lundi 4 avril 2022

Massacre de Bucha (Ukraine). Ou quand les boute-feux occidentaux feraient bien de réfléchir un peu...

(Révision en cours)

 

Il m'a fallu un peu de temps pour traduire ce gros "papier" de 2220 mots, 14800 signes, qui devrait faire réfléchir tous nos guignols de l'ex-presse-mainstream, qui n'en finit pas de se noyer jour après jour, face à cette machine à dé-désinformer qu'est devenu l'Internet 2.0.

Le fait est qu'une analyse fine des images en provenance de Bucha, cette localité ukrainienne près de Kiev, aurait dû susciter au minimum un peu de circonspection de la part des observateurs les plus lucides. Manque de pot, toute la cohorte de ceux que j'appelle des "éjaculateurs précoces" y est allée de ses accusations infondées contre la Russie.

Sauf que là, la ficelle était un peu (trop) grosse !

Par parenthèse, avant de vous présenter ma traduction du papier de Dagmar Henn, voici des images de Butcha/Bucha, en Ukraine, inspectée par une unité de la police locale au 2 avril 2022 ! (Source : Police Ukrainienne)

Voici une traduction du texte figurant au-dessous de la première image :

Aujourd'hui, le 2 avril, dans la ville libérée de Bucha, Oblast de Kiev, des sections spéciales de la police nationale de l'Ukraine ont entamé l'élimination du territoire de tous les saboteurs et complices des troupes russes. Les spécialistes du service des explosifs répertorient les crimes de guerre de la Fédération de Russie et s'assurent de la suppression d'engins explosifs et de munitions non désactivées.

 Quelques mots sur Bucha, par Dagmar Henn (source)

L'Occident est déjà unanime dans l'appréciation des images provenant de Bucha. Mais les choses sont-elles vraiment si évidentes ? Surtout dans une guerre, il est difficile de découvrir la vérité. L'indignation spontanée est souvent trompeuse. Les photos des morts ne sont pas, à elles seules, la preuve d'un crime ni une indication de ses auteurs.

D'un coup, la guerre en Ukraine fait à nouveau la une des journaux et la classe politique en fait trop avec de nouvelles demandes de sanctions. "Les images de Bucha sont insupportables" a, par exemple, déclaré la ministre des Affaires étrangères Baerbock, qui a immédiatement appelé à de nouvelles sanctions contre la Russie. Les images de cette localité, près de Kiev, ont été immédiatement "cataloguées" - il ne peut s'agir que d'un massacre russe de civils ukrainiens innocents, un crime de guerre odieux.

Désormais, la couverture de toutes les guerres en Occident, depuis le Vietnam, est devenue plus sourde. Parce que la visibilité de la misère à l’époque a déclenché une forte aversion pour cette guerre dans le monde entier, ce qui fait que les images des zones de guerre ne sont administrées qu'à doses homéopathiques. Cela nie déjà le premier fait fondamental : la guerre est une entreprise collective de groupes humains, dont le premier résultat est de transformer d'autres vivants en morts. C'est un fait technique. La seule chose dont les guerres ne manquent jamais, ce sont les cadavres.

Le deuxième point que l'on oublie facilement est le fait que si les Conventions de Genève sont le critère juridique par lequel les crimes de guerre sont mesurés, depuis leur établissement, peu après la Seconde Guerre mondiale, il ne devrait pas y avoir eu une seule guerre dès lors que les deux parties (belligérantes) – voire une seule - y ont immédiatement adhéré. Les soldats sont aussi des humains ; ils commettent des erreurs, ils ont peur et ils réagissent mal. Les artilleurs peuvent mal calculer et manquer la cible réelle. Après tout, la guerre est une condition qui n'est pas destinée à la psyché humaine. L'interdiction normalement forte de tuer doit être brisée pour pouvoir même mener une guerre, et il est néanmoins difficile de la réglementer. Il est dans la nature des choses que ce ne soit pas toujours possible.

Ainsi, même dans les images de décès de civils, il n'y a en fait rien qui doive surprendre. À la guerre comme à la guerre. Savoir si l'indignation est justifiée et s'il y a une culpabilité particulière - et si oui, à qui la faute - demande à y regarder de plus près et, si possible, avec la tête froide plutôt qu'avec une excitation spontanée. (Bien sûr, les reportages homéopathiques ont aussi pour effet que les quelques photos qui sont montrées sont particulièrement choquantes ; mais j'avoue avoir vu tellement de telles photos du seul Donbass au cours des années, depuis 2014, que la simple vue des morts ne déclenche plus un choc spontané en moi).

Annalena Baerbock semble affirmer qu'il s'agit d'un crime de guerre commis par l'armée russe. Ceci serait prouvé uniquement par lesdites photos du village de Butscha. Maintenant, au mieux, les enregistrements montrent simplement des morts ; il y a un extrait vidéo dans lequel l'un des corps montrés précédemment apparaît dans le rétroviseur du véhicule en train de se rasseoir ; il n'est donc même pas certain que toutes les personnes représentées soient réellement mortes. Mais même si - alors des questions subsistaient : qui les a tuées, quand et pourquoi ? Et ce n'est que la dernière des questions "pourquoi", qui voit la notion même de crime de guerre entrer en jeu.

Soit dit en passant, cette affaire diffère très clairement de la vidéo récemment apparue sur les mauvais traitements infligés aux prisonniers de guerre russes par les Ukrainiens : dans cette dernière, on reconnaît clairement qui étaient les auteurs, et qui plus est, l'enregistrement lui-même est finalement le leur. Mais, là aussi, il y a encore du flou : The Intercept a publié une photo montrant plusieurs corps carbonisés au même endroit ; il se peut donc que nous ne parlions pas seulement d'abus ici, nous parlons de meurtre, mais ce n'est pas aussi clair que ladite vidéo d'abus.

Mais il n'y a en aucun cas des enregistrements de Butscha qui clarifient la question de savoir qui y a agi. Les images des rues du village sont apparues dans l'après-midi du 2 avril. L'endroit avait été abandonné par les troupes russes quelques jours plus tôt. Dès le 31 mars, le maire de la ville a filmé une vidéo annonçant que Bucha était de nouveau ukrainien. La commune de Butscha compte moins de 30 000 habitants, on peut supposer que le maire est au courant de tout ce qui s'est passé ce jour-là. Mais il a toujours l'air détendu et joyeux devant la caméra, pas en colère ou indigné.

En tout cas, le 2 avril, la première vidéo montrant les morts montre aussi des soldats ukrainiens avec des brassards bleus. Ces brassards bleus ont souvent été vus sur des images de Marioupol, identifiant les combattants d'Azov.

Si vous prenez cette information, le mort filmé devait être allongé dans la rue depuis trois jours. Malheureusement, il n'y a qu'un seul plan, celui d'un homme dans un conduit d'égout, qui permet d’y regarder de plus près, et une ou deux taches sur les images où l'on peut voir la couleur de la peau. Cette image provient d'un tweet de Dmitry Kuleba, ministre ukrainien des Affaires étrangères, qui l'a publiée dans une série avec d'autres images de la localité et a écrit que les Russes auraient voulu tuer autant d'Ukrainiens que possible.

Au bout de trois jours, les cadavres sont très cireux. La teneur en eau du corps diminue, provoquant l'affaissement des traits du visage. Le sang qui rosit le teint de la peau chez les vivants (oui, même les Noirs deviennent gris) s'est, depuis longtemps, accumulé au point le plus bas du corps et y a formé des stigmates cadavériques. 

Au bout de trois jours les cadavres ont un aspect cireux...

L'homme dans les égouts ne doit pas être allongé là depuis trois jours. Il est trop rose et les bleus sont trop rouges ; (sur un cadavre) l'hémoglobine qui donne la couleur rouge doit s'être au moins partiellement décomposée et avoir viré au brunâtre. Plus irritant encore est le ruban de tissu posé sur le corps car il ressemble (vraisemblablement sans en être forcément une) à une marque de fabrique : le ruban "Georgs", que les opposants à l'Euro-Maidan utilisaient pour afficher leurs sentiments antifascistes, et ces rubans sont aujourd’hui portés par les armées du Donbass ou de Tchétchénie à Marioupol pour s’identifier.

Même s’il ne s’agit pas du même objet, un membre des troupes russes décorerait-il quelqu'un qu'il mettrait dans une bouche d'égout avec quelque chose d'au moins très similaire à son propre symbole ? Bien sûr, vous ne pouvez pas tout exclure, dans une guerre, mais la chose est fort  peu probable. Mais il y a des acteurs sur scène qui utiliseraient une telle bande précisément de cette façon, d'une part parce qu'ils n'auraient peut-être pas accès à l'original et, d'autre part, parce que cela soulignerait le caractère moqueur des acteurs. Ce sont les troupes d'Azov, ces messieurs aux brassards bleus, dont la présence à Bucha est clairement confirmée   par les vidéos. Dans leur code, un tel ruban signalerait un adversaire, un Colorado, ou « coléoptère de la pomme de terre », comme les appelaient les manifestants pro-russes anti-Maidan à cause du ruban rayé orange et noir des bandes Georgs. Bien sûr, à la guerre, tout le monde ment autant qu'il peut, et cela pourrait aussi être des meurtres faussement attribués à Azov, mais la vérité simple nous dit que ces morts n’ont pas pu intervenir trois jours auparavant, de même qu’à ce moment, il n'y avait plus de  troupes russes sur zone.

Mais au fait : trois jours ? Et personne n'a même étalé un drap sur les morts jusque-là ? On n’a même pas essayé de les mettre au moins sur le trottoir ? Cela aussi est particulier. Même dans les zones de Marioupol qui étaient plus ou moins constamment sous le feu, les victimes étaient couvertes dès que possible et, souvent, quand il n'y avait pas d'autre option, enterrées dans un espace vert entre les maisons. Mais le fait qu’ici, personne ne s'en soucie pendant trois jours contredit tout ce que j'ai vu jusqu'à présent. Ce que j'ai vu en Ukraine pendant huit ans. Non seulement les images des combats actuels, mais aussi celles des dernières années du Donbass, montrent que les morts d’un camp ou du camp ennemi sont généralement traités avec respect. Du côté ukrainien, cependant, ce n'est pas si sûr. Il existe d'innombrables rapports selon lesquels ses propres morts n'ont pas été retrouvés, et souvent même pas récupérés lorsqu’ils étaient rapportés par la partie adverse. 

Contrairement aux autres photos de corps, celui-ci a été recouvert : un civil mort dans une forêt près de Bucha (2 avril 2022)

Bien sûr, la raison pourrait être que ces morts ont été victimes d'un bombardement soudain, qui s'est ensuite poursuivi sans relâche, de sorte que personne ne s'est aventuré hors des caves pour même les couvrir. Après le retrait de la partie russe, ces bombardements auraient dû provenir des troupes ukrainiennes. Cependant, les éclats d'obus dans la rue manquent, et les blessures visibles et brutales causées par l'explosion des obus manquent aussi. Personne n'a eu une jambe ou un bras arraché. Les taches de sang sont également maintenues dans des limites modestes.

La prochaine possibilité serait qu'ils aient été victimes de tireurs d'élite. Ce serait plus conforme à ce que l'on peut deviner au niveau des blessures. Ici aussi, il serait plus probable que le feu provienne du côté ukrainien. Quoi qu'il en soit, cela n'a aucun sens de laisser des tireurs isolés derrière quand les troupes (russes) dégagent. Leur tâche est de fournir une couverture militaire aux troupes contre les tireurs d'élite ennemis. Même en supposant qu'ils aient été chargés de terroriser les civils comme ceux d'Azov l'ont fait à Marioupol, ils restent généralement à quelques kilomètres au maximum de la force principale, et non à des dizaines. L'activité constante des tireurs d'élite fournirait également une raison pour laquelle personne ne se serait occupé des morts, mais il s’agirait là d’un crime de guerre ukrainien, pas russe.

La dernière option concerne les troupes aux brassards bleus. Depuis les lieux du Donbass occupés par les troupes ukrainiennes à l'été 2014, on sait que les troupes à vocation idéologique, comme le bataillon Azov, y traquaient carrément toute personne considérée comme pro-russe. Et si cela arrivait aussi à Bucha ? C'est le mort dans les égouts qui met en jeu cette pensée. Et si cela se répétait ? Après tout, les troupes russes étaient dans la région depuis longtemps. D'ailleurs, certains des morts portent des bandages blancs sur les bras ; certaines des troupes russes sont marquées de la même manière, et ces bandes auraient été utilisées pour signaler des gens de leur "propre camp", qui seraient alors, bien sûr, les "autres" pour la partie ukrainienne.

Le journaliste de guerre russe Alexander Koz, qui écrit pour Komsomolskaya Pravda et a suivi la guerre dans le Donbass depuis le début, arrive exactement à cette conclusion. Selon ses propres déclarations, il était également à Bucha, au moins pour une courte période, mais écrit : "Pendant ce mois et demi, les troupes russes n'ont pas pu complètement contrôler cet endroit durant une seule journée. Et la situation n'y était pas favorable pour une communication "continue" avec les habitants. Combats constants, bombardements, affrontements directs." Et il poursuit en écrivant : "En vérité, les troupes russes ont quitté Bucha et se sont regroupées quelques jours avant la découverte des 'victimes de l'occupation'. Les forces armées ukrainiennes ne s'en sont pas aperçues au début et ont couvert la ville d'artillerie pendant trois autres jours, les civils ont peut-être été victimes de ces bombardements. Et lorsqu'ils ont repris leurs esprits, ils ont commencé, comme d'habitude, une «chasse aux sorcières» à la recherche de ceux qu'ils croyaient avoir coopéré avec les forces «d'occupation»." Il note également que la condition des morts ne correspond pas à celle de ceux qui sont morts il y a quelques jours. Et il nomme même une option envisageable pour clarifier objectivement la responsabilité : « Il suffit de mener une enquête qui détermine l'heure de la mort de ces malheureux. Et de comparer cela avec les données objectives de l'OTAN (par lesquelles il entend la surveillance par satellite, etc.), qui déterminent quand les troupes russes se sont retirées. Mais, ajoute-t-il avec scepticisme, c'est ce que vous faites quand vous cherchez la vérité. Et qui en a besoin en Occident ?"

Bien sûr, il y a aussi des appels à une "enquête indépendante" dans les médias locaux. Le problème avec cela, cependant, est que des organisations telles que Human Rights Watch, qui sont tout sauf "indépendantes", sont ainsi labellisées, car dans ce cas, "indépendant" signifierait la mise en place d'une autorité qui serait reconnue par les deux parties belligérantes. Une telle autorité n'existe plus ; ces dernières années, pratiquement toutes les organisations internationales ont été tellement instrumentalisées par l'Occident d'une manière ou d'une autre qu'elles ont perdu leur crédibilité, du moins en dehors de cette petite bulle occidentale qui aime à s'appeler la "communauté internationale". Publier les informations dont dispose l'OTAN pour clarifier qui a réellement tué des civils à Bucha ? Les informations de l'OTAN sur le MH17 restent classifiées à ce jour. Koz devrait avoir raison avec son hypothèse.

Mais même en mettant de côté tous ces points qui soulèvent des doutes quant à l'interprétation hâtive et commode de l'Occident, et en supposant que, pour l'une des raisons énumérées au tout début, il s'agissait en fait de troupes russes, ce n'est pas une raison pour justifier les réactions actuelles. Car il faudrait parfaitement préciser qu'il ne s'agissait ni d'un accident ni d'un oubli ou d'une erreur humaine. Un crime de guerre nécessite une intention. Et les criminels de guerre vraiment dangereux, comme les troupes de l'Empire nazi, ont autre chose qui les distingue : ils sont fiers de leurs actes. Ils s'en vantent. Comme ceux qui ont filmé la maltraitance des prisonniers de guerre. Ou le massacre d'Odessa en 2014.

Et d'abord, ce serait l'action d'une entité spécifique. En aucun cas celle de tout un peuple. Le maire de Dnepropetrovsk, Boris Filatow, voit les choses différemment. Il écrit sur sa page Facebook : "Maintenant, nous avons le droit moral de tuer tranquillement et avec bonne conscience ces non-humains à travers le monde, indéfiniment et dans la plus grande quantité possible." Il veut dire "les Russes". Tous les Russes. "Non-humains" ? Ce genre de déclaration doit sembler bien familière à certains.