mardi 20 mars 2018

Quand le président jupitérien boycotte l'intelligentsia russe. Retour sur un lamentable impair...


Vous savez quoi ? En apprenant, l'autre jour, que le président français se rendait au Salon parisien du livre, en boudant ostensiblement le pavillon de l'invitée d'honneur, la Russie, je me suis dit que, décidément...


"Invités d'honneur du Salon du livre de Paris, mais boycottés par Emmanuel Macron sur fond de crise avec Moscou, les auteurs russes ont la dent dure à l'encontre du président français. "Je crois que c'est un acte enfantin. Ce n'est pas seulement injuste, c'est absurde", estime l'écrivain Vladislav Otrochenko. Pour ces auteurs, l'absence d'Emmanuel Macron est une ineptie." (Source)
"Je crois que c'est un acte enfantin..." ; c'est amusant, parce qu'au même moment, j'avais pensé exactement la même chose, à un synonyme près, tiré du latin "puer" : puéril !

Et c'est là qu'on se dit que, décidément, ce président est tout sauf un intellectuel !

Rendez-vous compte : vous êtes le président du pays de Voltaire, Rousseau, Hugo, Dumas, Sartre..., et vous boycottez le pavillon littéraire du pays qui nous a offert Tolstoï, Dostoïevski, Pouchkine..., mais vous n'allez pas bien, monsieur le président jupitérien ! Vous n'allez pas bien !

Mais laissons parler la veuve de Soljenitsyne :


Natalia Soljenitsyne, veuve de l’auteur de L’Archipel du Goulag, s’est déclarée « peinée » vendredi par l’attitude du président français Emmanuel Macron qui a ignoré jeudi soir le pavillon russe du Salon Livre Paris. « La démarche d’hier a peiné beaucoup d’entre nous », a déclaré Natalia Soljenitsyne à un journaliste de l’AFP et une journaliste de RFI. (...) Le président français « n’a pas fait ce qu’il fallait et en premier lieu pour la France elle-même », a-t-elle asséné.
(…) « J’avais l’impression, au vu de ce qui s’est passé, pas hier mais ces derniers mois, que le président Macron n’était pas le pire des amis de la Russie », a dit Natalia Soljenitsyne avec ironie. « J’avais l’impression qu’il était moins influencé par cette hystérie qui règne dans les médias occidentaux quand il s’agit de la Russie », a-t-elle insisté. (...) « Quand les diplomates ne savent plus se parler ça devient encore plus important que se parlent les artistes et les gens de la culture et des arts », a-t-elle affirmé. « Tourner le dos au dialogue avec les gens de la culture et des arts c’est extrêmement étonnant et ne sied pas à un leader politique français », a-t-elle conclu avant d’ajouter avec un sourire et en français : « Excusez-moi ». (Source)
D'abord, il y a cette précipitation, absolument grotesque, à vouloir désigner un coupable dans une affaire extrêmement complexe - car je ne sache pas que monsieur Macron soit un expert en gaz innervants ! -, que la police britannique elle-même est loin d'avoir élucidée, et voilà qu'au grotesque on ajoute le ridicule absolu de vouloir assimiler la crème de l'intelligence russe à des larbins du pouvoir politique de leur pays..., ce qui laisserait à penser que Macron voit dans les écrivains français du moment des marionnettes à sa solde !  
En refusant de se rendre au stand du pays invité d'honneur, et ce en réaction à l'empoisonnement d'un ancien espion russe et de sa fille au Royaume-Uni, Emmanuel Macron a involontairement fait le jeu électoral d'un Poutine qui n'avait pas besoin de ce cadeau pour dénoncer la diabolisation à la sauce occidentale.Accompagné de Madame, Emmanuel Macron a inauguré le Salon du livre de Paris en marquant l’évènement d’une initiative pour le moins curieuse de la part d’un chef d’Etat. Le président de la République a en effet boycotté le stand du pays qui en est l’invité d’honneur, la Russie, représenté par nombre de ses écrivains contemporains les plus brillants, parmi lesquels il y a un peut-être un futur Soljenitsyne.Certains d’entre eux, pris au piège, ont fait part de leur surprise, de leur mécontentement, voire de leur désaccord total. On peut les comprendre. Ils se trouvent ainsi instrumentalisés et assimilés au régime de leur pays d’origine, alors que plusieurs en sont des adversaires déclarés. (Source)
"Ils se trouvent ainsi instrumentalisés et assimilés au régime de leur pays d'origine..."

Du coup, j'en viens à m'interroger : mais à quoi diable peut bien servir l'armada de conseillers dont le président est affublé ?
« La littérature russe de ces dernières années est devenue nettement plus métaphysique. Elle redevient cette littérature à laquelle le monde entier est habitué, celle de Tolstoï, Dostoïevski, Tchekhov. (...) Si vous voulez connaître la Russie plus en profondeur, lisez sa littérature. » (Evguéni Vodolazkine, écrivain)

Et, pour comble de malchance, notre président jupitérien, qui ne dort, paraît-il, que quelque quatre heures par nuit, n'a pas trouvé le temps d'aller jeter un œil sur Internet pour y consulter le trombinoscope des écrivains invités tantôt à ce salon du livre, chose que j'ai faite. Et en l'espace d'une poignée de secondes, le moteur de recherche vous livre un panorama plutôt contrasté du panel d'écrivains russes présents, cette année, à la Porte de Versailles.

Mais peut-être notre président jupitérien préfère-t-il occuper ses heures d'insomnie à jouer à la Playstation... Allez savoir !?

Pour sa part, l'Obs nous présente celui qu'il qualifie de "plus pessimiste des écrivains russes", dont tout le monde va pouvoir constater la "poutinophilie" ! 
"Pas d'alternative à Poutine" : on a rencontré le plus pessimiste des écrivains russes. Dans «Qu'est-ce que vous voulez?» (Noir sur Blanc), cet écrivain né en 1971 à Kyzyl, proche de Zakhar Prilepine, étiqueté comme lui «nouveau réaliste» au début des années 2000, raconte l'hiver 2011-2012 où les Moscovites ont défilé contre Poutine. La narratrice est une fille de 14 ans, Dacha, qui ressemble comme une sœur jumelle à la sienne. Et son quotidien lui semble triste, gris, tragiquement banal. (...) Sentchine sait de quoi il parle, il y était, dans ces manifestations:«Aujourd'hui, le pouvoir est tout le temps en train d'inventer des choses pour que les gens ne s'ennuient pas. Par exemple, on leur dit que la Russie est entourée d'ennemis, inventés ou réels. Mais fin 2011, le pouvoir s'était détendu, on a senti un certain vide, et pensé qu'on ne pouvait pas tout décider à notre place.»
(...)Six ans plus tard, il est clairement revenu de ce moment d'espoir: «Je suis d'une génération qui a mal vécu le passage d'une structure socialiste au capitalisme sauvage, puis au capitalisme d'Etat. Mais la suivante, celle de ma fille, est encore plus perdue.» (...) 
Face à une télévision qui censure et martèle des émissions anxiogènes sur une possible fin du monde, Sentchine a choisi une écriture sobre, presque documentaire, fondée sur sa propre existence. Résultat: «On me dit pessimiste, mais je n'en ai pas l'impression. Je ne fais que refléter la réalité.» On a fait sa connaissance devant un capuccino, quelques semaines avant sa venue au Salon Livre Paris. 
By the way, soit dit en passant, il me revient le souvenir d'une interview radiophonique de l'écrivain Dominique Fernandez, lequel, à propos des Russes et de leur appétence pour les arts et la littérature, confiait à son interlocuteur ceci : "Vous savez, c'est un des peuples les plus cultivés de la Terre. Rendez-vous compte : les Russes vont au théâtre et à l'opéra comme nous (Français) allons au cinéma !".

Vous savez quoi ? Quelque chose me dit que le prestige d'Emmanuel Macron auprès de l'intelligentsia russe se trouve désormais relégué, pour dire les choses simplement, largement au-dessous du niveau de la mer !