dimanche 19 janvier 2014

La censure au théâtre : il n'y a pas que la France ! France rediscovering the "Ancien Régime"


Pauvre France... toute honte bue !


Des flics obstruant l'entrée d'un théâtre, à Paris... La dernière fois que la chose s'est produite, en France, c'était quand déjà ? 1940 ? 1941 ? 1942 ? 1943 ? 1944 ?


Quand la France renoue avec l'Ancien Régime (1)...
Être gouverné, c'est être gardé à vue, inspecté, espionné, dirigé, légiféré, réglementé, parqué, endoctriné, prêché, contrôlé, estimé, apprécié, censuré, commandé, par des êtres qui n'ont ni le titre, ni la science, ni la vertu. .. Être gouverné, c'est être, à chaque opération, à chaque transaction, à chaque mouvement, noté, enregistré, recensé, tarifé, timbré, toisé, coté, cotisé, patenté, licencié, autorisé, apostillé, admonesté, empêché, réformé, redressé, corrigé. C'est, sous prétexte d'utilité publique, et au nom de l'intérêt général, être mis à contribution, exercé, rançonné, exploité, monopolisé, concussionné, pressuré, mystifié, volé ; puis, à la moindre résistance, au premier mot de plainte, réprimé, amendé, vilipendé, vexé, traqué, houspillé, assommé, désarmé, garrotté, emprisonné, fusillé, mitraillé, jugé, condamné, déporté, sacrifié, vendu, trahi, et pour comble, joué, berné, outragé, déshonoré. Voilà le gouvernement, voilà sa justice, voilà sa morale ! (Pierre-Joseph ProudhonIdée générale de la Révolution au 19e siècle, , éd. Garnier frères, 1851, Épilogue, p. 341
On devrait bannir absolument de la scène tout ce qui peut nous rappeler nos anciennes erreurs. Que des pièces républicaines forment seules le répertoire de nos théâtres, que les marquis cèdent la place aux patriotes. Brûlons, s'il le faut, les chefs-d'oeuvre des Molière, des Regnard, etc. ; les arts y perdront quelque chose, mais à coup sûr les moeurs y gagneront. D'ailleurs, cette disette ne saurait être trop longue ; le génie de la Liberté inspirera les muses françaises, et les poètes républicains nous feront bientôt oublier les poètes courtisans. (Rapport de police, 18 septembre 1793, in Pierre Caron, Paris pendant la Terreur, Éd. Alphonse Picard, 1910)
On donnait hier à ce spectacle (Théâtre de la République) la pièce tant connue de Robert, chef de brigands. On peut dire qu'il n'en existe point dont l'esprit soit plus conforme à notre situation politique actuelle ; elle respire la vertu, mais une vertu vraiment révolutionnaire et digne des fondateurs de Rome. (...) Je n'étais environné que d'impudents ennemis, non seulement des dernières révolutions, mais de toute révolution : même empressement qu'au Français, et même mauvaise foi à saisir toute allusion favorable à la bassesse et à l'iniquité de leurs sentiments ; le ton léger et railleur des acteurs, toutes les fois qu'ils rasaient quelque idée révolutionnaire, ne donnait pas meilleure opinion d'eux que des spectateurs ; le titre glorieux et sacré de citoyen ne leur servait qu'à renforcer le comique d'une position ; et cet abus d'un nom si respectable est d'autant moins pardonnable qu'ils le commettaient dans une pièce dont le sujet et les détails sont de beaucoup antérieurs à l'époque où la Nation française s'en est revêtue ; c'était donc un pur jeu de ces Messieurs, qui, au lieu d'employer cette dénomination à élever l'âme des spectateurs, ne cherchaient qu'à le rendre vile à leurs yeux, pour les dégrader eux-mêmes ; mais ils savaient bien devant qui ils représentaient. 
Il suit donc de mon rapport, Citoyen Ministre, qu'il y a des théâtres utiles et d'autres nuisibles. Il faut traiter les uns à l'égal de l'aristocratie, et encourager les autres comme on encourage le patriotisme. Au reste. il est un reproche commun à tous les spectacles : c'est qu'il n'en est presque point où il ne se joue des pièces qui ne sont que la dégoûtante peinture de la corruption et de la légèreté enfantées par le despotisme ; et celles mêmes à qui l'on ne peut faire cette objection contiennent toujours quelque trait, quelque expression qui peut sortir innocente de la bouche d'un acteur, mais qui, dans les circonstances où nous sommes, n'entre jamais dans l'oreille du spectateur. Je propose donc, Citoyen Ministre, que toute pièce qui doit être présentée au peuple, les anciennes encore plus que les nouvelles, soit soumise à la censure d'un certain nombre de patriotes purs, éclairés aussi, mais fermes surtout. (Rapport de police, 8 septembre 1793)

Much ado for nothing, aurait dit quelqu'un. Beaucoup de bruit, pour rien, vraiment ?

Pour la première fois, depuis longtemps, dans un pays présumé démocratique, en tout cas, pour la première fois en France, depuis Pétain et l'Occupation hitlérienne, un homme de théâtre se trouve en butte avec les sbires de la censure officielle. Et les rats, hyènes, charognards et autres corbeaux de monter au créneau : il faut interdire ! hurlaient les uns ;  il a dépassé les bornes !, vociféraient les autres.

Lui, c'est Dieudonné, de son nom de scène, son nom de citoyen étant Dieudonné M'bala M'bala, comme il y avait Voltaire et François-Marie Arouet, Molière et Jean-Baptiste Poquelin, Bourvil et André Raimbourg, Jean Gabin et  Jean-Alexis Gabin Moncorgé, Fernandel et Fernand-Joseph Désiré Contandin, Charlot et Charles Chaplin, le mime Marceau et Marcel Marceau, etc., le tout pour bien marquer la distance existant entre le clown ou le saltimbanque sur scène, d'une part, et son alter ego à la ville, d'autre part. 

Il faut croire que nombreux sont ceux qui n'ont toujours pas perçu la nuance entre Raimu et Jules-Auguste Muraire !

J'avoue qu'à entendre les hyènes et les corbeaux hurler : "Dieudonné a dérapé !", "Dieudonné dépasse les bornes !", "Dieudonné est antisémite !", etc., je ne peux m'empêcher de me poser la question : "Mais de qui est-ce qu'ils parlent ?".


SL.- Ce coquin de Juif a éveillé par ses cris le duc, qui est venu avec lui faire la recherche du vaisseau de B.

SR.- Il est venu trop tard. L'ancre était levée ; mais on a donné à entendre au duc, qu'on avait vu dans une gondole Lorenzo et sa tendre J. D'ailleurs A. a certifié au duc qu'ils n'étaient pas dans le même vaisseau que B.

SL.- Jamais je n'ai entendu d'exclamations de colère si confuses, si bizarres, si violentes et changeant si continuellement d'objet, que celles que ce chien de Juif proférait dans les rues : «Ma fille ! ô mes ducats ! ô ma fille ! Un chrétien les emporte. O mes chrétiens de ducats ! Justice ! la loi ! Mes ducats et ma fille ! Un sac cacheté, deux sacs cachetés de ducats, de doubles ducats, que ma fille m'a volés ! Et des bijoux ! deux pierres, deux pierres rares et précieuses, que ma fille m'a volées ! Justice ! Qu'on trouve ma fille ; elle a sur elle les pierres et les ducats.»


La censure au théâtre ? Ce qui suit est un petit aperçu tiré d'une rapide recherche documentaire sur l'Internet :  il m'a suffi de taper "théâtre, censure".

  • Descriptif d'un cours de culture littéraire à Science Po :
Si le théâtre est une monstration du monde, une de ses démonstrations, pourquoi, parfois, a-t-on cherché à en cacher certains espaces ? Y-aurait-il finalement quelque chose d'important, d'essentiel au factice ? Jouer le crime ou la débauche serait-il en fait les justifier ? C'est en partant d'une anthologie des origines à aujourd'hui de pièces de théâtre qui furent ou qui sont censurées que nous essayeront de comprendre les liens qui unissent ou désunissent le théâtre au pouvoir politique, religieux et social. Au fur et à mesure du travail, nous serons obligés de réfléchir aux enjeux du théâtre, nous référant alors à l'ouvrage de Nietzsche, La Naissance de la tragédie. Toutes ces notions nous mèneront à ce travail qui est de savoir comment peut-on, comment doit-on jouer le choquant. Faut-il se choquer soi pour choquer l'autre ? C'est sur un espace scénique que nous tenterons de répondre à tout cela.
Lectures principales demandées 
La Naissance de la tragédie de Nietzsche
Les Bacchantes d'Euripide
Tartuffe de Molière
Le roi s'amuse de Victor Hugo
La ronde D'Arthur Schniltzer


L'objet de la censure se nomme Entre tes mains. Il s'agit d'une pièce de théâtre qui reprend les faits survenus lors de la prise d'otage du théâtre de la Doubrovka, à Moscou le 23 octobre 2002. On représentait la comédie musicale Nord-Est, lorsqu'un commando de terroristes tchétchènes fait irruption et prend les quelque 900 spectateurs en otage. 57 heures plus tard, les autorités russes décident d'envoyer les forces spéciales. Les terroristes sont tous tués mais le gaz utilisé lors de l'intervention tue aussi 130 civils.

La première de la pièce Entre tes mains s'est jouée le 5 avril, au Théâtre russe d'art dramatique de Makhatchkala, la capitale du Daghestan. Au premier rang les officiels dont Moukhou Aliev, le président du Daghestan mais aussi Magomed Souleïmanov, le Président du parlement, et quelques ministres. Toujours au premier rang, Natalia Pelevine, l'auteure de la pièce. « J'avais été obligée d'assister à la première assise au même rang que les personnalités invitées et j'avais vu monter leur mécontentement. Ces gens m'ont déçue. Si quelqu'un a cru voir dans ma pièce de la sympathie pour les extrémistes, c'est qu'il n'a vraiment rien compris. ».

Un prétexte pas très convaincant
Et la réponse des autorités ne s'est pas fait attendre. La pièce ne connaîtra pas d'autres représentations. La raison officielle est que Liouba Danilova, qui campe le rôle principal est « malade ». Pourtant l'auteure de la pièce déclare : « J'étais en train de bavarder avec Liouba quand j'ai soudain appris qu'elle était tombée gravement malade. C'était une absurdité totale, mais je m'y attendais ».

Susceptibilité froissée ?

Un étudiant qui a pu assister à la pièce, Mirza Moussaïev, a son propre avis sur cette réaction : « À mon avis, les autorités n'ont pas aimé que les preneurs d'otages ne soient pas montrés comme des monstres et des fanatiques abrutis. Les entendre crier Allah akhbar ! n'a pas dû leur plaire non plus. Et pourtant, qu'est-ce que vous voulez qu'ils crient ? Spartak champion ? Gloire à la Russie ? ». Il faut savoir qu'au Daghestan comme en Tchétchénie on est principalement musulman.

Des espions dans la salle...?
Pour d'autres, comme les membres de l'association Nord-Est (association créée pour les victimes et ceux ayant perdu un proche dans la prise d'otage relatée dans la pièce), il s'agirait d'une « injonction de Moscou ». « Le problème, je crois, c'est que la salle était pleine d'agents du FSB [le remplaçant du KGB, pour ceux qui ne suivraient pas]. Ils ont suivi la représentation le visage figé et, en sortant, ils sont sûrement allés faire leur rapport à leur hiérarchie. Alors, le pouvoir a tranché. Cinq ans et demi après la tragédie, il ne veut pas que la vérité sur Nord-Est résonne, où que ce soit ».

La pièce jouait à guichets fermés, et les spectateurs déçus qui n'auront pas assisté à la première devront se rabattre sur la farce de George Dandin ou le Mari confondu.



La censure théâtrale, qui est rétablie en France en 1850, après une courte période de liberté, se renforce très nettement sous le Second Empire, à Paris comme en province, selon un principe centralisateur très apparent. (...)

La censure est d’abord édictée par et pour Paris. À l’échelle de la province, ce sont les préfets qui se chargent d’appliquer dans leurs départements les directives émanant du comité de censure. En Seine-Inférieure, c’est le même homme, Ernest Leroy, qui siège à la préfecture de 1850 à 1870. Par ses fonctions, il se porte garant de la bonne marche des théâtres rouennais, et par conviction, il prend son rôle de censeur très à cœur.

Le caractère rigide et incontestable de la censure entraîne nécessairement l’appauvrissement du répertoire, en province comme dans la capitale. Et c’est sur ce parallèle entre les vies théâtrales rouennaise et parisienne qu’ont finalement porté principalement mes recherches. Au XIXe siècle, Rouen se présente en effet comme une ville dynamique, tant sur le plan économique que sur le plan artistique. Par ailleurs, sa tradition bourgeoise et conservatrice la conduit à accueillir très favorablement la politique impériale, y compris dans le domaine des arts. Cette ville offre par conséquent, à l’échelle de la province, un reflet assez fidèle de la politique culturelle parisienne.

Une censure édictée par Paris

À Paris, cinq censeurs, recrutés pour leurs bonnes mœurs plus que pour leurs compétences littéraires [1], exercent leur fonction sous la houlette du ministre de l’Intérieur. Ce dernier transmet les différentes instructions à suivre au préfet de chaque département.

La principale préoccupation des censeurs est de protéger l’image du pouvoir, de veiller au respect des bonnes mœurs et au maintien de l’ordre. Les critères d’appréciation sont donc nécessairement dépendants du contexte politique. Pour fonder leurs jugements, les censeurs s’appuient principalement sur la jurisprudence. Ils recherchent en effet une pièce similaire de près ou de loin à celle qu’ils examinent avant d’exprimer leur opinion [2]. Les décisions sont par conséquent délivrées de façon arbitraire, sans explication aucune. Et les pièces à succès des grands auteurs, comme Dumas ou Victor Hugo, sont bannies du répertoire [3].

Ernest Leroy, responsable de l’application de la censure sur les scènes rouennaises, se montre fort soucieux de respecter les ordres de ses supérieurs. Mais sa capacité d’initiative n’est pas négligeable, puisqu’il est parfaitement en droit de retrancher des pièces du répertoire des théâtres rouennais, si bon lui semble. Et il se montre particulièrement zélé dans cette entreprise. Pour ne prendre qu’un exemple : La Dame aux camélias, de Dumas fils, n’est pas interdite de façon rédhibitoire sous le Second Empire. Elle fait partie des « pièces recommandées à l’attention des préfets ». Cela signifie que le ministre se refuse à proscrire ces pièces, et qu’il appartient au préfet d’accorder ou non leurs représentations dans leur département. Cependant, Ernest Leroy rejette catégoriquement toutes les demandes des directeurs de théâtre relatives à cette pièce, qui ne sera jamais jouée à Rouen sous son mandat.

En 1865, E. Leroy interdit à deux reprises la venue d’Alexandre Dumas père en Seine-Inférieure. Ce dernier se proposait en effet de donner une causerie littéraire sur Pierre Corneille sur la scène du Cirque, ainsi qu’une conférence sur le théâtre dans la ville d’Elbeuf. Alexandre Dumas semble faire partie des bêtes noires du préfet, puisqu’il proscrit invariablement toute intervention de sa part, alors que certaines de ses pièces sont jouées à Paris. Le respect de Dumas à l’égard du pouvoir en place apparaît probablement insuffisant aux yeux de la préfecture pour tolérer sa venue.


L. - Eh ! vraiment, vous pourriez espérer un peu que ce n'est pas votre père qui vous a engendrée, que vous n'êtes pas la fille du Juif.

J. - C'est là, en effet, une sorte d'espérance bâtarde ; mais alors ce seraient les péchés de ma mère qui retomberaient sur moi.


L. - Alors, ma foi, j'ai grand'peur que vous ne soyez damnée de père et de mère ; ainsi en voulant éviter Scylla votre père, je tombe en Charybde votre mère. Allons, vous êtes perdue des deux côtés.

J. - Je serai sauvée par mon mari, qui m'a faite chrétienne.

L. - Vraiment, il n'en est que plus blâmable ; nous étions déjà bien assez de chrétiens ; tout autant qu'il en fallait pour pouvoir bien vivre les uns avec les autres. Cette fureur de faire des chrétiens haussera le prix des porcs ; si nous nous mettons tous à manger du porc, nous ne pourrons bientôt plus avoir une grillade sur les charbons pour notre argent.

(Entre Lz.)

J. -L., je vais conter à mon mari ce que vous me dites ; le voilà qui vient.


L.-Savez-vous, L., que je deviendrai bientôt jaloux de vous si vous attirez ainsi ma femme dans des coins ?

J. - Oh ! vous n'avez pas lieu de vous alarmer, Lz., L. et moi nous ne sommes pas bien ensemble. Il me dit tout net qu'il n'y a point de merci pour moi dans le ciel, parce que je suis la fille d'un Juif ; et il dit aussi que vous n'êtes pas un bon membre de la communauté, car, en convertissant les Juifs en chrétiens, vous faites augmenter le prix du porc.

La pièce de théâtre « 47 » censurée ?
Ce spectacle évoque la mémoire douloureuse de l’insurrection malgache contre la colonisation française, en 1947, et la répression qui l’a suivie.
La pièce de théâtre « 47 », créée le 19 septembre 2008 au Centre culturel français Albert Camus de Tananarive, à Madagascar, et présentée, peu après, au Festival des Francophonies de Limoges, puis en tournée en France, vient d’être retirée des propositions de programmation des centres culturels français de la zone de l’Océan indien. Ainsi en a décidé la Direction générale de la coopération internationale et du développement, du ministère français des Affaires étrangères et européennes.

Ce spectacle, oeuvre du metteur en scène Thierry Bedard et de l’écrivain malgache Jean-Luc Raharimanana, évoque la mémoire douloureuse de l’insurrection malgache contre la colonisation française, en 1947, et la répression qui l’a suivie. Sans manichéisme, il aborde le silence qui pèse sur cette tragédie trop oubliée de l’histoire de la France et de Madagascar.

Soutenu dès l’origine par Culturesfrance, il avait reçu un avis favorable pour une tournée dans l’Océan indien.

L’Observatoire de la liberté de création de la Ligue des droits de l’Homme demande au ministre des Affaires étrangères, Bernard Kouchner, de faire annuler cette décision politique et de rétablir la proposition aux centres culturels français d’accueillir ce spectacle.

La censure préalable des pièces de théâtre qui avait été abolie en 1791, fut rétablie par Napoléon Bonaparte. Elle restera globalement en vigueur jusqu’en 1904, sauf pendant les brèves périodes de conjoncture révolutionnaire : 1830, 1848, 1870. George Sand a toujours été surveillée par la censure, mais deux pièces ont particulièrement fait l’objet de ses attentions : Claudie en 1851, dont certaines phrases ont du être supprimées et d’autres modifiées, puis Mademoiselle La Quintinie en 1872, interdite pour anticléricalisme.

Dans le rapport de la censure Claudie était accusée de comporter "des passages où percent les tendances socialistes. Ces passages sont peu nombreux et portent principalement sur quelques généralités qui tendraient à opposer les pauvres, tels que Rémy et sa fille, à de mauvais riches tels que Ronciat."

George Sand écrivit alors à Bocage, metteur en scène de la pièce : "Si nous les brutalisons, ils en demanderont davantage ; que faire contre la stupidité qui a la force pour elle ? J’essaierai de filer doux sans platitude. […] Je crois que si j’étais là pour m’expliquer, ils n’oseraient pas être si bêtes, mais je n’ai guère envie de passer par leurs semonces personnellement. Il ne faut surtout pas faire de menaces […] Et d’ailleurs, ne savez-vous pas que c’est tout ce qu’ils désirent au monde, de me voir lancée dans la polémique ? Ma quiétude, mon indépendance, ma prudence, la possibilité que j’ai conservée au milieu de ces agitations politiques, de faire de l’art consciencieux et qui peut encore mettre le public de mon côté, voilà ce qui les blesse, […] ils enragent de ne pas pouvoir me mettre en cause, me condamner, me réduire au silence et m’envoyer en prison. Ils savent bien qu’avec la persécution et la colère on use le talent." George Sand à Bocage, 30 décembre 1850, Correspondance, t. IX, p. 895


LE DUC. -A. est-il ici ?

A.  - Prêt à paraître, dès qu'il plaira à Votre Altesse.

LE DUC. - J'en suis fâché pour toi. Tu as affaire à un adversaire dur comme la pierre, à un misérable tout à fait inhumain et incapable de pitié, et dont le coeur n'a pas un grain de sensibilité.

A. - Je sais que Votre Grâce a pris beaucoup de peine pour tâcher de modérer la rigueur de ses poursuites. Mais puisqu'il reste inexorable, et qu'il n'est aucun moyen légal de me soustraire à sa haine, j'oppose ma patience à sa fureur. Je suis armé de courage pour souffrir avec une âme tranquille la cruauté et la rage de la sienne.

LE DUC. - Allez et faites entrer le Juif dans la chambre.

Dans Le Dernier métro, Marion Steiner, poussée à bout, sollicite l'aide d'un certain colonel Dietrich, qui semble correspondre au profil de ces Allemands francophiles... Ceci dit, ce soutien n'est pas complètement désintéressé. Par ce pseudo-libéralisme, l'Occupant obtient ce qu'il cherche : le retour à une vie culturelle "normale" et donc un retour à l'ordre qui leur garantit une occupation "tranquille". Heller explique ainsi à ses supérieurs : "Vous ne comprenez pas qu'en interdisant, en internant, vous fabriquez des martyrs. Cela nuit à votre cause bien plus que l'activité des gens que vous frappez ainsi. Jamais vous n'obtiendrez de cette façon votre Europe nouvelle".
(...)
A ce mouvement de création, le public répond au-delà de toutes les espérances. Dans Le Dernier métro, il est précisé à juste titre que la fréquentation n'a pas faibli, même aux pires heures de l'Occupation. Les contemporains ont été frappés du phénomène. René Rocher, président du Comité du spectacle, affirme en 1944: "La prospérité actuelle du théâtre est miraculeuse : on peut jouer n'importe quoi, de n'importe qui, n'importe où et n'importe quand : le public se précipite en foule, tous les records sont battus". Même par rapport à l'avant-guerre, la progression est évidente : 220 millions de spectateurs dans les théâtres parisiens en 1938, 304 millions en 1943. Cette assiduité est d'autant plus remarquable que les conditions matérielles ne cessent de se dégrader : représentations interrompues par les coupures de courant ou les alertes aériennes, salles peu ou pas chauffées (lors de la représentation du "Soulier de satin", en 1943, les spectateurs, enfouis sous des couvertures, applaudissent avec les pieds...).
Cet engouement du public a été largement commenté : les spectateurs sont souvent jeunes et étouffent dans l'atmosphère morale pesante de Vichy. Ils sont notamment privés de toute la culture anglo-saxonne, très appréciée avant-guerre. Pour échapper à cette emprise, la jeunesse n'a d'autre choix que de profiter de toutes les occasions qu'on lui donne de "s'ouvrir l'esprit".
Beaucoup soulignent aussi que le théâtre est un moyen d'évasion : on peut y "quitter l'horreur du monde réel pour les rivages de l'imaginaire. D'évidence, on ne retrouve sur scène ni la Milice ni la Résistance"
(...)
On peut encore y voir un signe plus positif sur l'état de l'opinion sous l'Occupation. Globalement attentiste, elle ne se prive pas, dans l'espace protégé de la salle de spectacle, de manifester ses sentiments contre l'occupant ou les collaborateurs : le public siffle quand le prénom d'Adolphe est prononcé dans une pièce de Labiche, il reprend en choeur la "Marseillaise" à la fin du "Pasteur" de Guitry, il boude la pièce raciste de Laubreaux, il réagit aux répliques des "Mouches" ou d'"Antigone".

L. - Sûrement, ma conscience me permettra de fuir la maison de ce Juif, mon maître. Le diable est à mes trousses, et me tente en me disant : G., L., G., bon L., ou bon G., ou bon L. G., servez-vous de vos jambes ; prenez votre élan, et décampez. Ma conscience me dit : Non ; prends garde, honnête L. ; prends garde, honnête G. ; ou, comme je l'ai dit, honnête L. G., ne t'enfuis pas ; rejette la pensée de te fier à tes talons. Et là-dessus l'intrépide démon me presse de faire mon paquet : Allons, dit le diable ; hors d'ici, dit le diable ; par le ciel, arme-toi de courage, dit le diable, et sauve-toi. Alors ma conscience, se jetant dans les bras de mon coeur, me dit fort prudemment : Mon honnête ami L., toi, le fils d'un honnête homme, ou plutôt d'une honnête femme ; car, au fait, mon père eut sur son compte quelque chose ; il s'éleva à quelque chose ; il avait un certain arrière-goût... Bien, ma conscience me dit : L., ne bouge pas ; va-t'en, dit le diable ; ne bouge pas, dit ma conscience.-Et moi je dis : Ma conscience, votre conseil est bon ; je dis : Démon, votre conseil est bon. En me laissant gouverner par ma conscience, je resterais avec le Juif mon maître, qui, Dieu me pardonne, est une espèce de diable ; et en fuyant de chez le Juif, je me laisserais gouverner par le démon qui, sauf votre respect, est le diable en personne : sûrement le Juif est le diable même incarné ; et, en conscience, ma conscience n'est qu'une manière de conscience brutale, de venir me conseiller de rester avec le Juif. Allons, c'est le diable qui me donne un conseil d'ami ; je me sauverai, démon : mes talons sont à tes ordres ; je me sauverai.

Le théâtre et la parole sont redoutés par les pouvoirs publics. La scène s'adresse en partie à une population illettrée ; elle est aussi pour de nombreux spectateurs l'unique moyen d'information, voire de formation. Surveiller le contenu des ouvrages que les directeurs se proposent de jouer apparaît comme une précaution de maintien de l'ordre social et politique, tout en favorisant une éventuelle mission éducative. Pour ces raisons, les autorités ont installé un double contrôle, d'abord préventif sur les manuscrits, ensuite répressif sur les représentations qui n'a que rarement été remis en cause tout au long du XIXe siècle. (...)
Les dispositions réglementaires prises pendant le Consulat, l'ordonnance de 1824, l'instruction de 1842, les lois de 1850 et 1851 ont permis aux préfets d'examiner les pièces devant être représentées sur les scènes de leurs départements. Ils peuvent ainsi renforcer la censure parisienne en interdisant des ouvrages autorisés par le ministère de l'Intérieur. Le contrôle s'exerce donc de manière complémentaire entre la province et la capitale.


G. - O dur Juif, ce n'est pas sur le cuir de ton soulier ; c'est bien plutôt sur ton coeur que tu en affiles le tranchant ; il n'est point de métal, pas même la hache du bourreau, qui ait à moitié l'âpreté de ta jalouse haine. N'est-il pas une prière capable de te toucher ?

S. - Non, pas une seule que tu puisses avoir assez d'esprit pour imaginer.


G. - Puisses-tu être damné dans les enfers ; chien inexorable ! Puisse-t-on faire un crime à la justice de te laisser la vie ! Tu m'as presque fait chanceler dans ma foi : j'ai été tenté d'embrasser l'opinion de Pythagore et de croire avec lui que les âmes des animaux passent dans des corps humains. Ton âme canine animait un loup pendu pour meurtre d'homme ; et son odieux esprit échappé du gibet, lorsque tu étais dans le ventre de ta profane mère, entra dans ton corps. Tes désirs sont ceux d'un loup sanguinaire, affamé et furieux.


S. - Tant que tu n'effaceras pas la signature de ce billet, tu n'offenseras que tes poumons à parler si haut. Remets ton esprit dans son assiette, jeune homme, ou tu vas le perdre sans ressources. J'attends ici justice.



By the way : les passages colorés en violet sont extraits d'un des plus grands chefs-d'oeuvre de la littérature, que les forts en thème ont forcément reconnu. Quant aux autres : les hyènes, charognards et autres corbeaux, sans oublier certain Sinistre de l'Intérieur, je leur recommande de consulter une encyclopédie...

Pourquoi il est urgentissime de (re)lire Voltaire !


(1) Acception extensive du concept d'"ancien régime", l'expression correspondant, stricto sensu, à la période monarchique ayant précédé la Révolution française. Mais, comme chacun sait, la France a connu moult avatars entre l'instauration de la 1ère République, et le coup d'Etat bonapartiste ayant conduit à l'avènement de la dernière, dite Cinquième. On pourrait considérer, en voyant large, que l'Ancien Régime ne s'interrompt qu'avec la défaite d'Hitler en mai 1945, et encore !



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