lundi 19 septembre 2011

Victor Hugo ou quand la France avait encore de grands Hommes. Cuando Francia tenía todavía grandes personalidades. Anno dazumal, als Frankreich noch grosse Persönlichkeiten hatte. As France still had got great people


(English version available ; link below. Deutsche Uebersetzung, siehe Bindung unten. Traducción en castellano: enlace abajo)


Ce qui suit a déjà été publié ailleurs (ben oui, j'anime une petite flopée de blogs !). Et, pour une fois, il ne sera pas question de la Libye, quoique... Il est question de barbarie, d'une barbarie à laquelle la France a prêté son concours. Tiens, en passant (rajouté au 22.09.11), le texte de Victor Hugo en a secoué plus d'un(e), si j'en juge par l'explosion du nombre de lecteurs un peu partout. Il faut dire que le grand public connaît le poète, romancier et dramaturge, moins le polémiste, et ce texte est assez rare, voire moins connu que le "J'accuse !" de Zola... Voilà, je ne suis pas mécontent de vous l'avoir fait connaître. Et je suis bien sensible au fait que l'immense majorité de mon lectorat est fait de personnes intelligentes, qui veulent lire des choses chargées de sens, à une époque où l'Internet se remplit malheureusement de tant de blabla !

Voilà qui va nous rappeler ces temps pas si anciens que ça, où la France comptait encore de grands hommes, à l'image de Victor Hugo ou d'Emile Zola... Mais, plus près de nous, il y eut Albert Schweitzer, Théodor Monod et des tas d'autres avant eux : Jean Moulin, Pierre-Brossolette, le colonel Rol-Tanguy et tous ces courageux résistants de la période 1940-1944.

Aujourd'hui, la France se lance dans une entreprise criminelle dans un pays peuplé d'à peine six millions d'habitants, le tout  au vu et au su de tout le monde, et personne ne bouge, je veux dire personne ayant un nom : aucun "responsable politique", hormis Marine Le Pen, qui ne manque pas de panache en l'occurrence. Mais à gauche, rien ! Ne parlons pas du monde de nos stars médiatiques...

Pauvre Victor Hugo, pauvre Emile Zola, pauvre Albert Schweitzer, pauvre Théodor Monod..., pauvres héros de la résistance contre le nazisme. Votre pays n'est visiblement plus peuplé que d'un ramassis de veaux et de nouilles !


"Devant l'histoire, l'un des deux bandits s'appellera la France, l'autre s'appellera l'Angleterre. Mais je proteste, et je vous remercie de m'en donner l'occasion ; les crimes de ceux qui mènent ne sont pas la faute de ceux qui sont menés ; les gouvernements sont quelquefois des bandits, les peuples jamais." (Victor Hugo)  

L'empereur Xianfeng est en fuite. Il a abandonné Pékin aux troupes anglo-françaises qui, le 6 octobre 1860, envahissent sa résidence d'été, d'une beauté exceptionnelle, la saccagent, la dévastent. Ce pillage, qui marquera la seconde guerre de l'opium, indigne certains témoins occidentaux. Victor Hugo, lui, ne connaît cette « merveille du monde » qu'à travers le récit des voyageurs, mais, d'emblée, il prend le parti des civilisés, les Chinois, contre les barbares. 


Hauteville House, 25 novembre 1861 

Vous me demandez mon avis, monsieur, sur l'expédition de Chine. Vous trouvez cette expédition honorable et belle, et vous êtes assez bon pour attacher quelque prix à mon sentiment ; selon vous, l'expédition de Chine, faite sous le double pavillon de la reine Victoria et de l'empereur Napoléon, est une gloire à partager entre la France et l'Angleterre, et vous désirez savoir quelle est la quantité d'approbation que je crois pouvoir donner à cette victoire anglaise et française. 

Puisque vous voulez connaître mon avis, le voici : 

ll y avait, dans un coin du monde, une merveille du monde ; cette merveille s'appelait le Palais d'été. L'art a deux principes, l'Idée qui produit l'art européen, et la Chimère qui produit l'art oriental. Le Palais d'été était à l'art chimérique ce que le Parthénon est à l'art idéal. Tout ce que peut enfanter l'imagination d'un peuple presque extra-humain était là. Ce n'était pas, comme le Parthénon, une œuvre rare et unique ; c'était une sorte d'énorme modèle de la chimère, si la chimère peut avoir un modèle. 

Imaginez on ne sait quelle construction inexprimable, quelque chose comme un édifice lunaire, et vous aurez le Palais d'été. Bâtissez un songe avec du marbre, du jade, du bronze, de la porcelaine, charpentez-le en bois de cèdre, couvrez-le de pierreries, drapez-le de soie, faites-le ici sanctuaire, là harem, là citadelle, mettez-y des dieux, mettez-y des monstres, vernissez-le, émaillez-le, dorez-le, fardez-le, faites construire par des architectes qui soient des poètes les mille et un rêves des mille et une nuits, ajoutez des jardins, des bassins, des jaillissements d'eau et d'écume, des cygnes, des ibis, des paons, supposez en un mot une sorte d'éblouissante caverne de la fantaisie humaine ayant une figure de temple et de palais, c'était là ce monument. Il avait fallu, pour le créer, le lent travail de deux générations. Cet édifice, qui avait l'énormité d'une ville, avait été bâti par les siècles, pour qui ? pour les peuples. Car ce que fait le temps appartient à l'homme. Les artistes, les poètes, les philosophes, connaissaient le Palais d'été ; Voltaire en parle. On disait : le Parthénon en Grèce, les Pyramides en Egypte, le Colisée à Rome, Notre-Dame à Paris, le Palais d'été en Orient. Si on ne le voyait pas, on le rêvait. C'était une sorte d'effrayant chef-d'œuvre inconnu entrevu au loin dans on ne sait quel crépuscule, comme une silhouette de la civilisation d'Asie sur l'horizon de la civilisation d'Europe. 

Cette merveille a disparu. 

Un jour, deux bandits sont entrés dans le Palais d'été . L'un a pillé, l'autre a incendié. La victoire peut être une voleuse, à ce qu'il paraît. Une dévastation en grand du Palais d'été s'est faite de compte à demi entre les deux vainqueurs. On voit mêlé à tout cela le nom d'Elgin, qui a la propriété fatale de rappeler le Parthénon. Ce qu'on avait fait au Parthénon, on l'a fait au Palais d'été, plus complètement et mieux, de manière à ne rien laisser. Tous les trésors de toutes nos cathédrales réunies n'égaleraient pas ce splendide et formidable musée de l'orient. Il n'y avait pas seulement là des chefs-d'œuvre d'art, il y avait un entassement d'orfèvreries. Grand exploit, bonne aubaine. L'un des deux vainqueurs a empli ses poches, ce que voyant, l'autre a empli ses coffres ; et l'on est revenu en Europe, bras dessus, bras dessous, en riant. Telle est l'histoire des deux bandits. 

Nous, Européens, nous sommes les civilisés, et pour nous, les Chinois sont les barbares. Voila ce que la civilisation a fait à la barbarie. 

Devant l'histoire, l'un des deux bandits s'appellera la France, l'autre s'appellera l'Angleterre. Mais je proteste, et je vous remercie de m'en donner l'occasion ; les crimes de ceux qui mènent ne sont pas la faute de ceux qui sont menés ; les gouvernements sont quelquefois des bandits, les peuples jamais. 

L'empire français a empoché la moitié de cette victoire et il étale aujourd'hui avec une sorte de naïveté de propriétaire, le splendide bric-à-brac du Palais d'été . 

J'espère qu'un jour viendra où la France, délivrée et nettoyée, renverra ce butin à la Chine spoliée. 

En attendant, il y a un vol et deux voleurs, je le constate. 

Telle est, monsieur, la quantité d'approbation que je donne à l'expédition.


Victor Hugo 



Je dois vous avouer que ce texte magistral me fait penser à un grand Antillais, je veux dire, un grand homme, un grand écrivain au style aussi flamboyant que celui de Hugo : j'ai nommé le regretté Aimé Césaire !

Observation : "... les gouvernements sont quelquefois des bandits, les peuples jamais.". Ouais ! Ça se discute ! Parce que Victor Hugo écrit depuis son exil dans les Îles anglo-normandes (Guernesey), et la France vit sous la dictature de Napoléon... Le Petit. L'irresponsabilité des peuples évoquée par Hugo ne vaut, donc, qu'en régime de dictature. Aujourd'hui, les pays du monde dit civilisé sont des démocraties, avec pouvoir au peuple. Ce dernier est donc responsable et co-comptable des crimes commis par ses dirigeants en son nom.

En attendant, une agression coloniale particulièrement sordide car directement inspirée du travail des Einsatzgruppen nazis dans l'est de l'Europe (1941-1944) se poursuit en Libye, dans le silence de ce qu'en France et en Occident on appelle "l'intelligensia". Pauvre intelligentsia ! 

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