dimanche 3 octobre 2010

Bamboula


 Sur le site nouvelobs.com , on pouvait lire récemment ceci :


Que répondez-vous au collectif qui affirme que l'étude de civilisations africaines n'est pas nécessaire pour comprendre "notre histoire" ?

L'histoire africaine fait évidemment partie de notre histoire. Enseigner l'histoire, c'est bien sûr parler de l'histoire de France, mais aussi de celle de l'Europe, de l'Afrique, etc. Tout est lié. Puisque les programmes de cinquième prennent désormais en compte l'Afrique, ils pourront rappeler que l'or africain à l'époque médiévale a inondé toute l'économie du monde méditerranéen qui n'aurait certainement pas connu une telle expansion sans cet apport.

L'histoire ne se résume donc pas seulement au "roman national", à l'histoire des grands hommes de France. On a longtemps vu l'Afrique comme un continent coupé du monde qui serait surtout éveillé avec la colonisation. Mais les liens sont très anciens : le "panache blanc" d'Henri IV était fait de plumes d'autruche et ces plumes venaient d'Afrique !


(...)

Et comme il est d'usage, l'interview était suivie d'un forum, dont j'extrais cette intervention, citée intégralement (les mises en gras et en couleur sont de moi) :

"Je veux bien qu'on enseigne un peu d'histoire africaine à l'école (même si l'Afrique noire n'a jamais été capable de produire une civilisation brillante, même pas quoi que ce soit qui arrive ne serait-ce qu'à la cheville de la civilisation égyptienne, par exemple), mais dans ce cas il faut bien montrer que si cette Afrique noire n'avait pas été colonisée par les blancs, alors ils en seraient toujours au tam-tam et au gourdin (même la machette leur a été apporté par les colonisateurs blancs et les conquérants arabes !).

Les blancs ont commis des exactions, disons le même genre d'exactions que les peuplades noires entre elle, mais ils ont aussi apporté leurs standards et leurs modèles avancés, faudrait pas l'oublier..."

Fin de citation

En règle générale, les Africains ont tendance à monter sur leurs grands chevaux face à ce genre d'intervention, qui leur semble relever du dénigrement systématique des Africains, voire du racisme tout court. Mais je m'empresse de préciser, qu'en tant qu'Africain, ce genre d'affirmation ne me gêne nullement, il me suffit de confronter l'appréciation d'un mandarin de la faculté, d'une part, avec celle d'un "monsieur tout le monde", d'autre part. Ce qui n'a rien de désobligeant...

Commençons, en passant, par signaler que les imprécisions syntaxiques (signalées en rouge ; ex. blanc = adjectif ou substantif signifiant vacuité ; Blanc = substantif ; en clair : les blancs = espaces vierges dans un enregistrement sonore ; les Blancs = personnes de race blanche) suggèrent fortement que notre écrivain du dimanche ne jouit pas d'un niveau d'instruction universitaire (!!!). Tant il est vrai qu'aucun professeur d'histoire ou de civilisation à la Sorbonne, Berkeley, Harvard ou Cambridge ne se hasarderait à proférer de telles sottises, quand je vois l'importance que les plus grandes universités - et quelques-uns des plus grands musées - du monde consacrent à leurs départements d'études africaines (non égyptiennes).

S'agissant de l'Égypte, on voit bien que notre intervenant en est encore (pour preuve qu'il ne sort pas de l'université !) à reproduire la croyance, désormais désuète, selon laquelle l'Egypte jouirait d'un statut d'extraterritorialité par rapport au reste de l'Afrique. Invitons, donc, notre posteur à examiner une carte de l'Afrique pour y constater qu'il n'y a pas de mer intérieure séparant l'Egypte du reste du continent. Je sais bien qu'il fut de bon ton, à Hollywood, de faire jouer les pharaons et pharaones par des acteurs de type caucasien, aux yeux bleus ou verts ! Et si "civilisation brillante" fait penser à Égypte, c'est peut-être en raison de la ségrégation sociale en strates inférieures, moyennes et supérieures, à l'instar des Grecs ou des Romains, avec leurs citoyens, leur plèbe et leurs esclaves. A-t-on déjà vu une "civilisation brillante" qui ne s'appuie sur l'exploitation d'une majorité (de serfs ou d'esclaves) par une oligarchie ?

Il nous faut, donc, reconnaître que si Massaï, Pygmées... et autres Dogons n'ont rien produit "qui arrive à la cheville de l'Egypte", c'est probablement au prix de la renonciation à toute exploitation de leurs semblables, les sociétés dites arriérées étant toujours d'un type résolument égalitaire. Et l'on me fera tout naturellement aussi remarquer que la Chine des Ming, le Mexique des Aztèques, le Pérou des Incas... jusqu'à la France de Louis XIV ou de Napoléon voire l'Allemagne d'Hitler présentaient tous les symptômes de l'élévation civilisationnelle, avec leurs réalisations spectaculaires qui forcent l'"admiration" : on imagine, par exemple, l'armée d'"esclaves" qu'il a fallu mobiliser pour réaliser la Grande muraille de Chine ou pour construire les bases de sous-marins et les rampes de lancement des V1 et V2 de Von Braun !

Précisément, le posteur du nouvelobs.com semble positionner son marqueur de la "brillance" des civilisations dans le fait de pouvoir produire certains outils ; il cite la machette (apportée par les colonisateurs blancs...). Ça tombe bien : à tous ceux (Européens) qui m'interrogent régulièrement sur la persistance de "guerres tribales" en Afrique, je réponds invariablement : "avec quelles armes ? Pour qu'il y ait 'guerre tribale', il faut d'abord qu'il y ait des armes tout aussi tribales !"

Et je leur explique, dans la foulée, que pour connaître l'origine d'un phénomène social quel qu'il soit, il s'agit tout d'abord de distinguer le structurel du conjoncturel, étant entendu que certains phénomènes prétendument endogènes, voire endémiques à l'Afrique, ne sont en fait que des arte-fact importés ; en clair, supprimez le "tuteur" ou "sponsor" (étranger), et il ne reste plus rien (1). Et notre posteur du nouvelobs.com nous en fournit lui-même la démonstration : "même la machette leur a été apportée par les conquérants...", cette machette si efficace lors du génocide rwandais de 1994.

Comme quoi, guerres tribales et autres génocides, en Afrique, ne sont que des produits d'importation.

C.Q.F.D.


(1) L'esclavage négro-africain est, paraît-il, une invention des rois nègres eux-mêmes. Curieusement, c'est en Europe que sera décidée son abolition ! Dans un même ordre d'idées, le braconnage, qui décime rhinocéros et éléphants (avec quelles armes ?), serait intégralement réalisé par des trafiquants africains, les seuls à maîtriser la science du pistage des animaux ; et pourtant, il suffit d'un moratoire à Genève, sous l'égide de l'ONU, et portant sur le commerce de l'ivoire - pas un seul marché de l'ivoire en Afrique ! - pour que, comme par enchantement, les populations animales se remettent à prospérer !


P. S. (1) : Comme preuve (ou non-preuve !) probable que les Égyptiens antiques n'étaient pas tout à fait "africains" et ressemblaient bien plus à Liz Taylor et à Richard Burton, le fait que les artistes de l'époque aient recouru, pour teindre la peau, à des pigments nettement plus sombres que le décor environnant ; autant dire que nos anciens Égyptiens devaient être des Blancs très bronzés, à moins que les artistes égyptiens n'aient souffert de daltonisme !



 
P. S. (2) : Spéculations (jusqu'à nos jours) sur l'origine ethnique de Cléopatre, notamment à la suite des travaux de l'universitaire américain (blanc) Martin Gardiner Bernal (Black Athena, ou de l'influence de l'Afrique noire sur la civilisation hellénique)... "Se figura provocará polémica hasta nuestros días...", Tiempo, Madrid, n° 1475, 07. 10. 2010. (Ci-dessous, à droite : Cléopatre selon des fouilles archéologiques et reconstituée par ordinateur).