samedi 26 mars 2011

Libye : les mensonges d'Alain Juppé



C'est l'histoire d'une escroquerie, ou d'un chèque en blanc. Et cela s'est passé sous nos yeux : je veux parler de la participation de l'ONU à un coup d'Etat militaire en Libye.

En sa qualité de cheville ouvrière de cette agression programmée contre un État souverain, agression habillée des oripeaux de la protection des droits de l'Homme, sans le moindre égard pour la Charte des Nations Unies (nous y reviendrons plus en détail par la suite), la France de René Cassin et d'Albert Schweitzer va donc se lancer dans la plus formidable esbrouffe internationale depuis les "armes de destruction massive" de Saddam Hussein.

Pour son malheur, Alain Juppé, que j'ai qualifié, et que je qualifie toujours de "bien éphémère ministre français des Affaires Etrangères" s'est laissé embarquer dans cette misérable magouille
.
Et le voilà parti pour le Conseil de Sécurité de New York,  séance 6498, du 17 mars 2011, le tout dans le but de..., de quoi déjà ? Lisez donc la suite. 

D'un point de vue formel, Juppé n'est pas De Villepin ! Mais il faut croire que les envolées de Dominique de Villepin, pour défendre le point de vue français de non intervention en Irak - qui eût été, par parenthèse, bien plus chevaleresque si la France avait opposé son veto à l'opération, mais passons ! - étaient motivées par de profondes convictions, tandis que là, Juppé nous livre un de ces pensums visiblement bâclés dans un avion par un(e) assistant(e) ou quelque scribouillard semi-comateux.

Mais ce n'est pas la forme qui m'intéresse au premier chef, mais le fond, à savoir le MENSONGE sur lequel est bâtie la brinquebalante coalition de nos fauteurs de guerre. 

Le discours d'Alain Juppé devant le Conseil de Sécurité est reproduit in extenso, ci-dessous, tel qu'affiché sur le site du Réseau Voltaire, dont je ne saurais trop vous recommander la visite régulière. Les mises en exergue et les numéros (entre parenthèses) sont de mon fait.


C'est l'histoire d'un chèque en blanc !

Organisation des Nations Unies, New York, Conseil de Sécurité, Séance n° 6498, du 17 mars 2011

M. Juppé (France) : Monsieur le Président, permettez-moi d’abord de vous remercier de vos chaleureuses paroles de bienvenue auxquelles j’ai été très sensible.

Le monde est en train de vivre l’une de ces grandes révolutions qui changent le cours de l’histoire : de l’Afrique du Nord au golfe Persique, les peuples arabes clament leur aspiration à la liberté et à la démocratie. En Tunisie, avec la Révolution du jasmin, en Égypte avec la journée du 25 janvier, un grand espoir s’est levé : la transition démocratique est engagée dans un esprit de maturité et de responsabilité.

Au Maroc, dans un discours courageux et visionnaire, le Roi Mohammed VI a annoncé la mise en place d’une monarchie constitutionnelle. Ce nouveau printemps arabe est pour nous tous, j’en suis sûr, une bonne nouvelle. Notre devoir et notre intérêt nous commandent de l’accompagner avec confiance et disponibilité, non point pour donner à quiconque des leçons ou des modèles mais pour aider chaque peuple à construire lui-même son avenir.

En Libye, hélas, depuis plusieurs semaines, la volonté populaire est foulée au pied par le régime du colonel Kadhafi (1a), qui mène une répression meurtrière contre ses propres citoyens. C’est la raison pour laquelle, l’Assemblée générale des Nations Unies, sur recommandation du Conseil des droits de l’homme le 25 février dernier, a suspendu la Libye de ce conseil. C’est pourquoi le 26 février, le Conseil de sécurité a estimé, je le cite, que « les attaques systématiques et généralisées (…) commises (…) contre la population civile pourraient constituer des crimes contre l’humanité (2a) » [résolution 1970 (2011)].

Par sa résolution 1970 (2011) adoptée à l’unanimité, il a rappelé que les autorités libyennes ont la responsabilité de protéger le peuple libyen. Il a également exigé qu’il soit immédiatement mis fin à la violence. Il a souhaité que les responsables de ces crimes soient renvoyés devant la Cour pénale internationale dont il a saisi le Procureur. Il a sanctionné le colonel Kadhafi, ses proches et ses affidés. Il a enfin décidé un embargo sur les armes à destination de la Libye.

Ces mesures n’ont pas été suffisantes (3a). Dans tout le pays, les violences perpétrées contre les populations civiles (2b) n’ont fait que redoubler. Face à ces provocations intolérables, la communauté internationale a réagi dans une quasi-unanimité. L’Union européenne l’a fait lors du Conseil européen exceptionnel du 11 mars dernier. Les pays du G-8 l’ont fait mardi dernier à Paris. Les organisations régionales se sont également exprimées avec force. Je pense avant tout à la Ligue arabe qui, dans sa résolution du 12 mars, en a appelé au Conseil de sécurité en demandant l’instauration d’une zone d’exclusion aérienne (3b). Je voudrais aussi saluer l’engagement de l’Union africaine qui a appelé à l’arrêt des violences contre les civils (2d).

Malgré ces appels à la paix, la situation en Libye est aujourd’hui plus alarmante que jamais. Au moment même où je vous parle, les troupes du colonel Kadhafi  poursuivent la reconquête violente des villes et des territoires qui s’étaient libérés (1b). Nous ne pouvons pas laisser faire les fauteurs de guerre. Nous ne pouvons abandonner à leur sort des populations civiles victimes (2c) d’une brutale répression. Nous ne pouvons laisser bafouer la légalité et la morale internationales. C’est pourquoi la France a voulu contribuer de toutes ses forces au sursaut de la communauté internationale en travaillant, avec la Grande-Bretagne et les États-Unis d’Amérique et d’autres, à l’élaboration du projet de résolution qui nous est soumis.

Avec ce projet de résolution, nous nous donnons les moyens de protéger les populations civiles libyennes (2e), d’abord en mettant en place une zone d’exclusion aérienne (3b) et en autorisant les membres de la Ligue arabe et les États Membres qui le souhaitent à prendre les mesures nécessaires pour sa mise en œuvre ; ensuite en autorisant ces mêmes États à prendre, outre la zone d’exclusion aérienne, toutes les mesures nécessaires pour protéger les populations et les territoires (4), y compris Benghazi, qui sont sous la menace d’une attaque des forces du régime de Kadhafi. Enfin, en renforçant les sanctions adoptées à l’encontre de ce régime (3c), qu’il s’agisse de la mise en œuvre de l’embargo sur les armes, du gel des avoirs des autorités de Tripoli ou de l’interdiction de vol des compagnies aériennes libyennes (3d).

La France appelle solennellement tous les membres du Conseil de sécurité à soutenir cette initiative et à adopter cette résolution. Si ce mandat est voté, elle est prête à agir, avec les États Membres, notamment arabes, qui le souhaiteront.

Nous n’avons plus beaucoup de temps. C’est une question de jours, c’est peut-être une question d’heures. Chaque jour, chaque heure qui passe, resserre l’étau des forces de la répression autour des populations civiles éprises de liberté, et notamment de la population de Benghazi. Chaque jour, chaque heure qui passe alourdit le poids de la responsabilité qui pèse sur nos épaules. Prenons garde d’arriver trop tard ! Ce sera l’honneur du Conseil de sécurité d’avoir fait prévaloir en Libye la loi sur la force, la démocratie sur la dictature, la liberté sur l’oppression.

Fin de citation


Ce qui précède appelle, évidemment, quelques commentaires :


A. Le cadre juridique


1a. La volonté populaire est foulée au pied par le régime du colonel Kadhafi.

1b. Au moment même où je vous parle, les troupes du colonel Kadhafi poursuivent la reconquête violente des villes et des territoires qui s’étaient libérés.

Et là, on s'interroge : en quoi ces contingences libyennes relèvent-elles du droit international ? - lequel régit les relations existant entre des sujets de droit international, en clair, des États - et relèvent-elles de la compétence du Conseil de Sécurité de l'ONU ? Et qu'est-ce que Monsieur Juppé entend par "territoires qui s'étaient libérés" ? Et comment explique-t-il que ces territoires puissent s'être libérés, au point que l'État libyen doive les reprendre par la force ? Autrement dit, en quoi la reconquête par un État de la souveraineté sur son territoire, face à une insurrection, relève-t-elle du droit international ?


B. La base juridique

2a. Les attaques systématiques et généralisées (…) commises (…) contre la population civile pourraient constituer des crimes contre l’humanité.

2b. Dans tout le pays, les violences perpétrées contre les populations civiles n’ont fait que redoubler.

2c. Nous ne pouvons pas laisser faire les fauteurs de guerre. Nous ne pouvons abandonner à leur sort des populations civiles victimes d’une brutale répression.

2d. Je voudrais aussi saluer l’engagement de l’Union africaine qui a appelé à l’arrêt des violences contre les civils.

2e. Avec ce projet de résolution, nous nous donnons les moyens de protéger les populations civiles libyennes.

D'abord, on nous dit qu'il y a des territoires "libérés", on suppose qu'ils ne se sont pas "libérés" pacifiquement, ensuite, on met en avant le fait que des populations civiles seraient menacées, et que c'est cela qui constituerait la motivation essentielle de la sollicitude des initiateurs de la résolution.

Et là, il semble qu'on nous prenne pour des cons ! Plus sérieusement, dès lors qu'il y a eu "territoires libérés", on est en droit de penser qu'il y a "insurrection", c'est-à-dire "belligérance", donc groupes armés adversaires. Comment expliquer, dans ces conditions, que le propos de M. Juppé suggère que les "populations civiles" à protéger seraient dans un seul camp ?

Quant aux crimes contre l'Humanité, je n'ai pas l'impression, à lire la Charte des Nations Unies, qu'ils relèvent de la compétence du Conseil de Sécurité, mais peut-être nous a-t-on changé la charte nuitamment, parce que ni Milosevic, ni Mladic, ni Karadzic, ni Charles Taylor... ne se sont jamais présentés devant le Conseil de Sécurité. Et même un(e) étudiant(e) de première année de droit reniflerait le détournement de procédure !


C. Motivation de l'action et mesures

3a. Dès lors que les premières mesures n’ont pas été suffisantes...

3b. Instauration d’une zone d’exclusion aérienne.. D’abord en mettant en place une zone d’exclusion aérienne

3c. En renforçant les sanctions adoptées à l’encontre de ce régime.

Qu’il s’agisse de la mise en œuvre de l’embargo sur les armes, du gel des avoirs des autorités de Tripoli ou de l’interdiction de vol des compagnies aériennes libyennes.

On aura remarqué qu'à aucun moment le texte de M. Juppé n'évoque le moindre texte de référence onusien, je veux dire, en l'occurrence, la Charte, notamment son chapitre VII, se bornant à des formules vagues et creuses comme ces premières mesures qui n'auraient pas été suffisantes, sans évoquer, à aucun moment, toutes les mesures envisageables, s'agissant de protection de populations civiles menacées.


Et l'on s'étonne de cette lacune, quand on sait que l'ONU a abondamment eu recours aux forces d'interposition (Finul, Kfor, Monuc, Minuci, etc., en clair, des détachements de Casques Bleus censés garantir la sécurité de populations menacées ou un statu quo de non belligérance, qu'il s'agisse du Liban, du Congo, du Kossovo, etc.) !

Pour mémoire : l'ONU s'est abondamment manifestée à travers le monde, dans le cadre de missions de la paix, ce qui est sa vocation première !
 


6 août 2010 – Pour veiller à ce que les mandats des opérations de maintien de la paix (OMP) soient clairs, crédibles et réalisables et que les ressources adéquates soient disponibles, le Conseil de sécurité a entendu vendredi les commandants de plusieurs missions de l'ONU. Ils ont présenté les différents aspects des opérations qui avaient à remplir, en insistant sur l'importance de la protection des civils. (...)  l'heure actuelle, 84.000 casques bleus, 13.000 policiers et 23.000 civils sont déployés dans le monde par l'ONU, au sein de 18 opérations de maintien de la paix dont le financement total représente 7,7 milliards de dollars. Avec le retrait programmé des missions en République Centrafricaine et au Tchad (MINURCAT) et en République démocratique du Congo (MONUSCO), les opérations de l'ONU sont entrées dans une période de stabilisation.

Il est pour le moins stupéfiant que, dans une contingence interne à l'Etat libyen, un certain nombre de puissances n'aient rien trouvé de mieux que d'instrumentaliser l'ONU vers une campagne d'agression, alors même qu'aucune des mesures traditionnelles régulièrement appliquées n'a été évoquée. Dans ces conditions, tout le monde avait compris que l'on nous menait en bateau.


D. Dés pipés = tour de passe-passe !

4. Outre la zone d’exclusion aérienne,
toutes les mesures nécessaires pour protéger les populations et les territoires, y compris Benghazi, qui sont sous la menace d’une attaque des forces du régime de Kadhafi.


Et voilà le travail ! Se faire décerner un chèque en blanc, en la forme de "toutes les mesures nécessaires", ce qui explique que le recours à la guerre et à l'agression militaire ne figure à aucun moment dans le texte du politicien français, ni dans la résolution 1973, laquelle, pour mille raisons, est une violation flagrante de la Charte des Nations Unies !


Et cette escroquerie, ourdie par quinze États moins cinq (complices), s'est déroulée quasiment sous nos yeux, dans le silence assourdissant de nos grands organes de presse, dont on nous vante, chaque jour, la déontologie et la probité dans la défense de la liberté d'expression !

Pour conclure provisoirement ce chapitre, je me suis laissé dire qu'Alain Juppé nourrissait de sérieuses ambitions politiques, tenant à sa (supposée) capacité à exercer les plus hautes fonctions... Qu'il me soit permis d'en douter. Parce qu'en se laissant embarquer dans la sinistre pantalonnade qui se déroule sous nos yeux en Libye, Juppé a montré qu'il n'était qu'un politicien sans envergure ni vision politique, pour croire, par exemple, que les "HARKIS" de Benghazi pourraient unifier et diriger, demain, un pays qu'ils auraient contribué à détruire partiellement, avec l'aide de troupes étrangères  ! 

Faut-il que la politique rende les gens aveugles et stupides au point de les empêcher de tirer des leçons de l'histoire ? Quelqu'un pourrait-il me dire où en sont les Harkis afghans que l'Union Soviétique est venue maintenir au pouvoir à Kaboul, dix années durant (1979-1989), moyennant une effarante débauche en armements et en troupes ?

Pauvre Alain Juppé, pauvre France et pauvre "communauté internationale" prise en otage par des faussaires et de mauvais prestidigitateurs, qui glosent sur les talents de bloggeurs tunisiens, égyptiens ou iraniens - laissez-moi rire ! -, tout en étant persuadés qu'ici, le silence radio complice de la grande presse les protège. Les pauvres gens !

P. S. Il va bien falloir qu'un jour, et le plus tôt possible, les dirigeants français expliquent aux soldats français servant actuellement en Afghanistan, ainsi qu'aux familles de ceux qui sont tombés sous les balles et machines infernales des Talibans, que la France travaille, actuellement, à aider Al Qaeda à accroître son implantation en Afrique du Nord !


I. Constitution de la Vème République 

Art. 1. La France est une République indivisible... (mais pas la Lybie, bien sûr. Alain Juppé dixit!)

II. Pour tous ceux qui, comme Alain Juppé, auraient des trous de mémoire...