mardi 7 mai 2019

France Ô ou une certaine idée de la (re)colonisation #1


Épisode §1. À propos du "bon vieux temps" des colonies, qui semble avoir encore des adeptes !

Pour mémoire, et à l'attention de mes visiteurs (la majorité) ne vivant pas en France, France Ô est une chaîne de télévision publique entièrement dédiée (du moins en théorie !) aux colonies, pardon !, aux départements et territoires d'Outre-mer, encore connus sous l'acronyme Dom-Tom. Pour faire court, c'est la chaîne de télévision française la plus métissée, je veux dire celle affichant la plus grande diversité ethnique parmi ses animateurs, ce qui ne doit pas être du goût de certains ! 

Vous connaissez la nouvelle ? Il semble qu'en France, le pays d'Aimé Césaire, d'Edouard Glissant, de Kassav, de Malavoi, de Roger Bambuck, de Jackson Richardson, de Christine Arron, de Muriel Hurtis, de Teddy Rinner... et de pas mal d'autres, de "grands esprits" estiment qu'une télévision dédiée à l'Outre-mer serait devenue superfétatoire.

En apprenant la nouvelle, j'ai d'abord pensé : "Ah, les c... !", puis je me suis dit : "Ma parole, ils sont devenus fous !".

Voilà qui ne pouvait que m'inciter à concevoir ce nouveau feuilleton. Mais, comme je suis un esprit assez tortueux, aux dires de certains, je m'en vais vous offrir, en guise de hors-d'oeuvre, une petite revue de presse sur la France et ses colonies, reposant essentiellement sur des travaux de chercheurs, histoire de rappeler à certains que l'expansion coloniale prônée (autrefois seulement ?) par divers courants de pensée n'a pas toujours reposé sur je ne sais quelle exigence de générosité ou de charité chrétienne, les préoccupations étant surtout de type prédateur et spoliateur. Ce qui donne un relief tout particulier à certaines prises de position actuelles.

Citation :
(...) Lorsque Napoléon III prend possession de la Nouvelle-Calédonie le 24 septembre 1853 - c'est-à-dire lorsque le contre-amiral Auguste Febvrier-Despointes y proclame la souveraineté française -, il n'a pas de projet colonial fort. Il le fait à la demande des missionnaires catholiques et des marins français pour assurer leur présence dans une zone du Pacifique dominée par les Britanniques, déjà établis en Australie et en Nouvelle-Zélande.
Ces missionnaires, installés depuis une dizaine d'années au nord de la Grande Terre (l'île principale de la Nouvelle-Calédonie), à Balade, Poum et Tiwaka (aujourd'hui Poindimié), s'inquiètent de l'influence prise par les missions évangéliques anglaises dans l'archipel. Quant aux marins, ils souhaitent prendre part aux échanges commerciaux qui, depuis les années 1810, mettent en relation les Kanaks, population originelle de l'île, avec les Britanniques : baleiniers d'abord, santaliers australiens (faisant le commerce du bois de santal) ensuite, qui laissent parfois des agents collecteurs sur la côte.
En 1854, les Français s'implantent donc à Nouméa, au sud de la Grande Terre, où ils fondent une ville d'administration et de garnison de marine. Ils envoient des navires de guerre pour réprimer les Kanaks chaque fois qu'est portée atteinte à des Européens ou à leurs biens, qu'il s'agisse ou non de Français, de religieux ou de colons. Cette politique de la canonnière, à une époque où la présence coloniale est extrêmement fragile et dépendante de ses relations avec les indigènes, a pu être instrumentalisée par les Kanaks dans le cadre de rivalités internes. En 1856, par exemple, après la disparition de sept chercheurs d'or français et suisses, des vaisseaux sont déployés face à Houaïlou, sur le littoral oriental, où, selon les renseignements fournis par des alliés océaniens de Canala, se trouveraient les coupables. Trois villages sont dévastés, maisons et champs détruits, une trentaine d'hommes sont tués. Or nous sommes à peu près sûrs aujourd'hui qu'aucun habitant de ces villages n'a été mêlé, de près ou de loin, aux meurtres.
En 1863, la donne change : en raison de la très forte mortalité dans le bagne de Guyane, Napoléon III décide de faire de la Nouvelle-Calédonie un second bagne ultramarin. Le sort de la Nouvelle-Calédonie est scellé : elle sera une colonie de peuplement. Ce ne sont pas les richesses convoitées par la puissance coloniale qui ont déterminé le destin de ce territoire, même si 1863 est aussi l'année où Jules Garnier identifie d'immenses ressources de nickel sur la Grande Terre. (source)
"Lorsque Napoléon III prend possession...". Voilà qui nous rappelle un certain "Léopold", prenant possession du Congo ("belge"). La Nouvelle Calédonie, ou un étrange référendum a eu lieu récemment, qui ne mentionne nulle part le peuple autochtone : les Kanaks ! Ou quand la "république" (avec une minuscule) se fait la complice (1) des pires crimes de l'Ancien Régime, en l'occurrence, celui de Napoléon le Petit (cf. Victor Hugo). Et, là encore, nous retrouvons un fameux trio, à l'instar de ceux qui hantent le théâtre de boulevard, à savoir le militaire, le commerçant et le missionnaire.







Prenez Madagascar.
Avec le décret d’annexion du 6 août 1896, une réforme majeure fut actée : les douanes passèrent directement sous le contrôle du Gouvernement Général et le commerce avec la France et ses colonies furent affranchies de toute taxe. La colonie continua cependant, au titre de la continuité de l’État, à rembourser le Comptoir National d’Escompte de Paris. Ironie de l’histoire, les contribuables malgaches continuèrent, après la conquête française et jusque dans les années 1900, à rembourser aux banques métropolitaines les indemnités extorquées par la France au Royaume en 1885 ! La charge de 10% ad valorem qui frappait toutes les importations ne frappa désormais que les produits venus de provenances non métropolitaines. En 1897, suivant l’avancée des troupes françaises lors de la « pacification », 26 ports furent dotés de postes de douanes et ouverts au commerce international.
L’option de l’annexion fut donc finalement choisie. La question du régime douanier de Madagascar fut une des questions centrales discutées à l’Assemblée Nationale en 1896. Certains députés comme Gaston Doumergue ne manquèrent pas d’émettre de sérieuses objections au choix de l’annexion. Sa conséquence économique était redoutée, car le choix de faire de Madagascar une colonie assimilée économiquement était coûteuse car peu productive et essentiellement vouée à absorber des productions industrielles françaises. 
Le gouvernement Méline (1896-1898) fit en définitive voter à l’Assemblée Nationale la loi du 16 avril 1897, établissant les nouvelles règles douanières de Madagascar. On ne s’étonne pas que ces lois protectionnistes furent portées par un président du Conseil ardent défenseur de l’agriculture métropolitaine, mais aussi député des Vosges, région réputée pour son active industrie textile (Mager, 1897), avide de débouchés coloniaux, qui produisait alors près de la moitié des exportations textiles françaises (Marseille, 2005) ! Le gouvernement Méline parvint donc avec succès à faire de Madagascar un marché protégé, procurant d’importants avantages aux exportations des industries métropolitaines, en premier lieu textiles. Comme le redoutaient les libéraux, le choix du gouvernement favorisait les exportations de marchandises vers la colonie tout en maintenant une forte taxation sur les articles malgaches exportés vers la métropole, suivant la politique protectionniste en vigueur en métropole. En effet, certains produits comme le sucre ou les produits dérivés de la production bovine pouvaient entrer en concurrence avec la production métropolitaine ou d’autres colonies. 
Cette situation, dans laquelle la nouvelle colonie ne représentait qu’un débouché pour la métropole, suscita rapidement l’amertume de la nouvelle oligarchie coloniale de la Grande Île, composée essentiellement de concessionnaires désirant exporter des produits tropicaux en métropole. Les investisseurs qui avaient milité pour l’annexion de la Grande Île voyaient leurs productions durement taxées à l’entrée en métropole. Les importateurs métropolitains de produits coloniaux, en particulier marseillais, s’opposèrent également à ces règlements, défavorables à leurs investissements coloniaux et à l’importation à faible coût des produits tropicaux dont ils avaient besoin (Koerner, 1994 ; Lambert, 2000). À Madagascar même, l’application du régime douanier métropolitain de 1892 était considérée comme injuste. Elle était dénoncée péjorativement dans les journaux comme un « semi pacte colonial » qui ne profitait aucunement à la production malgache. En effet, les taxes sur les produits des colonies françaises ne jouissaient que d’un abattement de 50% par rapport aux denrées tropicales des colonies étrangères, ce qui était insuffisant pour rendre compétitives les exportations malgaches. (source)

Prenez la Guadeloupe, que M.C. Touchelay appelle une "île-entreprise".


Les renseignements les plus précis sont fournis par un missionnaire dominicain : le Père Labat. Le système, qui porte son nom, repose sur une division du travail entre la culture de la canne et sa transformation. Un géreur dirige l’habitation, secondé par un économe. Ce dernier surveillant les travaux des ateliers, a sous ses ordres un commandeur. Ainsi, la dilution de l’autorité dans une chaîne hiérarchique place chacun sous les ordres d’un supérieur, ce qui contribue à dissoudre la responsabilité personnelle du maître placé au sommet. Les 100 à 200 esclaves d’une habitation sont répartis selon leurs activités : les tâches domestiques de l’entretien de la maison du maître et l’encadrement sont assurées par une dizaine d’entre eux. Les autres, le plus grand nombre, travaillent dans les champs de canne, ou dans les moulins de fabrication du sucre brut. L’habitation, qui est une institution totale dans un espace enclavé, fonctionne en autarcie, et « structure l’espace bien au-delà des plantations de canne à sucre ». Elle ébauche le premier aménagement du territoire. Les seules voies de communications développées la relient aux ports d’embarquement de ses productions vers la métropole.
Ces prémices de l’île entreprise entraînent le développement d’aménagements en France. La canne arrive dans les ports, sous forme de moscouade, non consommable. Sa transformation s’effectue dans des raffineries reliées par voies fluviales. De Nantes, par exemple, elle est transportée sur la Loire jusqu’à Orléans d'où le sucre raffiné est expédié dans la moitié nord de la France. La première raffinerie d’Orléans est construite en 1653, vraisemblablement par une famille hollandaise. En 1698, la ville compte trois raffineries, puis trente-deux à la fin du XVIIIe siècle. Le goût pour le sucre s’accroît en Europe, rendant précieuse la possession d’un territoire producteur dans la Caraïbe. Le statut d’île à sucre est confirmé.
D’après les chroniqueurs de l'époque, à la fin du XVIIe siècle, la terre cultivée en Guadeloupe rapporte : « environ cinq fois plus qu'une terre cultivée en Europe». Encouragés par ce profit, les propriétaires en Guadeloupe proposent de raffiner le sucre sur place plutôt que de l’envoyer en France. Ils se heurtent immédiatement à la double opposition de la puissance publique et du commerce. La première répond dès 1680 : en augmentant les taxes sur les sucres raffinés produits aux colonies, les rendant plus chers que ceux qui sont raffinés en France. Et le second se plaint et finit par gagner : les habitants de l'île obtiennent le droit de pouvoir raffiner sur place, c'est-à-dire de pouvoir fabriquer un produit susceptible d'être vendu directement aux consommateurs, donc l’égalité de leur produit avec celui de la métropole en 1684, mais pour peu de temps. « La marine marchande ne tarde pas à se plaindre de la diminution du fret […] En moins d'un an plus de cinquante vaisseaux qui faisaient le commerce des îles restèrent dans l'inaction […] Il fut défendu d'établir dans les Colonies de nouvelles raffineries.
Ainsi, « les Colonies n'ont été fondées que pour l'utilité de la Métropole », et la culture de la canne n’est que le premier échelon d’une chaîne de profit qui leur échappe. La puissance publique affirme son emprise sur la marchandise. Par exemple, l'article 18 du Code noir de 1685 défend aux esclaves de vendre des cannes à sucre, « pour quelque cause, et occasion que ce soit, même avec la permission de leurs maîtres ; à peine du fouet contre les esclaves, de 10 livres tournois contre le maître qui l’aura permis, et de pareille amende contre l’acheteur».
La canne à sucre, à l’origine de l’île entreprise, est davantage qu’une simple culture. Elle peuple un espace, elle structure et organise un système social et maintient un territoire dans la dépendance de la métropole. Le XVIIIe siècle se termine par deux événements qui bouleversent le mode de vie des habitations sucrières : la révolte des esclaves de Saint-Domingue et la Révolution française. Le premier « hante longtemps les caraïbes et les sociétés esclavagistes américaines. Elle explique, en grande partie, la fidélité des colonies antillaises à leur métropole qui, seule, dispose des forces capables de contenir les insurrections serviles ». Le second, la Révolution française, les concerne directement et beaucoup de familles de propriétaires fuient dans les îles voisines. L’esclavage est aboli une première fois : « face à la situation de guerre civile et à la tentative de l’Espagne et de la Grande-Bretagne d’en profiter pour prendre l’île aux français, les deux commissaires envoyés sur place […] décident, sans en référer à Paris et parce qu’ils avaient besoin de rallier les Noirs pour combattre, de proclamer l’abolition de l’esclavage le 29 août 1793 ; la Convention étend la mesure le 4 février 1794 en Guadeloupe, pas en Martinique livrée aux britanniques par les colons le 22 mars 1794 ». 
Par un arrêté consulaire du 16 juillet 1802, le futur Napoléon 1er rétablit « l'ancien ordre colonial » dont l'esclavage, qui n’est pas cité, fait partie. Certains propriétaires reviennent d’exil. Le maître, de retour, retrouve ses esclaves dans le cadre des habitations, et pour plus de quarante ans. (source)




Plus généralement, des auteurs évoquent une rencontre coloniale, au sein de laquelle le missionnaire figure en bonne place…
Une rencontre, en effet, en ce sens qu’elle met quotidiennement en contact des individus ou des groupes (missionnaires, indigènes, planteurs, colons citadins) qui, quoi qu’il en soit par ailleurs de la violence du système dans lequel ils s’inscrivent (de gré ou de force), possèdent leur propre autonomie et déploient leurs propres stratégies. En grossissant l’espace et le temps de la rencontre, en analysant à la loupe les processus complexes d’échanges, d’hybridation, d’aliénation, de résistance, de réappropriation culturelle et de redéfinition identitaire, les deux auteurs contribuent à l’étude de la dimension idéologique de la colonisation – qui est aussi une guerre d’images et de représentations. Ce faisant, ils invitent à reposer certaines questions, telle celle de l’implication des missions dans le fait colonial (collaboration ou opposition ?), ou encore celle de l’articulation entre métissage et ségrégation (s’agit-il de réalités vraiment incompatibles ?).
Dans chaque mission, projection en terre païenne d’un modèle céleste, la régularité des lignes est le garde-fou contre l’aléatoire, le relâchement moral, la confusion des sexes, l’absentéisme, l’insouciance de l’avenir. Car le projet missionnaire, nous rappelle D. Péclard, est de façonner un nouveau type d’homme, un sujet qui ne gagne son autonomie morale qu’au rythme de son assujettissement. Ce sont ces processus noués que démêle l’auteur, inscrivant aussi les missions dans un contexte plus global, qu’elles subissent et accompagnent d’un même mouvement. Ainsi de l’évolution du paysage physique, de la recomposition du paysage ethnique à laquelle prennent part les missionnaires par la transformation en profondeur des identités locales. Ainsi également de la déstructuration et de la prolétarisation progressive des sociétés africaines, que les missions entretiennent tout en continuant de plaider en faveur d’un autre modèle de société.
Bien sûr, D. Péclard montre aussi que la mise en ordre du monde de la mission ne se résume pas à la seule imposition de modèles spatiaux. Elle affecte également toutes les pratiques configurées par le « cadre de vie » ainsi redéfini (l’hygiène, l’alimentation, le vêtement, la sexualité…), pratiques qui sont d’autant plus concernées qu’elles sont le siège de tous les désordres. C’est justement à ce niveau de réalité que Romain Bertrand mène son exploration du fait colonial, interrogeant les relations entre colons et colonisés dans cette banale quotidienneté faite d’hybridations plus ou moins ourdies, tues ou assumées. Bien sûr, à l’arrière-plan de la mission d’Angola se profile une autre réalité, celle de la plantation, peuplée de ces « petits Blancs » portugais génialement décrits par António Lobo Antunes dans son dernier roman, récit de la lente dégradation économique et morale des colons d’Angola et de leurs mesquins adultères.
C’est également par la culture matérielle que s’exprime, à partir du début du xxe siècle, la réaction nationaliste des Européens d’Insulinde qui, de plus en plus, se veulent loyaux envers la métropole, stigmatisent les métissages, ré-occidentalisent leurs pratiques. Il s’ensuit une codification plus stricte de l’apparence physique et du geste, codification qui devient l’un des premiers enjeux de la lutte anticoloniale. Cette rétraction identitaire des Européens des Indes (phénomène dont R. Bertrand étudie les causes : importance croissante de la bourgeoisie citadine, rôle des femmes européennes…), ne fut pas sans conséquence sur la culture sexuelle coloniale, le sexe devenant le point de focalisation d’une société qui « tente de renier l’hybridité qui la constitue ». Pour autant, ce reniement s’inscrit moins dans l’ordre du concret que dans celui du discours, qui prétend confiner chaque groupe ethnique dans le respect de sa propre authenticité. Une authenticité bien sûr illusoire, mais qu’importe ? Même à l’intérieur d’un espace social hybride, les identités négocient leur place respective par l’invention de styles de vie s’affichant comme antagonistes. Romain Bertrand en donne un exemple lumineux qu’il emprunte aux livres de recettes.
En définitive, si la situation coloniale peut être considérée comme un système de domination et de prédation mis en place par une société aux dépens d’une autre, elle peut aussi être perçue comme répondant à un projet d’ordonnancement qui, parce qu’il prétend s’imposer jusqu’au niveau le plus quotidien, est toujours en butte aux désirs, à la rétivité et aux stratégies des individus. À cette échelle, l’exemple de la colonie du Cap, à mi-chemin entre l’Europe et l’Insulinde, peut aussi fournir matière à réflexion.
Quelques années à peine après l’établissement de la station du Cap, un aumônier se lamente sur l’impossibilité de faire œuvre missionnaire parmi les Khoikhoi (connus sous le nom de « Hottentots ») : « Cela n’a pas marché, écrit-il, parce qu’ils sont tellement habitués à courir dans la nature qu’ils ne peuvent pas vivre sous notre sujétion.
Cité par R. Elphick, in Kraal and Castle. Khoikhoi and the… ». Ce simple constat exprime le rapport qu’entretient l’assujettissement colonial avec l’imposition d’un modèle spatial. En soi, l’institution chrétienne, à la différence de l’islam, est réfractaire au nomadisme : la communauté des croyants est d’abord une communauté géographiquement localisée et circonscrite, organisée dans un espace dont le centre est le lieu de culte. Chez les Khoikhoi, l’inexistence supposée de tels lieux de culte, l’absence de villages fixes ou de « maisons » dignes de ce nom, le non-respect des limites imposées par les Européens autour de leurs champs, l’ignorance enfin de l’agriculture, apparaissent comme autant de signes d’un rapport manquant au sol. 
À l’inverse de maintes civilisations orientales (et notamment de la civilisation javanaise), ils stationnent au-delà de l’horizon du colonisable, c’est-à-dire du civilisable : à proprement parler, ils n’ont rien fondé. Posant, quelques années plus tard, les fondations du fort du Cap, le gouverneur Wagenaer dit quant à lui sa fierté de « poser une pierre d’angle à la dernière extrémité de la terre », comme une borne marquant la nouvelle extension du domaine de la civilisation. Suivront d’autres marques semblables : barrières, rues alignées, canaux, constructions géométriques, qui donnent corps au désir de discipliner le paysage, de le plier à des régularités qui sont à l’espace physique ce que les lois sont au registre moral, des négations de la sauvagerie. (source)
Au "bon vieux temps des colonies", les colonisés n'étaient pas censés faire partie du monde civilisé, raison pour laquelle de bonnes âmes se sont appliquées à rendre les sauvages un peu plus présentables, en les christianisant et en les affublant de soutanes de catéchistes ou de bonnes soeurs, ce qui n'a nullement empêché la ségrégation sous toutes ses formes, et ce, partout où il y eut des colons.




Il faut croire que cette idéologie de la marginalisation des "sauvages", entraînant leur élimination du paysage "civilisé", ou alors, leur "intégration" moyennant une défiguration préalable - voyez les images ci-dessus -, traîne dans la tête de certains, qui pensent, par exemple, que sur la chaîne de télévision France Ô, il n'y a pas assez de Blancs, ou encore qu'on y entend trop de créole et autres patois incompréhensibles (voyez un peu ces extrémistes de Kassav et autres adeptes du zouc, qui ont banni la langue française de leur répertoire ; "quel scandale !", doivent penser certains.), ou encore que les paysages ensoleillés des Antilles ou de la Guyane, les plages polynésiennes, les éruptions du Piton de la Fournaise, les lagons calédoniens... ne sont pas assez télégéniques ! Quand je vous dis "qu'ils sont devenus fous !".








Pas assez télégéniques !




(1) "Planter du Blanc". La lettre de P. Messmer se situe dans la droite ligne d'une pensée coloniale qui envisage le génocide de la population originaire en toute bonhomie. Certes, malgré la répression, la spoliation des terres, la mise en réserve, les maladies, les Canaques n'ont pas disparu. En 1989, ils sont 74 000 et constituent 44,8% de la population (17% de la population est formée des familles de travailleurs importés des pays voisins). Ils disposent de 13.5% des terres alors que les européens en disposent de 24,6%. Le but n'est plus leur éradication mais de maintenir leur sujétion politique. Dans ce contexte, J.M. Kohler peut écrire: « Le recours au suffrage universel permet de conserver et de justifier le statu quo colonial en des termes idéologiques et institutionnels qui paraissent irréfutables en régime démocratique. » (Lien) (Lien)


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