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vendredi 13 novembre 2020

Le "séparatisme islamiste" pour les nuls, version Financial Times

 Le Financial Times publie tantôt un papier signé Olivier Roy et daté du 7 novembre 2020, mettant en cause, à son tour, la pertinence de cette invention baptisée (avec les guillemets de rigueur) "séparatisme" islamiste. Est-ce que, par hasard, cet Olivier Roy aurait lu mon propre papier paru ici même (3 novembre 2020) ? That is the question! Plus sérieusement, tout esprit censé et disposant d'un minimum de culture générale voit bien que ce concept de "séparatisme", ciblant la religion musulmane et elle seule, relève de la plus pure ineptie, ainsi que je l'exprimais ici même.

Sinon, je n'ai pas très bien compris la référence aux gilets jaunes. Pour le reste, ce papier m'a paru suffisamment intéressant pour justifier une traduction en français.

 

 Source

Début octobre, avant les meurtres terroristes d'un instituteur en dehors de Paris et de trois personnes dans une église de la ville de Nice, le président français, Emmanuel Macron, a lancé une campagne de répression du « séparatisme » islamiste en France. Il a annoncé alors des plans pour des contrôles stricts sur les associations religieuses et culturelles, et une interdiction de l'enseignement à domicile, sauf pour des raisons de santé.

Le gouvernement français présentera, début décembre, un projet de loi visant à « renforcer la laïcité », version typiquement française du sécularisme, et à « consolider les principes républicains ». Les propositions reposent sur deux thèses.

Premièrement, ce terrorisme djihadiste serait alimenté par la propagation de l’islamisme ou du « salafisme » dans les banlieues défavorisées de France et, deuxièmement, la manière de le combattre serait de promouvoir, voire d'imposer les « valeurs de la république ».

La première thèse est particulièrement importante car elle suppose que l'on cible tout particulièrement le « séparatisme » islamiste, et pas d'autres communautés religieuses ou mouvements séparatistes laïques, comme le nationalisme corse. Cela pourrait conduire à des décisions allant de l'interdiction aux États musulmans d'envoyer des imams en France, à l'interdiction aux médecins de fournir des certificats de virginité. Cela peut également exiger des services publics qu'ils signalent les « premiers signes de radicalisation » - généralement rien de plus qu'une démonstration de dévotion telle que la prière en public. En plus d’élargir la capacité de l’État à interdire les organisations jugées nuisibles à la République, M. Macron a appelé à une expansion des programmes existants de lutte contre la radicalisation.

Les propositions soulèvent deux questions clés. Quel est le lien entre l'islamisme et la violence terroriste ? Et quelles sont ces « valeurs républicaines » que l'exécutif veut protéger et renforcer ?

Mon enquête sur les responsables des précédents attentats terroristes sur le sol français montre, contrairement à l’opinion désormais dominante, qu’il ne s'agit pas de sujets radicalisés via une « incubation salafiste » dans les mosquées et les écoles religieuses des banlieues défavorisées de France. Au contraire, la plupart s'étaient radicalisés au sein de petits groupes d'amis et de parents, souvent dans un milieu caractérisé par la petite et moyenne délinquance. Ils utilisent Internet pour trouver des textes et de l'inspiration, et font peu voire pas de référence aux principes de la charia. La plupart d'entre eux vivaient à la marge de la communauté musulmane, pas en son centre.

Les mesures actuellement proposées auraient-elles pu empêcher l'un quelconque des attentats terroristes perpétrés en France depuis l'attentat du métro parisien en 1995 ? La réponse, me semble-t-il, est non.

La deuxième thèse qui sous-tend le projet de loi – à savoir que la réaffirmation des « valeurs de la république » est au cœur de la lutte contre l'islamisme - soulève deux autres questions. Quelles sont précisément ces valeurs ? Et que signifie le fait de les imposer à une société censée respecter la liberté d'opinion et de croyance ?

Il est vrai qu'il y a eu une croissance en France au cours des deux dernières décennies de ce que j'appelle le « néo-fondamentalisme ». J'entends par là la transformation des formes traditionnelles de l'islam en un système de normes explicites qui ont un impact sur la vie sociale, y compris le port du hijab, appelle à manger de la nourriture halal et à refuser de serrer la main des femmes.

Le néo-fondamentalisme a pris racine dans certaines des régions les plus défavorisées de France, alors même que les fractures sociales du pays se sont aggravées. Cela a également donné naissance à des mouvements de protestation non religieux, tels que les gilets jaunes. Mais quelle est l'alternative que les « valeurs républicaines » sont censées incarner ?

Ces valeurs n'ont pas été consignées dans la loi de 1905 qui a établi la séparation de l'Église et de l'État. Les valeurs de la République, à cette époque, étaient des valeurs chrétiennes conservatrices sécularisées - les femmes n'avaient pas le droit de vote et l'homosexualité était criminalisée.

Les valeurs républicaines auxquelles le président Macron fait référence sont clairement les valeurs libérales des années 1960 : égalité des sexes, liberté sexuelle, mixité, etc. Mais en quoi ces valeurs diffèrent-elles des valeurs des autres pays européens ?

Ce qui est spécifiquement français dans les valeurs que le président a choisi de défendre, c'est la laïcité, ou le sécularisme. Le projet de loi aurait pour effet de réduire l'affichage de la foi religieuse, et pas seulement de l'islam, dans la vie publique, souvent au détriment des valeurs très libérales - liberté de religion, de pensée et d'expression - qu'il est censé protéger.

Voir ces questions, comme le font certains critiques, à travers le prisme du racisme, n'a pas de sens. De nombreux musulmans laïques sont des partisans de la lutte pour les valeurs républicaines. À l'inverse, de nombreux catholiques conservateurs se sentent de plus en plus mal à l'aise avec les interprétations actuelles de la laïcité. Et si certains sont hostiles à l'islam, ils rejettent l'idée même de ce que M. Macron appelle le « droit au blasphème ». Le vrai problème ici est donc ce qui reste de la liberté religieuse dans notre république sécularisée.