Le matin du jeudi 14 octobre 2010, j'écoute France Inter (ben oui, ça m'arrive aussi le matin, même si je ne rate que très rarement, sur le coup de 15 heures, celui que Télérama avait baptisé "le passionario", je veux parler du présentateur de Là-bas si j'y suis (Daniel Mermet), qu'un guignol de président a fait passer de 17 à 15 heures, mais bon. J'aime bien également Isabelle Giordano et notre ex-violoncelliste virtuose Frédéric Lodéon.) lorsqu'arrive la chronique de Bernard Guetta. Il y est question de la visite du président iranien, Mahmoud Ahmadinedjad, au Liban. Je suis allé sur le site de France Inter et vous la livre ici, in extenso. Je vous avoue qu'en l'entendant, j'en suis resté baba, au point de me demander ce que le chroniqueur de France Inter avait fumé ou bu en ce matin d'octobre. Les mises en exergue sont de mon fait et vont appeler quelques commentaires.
Bernard Guetta
Bernard Guetta
jeudi 14 octobre 2010
Le président iranien s’était entretenu, mardi, par téléphone, avec le souverain saoudien. A la veille de son arrivée au Liban, Mahmoud Ahmadinejad souhaitait rassurer le roi Abdallah sur les buts de cette visite. Il voulait lui dire qu’il n’entendait pas accentuer les divisions libanaises et, de fait, il a bien pris soin, hier, à Beyrouth, de se déclarer en faveur d’un « Liban fort et unifié ». Il ne pouvait pas faire moins alors que le poids que l’Iran chiite a pris dans ce pays grâce au soutien qu’il apporte au Hezbollah, organisation politico-militaire des chiites libanais, inquiète autant sunnites et chrétiens du Liban que l’ensemble des pays sunnites de la région, Arabie saoudite en tête.
Mahmoud Ahmadinejad a évité la provocation. Il a respecté les formes en s’entretenant avec le président chrétien et le Premier ministre sunnite du pays qui le recevait mais, ces formalités remplies, c’est à un immense meeting du Hezbollah, du parti de Dieu, qu’il participait hier soir et c’est au sud du pays, aux terres du mouvement chiite, qu’il réserve, aujourd’hui, la seconde et dernière journée de sa visite (1).
En vingt-quatre heures, il a déjà trouvé le temps de saluer « la résistance du peuple libanais contre le régime sioniste » qui « poursuit, a-t-il dit, sa chute et qu’aucune puissance de ne pourra sauver », d’affirmer que le Liban et l’Iran avaient des « ennemis communs » que le meeting du Hezbollah a nommés aux cris de « Mort aux Etats-Unis ! Mort à Israël ! », et d’entendre Hassan Nasrallah, le chef du Hezbollah, estimer qu’il « disait la vérité en affirmant qu’Israël était un Etat illégitime qui devait disparaître ».
Accueilli en héros par des dizaines de milliers de militants du Hezbollah (2) qui le couvraient de pétales de rose tandis qu’il les saluait de sa voiture décapotable, Mahmoud Ahmadinejad le sera mieux encore dans le Sud car c’est de l’argent iranien qui y a permis de reconstruire les villages détruits par l’aviation israélienne lors de la guerre de l’été 2006. Dans le Sud, à la frontière israélienne, l’Iran est un Etat suzerain, celui qui arme le Hezbollah et remplit les caisses de ce tout puissant Etat dans l’Etat (3). Il est peu probable que Mahmoud Ahmadinejad s’y abstienne, tout à l’heure, de nouvelles diatribes anti-israéliennes et cette visite est ainsi la meilleure des leçons de choses sur ce qu’est, aujourd’hui, la réalité du Proche-Orient (4).
Depuis les attentats du 11 septembre et, chaque année, toujours moins, cette réalité n’est plus celle d’un affrontement entre Israéliens et musulmans mais, bien plutôt, entre deux nouveaux camps – d’une part les régimes sunnites, Israël et l’Autorité palestinienne et de l’autre, l’Iran, le Hezbollah libanais, le Hamas palestinien et la Syrie (5). Ces camps ne sont pas homogènes. Le Hamas n’est pas chiite mais sunnite. La Syrie a deux fers au feu car elle aimerait se réconcilier avec les Occidentaux mais, l’un dans l’autre, c’est une branche de l’islam contre l’autre, les chiites contre les sunnites avec Israël devenu, de fait, l’allié des seconds. C'est pour cela que les chances d’un accord israélo-palestinien n’ont jamais été aussi grandes (6) et pour cela que les tergiversations et l’intransigeance de Benjamin Netanyahu paraissent, chaque jour, plus effarantes et irrationnelles (7).
Observations :
(1) Notons que le chroniqueur de France Inter n'a pas attendu la fin de la visite du président iranien pour en analyser la visite libanaise.
(2) Entre nous, il y avait surtout des Libanais, majoritairement chiites ; de là à tous les ranger dans le camp du Hezbollah est quelque peu osé !
(3) L'Iran : Etat suzerain, simplement parce qu'il est solidaire du Liban face à Israël ? Guetta doit bien connaître son dictionnaire pour savoir que "suzerain" renvoie à la féodalité, ce qui est contraire à la réalité libanaise, avec cette répartition des pouvoirs (politiques) entre les diverses communautés, à laquelle l'Iran n'a rien modifié, ce qui lui aurait été facile, s'il s'était agi d'un suzerain ! Nous mettrons cette analyse erronée sur le compte de la méconnaissance du terrain. Après tout, il est très facile de pérorer depuis un bureau parisien !
(4) Par ailleurs, si l'on suit le raisonnement de M. Guetta, et si l'on prend en compte les milliards déversés, par exemple, par les Etats-Unis, en guise d'aide annuelle à Israël, notamment sur le plan militaire, ainsi que politique - les premiers ministres israéliens détenant des records en matière de visites officielles à Washington -, dès lors que pour une seule visite du président iranien au Liban, on dénombre des dizaines de visites des dirigeants israéliens aux États-Unis, on se demande réellement qui est le suzerain de qui et si la réalité du Proche-Orient, qui nous est suggérée par Guetta, n'est pas plus que travestie.
(5) Pas d'affrontement entre Israéliens et musulmans mais plutôt entre deux nouveaux camps. Et c'est là qu'on touche véritablement au délire !
D'abord, il y a l'opposition Israéliens-Musulmans, pour le moins étrange, pour ne pas dire incohérente : parce qu'il n'y aurait pas de Musulmans israéliens ?
Mais il y a surtout cette théorie, visiblement sortie d'un cerveau plus qu'agité, d'une répartition entre, d'une part, les régimes sunnites, Israël et l'autorité palestinienne et, d'autre part, l'Iran, le Hezbollah, le Hamas palestinien et la Syrie. Non mais sans blague ! Sachant que les sunnites représentent 85 % des musulmans du monde, il faut donc en déduire que l'immense majorité des musulmans du monde se tiennent aux côtés d'Israël dans sa croisade coloniale contre les Palestiniens, qui, eux-mêmes, auraient choisi de prêter main forte à leurs bourreaux ! Et là, on se dit qu'il faut être sérieusement dérangé intellectuellement pour oser proférer de pareilles sornettes ! La suite est tirée par les cheveux, cheveux qu'on s'arrache, pour être certain d'avoir bien lu !
Hé oui, le Hamas n'est pas chiite mais sunnite ! Une branche de l'Islam contre l'autre et Israël devenu, de fait, l'allié des sunnites. Guetta oublie juste de dire que l'opposition chiites-sunnites n'a pris un tour critique qu'en Irak et n'a que peu d'effet au Liban, tandis qu'ailleurs, soit dans la quasi-totalité des pays musulmans, les sunnites règnent en maîtres. Et ce sont précisément ces pays majoritairement sunnites qui ont, par exemple, obtenu l'exclusion d'Israël de la zone Asie-Pacifique de la Fifa, ce qui explique que le football israélien ait été rattaché à la zone européenne. Voilà une réponse claire au délire de ce pauvre Guetta autour d'un prétendu axe israélo-sunnite !
(6) Les chances d'un accord israélo-palestinien n'ont jamais été aussi grandes... Notre expert en géo-politique aurait pu se contenter d'observer que l'observance, par Israël, des résolutions onusiennes constituerait une base de départ bien plus consistante que les élucubrations de tel ou tel expert.
(7) Quant à l'irrationalité de M. Netanyahu, on ne voit pas très bien ce qu'il y a d'irrationnel à vouloir s'emparer d'un territoire dans le but d'assouvir une ambition coloniale. Netanyahu est, au contraire, parfaitement rationnel, en veillant à sauvegarder sa coalition de bric et de broc à coups de cadeaux faits aux religieux d'extrême-droite qui le tiennent par la barbichette.
Et il faut croire que le parti israélien de la colonisation se contrefiche des expertises, tirées par les cheveux, du pauvre Bernard Guetta... En tout cas, voilà comment Israël se comporte à l'égard de ses "alliés" de l'Autorité palestinienne !