dimanche 24 février 2019

Gilets jaunes, colère noire et volée de bois vert #13


Épisode §13. Comme un air de 'матрешка' (matrioshka)

Matriosh-quoi ?

Matrioshka ! Les poupées russes !

Mais quel rapport avec les Gilets Jaunes ?

Allez sur sur Youtube et vous allez comprendre. Prenez, par exemple, cet extrait d'un forum de discussion :

bag xiril y a 9 heuresC'est vrai le mouvement des GJ a ses lacunes, , c'est vrai qu'il est ambigu, mais sa force est de dépasser les clivages paralysants entre les tendances partisanes. En mettant l'accent sur ce qui nous rassemble et pas sur ce qui nous divise on perd sans doute en cohérence, mais on gagne en efficacité. Et c'est bien ce qui ennuie le pouvoir, qui faisait mieux son affaire des oppositions politiques ou syndicales divisées et donc inoffensives. Alors au delà des ambiguïtés les GJ nous rappellent une vérité : on est à 99% dans le même bateau ! (Source)
Lorsque j'écrivis, tantôt, à ce "Gilet Jaune", pour lui annoncer que "vous allez échouer, sauf si...", c'était pour voir s'ils seraient capables de faire la part de l'essentiel et de l'accessoire.
Un exemple : je n'ai pas de voiture, je n'habite pas dans un pavillon. Donc, je ne suis pas concerné par le prix du fioul domestique ni par celui du carburant à la pompe. Donc, je ne peux pas être un 'Gilet Jaune' !
Par ailleurs, les prix, ça monte et ça descend ; il s'agit de données conjoncturelles. Que feraient les Gilets Jaunes si les prix de toutes les marchandises étaient divisés par deux par une opération du Saint-Esprit ? Ils s'arrêteraient ? Est-ce que la simple division par deux des prix à la consommation signifierait plus de démocratie ? Il me semble que non !
Parce qu'au-delà des questions de vie chère et de pouvoir d'achat, il y a des considérations relevant de la structure même de l'organisation sociale, et c'est cela qui m'importait en observant le mouvement, et en le replaçant dans la longue durée de bien des mouvements protestataires qui, dans leur quasi-totalité, ont échoué (Poujade, le Cidunati), quand ils n'ont pas débouché sur une 'reconquista' par les forces qu'ils auraient voulu abattre (cf. la victoire du gaullisme à la suite des émeutes de Mai 68).
On a un peu oublié que les élections ayant suivi la "grande" révolte de Mai 68 ont sacré le clan gaulliste, permettant au régime bonapartiste initié en 1958 d'en reprendre pour un demi-siècle, tout ça parce que les insurgés de Mai 68 n'ont été obnubilés que par des questions conjoncturelles et subalternes comme le fait de savoir si, dans les résidences universitaires, les garçons allaient pouvoir accéder aux chambres des filles !!!!!
J'aime bien le message reproduit ci-dessus : "En mettant l'accent sur ce qui nous rassemble et pas sur ce qui nous divise on perd sans doute en cohérence, mais on gagne en efficacité."
Les retraites ? Elles concernent les retraités. Les impôts ? Ils concernent ceux qui paient (payaient !) l'ISF, l'impôt sur le revenu, la CSG. Les prix à la pompe ? Ils concernent les automobilistes. Les charges sur les entreprises ? Elles concernent les employeurs, etc.
On voit bien que tout le monde ne pense pas la même chose des impôts et des taxes, ni de l'ISF. Mais connaissez-vous quelqu'un qui souhaite voir réduire les libertés publiques et la démocratie ? 
En clair : en se focalisant sur l'essentiel, sur lequel tout le monde peut se mettre d'accord, et non sur des considérations accessoires, qui n'intéressent que telle ou telle catégorie de la population, on gagne en efficacité car, du coup, tout le monde se sent concerné.
En mettant l'accent sur ce qui rassemble, les Gilets Jaunes montrent qu'ils ont compris que certains acquis nécessitaient l'accès préalable à des passages obligés, comme le fait d'emprunter un col ou une passe pour aller d'une vallée à une autre sur une route de montagne.
C'est le principe des matrioshkas russes : des poupées enchâssées les unes dans les autres. Et là, vous avez une première poupée, qu'il faut ouvrir pour accéder à la deuxième, qu'il faut ouvrir pour accéder à la troisième...

En clair, l'accès à l'ensemble des poupées est conditionné par l'ouverture de la plus grande poupée, laquelle constitue un passage obligé vers la poupée suivante, et ainsi de suite.



Mais il ne s'agit pas, là, d'une invention russe, mais égyptienne, qu'Howard Carter et son équipe mettent à jour lors de la découverte du mastaba de Toutankhamon, avec une série de sarcophages enchâssés les uns dans les autres, puis dans des caissons, eux-mêmes enchâssés les uns dans les autres. Le fait est qu'il a fallu à l'équipe Carter ouvrir un paquet d'enveloppes gigognes avant d'accéder à la momie du pharaon, ainsi que le montrent les illustrations qui suivent.




Vous connaissez le fameux slogan : "Donnez-moi un levier et je soulèverai le monde !" ? Voilà comment les Gilets Jaunes ont compris qu'il leur fallait trouver un levier, pour ouvrir la première poupée et pour pouvoir accéder à la deuxième matrioshka, etc., et ce levier s'appelle le RIC : la démocratie dans toute sa plénitude et non pas sa caricature baptisée "démocratie représentative". Et cette démocratie réhabilitée dans sa plénitude est la seule issue vers la résolution de l'ensemble des problèmes.
Mais, tandis que les Gilets Jaunes ont mis le doigt sur l'essentiel, le président français choisit de s'abîmer dans des considérations accessoires, via un marathon blablateur qui le voit s'abaisser à traiter de questions relevant de la compétence d'un sous-secrétaire d'État ! Parce qu'un président ne devrait pas abaisser sa fonction à s'occuper de la couleur du papier-toilette dans telle ou telle maison de retraite ou du menu de telle ou telle cantine scolaire, parce que ce n'est pas cela qu'on attend d'un président ! Et c'est là qu'on voit qu'au final, l'intelligence est du côté des Gilets Jaunes et non du promoteur du Grand Blabla national, lequel consiste à parler, des heures durant, de tout et de n'importe quoi, alors que la logique la plus élémentaire voudrait que l'on se concentre, avant toute chose, sur l'essentiel, au lieu de déblatérer à longueur de soirée sur des considérations subalternes. Parce que, si l'initiateur du Grand Blabla national avait vraiment compris ce qui se passe dans le pays, il ne perdrait pas son temps à parler de l'aménagement d'un rond-point à Trifouillis-les-Cormeilles ou de la pose d'un ascenseur dans la maison de retraite 'Les Peupliers', à Margouillat-sur-Oise, mais répondrait à la principale question posée par les Gilets Jaunes : celle portant sur la restauration de la démocratie dans toute sa plénitude, après soixante ans de régime autocratique. Du coup, on peut prévoir la suite des opérations : il va bien falloir qu'à un moment ou un autre, le Grand Blabla national réponde à une question simple, qui est aussi la plus importante : c'est qui le souverain ? Faute d'une réponse satisfaisante à cette question essentielle, tout le reste apparaîtra comme n'étant que broutilles et peccadilles, et Jupiter risque de se retrouver tout nu !

Petit supplément illustré

Lectures : 01 - 02 - 03 (en anglais on dit "a must see") - 04