mercredi 22 janvier 2014

Dieudonné et les ennemis de la liberté de créer : retour sur un précédent


Intro

Pour mémoire, les ennuis actuels de Dieudonné face à un certain lobby obscurantiste et totalitaire, car capable de nous ramener au temps de l'Ancien Régime et de la persécution des artistes, datent de l'année 2003. Seulement voilà : une année auparavant, les élèves et enseignants d'un lycée des Yvelines se voient empêchés de monter un spectacle par... le même lobby obscurantiste qui harcèle Dieudonné aujourd'hui. Le tout sous couvert de lutte contre l'"antisé...tisme". Retenez bien cette phrase : "L'incitation à la haine raciale est interdite en France.", s'agissant d'une pièce écrite par un contemporain de... Shakespeare !

Tiré des archives du Parisien (24.12.2002) :   
Sous la pression de certaines associations juives qui la jugent antisémite, la pièce « lJuif de Malte » ne sera pas montée en janvier par la section britannique du lycée international de Saint-Germain-en-Laye.  
Après un tour de table réunissant des membres de la communauté juive libérale, un rabbin, des professeurs britanniqueet français et des parents d'élèves, le proviseur vient d'annuler les trois représentations prévues de cette oeuvre écrite en 1590 par le dramaturge anglais Christopher Marlowe. « Cettpièce représente le juif sous sa pire caricature, sale, voleur et assassin, dénoncNicole Cohn, présidente de la communauté juive libérale Paris-Yvelineet à l'origine de la polémique. J'ai reçu des plaintes de plusieurs familles, toute la communauté juive d'Ile-de-Francétait derrièrnous, c'est une injure à la mémoire et à nos conditions de vie si difficiles. Comment peut-on oser faire brûler un juif sur scène aujourd'hui ? »  
Le proviseur du lycée, qui affirmait grâcà cette pièce lutter contre l'antisémitisme, se refuse aujourd'hui à tout commentaire. Quant au rectorat, il justifie cette décision par un « choix pédagogique ». La pièce était au programmofficiel de l'université de Cambridge avec laquelle travaille la section britannique. Le ched'établissement avait proposé aux membres de la communauté juive d'encadrer les représentations par une mise en garde et un débat. Certains parents y ont opposé un refus net. « Les élèven'auraient pas écouté cette argumentation. Nous ne refusons pas l'étude de ce texten classmais sa représentation. L'incitation à la haine raciale est un délit en France. Le plus tristc'est que leenseignants semblent avoir cédé à nos arguments sans avoir eu unelle prisde conscience du caractère offensant de cette pièce », poursuit Nicole Cohn.  
(...) Cette argumentation est rejee par d'autres parents d'élèvejuifs, qui ne se reconnaissent pas dans ces organisations très militantes. « Je regrette qucette pièce soit arrêtée, c'est dommage et un précédent dangereux, soutient JérômJaffré, pèrd'un élève juif qui devait jouer dans la pièce. Certes un antisémite pouvait faire une misen scène antisémite mais les professeurs avaient toute ma confiance. Les risques étaient limités, la pièce devant être  interprétée en anglais du XVIIsiècle. Dans cette histoire, nous avons affaire à des petits groupes de pression très militants et la direction a préféré reculer. »  
Pour ce parent d'élève, cette représentation aurait pu être l'occasion d'un débat sur l'antisémitisme. « La discussion est malheureusement impossible. Lors de la réunion, ces représentants sont venus avec des affiches du spectacle à l'époque des nazis et des photos dcharniers des camps de concentration. Tout ce que retiendront les élèves de cette histoire, c'est qu'il suffit d'un petit groupe de pression exerçant des menaces pour qu'un projet pédagogiqus'arrête. C'est mauvais pour la liberté académique. » 
Si la pièce restait programmée, la mobilisation était déjà organisée. Deux associations d'anciens déportés étaient prêtes à venir manifester avec les communautés juives d'Ile-de-France, la Ligue internationale de lutte contre le racismet l'antisémitisme (Licra) et le Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif).

Extraits du Juif de Malte de Christopher Marlowe



        
Nota bene : face à la question (stupide) : "comment peut-on brûler un Juif sur scène aujourd'hui ?", j'avoue qu'on reste un moment coi, sans voix, à l'idée du nombre de livres qu'il faudrait passer à l'autodafé pour complaire à certains terroristes de l'esprit. Et puis, on se ressaisit et on leur rappelle les croisades, les guerres de religion, la guillotine de la Révolution française, la Traite des Noirs, l'extermination des Amérindiens..., toutes choses que leurs auteurs trouvaient tout à fait normales à l'époque. Est-ce parce que nous avons répudié ces antiques pratiques que nous devons nous infliger je ne sais quelle cure d'amnésie en face d'un certain héritage culturel, dont les pièces de théâtre rendent abondamment compte ? Par ailleurs, quiconque a lu Le Juif de Malte se rend compte immédiatement de la phénoménale mauvaise foi dont les hystériques interrogés par ce journal sont capables. Car enfin, Barabas n'est pas un enfant de chœur (!) ; c'est même un tueur, et en série, capable d'exterminer par le poison toute la population d'un couvent de nonnes, couvent au sein duquel s'était réfugiée sa propre fille ! Voici, donc, ce qu'on aurait pu conseiller à tous les hystériques décrits plus haut : "avant de voir de l'antisé...tisme partout, lisez donc la pièce de Marlowe avant d'éructer bêtement, bande d'imbéciles !".


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POLICE DES SPECTACLES

On excommuniait autrefois les rois de France, et, depuis Philippe Ier jusqu’à Louis VIII, tous l’ont été solennellement, de même que tous les empereurs depuis Henri IV jusqu’à Louis de Bavière inclusivement. Les rois d’Angleterre ont eu aussi une part très-honnête à ces présents de la cour de Rome. C’était la folie du temps, et cette folie coûta la vie à cinq ou six cent mille hommes. Actuellement on se contente d’excommunier les représentants des monarques : ce n’est pas les ambassadeurs que je veux dire, mais les comédiens, qui sont rois et empereurs trois ou quatre fois par semaine, et qui gouvernent l’univers pour gagner leur vie.
Je ne connais guère que leur profession et celle des sorciers à qui on fasse aujourd’hui cet honneur. Mais comme il n’y a plus de sorciers depuis environ soixante à quatre-vingts ans, que la bonne philosophie a été connue des hommes, il ne reste plus pour victimes qu’Alexandre, César, Athalie, Polyeucte, Andromaque, Brutus, Zaïre et Arlequin.
La grande raison qu’on en apporte, c’est que ces messieurs et ces dames représentent des passions. Mais si la peinture du cœur humain mérite une si horrible flétrissure, on devrait donc user d’une plus grande rigueur avec les peintres et les statuaires. Il y a beaucoup de tableaux licencieux qu’on vend publiquement, au lieu qu’on ne représente pas un seul poëme dramatique qui ne soit dans la plus exacte bienséance. La Vénus du Titien et celle du Corrége sont toutes nues, et sont dangereuses en tout temps pour notre jeunesse modeste ; mais les comédiens ne récitent les vers admirables de Cinna que pendant environ deux heures, et avec l’approbation du magistrat, sous l’autorité royale. Pourquoi donc ces personnages vivants sur le théâtre sont-ils plus condamnés que ces comédiens muets sur la toile ? Ut pictura poesis erit. Qu’auraient dit les Sophocle et les Euripide, s’ils avaient pu prévoir qu’un peuple qui n’a cessé d’être barbare qu’en les imitant imprimerait un jour cette tache au théâtre, qui reçut de leur temps une si haute gloire ?
Ésopus et Roscius n’étaient pas des sénateurs romains, il est vrai ; mais le flamen ne les déclarait point infâmes, et on ne se doutait pas que l’art de Térence fût un art semblable à celui de Locuste. Le grand pape, le grand prince Léon X, à qui on doit la renaissance de la bonne tragédie et de la bonne comédie en Europe, et qui fit représenter tant de pièces de théâtre dans son palais avec tant de magnificence, ne devinait pas qu’un jour, dans une partie de la Gaule, des descendants des Celtes et des Goths se croiraient en droit de flétrir ce qu’il honorait. Si le cardinal de Richelieu eût vécu, lui qui a fait bâtir la salle du Palais-Royal, lui à qui la France doit le théâtre, il n’eût pas souffert plus longtemps que l’on osât couvrir d’ignominie ceux qu’il employait à réciter ses propres ouvrages.
Ce sont les hérétiques, il le faut avouer, qui ont commencé à se déchaîner contre le plus beau de tous les arts. Léon X ressuscitait la scène tragique ; il n’en fallait pas davantage aux prétendus réformateurs pour crier à l’œuvre de Satan. Aussi la ville de Genève et plusieurs illustres bourgades de Suisse ont été cent cinquante ans sans souffrir chez elles un violon. Les jansénistes, qui dansent aujourd’hui sur le tombeau de saint Paris, à la grande édification du prochain, défendirent le siècle passé, à une princesse de Conti qu’ils gouvernaient, de faire apprendre à danser à son fils, attendu que la danse est trop profane. Cependant il fallait avoir bonne grâce, et savoir le menuet ; on ne voulait point de violon, et le directeur eut beaucoup de peine à souffrir, par accommodement, qu’on montrât à danser au prince de Conti avec des castagnettes. Quelques catholiques un peu visigoths de deçà les monts craignirent donc les reproches des réformateurs, et crièrent aussi haut qu’eux ; ainsi peu à peu s’établit dans notre France la mode de diffamer César et Pompée, et de refuser certaines cérémonies à certaines personnes gagées par le roi, et travaillant sous les yeux du magistrat. On ne s’avisa point de réclamer contre cet abus : car qui aurait voulu se brouiller avec des hommes puissants, et des hommes du temps présent, pour Phèdre et pour les héros des siècles passés ?
On se contenta donc de trouver cette rigueur absurde, et d’admirer toujours à bon compte les chefs-d’œuvre de notre scène.
Rome, de qui nous avons appris notre catéchisme, n’en use point comme nous : elle a su toujours tempérer les lois selon les temps et selon les besoins ; elle a su distinguer les bateleurs effrontés, qu’on censurait autrefois avec raison, d’avec les pièces de théâtre du Trissin et de plusieurs évêques et cardinaux qui ont aidé à ressusciter la tragédie. Aujourd’hui même on représente à Rome publiquement des comédies dans des maisons religieuses. Les dames y vont sans scandale ; on ne croit point que des dialogues récités sur des planches soient une infamie diabolique. On a vu jusqu’à la pièce de George Dandin exécutée à Rome par des religieuses, en présence d’une foule d’ecclésiastiques et de dames. Les sages Romains se gardent bien surtout d’excommunier ces messieurs qui chantent le dessus dans les opéras italiens : car en vérité c’est bien assez d’être châtré dans ce monde, sans être encore damné dans l’autre.
Dans le bon temps de Louis XIV il y avait toujours aux spectacles qu’il donnait un banc qu’on nommait le banc des évêques. J’ai été témoin que dans la minorité de Louis XV, le cardinal de Fleury, alors évêque de Fréjus, fut très pressé de faire revivre cette coutume. D’autres temps, d’autres mœurs ; nous sommes apparemment bien plus sages que dans les temps où l’Europe entière venait admirer nos fêtes, où Richelieu fit revivre la scène en France, où Léon X fit renaître en Italie le siècle d’Auguste. Mais un temps viendra où nos neveux, en voyant l’impertinent ouvrage du P. Le Brun contre l’art des Sophocles, et les œuvres de nos grands hommes, imprimés dans le même temps, s’écrieront : Est-il possible que les Français aient pu ainsi se contredire, et que la plus absurde barbarie ait levé si orgueilleusement la tête contre les plus belles productions de l’esprit humain ?
Saint-Thomas d'Aquin, dont les mœurs valaient bien celles de Calvin et du P. Quesnel ; saint Thomas, qui n’avait jamais vu de bonne comédie, et qui ne connaissait que de malheureux histrions, devine pourtant que le théâtre peut être utile. Il eut assez de bon sens et assez de justice pour sentir le mérite de cet art, tout informe qu’il était ; il le permit, il l’approuva. Saint Charles Borromée examinait lui-même les pièces qu’on jouait à Milan ; il les munissait de son approbation et de son seing.
Qui seront après cela les visigoths qui voudront traiter d’empoisonneurs Rodrigue et Chimène ? Plût au ciel que ces barbares, ennemis du plus beau des arts, eussent la piété de Polyeucte, la clémence d’Auguste, la vertu de Burrhus, et qu’ils finissent comme le mari d’Alzire !

Voltaire, Dictionnaire philosophique, Article : POLICE DES SPECTACLES


Vous voulez que je vous dise ? Avouez que c'est un vrai régal que de lire Voltaire ; quelle subtilité et quelle finesse ! C'est quand même autrement plus ciselé que la prose faiblarde et redondante d'un Bernard-Henri Lévy ou d'un Alain Finkielkraut..., qui prouvent, si cela était encore nécessaire, à quel niveau de déliquescence la soi-disant "philosophie" française se trouve réduite.

 "La Vénus du Titien et celle du Corrége sont toutes nues, et sont dangereuses en tout temps pour notre jeunesse modeste ; mais les comédiens ne récitent les vers admirables de Cinna que pendant environ deux heures, et avec l’approbation du magistrat, sous l’autorité royale. Pourquoi donc ces personnages vivants sur le théâtre sont-ils plus condamnés que ces comédiens muets sur la toile ?"

Sacré Voltaire ! 

À titre d'illustration, je n'ai pas choisi un tableau du Titien, mais Les Trois grâces, thème ô combien revisité par les artistes plasticiens depuis la plus haute antiquité, en passant par Botticcelli (cf. La Primavera), Lucas Cranach, Raphaël,  Rubens, Salvador Dali, Nicki de Saint-Phalle, etc.