vendredi 23 août 2019

Sémantique de la désinformation #13


Épisode §13. Mirage paradigmatique

Tout le monde sait ce qu'est un mirage ?  Il s'agit généralement d'un phénomène optique généré par des conditions particulières de topographie et de luminosité.

Quant à la notion de paradigme, en linguistique, elle se définit comme l'ensemble des unités d'un certain type apparaissant dans un même contexte et qui sont de ce fait dans un rapport d'opposition (1), de substituabilité (Source). C'est ainsi qu'on peut considérer qu'une phrase simple est constituée d'une séquence paradigmatique (suite de paradigmes) formée à partir d'un déterminant (article, adjectif possessif ou démonstratif...), d'un substantif précédé ou non d'un adjectif, d'un verbe suivi ou non d'un complément (d'objet, circonstanciel, etc.).

Prenons quelques phrases simples :
- le chien aboie
- l'avion se pose sur la piste
- le chat de ma voisine miaule toute la journée

La première phrase se présente sous la forme la plus simple, faite de trois termes appartenant respectivement à trois paradigmes : déterminant, substantif, verbe.

Dans la catégorie/le paradigme des déterminants, je peux fort bien substituer un élément par un autre, ex. article indéfini, adjectif possessif ou démonstratif, ce qui nous donnerait par exemple :
- un chien aboie
- mon chien aboie
- ce chien aboie 

Dans la catégorie des verbes, je peux substituer 'aboyer' par un autre 'verbe' (et uniquement un verbe !), ex. 'grogner' et l'on voit que ma phrase simple est faite d'éléments appartenant à trois catégories distinctes et non interchangeables, tandis qu'à l'intérieur d'une même catégorie, les éléments constitutifs sont, eux, parfaitement interchangeables.
- le chien grogne
- un chien grogne
- mon chien grogne, etc.

Ce qui précède vaut pour la syntaxe. Mais on peut faire la même démonstration avec la sémantique, en considérant, par exemple, les synonymes et les antonymes. Autant on peut échanger des synonymes, autant les antonymes s'excluent mutuellement.

Ainsi, une même couleur est claire ou sombre (antonymie) ; pas les deux ; de même qu'un bruit est atténué ou strident, pas les deux. Ainsi, on peut dire d'un cheval qu'il est rapide ou véloce (synonymie), mais il ne saurait être noir et alezan, de même qu'un boxeur ne saurait être grand et petit. En clair, les paradigmes tenant à la couleur (la robe) d'un cheval ou à la taille d'un personnage sont exclusifs les uns des autres.

Je rassure tout le monde : la suite va être beaucoup plus courte. Compte tenu de ce qui précède, tout le monde comprend le sens d'un énoncé du type : 

- Démêler le vrai du faux !

En clair, le verbe "démêler" signifie, au sens propre comme au sens figuré, séparer des éléments au départ "emmêlés", dont nous savons pertinemment qu'ils ne sont pas identiques (= appartiennent à des paradigmes distincts), ici ce qui est vrai, par opposition à ce qui est faux.

Cela étant posé, essayez maintenant de comprendre la signification du slogan qui suit, apparu dans le nouvel habillage de la chaîne publique d'information France Info :

Source

 À votre avis, dans le spot publicitaire ci-dessus, "vrai" et "info" sont des synonymes ou des antonymes, autrement dit, ils appartiennent à un même paradigme ou à des paradigmes distincts ?

Si l'on reprend la formule "démêler le vrai du faux", force est d'admettre qu'éblouis par je ne sais quel mirage ou quelle illusion d'optique, les communiquants de France Info ont estimé que vrai et info étaient des antonymes.

C.Q.F.D. (Ce qu'il fallait démontrer !)

Entre nous, vous n'êtes pas mort(e)s de rire ?



(1) C'est ici que je préciserais "d'opposition ou de substituabilité", selon la catégorie (le paradigme) concerné : si les termes entrent dans un même paradigme (et ici, il est surtout question de sémantique), ils sont substituables, dans le cas contraire, ils sont (potentiellement) en opposition. Et pourquoi précisé-je qu'il est surtout question de sémantique ? Parce que si, d'un point de vue syntaxique, on peut considérer que la couleur d'un objet entre dans le paradigme "couleur", on peut naturellement dire : une rose blanche ou une rose rouge (syntaxe/substitution), le sens profond des mots nous dit que la rose est soit blanche, soit rouge (sémantique/opposition), pas les deux !