lundi 12 octobre 2020

Affaire Navalny : comme un air d'ingérence allemande dans les affaires russes

Thomas Röper est le principal animateur d'un excellent site alternatif allemand qui s'intitule sans ambages "Anti-Spiegel", le Spiegel étant le magazine allemand "de référence" bien connu, sorte d'Express d'outre-Rhin. Le long article (près de 13.600 signes pour l'original) apporte un éclairage intéressant sur l'affaire Navalny, basé sur une interview du présumé "leader de l'opposition à Vladimir Poutine" à en croire les médias dits "mainstream". Comme vous le savez sans doute, nous sommes quelques-uns à douter et de ce statut d'opposant en chef à Poutine, et de la soi-disant contamination criminelle de Navalny via un Novichok qui aurait dû le laisser raide mort dans les minutes de la contamination ! Le lien vers le texte original se trouve plus bas, pour ceux et celles qui aiment la langue de Goethe et de Schiller.


L'Allemagne au service de la propagande intérieure russe contre le gouvernement 

Le gouvernement allemand semble déterminé à utiliser l'affaire Navalny pour ruiner les relations germano-russes sur le long terme. Un autre exemple de la chose est une interview récemment publiée.

Il y a dix jours, j'ai écrit sur le fait que le gouvernement allemand semblait faire tout son possible pour détruire à long terme les relations de l'Allemagne avec la Russie. Le ministère russe des affaires étrangères semble lui aussi perdre patience, comme le montrent ses récentes annonces :

"Il faut se rappeler qu'en Occident, on prétend souvent que, dans les relations avec la Russie, on ne peut pas revenir à l'agenda habituel ; il ne faut, donc, pas revenir au "business as usual". Pour notre part, nous concluons qu'au vu de ce comportement de l'Allemagne et de ses alliés de l'UE et de l'OTAN, c'est l'Occident avec lequel il est impossible d'avoir quoi que ce soit à faire tant qu'il n'aura pas mis de côté ses méthodes de provocation et de manipulation et qu'il ne commencera pas à se comporter de manière honnête et responsable".

Il n'y avait pas eu de paroles aussi claires de Moscou envers Berlin depuis des décennies. Et maintenant, le gouvernement allemand a infligé une autre piqûre à Moscou.

En Russie, il existe un journaliste blogueur populaire sur YouTube nommé Jurij Dud, qui compte plus de huit millions d'abonnés avec sa seule chaîne YouTube vieille de trois ans. Dud est un opposant manifeste du gouvernement (russe) et son concept est basé sur des entretiens longs et détaillés, qui rappellent un peu Ken-FM. Cependant, le format de Dud est plus adapté aux jeunes, ce qui est évident avec des artifices stylistiques tels que les coupures et les fondu-enchaînés. Mais ses interviews sont intéressantes et approfondies.

Il est remarquable que le chef de la télévision russe, Dmitri Kiselyov, que les lecteurs d'Anti-Spiegel connaissent via des traductions du programme russe "Nouvelles de la semaine", que Kiselyov anime, ait aussi livré à Dud une interview de près de heures. Ce serait à peu près la même chose que si le patron de l'ARD, Tom Burow, ou Claus Kleber de la ZDF, se livraient durant deux heures à un interrogatoire critique sur Ken-FM. En Allemagne, où il y a liberté d'opinion et liberté de la presse, une telle chose est impensable, mais dans la dictature autoritaire russe, tourmentée par la censure, une telle chose n'est pas un problème.

Il faut également reconnaître à Dud qu'il n'élude pas ses erreurs et que s'il en commet lors d'un entretien, il les corrige par des insertions écrites à l'endroit approprié. Cela a été particulièrement remarqué après son interview avec le chef de la télévision russe, parce que ses tentatives de "griller" Kiselyov ont complètement échoué. Il a dû ainsi corriger toutes ses accusations contre Kiselyov sur différents sujets, avec des insertions dans la vidéo. Kiselyov l'a patiemment rectifié à chaque fois et lui a expliqué comment faire des recherches correctes afin que de telles erreurs ne se reproduisent pas. Dud a vérifié les réponses de Kiselyov après l'interview et a inséré toutes les corrections utiles. J'avais trouvé que la vidéo était amusante et valait la peine d'être regardée.


Comment Dud est-il arrivé à Berlin ?

D'être mentionné s'il n'y avait pas le Corona. Les frontières allemandes sont fermées aux Russes ; vous ne pouvez venir en Allemagne en tant que Russe qu'avec une autorisation exceptionnelle du gouvernement allemand. Mais ils ont enregistré l'interview à Berlin, comme cela est mentionné plusieurs fois dans l'interview. Cela signifie que le gouvernement allemand a accordé à Dud un permis spécial d'entrée sur le territoire.

Personne à l'Ouest n'évoquera cette interview, car Navalny n'y dit rien de nouveau ou d'intéressant que les médias pourraient reprendre. Mais en Russie, le document fait fureur et a déjà collecté plus de 15 millions de clics en quelques jours. Le gouvernement allemand a donc accordé à Dud un permis d'entrée exceptionnel afin qu'il puisse faire de la propagande anti-russe en Russie. Il aurait pu enregistrer la vidéo par vidéoconférence, comme cela est devenu habituel à cause du Corona. Mais il a dû trouver plus intéressant d'avoir de belles images professionnelles dans un environnement de studio, pour que l'interview soit mieux perçue.

Ce n'est certainement qu'une autre pique de l'Allemagne contre la Russie, mais on peut supposer que le gouvernement russe a également enregistré cela et le range comme étant une mesure clairement anti-russe. Par parenthèse, c'est une preuve supplémentaire que les "médias de qualité" mentent lorsqu'ils répandent l'idée qu'en Russie, il existe une censure ou des restrictions pour les journalistes et les blogueurs qui critiquent le gouvernement. Dud continue de travailler, personne ne l'a jamais arrêté ni dérangé, bien qu'il mette constamment sur YouTube des interviews de deux heures, critiques pour le gouvernement, qui recueillent des millions de clics, ce qui est le cas de cet entretien, au cours duquel Dud a fourni à Navalny, avec ses questions, assez d'occasions pour accuser personnellement Poutine du présumé empoisonnement, ce qui n'aura aucune conséquence pour l'intervieweur,

Mais le fait que l'Allemagne ait laissé Dud entrer dans le pays pour cela n'a probablement pas été bien accueilli à Moscou.


Navalny et Dud à propos de leurs financiers

L'interview a également porté sur la question de savoir qui a payé l'avion privé qui a transporté Navalny de la Russie vers Berlin. C'était une question jusque-là sans réponse, à laquelle Navalny a répondu dans l'interview. Il s'agit de l'entrepreneur russe Boris Simin, qui était inconnu en Allemagne. Simin a gagné des millions dans les années 1990 parce qu'il possédait un réseau de téléphonie mobile en Russie. Entre-temps, il a quitté la Russie et, selon Navalny Simin est l'un de ses supporters. C'est Simin qui a payé les 70,000 euros pour le jet privé médicalisé.

Simin finance également Navalny en général, comme l'intéressé l'a reconnu, de même que Dud, qui a déclaré que son revenu imposable (selon sa déclaration en 2019 5,4 millions de roubles, à l'époque près de 80.000 euros) provenait pour une grande part de Simin comme soutien. Simin fait donc partie de ceux qui soutiennent l'opposition russe et se retrouve par-là même en bonne compagnie avec Soros, Khodorkovsky et d'autres,

D'une manière générale, le "métier d'opposant" en Russie semble être financièrement intéressant. Navalny est si généreusement payé par l'Occident qu'il a pu envoyer sa fille étudier à Stanford, l'université d'élite américaine. Dans l'interview de Dud, Navalny nous dit que ses études sont gratuites car il envoie chaque année à l'université une confirmation que ses revenus sont inférieurs à la limite à partir de laquelle les études deviennent payantes. Il ne paie donc que 22 000 dollars par an pour le gîte et le couvert, que l'université continue de facturer.

Et Dud semble aussi bien vivre, car il finance toute une équipe pour son studio qui, même en Russie, coûte aussi de l'argent, mais il lui restait encore un revenu imposable de près de 80 000 euros en 2019, après avoir payé tous les frais. Il l'a dit aussi lui-même dans l'interview, lorsqu'ils ont évoqué Simin, qui les finance tous les deux. Comme le taux d'imposition en Russie est de 13 %, Dud avait près de 70 000 euros nets en 2019.

Mais d'autres opposants au gouvernement russe sont également bien payés par l'Occident. Lorsqu'il s'agit de scandales impliquant la Russie, que ce soit le MH17, l'affaire Skripal, le meurtre du Zoo ou autre, le Spiegel rapporte qu'avec Bellingcat et le Russe "The Insider", il a trouvé des choses très intéressantes au cours de ses recherches. L'Insider est un organe de Moscou, dont les médias aiment évoquer les recherches, et il a ouvertement admis dans l'interview du Spiegel qu'il est financé par l'Occident, avec 10 000 dollars par mois.

Il vaut donc la peine, financièrement, d'être opposant en Russie.

 

Les accusations de Navalny contre Poutine

Navalny tient Poutine pour personnellement responsable de l'empoisonnement présumé. Il l'a déjà dit dans l'interview du Spiegel et il l'a répété encore et encore pendant plus de deux heures dans l'interview de Dud. Et pour ceux que ça intéresse, les raisons qu'il évoque sont intéressantes.

Sa principale thèse est, premièrement, que le Novichok ne peut être utilisé que par le gouvernement russe et non par des personnes privées telles que des oligarques ou des organisations criminelles. Ce que Navalny oublie, c'est qu'après que le Novichok a été connu à l'Ouest il y a près de 30 ans, les services secrets tchèques, allemands, britanniques et américains l'ont expérimenté et ont développé beaucoup plus de variantes que les Soviétiques eux-mêmes. En outre, la Russie a détruit ses stocks d'armes chimiques - dont le Novichok - sous le contrôle de l'OIAC.

En outre, et cela n'a pas été signalé à l'Ouest non plus, la Russie a proposé une interdiction totale de toutes les variantes de Novichok lors de la réunion de l'OIAC en février 2019. Mais l'Occident a usé de sa majorité de voix au sein de l'OIAC pour voter contre. Et alors que l'OIAC a signalé, en septembre 2017, que la Russie avait rempli ses obligations au titre du traité et détruit toutes les armes chimiques, les États-Unis affirment qu'ils n'ont pas pu le faire aussi rapidement en raison de problèmes financiers. La date contractuelle de destruction de toutes les armes chimiques américaines a été fixée par les États-Unis à 2012. En fait, dans les faits, en raison du manque de financement du programme de destruction de leurs armes chimiques, les États-Unis donnent maintenant 2023 comme date de destruction de leurs dernières armes chimiques. Si tout se passe bien.


Les accusations de Navalny contre les médecins d'Omsk

Navalny affirme que les médecins d'Omsk voulaient le tuer, et que cela a échoué ; puis ils ont empêché son transport vers l'Allemagne jusqu'à ce que le poison dans son corps ne puisse plus être détecté. Mais comment le laboratoire de l'armée allemande aurait-il pu détecter le Novichok après tout ? Ou même l'OIAC, qui n'a été autorisée à prélever des échantillons de Navalny que des semaines plus tard ?

Navalny ne mentionne pas le fait que les médecins russes aient approuvé le transport vers Berlin, mais qu'il a ensuite été retardé de plusieurs heures parce que les pilotes devaient observer leurs périodes de repos avant le décollage. Mais tous ceux qui ont suivi les nouvelles en Russie ce jour-là ont pu voir comment l'équipe de Navalny a exigé un transport immédiat vers Berlin, les médecins l'ayant approuvé publiquement, mais ensuite, rien ne s'est passé pendant des heures car les pilotes n'ont pas été autorisés à voler en raison de périodes de repos insuffisantes.

En outre, l'empoisonnement au Novichok est de toute façon plus qu'improbable, car Navalny s'en tient à la version selon laquelle il aurait lui-même été empoisonné dans sa chambre d'hôtel et les symptômes ne sont apparus que quelques heures plus tard. Ce n'est pas possible avec le Novichok, puisque le poison agit immédiatement.

De plus, Navalny déclare dans l'interview que s'il avait été dans le coma à Omsk pendant quelques heures de plus, il serait aujourd'hui mort ou mentalement handicapé. Mais Navalny n'explique pas pourquoi un coma à Omsk est censé être fatal, mais pas le coma dans lequel il est resté encore plus longtemps à Berlin.

Dud a également demandé à Navalny s'il avait déjà été attaqué dans le passé. L'Allemagne le sait à peine et ce n'était pas une véritable attaque. Il y a quelque temps, on a jeté du Basic Green1 au visage de Navalny. Il s'agit d'un liquide vert appelé "Seljonka" (qui signifie "le vert") et qui est largement utilisé en Russie comme antiseptique. Mais ce n'est pas dangereux, mais Navalny en a fait toute une histoire : il aurait failli perdre un œil. Sur les photos de ce jour-là, cependant, cela n'avait pas l'air si dramatique. Cette histoire est intéressante car Navalny a fait soigner son "œil blessé" à l'Ouest.

Dans l'interview avec Dud, la question s'est posée de savoir pourquoi Poutine aurait d'abord voulu tuer Navalny, pour ensuite le laisser s'envoler pour l'Allemagne. L'explication de Navalny était captivante, car il a mis en jeu son traitement après l'incident au Seljonka et a avancé la thèse selon laquelle un Navalny borgne ou souffrant des conséquences d'un empoisonnement serait pire pour Poutine qu'un Navalny en bonne santé, car il y aurait de telles conséquences sanitaires que cela susciterait la sympathie pour lui en Russie.

Dud, bien sûr, n'a pas demandé à Navalny si une mort très stylisée, qui en aurait fait un martyr, ne serait pas pire pour Poutine qu'un Navalny borgne. La question est justifiée et l'on se demande quels avantages Poutine pourrait réellement tirer de la prétendue attaque de Novichok.


Ce qui a été dit d'autre dans l'interview

Dans l'interview, il a également été dit que Navalny était sous protection policière en Allemagne et qu'il disposait de toute une armée de gardes du corps qui ont même préalablement fouillé le studio de Berlin où l'interview a été enregistrée.

Dans l'ensemble, l'entretien a été très professionnel et Dud a interviewé la femme de Navalny et Navalny lui-même, individuellement, puis ensemble. Comme les séquences des trois parties de l'interview ont été montées ensemble selon des blocs thématiques, une interview très facile à regarder en a résulté, ce qui ne nécessitait pas beaucoup de réflexion de la part du spectateur. Avec toutes les contradictions que Navalny avait émises dans ses déclarations, les téléspectateurs qui réfléchissent seraient probablement également agaçés.

L'interview tenait un peu de la conversation télévisée superficielle telle qu'on en voit en Allemagne, par exemple avec Markus Lanz : un programme léger, mais avec des récits très habilement construits, censé bercer le spectateur, mais pas le faire réfléchir.

La question demeure de savoir pourquoi l'Allemagne a autorisé Jurij Dud à entrer dans le pays. Les relations entre l'Allemagne et la Russie ne sont-elles pas assez empoisonnées comme cela ? Après tout, on aurait pu mener l'interview par le biais d'une connexion vidéo en ligne. Mais alors les images n'auraient pas été aussi belles et aussi apaisantes...

 

Source allemande

 

dimanche 4 octobre 2020

Referendum en Nouvelle-Calédonie : Bismark en a rêvé...

 
Comme un air de Grand Remplacement !

La fachosphère adore les formules ronflantes, une de ses marottes étant ce soi-disant "grand remplacement" qui menacerait une France vouée aux invasions migratoires. Problème : la même fachosphère est d'une discrétion de Sioux face à une purification ethnique parfaitement avérée, celle mise en place par le colonisateur français en Nouvelle-Calédonie. Amnésie quand tu nous tiens !

Petit retour en arrière :
1853
L’amiral Febvrier-Despointes hisse le drapeau français à Balade, sur la côte est de Grande Terre, et prend possession de la Nouvelle-Calédonie sur ordre de Napoléon III, qui cherche un territoire où établir une colonie pénitentiaire.

1864
L’Etat français établit le bagne où 21 630 personnes seront envoyées jusqu’en 1897. Dont 4 250 révolutionnaires de la Commune de Paris, dont Louise Michel.

1874
L’exploitation du nickel, minerai découvert dix ans plus tôt par l’ingénieur Jules Garnier, débute près de Nouméa.

1878
Le chef Ataï mène la première rébellion kanak contre la colonisation. 1 200 Kanak et 200 Européens sont tués. Ataï est décapité et sa tête envoyée à la Société d’anthropologie de Paris pour étude.

Ainsi commence le récit de l'immonde colonisation de la terre des Kanak par la France, laquelle France va voir les républiques assumer, voire revendiquer, sans sourciller, l'héritage sanglant de l'Ancien Régime.

De la prise de possession par la France de la Nouvelle-Calédonie en 1853 jusqu’à 1858, les attributions de terres aux colons étaient limitées. Mais à partir de 1858, l’administration française entame une politique de colonisation offensive, spoliant les autochtones. De 1862 à 1877, l’emprise foncière européenne passe de 27.000 à 150.000 ha. En assimilant les jachères à des terres vacantes qu’elle accapare l’administration déstabilise l’économie vivrière. Le bétail des colons dévaste les cultures autochtones. Les Canaques sont repoussés dans les hautes vallées de la chaîne sur des terrains pauvres, et sont décimés par les maladies importées par les colons (il y avait 32.000 Canaques en 1860, et 24.000 en 1878). (voir source plus bas)

Question : comment s'y prend-on pour organiser un referendum dit "d'auto-détermination" qui ne dise rien du groupe concerné par le préfixe "auto" ? 

Réponse : ben, on fait comme Staline avec Trotsky, on joue de la gomme !

Présentation :

La Nouvelle-Calédonie est un archipel de l’Océanie situé dans l’océan Pacifique, à 1 500 km à l’est de l’Australie et à 2 000 km au nord de la Nouvelle-Zélande, au nord du tropique du Capricorne. Distante de la France métropolitaine de près de 17 000 kilomètres, cette collectivité (ancien territoire d’outre-mer) située en Mélanésie relève de la souveraineté française depuis 1853. Son territoire maritime couvre une gigantesque étendue de 1 386 588 km2 et représente donc un espace stratégique pour la France. Sa population est estimée à environ 271 940 habitants au 1er janvier 2020. (...) Le statut futur de la Nouvelle-Calédonie est lié à un référendum d’autodétermination qui s’est tenu le 4 novembre 2018. L’accord de Nouméa (5 mai 1998) précisait que : « La consultation portera sur le transfert à la Nouvelle-Calédonie des compétences régaliennes, l’accès à un statut international de pleine responsabilité et l’organisation de la citoyenneté en nationalité ». Ainsi, s’offre à la Nouvelle-Calédonie un ensemble de choix sur son futur statut (État associé à la France, indépendance, large autonomie au sein de la République française, etc.). Ce référendum a finalement maintenu la Nouvelle-Calédonie au sein de la France. Deux autres référendums d’indépendance pourront cependant être tenus dans les prochaines années. (source)

Ne cherchez aucune référence au peuple autochtone de Nouvelle-Calédonie, il n'existe pas !

Il se trouve que ce que Bismark n'a pas fait en Alsace-Lorraine, annexée au IIème Reich après la défaite des troupes de Napoléon III en 1870, la France l'a fait sur ce territoire arraisonné par les troupes du même Napoléon III en 1853 : la Nouvelle-Calédonie, la soi-disant République française ayant fait ce qu'aucun démocrate allemand n'aurait osé faire dans une Pologne ou sur des terres sudètes autrefois annexées par Hitler ! Lequel Hitler proclamait que tout territoire occupé par des allemands avait vocation à être annexé au Reich.

Hitler en a rêvé ? C'est ça aussi, la France, ce pays volontiers donneur de leçons, qui n'hésite pas à endosser, sans la moindre vergogne, les pires crimes de l'Ancien Régime. “Je veux du Blanc... en Nouvelle-Calédonie !”, clamait Pierre Messmer, l'âme damnée de De Gaulle (voir la sale guerre de la France au Cameroun), puis de Pompidou (2).

De fait, ce que Bismark n'a pas réalisé en Alsace-Lorraine, la France l'a fait en terre kanak, rendant les indigènes de ce pays minoritaires sur leur propre sol, pour ensuite organiser un semblant de referendum. Et comme preuve que tout cela ne sent pas très bon, ne voilà-t-il pas que la spoliation organisée va se dérouler en deux temps, sous la forme de deux referendums (2018, 2020). Mais pourquoi voter à un si faible intervalle, vous demandez-vous ?

C'est que le malaise est profond. Normalement, “auto-détermination” - 'auto' se traduisant par 'self' en anglais - concerne des peuples à qui la Charte des Nations Unies reconnaît le droit de se prendre en charge eux-mêmes. Et cet “auto” se retrouve dans “autochtone”. La formule consacrée dit “droit des peuples à disposer d'eux-mêmes”.

- Et ce serait quoi, le “peuple”, en l'occurrence ?

- Ben, on ne sait pas ! 

- Comment ça, on ne sait pas ?

C'est qu'à en croire le fameux referendum, la terre des Kanaks ne comporterait aucun peuple autochtone ; en tout cas, le fait n'est mentionné nulle part !

- Mais qui s'auto-détermine alors ? 

- Ben, les Calédoniens !

Vous avez compris ? À l'instar d'un Staline, faisant retoucher par ses sbires des photos officielles pour en faire disparaître tel ou tel personnage tombé en disgrâce, la République française n'hésite pas, à son tour, à retoucher l'histoire d'un pays, la Nouvelle-Calédonie, pour en faire disparaitre les indigènes : les Kanaks, seul peuple autochtone du territoire, les autres n'étant que des colons installés là par la puissance occupante et sans l'accord des autochtones.

Un double viol, donc, pour commencer : d'abord on s'empare du territoire, puis on y installe qui on veut, afin de rendre les autochtones minoritaires sur leur propre sol, voire un triple viol, si l'on y ajoute l'activisme séculaire des missionnaires, mandatés pour éradiquer patiemment, méthodiquement et systématiquement les coutumes et traditions locales.



Pauvres Kanaks, dont la culture ancestrale n'existe plus que sous la forme de lambeaux accrochés ici ou là dans quelque musée ethnographique, les femmes ayant abandonné leurs tenues traditionnelles pour la fameuse “robe-mission”, cette horreur imposée par les missionnaires dans le but de cacher ces corps que l'on ne saurait voir, hommes et femmes se réunissant désormais, tous les dimanches, dans l'inévitable église, afin d'y adorer un dieu venu d'ailleurs (pour mémoire, l'auteur de ce texte est fils de missionnaire ; il connaît la chanson, ou le cantique !).

Que ceux et celles que ça intéresse aillent faire un tour dans un musée ethnographique, par exemple le musée parisien du Quai Branly, pour y constater la quasi disparition de toute culture kanak néo-calédonienne, exception faite de territoires mélanésiens comme le Sépik, la Papouasie-Nlle-Guinée, les Îles Salomon...

Les élites kanak ? Des pasteurs, des catéchistes, des prêtres catholiques, d'anciens séminaristes et des bonnes soeurs. Ici, comme un peu partout, le colonisateur pense surtout à former des gens d'église et des commis d'administration, pas des médecins, scientifiques, ingénieurs, enseignants, magistrats ; ceux-là, on les fait venir à grand frais de métropole. Regardez simplement qui est préfet, procureur de la République, président de tribunal, proviseur de lycée ou principal de collège dans l'ensemble de ces colonies françaises baptisées départements et territoires d'Outre-mer !

Et en face d'une oligarchie importée de métropole, on a quelques faire-valoir : cette petite bourgeoisie locale gentillette et proprette, petite clique d'Oncle Tom dociles et soumis, prêts à avaler toutes les couleuvres, et dont l'obséquiosité explique que, de temps à autre, une jeunesse excédée par ce conformisme rue dans les brancards en déboulonnant quelques statues ici ou là.

Et pendant que la petite clique de notables roupille, la lave enfle dans les flancs du volcan. Les territoires d'Outre-mer sont certainement les régions de France ayant connu le plus de soubresauts violents depuis la fin de la Seconde Guerre Mondiale. Cela a commencé avec l'Algérie, Madagascar, l'Indochine, tous les territoires qui allaient basculer vers l'indépendance au tournant des années 1960.

Mais il y eut aussi du grabuge en Guadeloupe, en Nouvelle-Calédonie, à la Réunion..., tous ces territoires que la République française entend, mordicus, maintenir dans son giron. Vanuatu, Fidji, Trinidad et Tobaggo, les Bahamas, Saint-Kitts-et-Neville, Jamaïque, Dominique, Surinam, Guyana, Île Maurice et plein d'autres ont eu accès à l'indépendance, et, pendant ce temps, Martinique, Polynésie, Guadeloupe, Guyane, Réunion, Wallis et Futuna... doivent encore se farcir des préfets métropolitains, dont aucun ne ressemble à un autochtone, comme signe de la dérive quasi-psychopathique que vit la France en matière coloniale : une forme d'addiction, et aucun remède en vue ! Ne parlons même pas d'un vaccin !

Pour s'en convaincre, il suffit d'observer la classe politique française : de l'extrême-droite à la gauche - exception faite d'une certaine extrême-gauche -,  pas un mot sur la violation séculaire des droits des Kanaks et sur la pantalonnade référendaire organisée pour camoufler ce crime ignoble qui perdure. Il faut dire qu'en la matière, ladite “Gauche” a pris toute sa part à l’esbroufe (3). Les plus anciens doivent se souvenir d'Edgar Pisani, puis de Michel Rocard, de Lionel Jospin, ainsi que de Manuel Valls, les trois derniers agissant en qualité de Premier Ministre.

Le fait est qu'un referendum au sein duquel le corps électoral voit les autochtones du pays noyés parmi des colons rendus majoritaires est contraire au droit des peuples garanti par les traités internationaux, que la France les ait ratifiés ou non.

De fait, ce soi-disant referendum est une imposture qu'il incombera aux instances compétentes de l'ONU d'anéantir en organisant rapidement une consultation basée sur la Déclaration des Nations Unies sur les Droits des Peuples Autochtones.

Il reste que si les actuels animateurs, encore intègres, des communautés kanak ne se mobilisent pas, notamment à l'échelle internationale (voyez la puissance du tsunami Black Lives Matter), personne ne le fera à leur place.

 

Épilogue. Je discutais récemment avec quelqu'un à propos de la fameuse parabole de Malcolm X sur le "house negro" et le "field negro", la personne m'expliquant qu'il s'agissait là d'un mythe (poncif ?) plus ou moins éculé. J'ai alors argumenté en affirmant que ce n'était d'abord que l'avis de Malcolm, mais, surtout, que j'estimais qu'il y avait bien plus de deux types de cet acabit "esclave domestique" (= grimé comme son maître au point de quasiment lui ressembler et affligé des mêmes tics comportementaux ou de langage) ou "esclave des champs" (= brut de décoffrage voire un peu primitif et arriéré par rapport à son congénère précédent), dans la mesure où l'on pouvait y adjoindre au moins une catégorie supplémentaire, celle du "harki", du "collabo", en clair, du "traître à sa propre cause". Nous en avons plein d'exemples à travers l'histoire des colonisations.

S'agissant de la Nouvelle-Calédonie, nous avons un formidable récit de trahison, qui nous est rapporté par Louise Michel, déportée sur le Caillou à la suite de la Commune de Paris.

Il faut absolument lire et faire lire Louise Michel dans les écoles, collèges et lycées de France, de Navarre, et d'ailleurs.

 

Citation

Dans un passage fameux de ses Mémoires, Louise Michel a raconté la mort d’Ataï :

« Ataï lui-même fut frappé par un traître. Que partout les traîtres soient maudits ! Suivant la loi canaque, un chef ne peut être frappé que par un chef ou par procuration. Nondo, chef vendu aux blancs, donna sa procuration à Segou, en lui remettant les armes qui devaient frapper Ataï. Entre les cases nègres et Amboa, Ataï, avec quelques-uns des siens, regagnait son campement, quand, se détachant des colonnes des blancs, Segou indiqua le grand chef, reconnaissable à la blancheur de neige de ses cheveux. Sa fronde roulée autour de sa tête, tenant de la main droite un sabre de gendarmerie, de la gauche un tomahawk, ayant autour de lui ses trois fils et le barde Andja, qui se servait d’une sagaie comme d’une lance, Ataï fit face à la colonne des blancs. Il aperçut Segou. Ah ! dit-il, te voilà ! Le traître chancela un instant sous le regard du vieux chef ; mais, voulant en finir, il lui lance une sagaie qui lui traverse le bras droit. Ataï, alors, lève le tomahawk qu’il tenait du bras gauche ; ses fils tombent, l’un mort, les autres blessés ; Andja s’élance, criant : tango ! tango ! (maudit ! maudit !) et tombe frappé à mort. Alors, à coups de hache, comme on abat un arbre, Segou frappe Ataï ; il porte la main à sa tête à demi détachée et ce n’est qu’après plusieurs coups encore qu’Ataï est mort. Le cri de mort fut alors poussé par les Canaques, allant comme un écho par les montagnes. » (source)

   

Lectures

(1) ONU

(2) Messmer : "Je veux du blanc !"

(3) Parti Socialiste : question de "neutralité"

(4) Malcolm X, une parabole

(5) Silence on tue ! De Gaulle, Foccart et Messmer au Cameroun 

(6) Pierre Messmer, un portrait