israël-Palestine. Ils se préoccupent des problèmes locaux.

Donc, ce que l'AIPAC fait, c'est - et DMFI le fait, ce sont des sondages. Et ils attaquent les gens sur ce genre de choses – tout ce qu'ils pensent peut permettre de gagner du terrain. Ainsi, dans l'Ohio, dans l'opposition à Nina Turner, parce que Nina Turner était une partisane de Bernie Sanders, lequel avait critiqué Joe Biden, ils l'ont dépeinte comme n'étant pas une démocrate loyale. Dans le cas de Donna Edwards, ils prétendent qu'elle n'a pas fourni de bons services aux électeurs lorsqu'elle était membre du Congrès au début - comme si l'AIPAC ou le DMFI s'intéressaient au niveau du service que Donna Edwards offrait à ses électeurs lorsqu'elle était membre du Congrès. Je veux dire, c'est un non-sens transparent, non ? C'est juste que c'est leur véhicule pour essayer de la vaincre, parce que Donna Edwards dans le passé a démontré un minimum de choses - n'est-ce pas ? Elle n'est guère radicale sur ce sujet – mais montre juste une modeste préoccupation pour les droits humains des Palestiniens. Et pour cette raison, ils veulent la vaincre.

AMY GOODMAN : Pouvez-vous nous parler du rôle de Bakari Sellers dans ces campagnes ?

PIERRE BEINART : Oui. Ainsi, Bakari Sellers est un ancien politicien de Caroline du Sud ayant des liens étroits avec l'AIPAC, et qui dirige maintenant un autre super PAC qui se consacre principalement à ce stade à vaincre Rashida Tlaib dans le Michigan. Et sa prétention est que c'est une organisation qui veut élire des démocrates noirs. Et Rashida Tlaib a donc un adversaire noir, mais, encore une fois, c'est aussi un non-sens évident - comme si l'AIPAC et ses donateurs étaient vraiment préoccupés par une quelconque progression de la représentation noire.

Ils s'en prennent à Rashida Tlaib pour une seule raison : parce qu'elle est une membre palestinienne du Congrès et une défenseresse passionnée et éloquente de l'humanité des Palestiniens, et qu'elle met cette question au premier plan au Congrès comme personne d'autre ne le fait. Mais encore une fois, parce que ce programme - qu'on lui oppose - lui-même, s'il était présenté à nu, ne serait pas très populaire, vous avez ces affirmations apparentes selon lesquelles il s'agit vraiment d'autre chose - de cette façon, à propos de l'affirmation selon laquelle, parce qu'elle n'est pas noire, elle ne peut pas représenter un district du Michigan, même si, en fait, elle bénéficie d'un fort soutien des Noirs et a été une défenseuse très, très infatigable des habitants de toutes races de son district.

JUAN GONZÁLEZ : ... Curieusement, il y a aussi une course au gouvernorat dans le Maryland, et les deux primaires dans les partis démocrate et républicain pour élire un successeur au gouverneur républicain Hogan. Mais l'AIPAC a-t-elle été impliquée dans ces courses ou se concentre-t-elle uniquement sur ces courses au Congrès ?

PETER BEINART : L'AIPAC s'est essentiellement concentré non seulement sur les courses au Congrès, mais aussi sur les primaires démocrates pour le Congrès. L'évaluation de l'AIPAC a été qu'en raison de la polarisation partisane, il y a moins de circonscriptions mobiles, ce qui signifie que plus souvent que par le passé, le membre du Congrès est choisi à la primaire. Ils ont également remarqué qu'il y a un nombre inhabituellement élevé de sièges à la Chambre ouverte cette année en raison du redécoupage et de la retraite. Et ils aiment faire des compétitions portes ouvertes, car une fois qu'un titulaire a été élu dans notre système, il peut être difficile de le déloger. Donc, en quoi consiste vraiment cette recette, c'est d'essayer de créer une toute nouvelle génération de jeunes démocrates au Congrès qui suivront la ligne de l'AIPAC sur Israël-Palestine, et qui également dans de très nombreux cas, adopteront une sorte de position plus favorable aux entreprises, contribuant à émousser la tendance que nous observions, d'un Parti démocrate évoluant dans une direction plus progressiste.

AMY GOODMAN : Nous avons juste 30 secondes, mais c'est nouveau, n'est-ce pas, l'AIPAC ayant ce genre de super PAC ?

PIERRE BEINART : Oui. L'AIPAC , malgré son nom, n'a jamais eu de comité d'action politique, mais il a vu, essentiellement, qu'il devait déployer les gros canons en réponse aux tendances que nous avons vues avec l'élection des membres du Squad. Et elle dispose de ressources financières extraordinaires. Plusieurs personnes, par exemple, ont déjà donné un million - en clair, fait des chèques d'un million de dollars, et l'argent est toujours en cours de calcul.

AMY GOODMAN : Peter Beinart, rédacteur en chef de Jewish Currents. Nous créerons un lien vers votre nouvel article, "Le nouveau manuel de campagne du lobby israélien : les groupes de défense d'Israël ont développé des stratégies pour collecter des sommes énormes pour leurs candidats en faisant appel aux intérêts des entreprises".

 

 Source


samedi 11 décembre 2021

Rama Yade au pays des neuneus 2.1/4

[Ce texte comporte 4013 mots et 24684 signes/espaces]


Chapitre 2.1/4. Mais j'étais une licorne !

 

L'interview controversée de Rama Yade dans l'Express m'a permis de démontrer, au chapitre précédent, l'ampleur de l'indigence intellectuelle de ce que j'appelle la neuneusphère française : une pseudo-intelligentsia faite de phraséologues de plateaux-télé et de gourous de supermarché juste bons à engluer leurs gogos de "followers" dans la médiocrité la plus totale, dont les réseaux dits sociaux sont devenus le réceptacle.

Cette interview a déclenché un tohu-bohu assez révélateur de la médiocrité de ces pseudo-élites, mais aussi du formidable talent de Rama Yade, un talent qui n'appartient qu'aux vrais moteurs d'opinion : voyez une Ségolène Royal, une Rokhaya Diallo, une Assa Traoré ou un Dieudonné. Ils ou elles disent deux mots, et voilà que la gogosphère s'enflamme, les neuneus en étant réduits à ramer derrière ceux qu'ils et elles prennent, de fait, pour des locomotives !

Rien que pour ça, comment ne pas féliciter Rama Yade d'avoir si brillamment secoué le Landerneau politico-médiatique !

Dans les faits, l'interview, menée par la journaliste Laureline Dupont, était basée sur seize questions-réponses que j'ai pris beaucoup de plaisir à lire.

Ce qui suit consiste en des résumés de ces questions-réponses, suivis de mes propres commentaires. La présente section sera suivie, plus tard, d'une deuxième, qui me permettra d'examiner d'un peu plus près un concept énoncé par Yade, à savoir la "French Theory". 

 

1. Recul de la liberté de penser aux États-Unis

Fin Trump, début Biden. "Au-delà des tensions raciales, c'est aussi la question des libertés qui se pose. La Cour suprême compte six juges conservateurs sur neuf, dont trois nommés par Donald Trump : regardez ce qui se passe au Texas avec la loi anti-avortement... Les lois restrictives se sont multipliées. Nous sommes dans un moment de tensions à tous les étages avec des menaces permanentes sur la première démocratie du monde. (...) 

Car ce mouvement qu'on dénonce comme une importation américaine nous vient bien de France, de la French Theory qui en effet a infusé dans les universités américaines : de Lacan à Foucault, ce sont des penseurs français qui ont inspiré le mouvement woke ! Soyons-en fiers en tant que Français !"

Le problème est ce soi-disant "on", qui dénoncerait une importation américaine, alors qu'en réalité, c'est bel et bien ce "on" qui importe la chose. C'est ainsi qu'on a vu un supposé sociologue québecois pérorer sur une chaîne de télévision (Cnews France) sur les méfaits dudit wokisme, au motif que des bandes dessinées attentatoires à la dignité des populations indigènes du Québec auraient été bannies de bibliothèques locales. Sauf que le phénomène s'est produit au Canada, pas en France, et que son importateur, en France, était précisément le quidam faisant semblant de dénoncer ladite importation.

 

2. Les batailles identitaires donnent aussi lieu à une forme de censure

"Le wokisme a été brandi de manière abusive comme un outil de censure. En réalité, c'est juste le refus des discriminations. Ce n'est quand même pas honteux de combattre les inégalités ! Quel que ce soit le nom que vous lui donnez, c'est un noble combat, de justice et de revendication d'égalité dont devrait s'enorgueillir la patrie des droits de l'homme."

Il faudrait déjà que les utilisateurs du terme commencent par le définir eux-mêmes, ce qu'ils se gardent bien de faire, et ce, d'autant plus qu'il est visiblement ignoré Outre-Atlantique, où je ne vois personne se réclamer d'un quelconque "wokeism" !

Saluons par conséquent l'effort de Rama Yade de mettre un contenu dans ce mot valise, tout en étant conscients du fait que la définition qu'en donne Yade ne recouvre pas forcément la nébuleuse foireuse façonnée par ceux qui prétendent voir du "wokisme" partout.

"En réalité, c'est juste le refus des discriminations. Ce n'est quand même pas honteux de combattre les inégalités ! Quel que ce soit le nom que vous lui donnez, c'est un noble combat".

Mais il y a plus :

"Car ce mouvement qu'on dénonce comme une importation américaine nous vient bien de France, de la French Theory qui en effet a infusé dans les universités américaines : de Lacan à Foucault, ce sont des penseurs français qui ont inspiré le mouvement woke ! Soyons-en fiers en tant que Français !" 

Là, je vous avoue que j'ai quelque peu sursauté. Lacan ? Foucault ? Sans blague ! Non à cause du rapport avec les États-Unis, mais en raison d'une éventuelle convergence avec la culture dite "woke". Par parenthèse, pourquoi Yade éprouve-t-elle le besoin d'énoncer la chose en anglais en parlant de "French Theory" ?, me suis-je demandé dans un premier temps. Le temps de jeter un oeil sur des sites en ligne, j'ai fini par comprendre. C'est ce qui a justifié un supplément (à venir) au présent chapitre.

  

3. Appropriation culturelle

"Je regrette vraiment ce genre d'abus. Un homme blanc âgé peut tout à fait se mettre dans la peau d'une petite fille noire et en faire le récit. C'est la magie de la littérature, de la création. La revendication d'égalité, ce n'est pas le séparatisme, la sécession, la justice par l'injustice, c'est l'universel, le partage d'humanité."

Cette réponse est visiblement passée inaperçue auprès de la foule des neuneus et des braillards !

  

4. Universalisme ou multiculturalisme ?

"Aucun des deux..."

Euh, vraiment ? Là, j'ai trouvé la réponse un peu abrupte, mais c'est parce que la journaliste s'est bien gardée de définir ce dont elle parlait. En effet, qu'entend-on par universalisme et par multiculturalisme ? Et si ces deux termes recouvraient à peu près la même chose ? Peut-on être universaliste sans être multiculturaliste ? Et en prenant l'interrogation dans l'autre sens, le multiculturalisme, en clair, l'inscription d'un individu dans un paysage culturel multiforme et diversifié ne fait-il pas de lui, ipso-facto, un universaliste ?

Par parenthèse, la polyglotie ou maîtrise de plusieurs langues autres que votre langue maternelle ne fait-elle pas de vous un caméléon culturel apte à se fondre avec aisance dans un environnement intellectuel bien plus vaste que celui qui vous a vu naître ? Voyez le maître absolu en la matière, un certain Jean-Baptiste Champollion. Pas multiculturaliste, Champollion ?

Prenons la langue anglaise : ne voit-on pas que ceux et celles qui la maîtrisent peuvent d'autant plus facilement se faire comprendre n'importe où dans le monde, ce qui fait d'eux des êtres aptes à communiquer partout, où qu'ils aillent ? Autrefois, il y avait le latin en milieux universitaires, ou le français dans le domaine diplomatique. Mais vous avez d'autres langages à vocation universelle, comme le solfège, qui vous rend apte à faire de la musique partout, même avec des gens dont vous ne parlez pas la langue ; il y a aussi la danse classique, les arts martiaux (cf. judo, karaté), dont les consignes s'énoncent souvent en japonais, les langages informatiques, etc.

Mais la réflexion inverse peut être formulée. Qui, dans l'histoire des colonisations, a le mieux maîtrisé les langues du monde, sinon les missionnaires chrétiens, lesquels ont souvent rédigé les premiers dictionnaires et premières grammaires de langues africaines, asiatiques, américaines ou océaniennes, sans oublier la traduction de la Bible dans une infinité de langues dites vernaculaires ? Universalistes les missionnaires ? Oui, dans la mesure où ils étaient précisément "missionnés" pour répandre leur foi monothéiste dans le monde entier, l'Église Catholique étant dite apostolique et universelle (cf. Matthieu, 28:19 : "Allez dans tous les pays, baptisez-les au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit."). Multiculturalistes ? Oui et non ! Oui, dans la mesure où leurs séjours dans ces lointaines contrées s'étendaient sur des décennies, leur permettant de posséder la culture des peuples visités, au point que bien de ces missionnaires se sont découvert des talents d'ethnologues. Non, dans la mesure où leur "mission" consistait, précisément, à faire table rase des cultures païennes des peuples colonisés, cultures réputées inférieures, le monothéisme étant, de fait, un totalitarisme peu enclin à cohabiter avec quelque concurrent idéologique que ce soit.

"Wokisme, cancel culture... Nous ne pouvons nous en prendre qu'à nous-mêmes. Plutôt que de nous approprier ces mots pour les revendiquer ou les dénoncer…"

Là, je dois dire que je ne suis pas tout à fait d'accord avec cette formulation, ce "nous", dans la mesure où je ne revendique en rien l'usage de ces mots-valises faits d'anglicismes mal maîtrisés, et dont les utilisateurs eux-mêmes se gardent bien de donner le sens exact. Et de toute évidence, ces mots ne sont mis à toutes les sauces par leurs utilisateurs que parce qu'ils sont de bien commodes euphémismes, à savoir des mots qu'on brandit précisément, pour ne pas avoir à expliciter sa pensée.

Un exemple de mot-valise à usage euphémistique ?

Demandez à un prof d'histoire-géo, à l'instar de notre quidam du mouvement Profs avec Zemmour, cité au chapitre précédent, si, dans les camps de concentration nazis, il n'y avait que des Juifs. Il vous répondrait naturellement par la négative. Demandez lui ensuite si la politique répressive des nazis ne visait que des Juifs. Là encore, il vous répondrait par la négative. Demandez-lui alors la signification du terme "shoah".

On parie combien qu'il risque d'hésiter longuement avant de formuler sa réponse ? Faites le test. Pour ma part, je ne suis même plus surpris de voir à quel point tant de gens emploient des mots dont ils ignorent le sens. (Lire - Lire)

Tiens, prenez la laïcité ! Cette pauvre Marlène Schiappa s'est-elle simplement donné la peine de consulter un dictionnaire, ou un neveu, une nièce, faisant du latin au collège ? Elle apprendrait qu'est laïc/laïque, quiconque n'appartient pas au clergé, ni à un ordre religieux : laicus versus clericus. C'est pourtant simple ! (Source)

L'universitaire Henri Meschonnic (1932-2009), traducteur de la Bible, a livré tantôt dans Le Monde un pamphlet assez dévastateur à l'encontre de l'usage inadapté du terme "Shoah", lequel désigne, en hébreu, une catastrophe, mais pas n'importe laquelle (voir lien plus bas). 


5. Wokisme à la française

"Il faut des Black studies dans les universités françaises pour que nos intellectuels, professeurs, chercheurs puissent développer une réflexion bien française sur ces thématiques-là."

Même critique que plus haut, s'agissant de la French Theory : est-on obligé de parler de Black studies dans des universités… françaises ?

Sinon, à la question précédente : universalisme ou multiculturalisme, Yade avait répondu : "Aucun des deux". Il me semble pourtant qu'ici, elle pencherait plutôt vers… "la nature profonde de l'universalisme doit être l'antiracisme." Et c'est là qu'on réalise mieux la possibilité d'être universaliste sans être multiculturaliste. En effet : on peut fort bien être, par exemple, français de souche, jamais sorti de son patelin des Vosges ou des Ardennes, tout en étant antiraciste, donc universaliste. En revanche, pour reprendre l'exemple des missionnaires, il ne suffit pas de maîtriser plein de cultures différentes pour être multiculturaliste, ce terme désignant la volonté de considérer que toutes les cultures se valent, ce qui n'était évidemment pas la philosophie profonde des congrégations chrétiennes lancées à travers mers et montagnes dans le but d'évangéliser les habitants de ces contrées dites "sauvages".

Et voilà que Rama Yade nomme deux entités concrètes, là où d'autres se contentent d'euphémismes : Black Lives Matter et Metoo : "il n'y a rien de plus républicain que…". Le réquisitoire qui suit me semble très clair :

"Quand leurs procureurs, ceux qui prétendent incarner la République dans toute sa rigueur, ne font que critiquer la liberté et l'égalité. Comme hier la trahison des clercs, on assiste désormais à la trahison des Républicains qui n'ont pas conservé l'antiracisme au cœur de leur logiciel. C'est sur cette démission que prospèrent ceux qu'on appelle désormais pudiquement les populistes."

Voilà le genre de choses que les neuneus, qui n'ont pas lu l'interview, ont visiblement assimilé à une attaque contre la France. Les pauvres !

 

6. Le privilège blanc

"Sans rien demander, ou même sans le savoir, certaines opportunités vous sont offertes. Moi, sans rien demander, certaines portes me sont fermées."

J'observe que, durant toute l'interview, Yade n'use que rarement du "moi… je". Elle le fait ici, pour évoquer sa propre expérience, sans en dire plus. Et elle va le faire après la question suivante, qui concerne sa propre expérience en politique.

S'agissant dudit privilège, observons que ses négateurs sont soit des "blancs", soit des "colorés" vivant avec ou se prenant eux-mêmes pour des "blancs", autant dire qu'ils parlent de choses qu'ils ne connaissent pas, à l'instar de daltoniens niant, mordicus, que telle fleur puisse être de telle ou telle couleur. Et, ne percevant pas les nuances de couleurs, ils préfèrent en nier l'existence, s'époumonant à vouloir convaincre ceux et celles ne souffrant pas de daltonisme que ces derniers ne sauraient, en aucune manière, avoir raison !

7. Secrétaire d'État dans un gouvernement de droite

"Mais j'étais une licorne ! J'étais une anomalie, pas du tout un prototype. Combien depuis ? (…) je suis bien obligée de constater que, depuis mon départ du gouvernement, les Afro-descendants ne courent pas les gouvernements."

Et c'est bien là qu'apparaît l'expression "micro-agressions", dont tant de neuneus n'ont même pas cherché à comprendre la portée.

"Je sais ce que sont les micro-agressions qui humilient et déshumanisent, je n'en ai pas trop témoigné car j'ai privilégié le travail, une approche universaliste, rassurer le pays sur lui-même, nous encourager collectivement. Avec nous le Front national était à 6% !"

On se souvient des accrochages, maintes fois évoqués dans la presse, entre la berbère Rachida Dati et des caciques de son propre parti. Des accrochages assez violents, si j'en crois les gazettes, et qui n'avaient rien de "micro..." ! Je soupçonne Rama Yade de ne pas avoir voulu en rajouter. Néanmoins, il n'est pas interdit de chercher à en savoir plus.

Le fait est que la Cinquième République est le seul régime autocratique de l'Union Européenne. Et l'on imagine le poids d'un président de la République lors de la composition d'un gouvernement. Les places étant très convoitées, on devine ce qui peut se produire lorsque des femmes jeunes et loin d'être moches se retrouvent dotées de portefeuilles ministériels. Imaginez un premier ministre, qui se voit imposer une ministre ou secrétaire d'État qu'il n'aurait pas choisie de prime abord, et imaginez la Cour (du monarque républicain), éructant de rage que telle ou telle gourgandine se retrouve au gouvernement, après avoir été préférée à tel hussard ou grognard.

Je ne pense pas qu'il faille avoir beaucoup d'imagination pour penser que Yade et Dati ont dû en entendre des vertes et des pas mûres, dans le genre : "Elles ont dû coucher pour en arriver là !".

"Micro-agressions" dit Yade ! Et il faudrait qu'on la croie sur parole ? Pour ma part, j'hésite !

Citation : 

En 2014, il (pseudo-philosophe français) moquait les ministres féminines, cité notamment par Le Parisien : “Qui peut raisonnablement penser que les ministres Rama Yade ou Rachida Dati ont été retenues pour leur intelligence politique ? Une beurette garde des Sceaux ?”. (Source)

8. Racisme anti-blanc

La réponse me semble tomber sous le sens : "Pas de racisme sans domination".

Et c'est là que les pseudo-intellectuels, à l'instar de notre présumé sociologue québecois de plateau télé, se plantent généralement, lorsqu'ils prétendent mettre sur les plateaux d'une même balance ce qui relève de la structure d'un système politique ou social, d'une part, par exemple des lois raciales et un corpus de mesures ségrégationnistes basées sur la suprématie des blancs, comme ce fut le cas aux États-Unis et en Afrique du Sud, et, d'autre part, l'agression purement conjoncturelle d'un quidam traitant un autre quidam de "sale blanc". Structure versus conjoncture : aucun intellectuel digne de ce nom ne saurait confondre ou intervertir les deux notions, et pourtant, bien d'intellos de plateaux-télé ou de comptes Twitter se vautrent régulièrement dans ce poncif plus que débile.

9. Antiracisme, féminisme, intersectionnalité, fragmentation des luttes

Là, il me semble que Rama Yade y avait déjà répondu précédemment, d'où une impression de redondance.

"Intersectionnalité, wokisme... C'est tellement dommage, on aurait pu, nous, Français, inventer nos propres concepts et y apporter nos propres réponses. Encore une fois, voilà où le déni nous a conduits : s'appuyer sur des références étrangères pour dire nos réalités."

Il n'empêche que cette fois-ci, comme pour le "wokisme", elle va avoir le mérite de mettre du contenu dans les mots qu'elle emploie, et ce, contrairement à tous les guignols qui se prennent pour des penseurs. Cette fois-ci, je retiendrai sa définition de l'intersectionnalité, et surtout, la manière dont elle illustre la chose, que j'ai trouvé parfaitement limpide.

"À Washington, j'ai rencontré des femmes américaines blanches très puissantes, je les ai vues être servies au restaurant par des serveurs noirs, tout en se plaignant de leur condition de femme. Cette expérience m'a plongée dans des abîmes de perplexité : au milieu de cette assemblée, devais-je me positionner en tant que femme et être solidaire de ces femmes blanches riches américaines ou m'identifier en tant que Noire aux serveurs ? L'intersectionnalité c'est cela, être dans le cumul des discriminations…".

10. Déboulonnage de statues

"Passer à Paris devant la figure de Colbert, ce grand ennemi de la liberté, dont la statue est devant l'Assemblée nationale, est une de ces micro-agressions dont je parlais. Pas seulement vis-à-vis de moi mais aussi vis-à-vis de la France et de l'humanité. (…) Ceux qui ont déboulonné ces statues n'ont pas fait de cancel culture, au contraire : ils ont réhabilité l'histoire, la totalité de l'histoire qu'ils connaissent bien, eux, au moins, celle que la mémoire sélective de certains de nos dirigeants a voulu dissimuler."

"Ils ont réhabilité l'histoire…". Et c'est là que les habituels lecteurs et lectrices en diagonale vous diront : "vous voyez bien qu'elle cautionne le déboulonnage de statues !", se gardant bien de lire la suite.

"Le problème n'est pas de supprimer ces statues, il faut arrêter de les célébrer dans les rues, le métro et les palais de la République, et mieux les connaître ! Je ne suis pas sûre que les Belges savent que Léopold dont la statue est partout dans le pays a causé la mort de 10 millions d'Africains. Et Faidherbe...".

11. Néo-féminisme victimaire, retour de bâton réactionnaire...

"Derrière ces attaques, on trouve beaucoup d'hommes souvent venus d'un autre temps et nostalgiques de l'époque où ils pouvaient tranquillement dominer les femmes et moquer les Noirs. Ils ne supportent pas que les dominés s'expriment enfin. Tant que les violences faites aux femmes existent, le combat pour l'égalité est légitime. (…)

Je ne dis pas que tout le monde est obligé d'être d'accord, mais ces femmes qui se désolidarisent des luttes pour l'égalité, à défaut de soutenir le combat contre les violences, qu'au moins elles ne nous empêchent pas de mener le travail pour l'égalité. On ne leur en voudra pas quand demain elles en bénéficieront..."

Même réflexion que pour le racisme anti-blanc ou le privilège blanc. Et à ce propos, je doute fort qu'Elisabeth Badinter puisse être rangée dans la catégorie des féministes ! Qui peut sérieusement attendre de cette riche héritière qu'elle comprenne quoi que ce soit au sort, par exemple, de ces femmes de ménage aux horaires morcelés décrites par Florence Aubenas dans Le quai de Ouistreham ?

S'agissant des "hommes venus d'un autre temps", il faut avoir lu la prose archi-faiblarde d'un Pascal Bruckner (cf. Le sanglot de l'Homme blanc) pour saisir la portée des mots de Rama Yade. Par parenthèse, des penseurs approximatifs comme Bruckner se gardent bien de préciser si, dans la catégorie des "hommes blancs" qu'ils entendent défendre, mordicus, il y aurait aussi un certain Adolf Hitler ou un certain Joseph Staline. Juste pour rire ! Enfin, je me comprends !

12. De quoi Zemmour est le symptôme

"Du néant. Lui-même dit que c'est la baisse du niveau politique qui a permis sa percée médiatique du moment. Je me désole que le pays soit si malheureux."

Euh, entre nous soit dit, dans certains milieux branchés, on appelle ça comment déjà, une punchline ? Va pour punchline ! Je n'en dirai pas plus !

13. Affiliation à un parti politique en France

Réponse ultra-courte.

"Dans mon engagement politique, j'ai passé plus de temps sans carte qu'avec une carte. J'ai été adhérente de l'UMP de 2007 à 2010." 

 

14. Appréciation du dernier congrès de l'ancienne famille politique

"L'époque des grands fauves est révolue, certes... Là aussi, la confusion règne. On a voulu importer les primaires américaines. (…) Mais je vais vous dire : la crise démocratique et de confiance est telle que si la droite est au second tour, elle a de sérieuses chances de gagner. Mais à condition qu'elle reste unie et qu'elle comprenne que son problème, c'est moins le président sortant que l'extrême droite et donc qu'elle s'en différencie de toute urgence."

Ah la la ! Dois-je vous avouer que ça a été ma plus grande déception de toute l'interview, à savoir que Rama Yade se positionne toujours à droite ? Parce que, entre nous, je pourrais dire exactement la même chose de la gauche française, dont on pense, à tort, qu'elle est en lambeaux, alors qu'il ne s'agit que d'un sévère boycott des appareils politicards socialistes et autres par une base populaire qui ne veut plus voter pour de mauvais clones de De Gaulle. Le fait est que, quand la gauche mobilise, les couches populaires vont dans les urnes et la gauche gagne. Je pense à une municipale partielle à Trappes, gagnée par le maire sortant malgré un tir de barrage médiatique inouï !

Sinon, d'un point de vue structurel, comment ne pas constater que la lubie gaulliste (l'époque des grands fauves) s'étiole de jour en jour ?

C'est Jack Lang qui, au soir de sa non sélection par les militants socialistes pour être candidat à la présidentielle (avril 1995), déclarait sur le plateau du journal télévisé : "Ce régime est usé, à bout de souffle…". Il parlait de la Cinquième République, le seul et unique régime autocratique d'Europe occidentale. De fait, il y a comme un air de décadence à voir les partis recourir désormais à des primaires, les Insoumis de Mélenchon étant l'exception qui infirme la règle. 

Tout le monde aura remarqué que Mélenchon s'est déclaré candidat à la manière d'un De Gaulle, d'un Giscard d'Estaing, d'un François Mitterrand, d'un Jacques Chirac ou d'un Nicolas Sarkozy ? En espagnol, ça s'appelle des "caudillos" ! Et un caudillo n'a pas à se soumettre à une quelconque primaire, sinon, il ne serait pas caudillo. Du coup, le dernier caudillo en activité en France s'appelle Jean-Luc Mélenchon ! Mais j'en vois un autre : celui que j'appelle le monarque stagiaire, qu'on a vu créer, en 2016, un parti à ses initiales (E.M.), et ça, aucun Caudillo, ni Führer, ni Conducator, ni Duce… n'avait encore osé le faire !

À droite, à gauche, et chez les écologistes, on en est donc réduit à recourir à la bonne vieille primaire à la sauce américaine, les cotillons et les pom-pom girls en moins.

Le fait est que ladite Cinquième République est une ringardise qui dure, et qui voit une ultra-minorité au premier tour (24%) de la présidentielle convertie en une ultra-majorité (66%) au second !

Par parenthèse, il y a dans la Constitution de ladite Cinquième République un passage qui m'a toujours fait rire - en fait, il y en a plusieurs, mais celui-là tout particulièrement :

Article 5. Le Président de la République veille au respect de la Constitution. Il assure, par son arbitrage, le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ainsi que la continuité de l'État.

Qu'est-ce que les rédacteurs de 1958-62 ont entendu par "arbitrage" ? Que les présidents allemand, autrichien, italien... soient en position d'arbitres, c'est l'évidence. Mais le président français du Conseil des Ministres, en clair, le "coach" d'une équipe confrontée à l'"opposition" du camp d'en face, comment peut-il arbitrer quoi que ce soit ? 

Soixante ans déjà que cette imposture s'éternise, et ici ou là (à gauche), on nous annonce régulièrement une hypothétique Sixième République, sans qu'on sache trop ce qu'un Mélenchon ou un Montebourg compte bien mettre dedans.

15. La France vous manque ?

"Le pays me manque beaucoup. (…) donc je ne me sens jamais aussi française qu'à Washington ! Mais encore une fois, aimer la France c'est lui rappeler son humanisme. (…) Mais encore une fois, aimer la France c'est lui rappeler son humanisme. La France continue à rester une référence sur la scène internationale, la déception de nos interlocuteurs est de plus en plus grande mais il reste encore quelque chose de l'idéal français."

En anglais, on dit : "No comment".

16. Emmanuel Macron a pourtant tenté de faire un travail de pédagogie sur le modèle français notamment auprès de la presse américaine... 

"S'il n'a pas convaincu, c'est parce qu'il ne s'agissait que de mots, d'explications défensives, là où l'on attendait une vision d'avenir, des solutions opérationnelles. Depuis, la fracture identitaire s'est refermée sur le pays. Avec Twitter et Youtube, la parole politique, fut-elle présidentielle, n'a plus la même force de conviction qu'avant. La réalité est tellement radicalisée : seuls les résultats comptent désormais."

Encore une "punchline", que je me garderai bien de commenter. (Source)

 

Prochaine section : Vous avez dit : "French Theory"


Lectures : 01 - 02 - 03 - 04 - 05 - 06 - 07 - 08 - 09 - 10



mardi 4 décembre 2018

Gilets jaunes, colère noire et volée de bois vert... #1

Épisode 1 : que diriez-vous d'une petite tranche de sémantique ?




Il fallait bien que cela arrive un jour : que j'écrive quelque chose sur lesdits "gilets jaunes" !

Mais j'entends d'ici l'interrogation : "Et pourquoi avoir attendu tout ce temps : par désintérêt, indifférence, circonspection ?".

Mettons qu'il y a un peu de tout ça. Le fait est que lorsqu'on se targue - c'est mon cas ! - d'appartenir à la catégorie des intellectuels, laquelle n'a rien à voir avec un quelconque bagage universitaire - cf. Spinoza était un simple ouvrier verrier ! -, et que l'on dispose d'un minimum de culture générale, laquelle permet de relativiser plein de choses grâce à une propension certaine à prendre de la hauteur sur les choses et les évènements, alors on s'impose un minimum de temps d'observation et de réflexion avant de pondre quelque analyse que ce soit.

Par parenthèse, en apprenant et voyant à la télévision ce que des brutes épaisses ont osé faire sur le site de l'Arc de Triomphe, à Paris, on se dit, d'une part, que, décidément, il y a des cons partout, et que, si ces abrutis avaient pu accéder aux salles du Louvre, si ça se trouve, ils n'auraient pas hésité à lacérer la Joconde !

Les cons, ça ose tout, a dit quelqu'un dans un film !

  • Experts
Je dois vous avouer que j'admire (je me comprends !) toutes ces gens qui défilent entre stations de radio et plateaux de télévision pour livrer, au jour le jour, voire matin, midi et soir, moult expertises sur des choses se déroulant sous leurs yeux, tout en vous annonçant, et ce, sans le moindre recul, par exemple, que "nous venons de vivre un évènement historique", que tel autre évènement (ex. une victoire sportive) "entre dans la légende", et patati et patata.

En voulez-vous une illustration récente ? Dans la soirée du 3 décembre 2018 étaient décernées, au Grand Palais de Paris, quelques récompenses annuelles liées au football professionnel, dont les deux ballons d'or, le masculin échappant, pour la première fois depuis dix ans, au tandem Cristiano Ronaldo/Lionel Messi. Et qu'a-t-on entendu ou lu ici ou là du côté de quelques "experts" du ballon rond ? Que c'était la fin d'une époque, que les années Messi-Ronaldo étaient définitivement derrière nous, et patati, et patata.

Le fait est que la Juve de Ronaldo est bien partie pour aligner un scudetto supplémentaire cette année, à l'instar du Barça de Messi. Et l'année prochaine, il n'y a pas de coupe du monde... Alors, on parie combien que l'on risque de retrouver Messi et Ronaldo en bonne place dans la course au prochain ballon d'or ?

Un de ces "experts" médiatiques bien connus des Français, en tout cas en matière politique, est l'inénarrable Jean-Michel A., que l'on peut entendre, le matin, sur une radio, moins de deux heures plus tard, sur une télévision (voir ci-dessous) et, le soir même, sur une autre télévision. Mais je ne connais pas tous ses employeurs ! Et j'imagine mal notre homme parler d'une même chose, matin, midi et soir, en se renouvelant à chaque fois. D'où cette impression que nos "experts" médiatiques parlent souvent pour ne rien dire.



Par parenthèse, pour rester sur Aphatie, notre "expert" ne doit pas bien connaître la Constitution de la 5ème République, si j'en juge par cette toute récente saillie :



"E. M. doit déjà avoir en tête le nom d'un autre Premier ministre...", non mais sans blague ! Où Aphatie a-t-il vu que le Premier ministre était à la solde du Président de la République ? 

La Constitution de la 5ème République prévoit que le Premier ministre présente la démission du gouvernement, à la suite de quoi le Président procède à une nouvelle nomination. C'est ce que j'affirmai ici même, lorsque j'avançai que je ne voyais pas François Fillon contraint de quitter l'Hôtel de Matignon, et alors même que le ban et l'arrière-ban de nos politologues et autres politocrates spéculaient à-qui-mieux-mieux sur la nomination imminente de Jean-Louis Borloo au poste de Premier Ministre. 

Citations
Je ne prends pas de pari sur une décision qui concerne exclusivement une seule personne (le président de la République). Richard Descoings, directeur de Sciences Po', Radio RMC, 15.09.2010.
Le remaniement, plus on l'a attendu, plus il doit être important... Ça veut dire que ça passe par un changement de premier ministre. Alain Duhamel, politologue (et très probablement ex-prof à Sciences Po'), radio RTL, 28.10.2010.
Arnaud Leparmentier fait le pari que Fillon s'en va... Oui, pour le coup, nous serons deux à faire le pari ! Henri Verney journal Le Parisien, A. Leparmentier (journal Le Monde), radio France Info, 05.10.2010.
Mais, comme chacun sait, François Fillon n'est jamais parti et Jean-Louis Borloo n'a jamais été nommé Premier Ministre de Sarkozy !

Du reste, François Fillon a confirmé mon analyse lors d'une fameuse interview télévisée, lorsqu'il affirma à son intervieweuse, sans jamais être démenti par quelque politocrate que ce soit, que "le président de la République n'avait pas le pouvoir de se débarrasser d'un premier ministre jouissant de la confiance de l'Assemblée nationale.".

Et pour que les choses soient bien claires, j'inviterais volontiers ce pauvre Aphatie à lire l'article 8 de la Constitution :
Article 8 Le Président de la République nomme le Premier Ministre. Il met fin à ses fonctions sur la présentation par celui-ci de la démission du GouvernementSur la proposition du Premier Ministre, il nomme les autres membres du Gouvernement et met fin à leurs fonctions.
Ce qui veut dire, en bon français, qu'en l'absence d'une présentation par le Premier Ministre de la démission du gouvernement, le Président de la République ne procède à aucune nomination à Matignon !

Autre chose ? L'article 20, qui stipule que le Premier Ministre soit responsable devant le Parlement, pas devant le Président de la République !

Il faut dire que nos "experts" médiatiques ont le sens de l'anticipation et de l'hyperbole. Et comme je n'en fais pas partie, moi, je me contente d'observer, de réfléchir, et de ne produire une analyse qu'après mûre réflexion.

Il se trouve que ce blog s'intitule "Com' ils disent", ce qui veut tout dire, non ? Vous n'avez pas tout compris ? Alors j'explique, enfin, juste un peu, histoire de dévoiler un petit pan du voile.

'Com', c'est évidemment l'abrégé de "communication", mais au sens moderne, je veux dire un tantinet péjoratif de "ce n'est que de la com", ou l'art de parler pour ne rien dire, juste histoire d'occuper le terrain et d'épater la galerie des "experts" médiatiques évoqués plus haut.

  • Sémantique
Le fait est que, depuis mon plus jeune âge, je me passionne pour la sémantique. À ne pas confondre avec la sémiologie, ce terme qui ne veut absolument rien dire : s'il me fallait compiler toutes les âneries proférées par la plupart des sémiologues, il y aurait de quoi produire dix thèses de doctorat !

D'où me vient cette aversion pour la sémiologie et les sémiologues ? De cette propension des faux experts à dire à peu près tout et n'importe quoi, s'agissant de disciplines aux contours flous voire illisibles. C'est ainsi que le dictionnaire nous définit la sémiologie comme une étude des systèmes de signes linguistiques (F. de Saussure), sauf que, depuis De Saussure, le concept a été copieusement élargi à celui de science des significations en général, incluant tous les signes censés (!) porter du sens, qu'ils soient linguistiques, graphiques, ou autres...

Et à propos d'autres (signes), j'entends encore cette "sémiologue" analysant la performance de Marine Le Pen lors du débat d'entre les deux tours de la dernière élection présidentielle française, et attirant l'attention des téléspectateurs sur un signe tangible de la fébrilité de Marine Le Pen, à savoir ce geste consistant à remettre sa mêche de cheveux en place.

Le problème est que tous ceux qui ont pu observer Marine Le Pen depuis qu'elle apparaît à la télévision ont pu constater que ce tic gestuel l'habitait depuis fort longtemps, comme cet autre tic (propre à beaucoup de porteurs de lunettes) consistant à remonter de l'index ses lunettes sur son nez. 

Contrairement à ce fourre-tout qu'est la sémiologie, la sémantique, elle, se définit très clairement, comme l'étude du sens (profond) des mots.

Un exemple ? Les époux Ortigues sont les auteurs d'un contestable "Oedipe africain", transcription un peu bêbête (de mon point de vue) des thèses (déjà tirées par les cheveux) de Freud sur la relation mère-fils. Et voilà notre Oedipe incliné ou incité à se débarrasser de son père.

Seulement voilà : en bons (ou mauvais) épigones de Freud, Ortigues et Ortigues ont soigneusement négligé la sémantique de certaines langues africaines, qui leur aurait évité de commettre un funeste impair.

C'est ainsi que, dans bien des langues vernaculaires - et pas seulement en Afrique -, la soeur du père est un "père", tandis que le frère de la mère est une "mère" ; en clair, la première appartient à l'ensemble (cf. les mathématiques) des "pères", tandis que le second appartient à celui des "mères". Et cela n'a rien à voir avec le sexe biologique de l'individu ! Du coup, venir manipuler la théorie oedipienne dans un tel contexte vous conduit droit dans le mur ; en un mot comme en cent : dans une multitude de sociétés basées sur le principe de la famille dite élargie, un père peut fort bien être une femme, de même qu'une mère peut fort bien être un homme ! 

Mais j'en entends qui s'interrogent : "Mais où veut-il nous amener ?".

Mais aux gilets jaunes, pardi ! Au fait, vous savez ce que c'est qu'un gilet jaune ?

Prenons la proposition suivante : "Saccage de l'Arc de Triomphe de l'Étoile par des gilets jaunes".

J'en connais qui vont se poser des questions : "des gilets jaunes saccageant l'Arc de Triomphe ? Mais ça ne veut rien dire !".

M.D.R. (mort de rire !). En français (mais dans d'autres langues aussi) on appelle ça une figure de rhétorique...

À suivre...


N. B. Tiens donc, en attendant la suite, je vous invite à lire ce qui suit : lecture 01  -  lecture 02... 

Question à mille euros : sachant que la France (métropole + dépendances d'Outre-mer) possède le tout premier domaine agricole de l'Union Européenne, comment expliquer que ce pays s'échine à importer + taxer un carburant polluant (le gazole tiré du pétrole) alors qu'il existe des alternatives moins polluantes, notamment du gazole végétal, que les campagnes françaises peuvent fort bien produire en quantité ? 

Citation :
Mais il y a un autre problème… et il est de taille. Si l’on passe les odeurs de friture que dégagera (logiquement) votre automobile, il convient de rappeler que cette pratique est tout bonnement interdite par la loi. La cause ? Une sombre histoire de taxes sur les carburants non prélévées et un manque à gagner pour l’Etat Français… en totale contradiction avec les directives européennes. (Source)

Petit supplément illustré : voir l'Arc de Triomphe de l'Etoile vandalisé par des connards ne peut que me mettre en rogne, et le mot est faible. Il se trouve que l'Arc est un monument que j'ai souvent visité et photographié sous toutes les coutures, de jour comme de nuit. Les images qui suivent sont des épreuves de repérage préparatoires à des images en 3D.

macron, gilet, jaune, aphatie, politique, insurrection, paris, arc, triomphe, révolution, france, isf, taxe, pétrorle, gazole, fuel, écologie, réchauffement, climat, climatique, retraite, pauvreté





macron, gilet, jaune, aphatie, politique, insurrection, paris, arc, triomphe, révolution, france, isf, taxe, pétrorle, gazole, fuel, écologie, réchauffement, climat, climatique, retraite, pauvreté

La dernière image est un anaglyphe (3D) : lunettes spéciales (rouge-cyan) requises