vendredi 31 juillet 2020

Sémantique de la désinformation #29


Épisode §29. Brigitte Bardot, entre lubies, idées fixes et delirium tremens

Dois-je rappeler à ceux et celles qui vont lire ces lignes que leur auteur n'est pas musulman, juste fils de pasteur (protestant calviniste) ? 

Le français étant une langue fort subtile, dont les sous-entendus semblent échapper, y compris à une blonde nommée Brigitte B., il me semble utile d'expliquer à cette personne, ainsi qu'à ses zélateurs et affidés quelques éléments obscurs qui leur ont apparemment échappé.

I. Message du 29 juillet, de la Fondation Brigitte Bardot 
... "Aïd et-Kébir : comme chaque année, la Fondation B.B., mobilisée pour intervenir sur des sites clandestins d'abattage et sauver les animaux du sacrifice...".

Vous allez vous demander, comme moi, pourquoi la Fondation Brigitte Bardot ne se mobilise contre les abattages rituels que 1. Lorsqu'ils sont pratiqués par des musulmans ? 2. À l'occasion de l'Aïd el-Kébir ? 3. Sur des sites présumés d'abattage clandestin ? 

1. Le message ci-dessus concerne bien des pratiques imputables aux (seuls) musulmans, en tout cas, les seuls à être évoqués dans le message.

Question : Brigitte Bardot est-elle convaincue que les pratiques en question n'existent que dans l'Islam ? Par extension, d'où Brigitte Bardot (qui signe tous les messages de sa fondation) tire-t-elle l'information selon laquelle l'Islam serait la seule religion à pratiquer de l'abattage du type sacrificiel ?

2. La mobilisation en question n'intervient qu'une fois l'an ("comme chaque année"), soit à l'occasion de la fête de l'Aïd el-Kébir.

Question : Brigitte Bardot est-elle convaincue que les sacrifices en question n'interviennent qu'à l'occasion de l'Aïd el-Kébir ? Dans le cas contraire, comment expliquer que sa fondation n'intervienne pas le reste de l'année ? Voudrait-on nous faire croire que les musulmans ne mangent des animaux sacrifiés qu'à l'occasion de l'Aïd ?

3. intervenir sur des sites clandestins d'abattage et sauver les animaux du sacrifice...". 
Question : faut-il déduire de ce qui précède que la Fondation Bardot n'entend s'en prendre qu'aux sites clandestins d'abattage ? 


II. Nous en étions de ces cogitations lorsque nous sommes tombés sur les deux messages suivants.

Sur Twitter : "Elle nous annonce officiellement la date de l'Aïd ; bonne fête à nous ; merci à toi Bardot ; chaque année, ta pensée nous touche."


Le "tweet" ci-dessus évoquait clairement un  message de la Fondation Bardot, annonçant aux musulmans la date officielle de l'Aïd.

Il fallait, donc, mettre la main sur le message en question. Où l'on constate que, bien plus qu'un message de la Fondation, le texte émane de Bardot en personne. Nous l'avons annoté et "tagué" de numéros.

Observations : 
 
1. Où il est question de l'"immonde fête religieuse musulmane de l'Aïd el-Kébir"... Voilà qui répond à l'une des questions soulevées plus haut, et concernant les "sites clandestins d'abattage", ainsi que la suite le précise...

2. "sacrifiera rituellement, sauvagement, cruellement...". Dans ces conditions, pourquoi Bardot donne-t-elle l'impression de ne s'insurger que contre les sites d'abattage sauvage ou sites sauvages d'abattage ? D'autant plus que...

3. "Centaines de milliers de moutons...". On imagine mal des centaines de milliers de moutons (et pourquoi seulement des moutons ?) sacrifiés sur des sites clandestins, le tout à l'insu des autorités ! Car cela suggérerait que la Fondation Bardot aurait des informations sur la localisation de milliers de sites clandestins qui auraient échappé aux maires et préfets locaux ! Force est d'en déduire que les centaines de milliers de moutons en question passent par des sites officiels, voire des abattoirs dûment répertoriés.

Mais alors, s'interroge-t-on, pourquoi arraisonner des animaux sur des sites présumés clandestins, et ne pas le faire partout, dès lors que l'indignation de Bardot semble porter sur l'ensemble des abattages liés à la fête de l'Aïd ?

Une chose ne manque tout de même pas d'intriguer : pourquoi diable ces sacrifices "rituels, sauvages et cruels", se limiteraient-ils à la fête "immonde" de l'Aïd el-Kébir ? Bardot voudrait-elle suggérer par-là qu'elle ignore que les musulmans (et eux seuls ?!) ne mangent pas de viande sacrifiée rituellement uniquement durant la fête de l'Aïd ? Dans le cas, contraire - elle sait pertinemment que l'abattage rituel a lieu toute l'année -; dans ces conditions, pourquoi diable ne s'en prend-elle qu'à la (seule) fête de l'Aïd ? Les animaux sacrifiés à l'occasion de cette fête seraient-ils plus dignes d'intérêt que ceux sacrifiés durant les 364 jours de l'année restants ?

La question principale reste donc celle-ci : pourquoi se réveiller uniquement à la veille de l'Aïd, ainsi que le suggérait le tweet déjà mentionné plus haut ?
4. "Si les musulmans en France...". Tout le monde a compris que le problème de Bardot ne concernait que les catégories suivantes ?

a. les moutons (aucun autre animal n'étant évoqué) abattus dans le cadre de l'Aïd-el-Kébir ?

b. autant dire des animaux sacrifiés lors d'une fête musulmane, et seulement à cette occasion ?

c. Une fête musulmane se déroulant en France, et seulement celle-la ?

En effet, la formule "si les musulmans en France" ne suggère-t-elle pas que :

c1. Bardot considère que l'Islam n'est pas une religion universelle mais une coutume rituelle liée à un environnement géographique, en clair, à un terroir et, par ailleurs, que les musulmans de France sont nécessairement des étrangers ?

c2. Bardot se contrefiche de ce que font les musulmans hors de France ?

c3. Bardot a fait une croix sur le sort des animaux à travers le monde, à commencer par les bébés phoques, qui furent son premier centre d'intérêt à la fin de sa carrière cinématographique ?

Cogitations :

a. Comment ignorer la nuance entre "les musulmans en France" et "les musulmans de France" ? Brigitte Bardot n'est visiblement pas assez férue de sémantique et de syntaxe pour espérer tromper quiconque en la matière, hormis les éternels gogos prompts à s'extasier sur les innombrables inepties qu'elle pond régulièrement !

"Musulmans en France" suggère fortement que l'ensemble des musulmans en question n'appartiennent pas à la communauté française, ainsi que la suite va nous le démontrer, Bardot mélangeant allègrement, pour les fondre dans le même moule, tant les citoyens français que les ressortissants étrangers, pourvu que tous soient de confession musulmane.

Et à cela, on nous rétorquera peut-être, du côté de la Fondation Bardot, que ce n'est pas du tout ce que la présidente de la fondation a voulu insinuer ; toujours est-il que notre interprétation est bien la seule envisageable. Et tant pis si Madame Bardot ne maîtrise que fort imparfaitement la sémantique et la syntaxe du français !

b. "Musulmans en France" suggère fortement que le sort des moutons de l'Aïd, hors de France, est le cadet des soucis de Mme Bardot. En clair, son message serait le suivant : "Sacrifiez rituellement des moutons à l'occasion de l'Aïd, si vous voulez, mais pas en France !".

Et, du coup, on s'interroge : s'agit-il bien de la personne qui a fait ses premières armes en qualité de défenderesse de la cause animale loin de France, et plus précisément, dans le grand nord ?

c. En effet, y a-t-il un seul admirateur, une seule admiratrice de Bardot, qui ignorent que ses premiers combats pour les animaux la menèrent loin de France, près de la banquise arctique, aux fins de défendre les bébés phoques contre les piques des collecteurs de fourrure ?

Memento :




Les aficionados de Bardot ne sauraient avoir oublié qu'à la fin de sa carrière cinématographique, c'est non loin du Pôle Nord, soit bien loin des côtes françaises, qu'elle entama sa lutte pour la sauvegarde des animaux.

Illustration :
Ce qui précède vous montre que la sauvegarde des bébés phoques, ce n'est pas en France qu'elle se passe !

Autant dire que la défense des moutons "en France" signifie amplement que Bardot a tourné la page des bébés phoques, comme elle se fiche comme d'une guigne des moutons, veaux, vaches, chèvres... égorgés en-dehors de l'Aïd voire ailleurs qu'en France (cf. 5b. : "nos moutons" !)

Et, pour enfoncer le clou :

5a. La France n'est pas une banlieue de Bab el-Oued ! 

Ça, on l'avait compris, à savoir que le propos de Bardot était tout bêtement : xénophobe ! Par parenthèse, Bab el-Oued, c'est l'Algérie, à laquelle notre vieille ex-actrice renvoie l'ensemble des musulmans DE France, contre lesquels il s'agit de protéger "NOS" moutons...

By the way, comme elle n'est pas complètement idiote, Bardot sait pertinemment que l'immense majorité des animaux abattus rituellement en France, dans le cadre musulman, le sont dans des abattoirs régulièrement répertoriés, ce qui donne lieu à la livraison aux consommateurs musulmans d'animaux abattus dans les règles. Autant dire que les sites d'abattage clandestins cités par Bardot relèvent plutôt de ses fantasmes. Et, par parenthèse, rien ne prouve que les moutons exhibés par la Fondation B.B. comme ayant été saisis sur des sites clandestins ne relèvent pas de la fake news !
 



Mais ce n'est pas tout...


III. Savez-vous ce qu'en rhétorique, on appelle une ellipse ?  Voyons ce qu'en dit ce bon Wikipédia :

Bernard Dupriez dans son Gradus définit l'ellipse comme une figure de construction qui consiste « à supprimer des mots qui seraient nécessaires à la plénitude de la construction, mais que ceux qui sont exprimés font assez entendre pour qu’il ne reste ni obscurité ni incertitude ».

"Mais que ceux qui sont exprimés font assez entendre pour qu'il ne reste ni obscurité ni incertitude...".

Et en quoi Bardot joue-t-elle allègrement de l'ellipse ici ?

Vous n'avez pas tout compris ? Reprenons la logorrhée antimusulmane de l'ancienne actrice : "Immonde fête religieuse musulmane de l'Aïd el-Kébir... sacrifier rituellement, sauvagement, cruellement...". 

Antimusulmane, la logorrhée de Bardot ? Pas seulement, et à cela, il y a de bonnes raisons. Par parenthèse, en quoi l'Aïd est-il une fête immonde ? Visiblement, parce que les animaux (moutons) sont sacrifiés rituellement, sauvagement, cruellement...

Et il consiste en quoi le sacrifice rituel, sauvage, cruel ? En un égorgement sans étourdissement préalable ; en clair, du même type que celui pratiqué par les... JUIFS !

Vous avez compris où était l'ellipse évoquée plus haut, consistant à dire, sans dire, tout en disant ?

Maintenant, faites le petit travail intellectuel consistant à remplacer "musulman" par "juif" et réécrivez le texte de Brigitte Bardot figurant plus haut. 

Laquelle Bardot aurait fort bien pu écrire - elle ne l'a pas fait, mais peut-être l'a-t-elle pensé ! - : "La France n'est pas la banlieue de Tel Aviv !", ou encore : "Cette immonde fête religieuse juive qui (...) sacrifie rituellement, sauvagement, cruellement...".

Vous savez quoi ? Je m'étonne que les dignitaires du judaïsme n'aient pas protesté énergiquement contre les propos outranciers de Bardot, persuadés qu'ils ne visaient que les seuls musulmans ! Les naïfs ! 


On résume ?

1. "Sacrifiera rituellement, sauvagement, cruellement...". Il serait tout de même temps que cette pauvre Brigitte Bardot réalise que traiter le rite sacrificiel musulman d'immonde revient à appliquer le même anathème à son pendant juif : le rite casher ! Autant dire que les insultes de Bardot aux musulmans ricochent sur eux pour se diriger plein pot sur les juifs !

2. Les images de quelques moutons prétendument sauvés de l'abattoir relèvent de la fake news, dans la mesure où ces animaux ont des propriétaires qu'il s'agirait de dédommager. De fait, les choses sont claires : si la Fondation Bardot était à ce point soucieuse du sort des animaux de l'Aïd (et pourquoi seulement ceux-là ?), il suffirait à notre richissime ex-actrice de les racheter (et pour les stocker où ?). Toute autre procédure relèverait de la fumisterie.

3. Signe des temps ? On croyait Brigitte Bardot soucieuse du sort des animaux en général. En fait, seul le sort de "nos moutons" semble encore l'émouvoir. Pas de chance pour les ours blancs, dont on annonce l'éminente disparition pour cause de fonte de la banquise arctique.

4. S'agissant de la France, "pas une banlieue de Bab El-Oued", il serait temps que Bardot réalise que les (grandes) religions ne sont attachées à aucun pays en particulier, leurs adeptes se recrutant dans le monde entier. Bardot devrait savoir que les sources du Christianisme et de l'Islam se situent en Asie Mineure, soit à quelques centaines de kilomètres l'une de l'autre. Autrement dit, le Christianisme n'est pas plus européen que l'Islam !

By the way, soit dit en passant, on trouve de tout sur l'Internet, par exemple ceci : (lien)