vendredi 28 octobre 2016

Marine Le Pen et le "plafond de verre". Episode 2


Le syndrome L. H.


En évoquant, dans un précédent article, un "serpent de mer" à propos du fameux "plafond de verre" censé barrer irrémédiablement la route du Front National vers des lendemains électoraux qui chantent, j'entendais m'élever contre ce qui me semble n'être qu'une lubie de "politocrates", ces soi-disant experts qui n'analysent jamais rien, se contentant de l'exercice bien commode de la paraphrase de sondages, lesquels sondages ne relèvent que d'une pauvre lecture de la conjoncture. Or un(e) analyste digne de ce nom se doit d'être en mesure d'examiner dans le détail la structure même des choses plutôt que la conjoncture.

Mais il n'y a pas que les politocrates qui n'analysent les choses que d'un point de vue conjoncturel. Aussi ajoutais-je :

Et c'est là qu'une responsabilité toute particulière repose sur les épaules de Marine Le Pen, qui s'est appliquée, ces derniers temps, à tenter de "dédiaboliser" l'image du FN à coups d'anathèmes contre Jean-Marie Le Pen et d'autres, la dédiabolisation en question semblant faire chou blanc, peut-être parce que Marine Le Pen s'y prend mal.

Car si l'éviction de Jean-Marie Le Pen avait pour but d'offrir au FN un visage rajeuni et modernisé, les effets ne s'en font nullement sentir, en tout cas, pas à travers les dernières élections, départementales et régionales ; d'où la théorie du plafond de verre, chère à nos politocrates.

Qu'est-ce que c'est, au fond, que l'éviction éventuelle d'un tel ou d'une telle des instances dirigeantes d'une organisation, sinon un simple rafistolage, purement conjoncturel, des choses ? Les gens vivent, meurent ; les responsables politiques émergent, s'effacent, disparaissent... Ainsi va la conjoncture ; reste l'essentiel : la structure.


Une impasse ?

Voyez les socialistes français : peu après la défaite de Ségolène Royal à la présidentielle de 2007, le très influent éléphant socialiste qu'est Lionel Jospin se fend d'un pamphlet intitulé "L'impasse", dans lequel il prétend pointer ce qui serait une incapacité fondamentale de Royal à jamais conduire la Gauche française à la victoire. Pour ma part, j'ai toujours trouvé cet ouvrage ridicule, voire inepte, en tout cas, du petit travail de "conjoncturocrate", Lionel Jospin invalidant un peu vite une Ségolène Royal qui avait, pourtant, fait bien mieux que lui (2002 !) dans le cadre d'une élection présidentielle.

Donc, si j'ai bien compris la logique de "L'impasse", Jospin a dû considérer que la performance de François Hollande en 2012 était tout à fait digne d'éloges ?! Ce qui amène une question toute simple, que j'aurais volontiers posée à Lionel Jospin : en reprenant les deux scrutins, avec la défaite de Royal en 2007 et la victoire de Hollande en 2012, laquelle des deux situations relève véritablement d'une impasse ?

Il me semble que c'est maintenant que Lionel Jospin aurait été le mieux inspiré pour rédiger son "Impasse" !

Mais j'étais parti pour épiloguer sur le cas Marine Le Pen. Le fait est qu'il y a bien un rapport entre la tentative de dédiabolisation entamée par la nouvelle présidente du FN et l'analyse prématurée de Jospin sur le marasme des socialistes français : une même propension à n'aborder les choses que de manière conjoncturelle.

La faute à Ségolène Royal ou à Jean-Marie Le Pen ? Très bien. Et puis après ?

Après ? Rien, ou presque, contrairement à ce qui se passe dans bien d'autres domaines.


Comme à l'armée

Prenons les comédies musicales. Si, si, vous avez bien lu !

Je regardais, il y a peu, un reportage à la télévision française, sur une comédie musicale baptisée "Timeo", reportage au cours duquel le chorégraphe expliquait comment il lui fallait, après chaque spectacle, rassembler la troupe afin de "débriefer" l'ensemble de la représentation, moyennant des rectifications, retouches, corrections..., afin de rattraper ce qui avait pu paraître imprécis au cours de la représentation précédente.

Et moi de penser : "Briefer, débriefer", voilà quelque chose qu'on pratique peu dans le monde politique !". Tout le monde sait que les politiques ne se trompent jamais, n'est-ce pas ? Or, qu'est-ce qu'un débriefing, sinon cet exercice - très apprécié dans le monde des sciences et techniques, ainsi que chez les sportifs, gens du spectacle..., mais aussi dans toutes les armées du monde, avant et après une mission ou une manœuvre - à travers lequel les responsables entendent mettre sur le tapis toutes leurs erreurs passées, afin d'éviter de les reproduire à l'avenir ? 

C'est ainsi que, lorsqu'un aéronef s'écrase quelque part, le premier geste du constructeur va consister à récupérer les boîtes noires, pour identifier l'origine de la catastrophe, de même que lorsque le système de freinage d'un véhicule automobile dysfonctionne, tous les modèles concernés vont être rappelés au garage pour vérification et réglage.


L. H.

Et s'il est un domaine où l'on briefe et débriefe abondamment, c'est celui de la course automobile, d'où la référence à L. H. comme Lewis Hamilton.

Au moment où j'écris ces lignes (28 octobre 2016), soit à l'avant-veille du grand prix du Mexique, le pilote britannique est à 26 points derrière son compère, l'Allemand (de père finlandais) Nico Rosberg. Il est certain que l'un des deux sera le prochain champion du monde de Formule 1. 

Et alors, il est où le problème ? Allez-vous me demander. Il est que j'ai entendu, tout récemment, de belles âmes vilipender le sieur Hamilton pour sa trop grande nonchalance, sa propension pour la noce et la jouissance facile, son manque de concentration, toutes choses responsables de pas mal de contre-performances de sa part.

Le fait est que tous les spécialistes s'accordent à considérer qu'Hamilton est l'un des plus doués du circuit, lui qui n'est pas un fils à papa, mais a dû faire ses preuves dès le plus jeune âge. "Ah, si seulement il était un peu plus bosseur !", hurlent ses plus farouches détracteurs.

Il faut dire que Hamilton est un Antillais, ce qui lui a fait apparemment hériter de cette nonchalance que l'on attribue un peu vite aux descendants d'Africains : cette joie de vivre et cette propension à ne jamais prendre les choses au tragique. Du coup, le bon Lewis se passionne pour des tas de choses apparemment indignes d'un pilote de course, notamment la musique et le Rap. Peut-être passe-t-il même trop de soirées dans les boîtes de nuit - à l'instar de cet autre surdoué qu'était le footballeur brésilien Ronaldinho -, ce qui pourrait expliquer plus d'un démarrage raté lors d'une course, pour cause de concentration défaillante.

Quel rapport avec Marine Le Pen ?, va-t-on me demander. Et là, je réponds : "plafond de verre" !

C'est évident, non ? Un noir, même métissé, champion du monde de F1, ça ne court pas les rues, non ? C'est comme avec Tiger Woods dans le golf, les soeurs Williams au tennis, ou Debbie Thomas (la plus sérieuse rivale de la grande Katarina Witt) en patinage artistique. Rien que des sports réservés, jusque là, à une jeunesse bourgeoise... et blanche (Witt étant l'exception infirmant la règle : cette fille d'ouvriers est-allemands avait toujours tenu à défendre sa chère 'D.D.R.', se plaisant à répéter que si elle avait été américaine, par exemple, ses parents n'auraient jamais eu l'argent nécessaire pour lui acheter les coûteux équipements exigés par la pratique du patinage artistique.).

Et puis, il a bien fallu que ces pionniers pulvérisent le prétendu plafond de verre qu'ils avaient au-dessus de leur tête. Et pour ce qui est de Hamilton, il a quand même décroché le titre trois fois, ce qui n'est pas rien pour un "noceur". Mais cela n'empêche nullement ses admirateurs d'en redemander, eux qui pensent qu'avec un peu plus de professionnalisme et de concentration, le Britannique aurait déjà égalé le record de titres en F1 de Michael Schumacher.

Mais il y a autre chose que le fameux serpent de mer appelé "plafond de verre", que Lewis Hamilton illustre parfaitement, y compris à son détriment : le talent, associé au travail, paie toujours. Aussi a-t-on vu - c'est tout récent -, le week-end dernier, Hamilton dans l'obligation absolue de l'emporter au Grand Prix des Etats-Unis, sous peine de dire définitivement adieu au titre. Et comme preuve que c'est lorsqu'ils ont le dos au mur que l'on reconnaît les vrais champions, Hamilton a devancé son rival Rosberg et réduit l'avance de ce dernier à 26 points.

Mais tout cela se fait au prix d'un énorme travail de briefing et de débriefing, chose courante dans le monde des sciences et des techniques, mais pas du tout en politique.


Décalage

C'est en pensant à tout cela que je me dis souvent qu'il y a du Hamilton chez Marine Le Pen, à la différence près que le pilote britannique a, lui, fracassé son plafond de verre depuis belle lurette, contrairement à la présidente du Front National.

Les raisons de ce décalage, il faut les trouver, selon moi, dans la pratique, bien défaillante, du briefing et du débriefing chez Marine Le Pen. Pour dire les choses plus trivialement, j'ai parfois l'impression qu'au FN, on ne travaille pas assez !

Des exemples ?

Reprenons les élections locales en France : municipales, départementales, régionales. C'est surtout dans les deux derniers cas que l'on a constaté les effets du prétendu plafond de verre, dans la mesure où la mécanique UMPS a fait qu'une coalition de fait a empêché les élus FN de décrocher la présidence de tel département ou de telle région.

Mais, dans ces conditions, comment expliquer l'absence totale de débriefing au FN, histoire d'analyser plus finement les raisons d'un échec ?

Par parenthèse, on a vu comment Floriant Philippot s'est planté dans la région Grand-Est, terre très catholique et bastion du fameux Concordat (quiconque a vécu en Alsace-Moselle sait qu'à l'approche des fêtes de Pâques, il vaut mieux remplir son réfrigérateur si l'on ne veut pas "crever la dalle", dès lors qu'entre le jeudi d'avant Pâques, au soir, et le mardi d'après Pâques, au matin, tout ou presque est fermé, y compris les commerces alimentaires !). Or, on a eu droit à un Philippot se fendant d'un coming-out (rapport à son "orientation sexuelle"), qui n'était pas vraiment un coming-out, tout en étant un coming-out, bref, louvoyant dans le plus grand flou, le tout dans une des régions les plus catholiques de France. Et l'on va s'étonner que, malgré le maintien d'un socialiste (dissident), la triangulaire n'ait pas profité au candidat FN ?

N'aurait-il pas mieux valu présenter, en Alsace-Moselle..., une personnalité catholique bon teint, plutôt qu'un homosexuel ne s'assumant qu'à moitié ?

Autre exemple : j'ai déjà abondamment évoqué le cas de Marion-Maréchal Le Pen dans de précédents articles. Comment expliquer qu'après l'instauration du mariage pour tous, cette élue FN (et il n'y a pas eu qu'elle !) ait persisté à vilipender l'Islam, dédaignant ostensiblement l'apport de voix que la convergence "anti-mariage-pour-tous" entre Chrétiens et Musulmans aurait pu lui assurer ?

Ce qui amène immanquablement à se demander si ces gens du FN veulent véritablement accéder au pouvoir ou non. Je sais très bien que ce parti a été conçu, à l'origine, pour n'être qu'un mouvement d'aboyeurs et de vociférateurs ultra-nationalistes, voire xénophobes. Le problème est que, depuis, on nous parle de "dédiabolisation" ; est-ce seulement crédible ?


Spéculation

Au risque de me répéter, je n'accorde aucune importance aux sondages, ces pseudo-analyses de l'opinion, qui ne sont, en fait, qu'une grosse ficelle pour manipuler les plus niais des électeurs. Mais bon, ils existent et il arrive même qu'ils donnent l'impression de coïncider avec le résultat final, mais ce n'est véritablement que pure coïncidence.

Néanmoins, si je me faisais l'avocat du diable, j'observerais que Marine Le Pen est créditée d'autour de 28 % des intentions de vote au premier tour de la prochaine présidentielle.

Et moi de penser : "28 % ?! C'est tout ?".

Il se trouve que je suis tout à fait persuadé que Marine Le Pen peut l'emporter dès le premier tour de la présidentielle.

Et j'entends d'ici les hurlements et autres vociférations : "Non mais, il est fou !?".

Moi, fou ? Étais-je fou lorsque, dès la fin de 2006, j'ai annoncé, ici même ou pas loin, la calamité que serait une victoire de Sarkozy en 2007, ou, dès la fin de 2011, lorsque j'ai écrit pis que pendre de l'apparatchik terne et gris qu'était François Hollande, juste bon pour singer les mimiques de François Mitterrand sur les estrades ?

Reprenons les projections sondagières, soit autour de 28 % pour Le Pen au premier tour de la présidentielle. Pour ma part, je considère que, face à l'inévitable collusion de l'UMPS au second tour, formule maintes fois éprouvée désormais, depuis ce second tour de présidentielle de 2002, jusqu'au second tour des dernières élections régionales, le plus simple (!!!) pour Marine Le Pen consistait à l'emporter dès le premier tour. Et, pour ce faire, il lui fallait rameuter autour de 23 % d'électeurs supplémentaires : 28 + 23 = 51 % des voix.

Quand j'écris que Marine Le Pen et ses troupes ne travaillent pas assez, c'est en me basant sur des données simples.

Ainsi ai-je entendu, l'autre matin, sur une radio, que plus de 2,5 millions de citoyens français évitaient de se rendre aux urnes, lors des élections, pour cause de maîtrise insuffisante de la langue française. En clair, leur illettrisme les rendait peu aptes à lire un bulletin de vote (Europe 1, 5 septembre 2016).

Et moi de penser : "Incroyable !". Non que ce fait (l'illettrisme de bien des citoyens français) me surprenne (en plus de vingt ans passés à alphabétiser ici et là, j'en connais un petit rayon...), mais que peu de partis politiques en apprécient la portée, notamment des mouvements, comme le FN, victimes d'un soi-disant plafond de verre.

Mettons qu'il n'y ait que 10 % de Français adultes concernés par la chose. Non, mais quelle idée de cracher sur un tel gisement de voix !

Alors, imaginons que je sois un membre influent d'un parti frappé d'ostracisme électoral de la part de l’establishment ; il me semble que je rameuterais dare-dare les troupes pour que l'on investisse les quartiers populaires, afin de convertir une majorité de ces laissés-pour-compte des quartiers populaires en citoyens sachant lire et écrire, donc, aptes à... s'inscrire sur les listes électorales (soit avant le 31 décembre au soir), puis  à voter.

Et si l'opération de remise à niveau scolaire s'avérait positive, à qui pensez-vous que ces nouveaux électeurs réserveraient la primauté de leur vote ?

Nous en étions à combien déjà...,  28 % d'électeurs pour Le Pen au premier tour ? Nous allons y rajouter 10 % de nouveaux électeurs sortis de l'illettrisme, soit 38 %

Il resterait encore à collecter 13 % pour atteindre les 51 % de vote pour Le Pen au premier tour de la présidentielle. 13 points à totaliser chez : 1) les agriculteurs, 2) les vieux, 3) les jeunes des quartiers populaires, 4) les femmes, 5) les immigrés, 6) les chrétiens traditionnalistes, 7) les musulmans, 8) les habitants des Dom-Toms..., toutes catégories qu'on dit passablement réfractaires au FN. 

Entre nous, serait-ce vraiment la mer à boire pour Le Pen, d'améliorer son score électoral d'à peu près trois points dans chacune de ces huit catégories ? (3 x 8 = 24 %)

Pour dire les choses sérieusement, y a-t-il encore quelqu'un de censé pour prétendre que ma spéculation sur une victoire de Marine Le Pen dès le premier tour de la présidentielle, relève de la lubie ?

C'est toute la différence existant entre la politocratie et la pédagogie, mon premier métier.

Et en tant que pédagogue, la première leçon que j'aurais à dispenser à Marine Le Pen serait de la convaincre que l'élection présidentielle ainsi que toutes les suivantes de l'année 2017 se jouent avant le 31 décembre 2016 à minuit !