mardi 17 avril 2012

Journalisme de merde !, ou comment certains journalistes traitent les faits divers...


... Un article dont la bêtise et l’inanité ne tarderont pas à servir de modèle du genre « papier de merde », dans les écoles de journalisme. (Audrey Pulvar, France Inter, 26 janvier 2012)

Il s'agissait, comme tout le monde le sait maintenant, d'une diatribe de la journaliste de France Inter contre un papier paru dans Elle à propos du "Black Fashion Power".

Je me demande ce qu'Audrey Pulvar aurait dit à propos du traitement journalistique récent de la traque policière d'un tueur en série présumé (on ne sait pas encore qui a tué ni s'il y a un tueur ou plusieurs !) dans plusieurs villes de l'Essonne (91).

Car le moins qu'on puisse dire est que le traitement journalistique de l'affaire ne manque pas de sel ! Les images qui suivent sont des captures d'écran réalisées à partir de reportages télévisés.

16 avril 2012 : l'enquête de police judiciaire semble avoir abouti à l'arrestation de deux suspects, dont l'un semble correspondre au profil du "tueur" : il possède une moto correspondant au signalement, a déjà eu maille à partir avec la justice, a fréquenté au moins un stand de tir, divers indices (douille) ont été retrouvés chez lui, etc. C'est ce que confirme le procureur de la République au cours d'une conférence de presse.


Observons, en passant, que Madame le Procureur n'a livré aucun détail précis au sujet du pedigree (origine ethnique, taille, poids, statut marital ou non, etc.) du suspect.

Et comme il se doit, à la télévision, d'aucuns ont tenu à respecter la présomption d'innocence à laquelle l'homme a droit, en diffusant des images sur lesquelles on le voit avec un vêtement sur la tête. Cf. TF1, journal télévisé de 20 heures, le 16 avril 2012.



Fort curieusement, le même soir, sur la chaîne d'en face, je veux dire France 2, voilà que notre homme a une partie du visage découverte, ce qui n'a pu se faire que par la volonté d'un des policiers de son escorte, et dont un cameraman de la chaîne publique a promptement profité, sans que personne en régie ne pense à corriger cet impair en floutant l'image, par exemple.


Nous savions désormais que le suspect avait la peau noire. Du coup, la suite coulait de source... On n'allait quand même pas se gêner !



Voilà ce qu'en termes journalistiques on appelle un scoop : un portrait du suspect, tiré du journal de la chaîne soeur de France 2, je veux dire France 3. Notons qu'à ce stade, on nous épargne encore le nom, la taille, le groupe sanguin, la religion, etc., du client !

Retour sur le journal de 20 heures de France 2, du 16 avril 2012. Le présentateur en studio est en duplex avec un reporter présent sur le terrain. Résumé de la conférence de presse de Madame le Procureur puis représentation du suspect sous forme d'incrustations.




Fin du reportage du journaliste de France 2. Et c'est là que je suis parti d'un grand éclat de rire.





Vous avez compris ? À France 2, on a jugé que le suspect n'avait pas droit au respect de son anonymat, tout le contraire du traitement réservé aux policiers de l'escorte, dont le visage a été dûment "flouté". Non mais, ça ne vous donne pas envie d'éclater de rire ? Enfin, c'est une façon de parler !

Le fin mot de l'histoire ?

Voyez comment, à la radio, certains journalistes ont traité l'affaire.

RTL, 15 avril 2012, 8h20 : Selon Brice Dugénie, deux hommes, dont l'un (un trentenaire possédant une grosse moto) est considéré par les enquêteurs comme un suspect très sérieux, ont été mis en garde à vue.

RTL, 15 avril 2012, 8h33 : Raphaël Vantard précise que le principal suspect en garde à vue présentait un comportement trouble et qu'il fut repéré dans un stand de tir quatre ans plus tôt, qu'il portait en permanence un bonnet vissé sur la tête...

La performance de ces deux journalistes (de RTL) est d'autant plus stupéfiante que, dès la veille, certains de leurs collègues semblaient bien plus au parfum...

France Info, 14 avril 2012, 20h02. Mathilde Lemerre (ou Lemaire) dixit : "Un jeune homme de trente-trois ans, d'origine antillaise, a été arrêté par la police en marge de l'enquête sur les tueries dans l'Essonne...".

En voilà une qui a dû bénéficier d'un tuyau, fourni par qui, sinon par la police, sur l'origine ethnico-géographique du suspect. La précision fournie par Mathilde Lemerre est d'autant plus intéressante que, sur la même chaîne, une demi-heure plus tard, on a eu droit à ça :

France Info, 14 avril 2012, 20h30. Gilles Bessec : "Un des deux suspects, âgé de 33 ans, est considéré par les enquêteurs comme particulièrement sérieux... Amateur d'armes... C'est la moto..."

RMC, 14 avril 2012, 20h57. Denis Lemoine : "Cet homme est décrit comme un Antillais...".

France Inter, 15 avril 2012, 17h01. Virginie Piraunon : "un homme originaire des Antilles...".

Conclusion : à partir des mêmes dépêches d'agence, de vrais journalistes s'en sont tenus à l'information brute, tandis que d'autres (sur France Info, France Inter et RMC) relayaient des détails, fournis par des sources proches de l'enquête (police/justice) et dont le caractère raciste n'est pas contestable.

Pour mémoire, quand un instituteur est arrêté pour suspicion de crimes sexuels commis sur des enfants de maternelle, personne ne précise quelle est son origine ethnique ou géographique, ce qui revient à suggérer de manière subliminale qu'il n'est ni noir, ni asiatique, ni arabe... 

En voulez-vous une illustration éclatante ? Voyez cette capture d'écran sur le site de la chaîne de télévision M6/MSN...


Imbécile et raciste, aurait (peut-être) dit Audrey Pulvar...

Gageons que la police ne fournira jamais à la presse la photo de l'instituteur soupçonné d'agressions sexuelles sur des bébés de moins de cinq ans... En tout cas, nous pouvons être sûrs qu'il n'est pas Africain, ni Asiatique, ni Sudaméricain... Pourquoi ? Tout simplement parce que les Africains, Asiatiques, Sudaméricains... ne mangent pas de ce pain-là ! Vous pouvez vérifier en consultant les annales judiciaires !



P.S. Reçu dans ma boîte de courriels :



Monsieur Jaquin, de la rédaction de France 3, joue avec les mots et me demande de lui indiquer les journaux ou journalistes qui auraient fait mention de l'information "d'origine antillaise". Parce que l'homme que l'on voit sur la photo ci-dessous - document France 3 - est "d'origine bretonne", ou alors "d'origine alsacienne", peut-être "d'origine corse, basque, chti..." ? 




J'ai répondu au médiateur de France 3 que j'attendais que le tueur présumé de l'Essonne ait droit au même traitement que les violeurs de bébés de maternelle, s'agissant du respect de leur anonymat et de la présomption de leur innocence, ni plus ni moins. Je constate simplement que lorsqu'un instituteur est présumé avoir violé des bébés dans une maternelle, son visage n'est jamais divulgué au grand public ! 

Le fait est que des viols de bambins, dans des maternelles antillaises, je n'en ai jamais entendu parler !

Par ailleurs, Monsieur Jaquin ajoute qu'il n'ouvre jamais les adresses grossières et qu'il n'est pas payé pour ça. On parie combien qu'il a bien lu ma prose ?