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mercredi 21 août 2019

Vu à la télé #2.2


Épisode §2.2. Deuxième partie : arrêts sur images

Pour comprendre ce qui va suivre, vous allez devoir afficher également l'épisode précédent sur l'écran en cliquant sur le lien.

Bien évidemment, les férus d'ethnographie ou simplement les téléspectateurs fidèles à France Ô n'auront eu aucun mal à "légender" la soixantaine d'images que j'ai extraites du reportage évoqué au précédent chapitre, fût-ce de manière sommaire, dès lors qu'à elles seules, ces images ne donnent qu'une vision forcément parcellaire du contenu du reportage ; j'en suis tout à fait conscient. Néanmoins, ces images sont tout à fait parlantes, puisque c'est moi qui les ai choisies pour ce faire !

Et, au risque de me répéter, j'affirme ici que ceux et celles qui souhaitent faire disparaître la chaîne France Ô du paysage audiovisuel (national) français, soit n'ont jamais regardé cette chaîne (avec l'acuité de quelqu'un disposant d'un bagage intellectuel moyen), soit se targuent d'afficher au grand jour, et ce, sans la moindre vergogne, leur phénoménale stupidité, doublée d'une non moins phénoménale inculture.

Par parenthèse, je viens d'adresser un tweet à Mme D.E., présidente de France Télévision, pour l'inviter à constituer un jury d'experts autour de chercheurs du CNRS (Centre National de la Recherche Scientifique...), mais affichons plutôt le tweet !
Pour mémoire (à l'attention de mes visiteurs lointains), la France est le pays de grands ethnologues  ou ethnographes [je n'aime pas trop les assimiler à des anthropologues, terme que je réserverais à des biologistes ou des paléontologues comme Yves Coppens, les premiers : ethno... étant surtout des experts du mode de vie de "micro-sociétés", quand les autres (bio-, paléo-, s'occupent aussi, par exemple, des groupes sanguins, de la morphologie, de l'ADN..., en clair, de l'Humain pris dans sa globalité.)] ; citons Marcel Mauss, Maurice Leenhardt, Claude Levi-Strauss, Françoise Héritier..., un des derniers de cette illustre lignée étant Jean Malaurie, dont j'espère qu'il jouit encore d'une énergie toute juvénile, malgré son grand âge.

Et c'est précisément là que je mets volontiers la dame de France Télévision au défi de faire expertiser l'audiovisuel français (= la trentaine de chaînes gratuites de la Télévision Numérique Terrestre) par un jury d'experts présidé par notre grand ethnologue (qui vient des sciences pures, comme tous les vrais philosophes !), afin de noter ces chaînes selon la richesse culturelle de leurs programmes : histoire, géographie, sciences, traditions, ethnographie, éducation, diversité, etc.

On dit chiche à Madame la Présidente de France Télévision ?

J'affirme, ici, que sur ce plan : richesse culturelle, dépaysement, découverte des autres peuples et recherche permanente de l'excellence, hormis la chaîne internationale ARTE et (un peu moins) France 5, la chaîne généraliste française la plus enrichissante, mais aussi la mieux adaptée au paysage audiovisuel mondial qui s'impose à nous chaque jour un peu plus, c'est France Ô.

Le fait est que, lorsque je prends de volée le petit reportage évoqué dans l'épisode précédent, je retrouve l'essence même de France Ô, qui nous plonge quelque part dans le vaste monde.

Et, bien évidemment, dès la deuxième image, vous aviez compris qu'on était en Océanie, chez les Maoris. Mais comme j'ai coupé le son, je me perds en conjectures, tant l'espace maori est vaste ! 
Image n° 2. À dire vrai, ce qui m'incite à lancer l'enregistrement de ce reportage, ce n'est pas tant le fait d'être chez les Maoris, mais plutôt un sujet qui m'intrigue depuis longtemps : l'obésité chez les Polynésiens.

Et à la réflexion, comme j'avais suggéré, lors de l'épisode précédent, que le petit reportage en question pouvait servir de base à un mémoire universitaire, je vais faire les choses comme je suggérerais à un(e) jeune confrère/consoeur de le faire : plutôt que de commenter les images une à une, nous allons faire ressortir quelques thèmes importants et nettement lisibles sur les images. Ces dernières sont affichées dans un ordre strictement chronologique.

1. Le thème du reportage m'a échappé à moitié, ayant pris le sujet en cours de route, et n'ayant pas pu mettre la main sur le "podcast". Titre de l'émission (plutôt bizarre, voire un tantinet racoleur) : "Icôniques vahinés". En fait, il s'agissait du portrait d'une jeune fille se préparant à un concours de Miss, dans son île, quelque part assez loin de Tahiti (pour mémoire, la Polynésie Française s'étend sur au moins 2000 km).

Et c'est là que réside tout le talent d'une chaîne comme France Ô : car là où une chaîne vulgairement commerciale (cf. TF1 ou M6) se serait bornée à aller à Tahiti pour y faire de gros plans sur les rondeurs des filles, les déhanchements et les couronnes de fleurs, ici (France Ô), les producteurs, tout en se focalisant sur le sujet principal du reportage, en ont profité pour faire des incursions ici ou là, histoire de prendre en compte divers aspects de la culture polynésienne, de quoi permettre à un(e) étudiant(e) en ethnologie - que je ne suis plus - d'acquérir, en moins d'une heure, une foule d'informations qu'il/elle aurait mis des années à collecter,  moyennant des milliers de kilomètres de parcourus !

Quand je pense qu'il y a des "intellectuels" qui prétendent ne pas regarder la télévision parce qu'elle ne leur apporterait rien de substantiel !  

2. Le cadre géographique : nous sommes en Océanie et, précisément, sur un "motu", soit l'équivalent d'un village fort éloigné d'une ville et localisé sur une île, voire un atoll. Comme indices, on a la mer et les maisons traditionnelles (cf. img. 1, 14, 58-60). De fait, l'unique plan tourné en ville apparaît tout à la fin du reportage (cf. img. 66).

3. La population : aussi étrange que cela paraisse, je n'ai pas vu un seul "alien" durant tout le reportage, je veux dire pas un seul non-tahitien. Ce qui suggère fortement que les producteurs ont fait le choix délibéré de s'enfoncer dans la Polynésie profonde, loin du métissage folklorique et superficiel d'une ville comme Tahiti. C'est en tout cas une interprétation toute personnelle que je retire de ce reportage.

4. L'obésité : ben oui, il faut bien y revenir, tant la chose explose durant tout le reportage (cf. img. 2, 3-5, 7). Et là, je repense à ce chanteur hawaïen, Iz (1959-1997) popularisé par une reprise de "Over the rainbow". Le garçon était plus qu'obèse et n'a pas vécu bien longtemps ! Notons que bien des jeunes dans ce petit patelin sont déjà en surpoids (cf. img. 13)

Source
Nous sommes là en présence de l'obésité sous sa forme la plus morbide, qui crée des handicapés à l'espérance de vie bien réduite, une obésité à la nord-américaine, face à laquelle les médecines les plus modernes semblent bien impuissantes.

Voici ce qu'on pouvait lire, en 2014, sur un site nord-américain :
Until now, Americans have been losing the battle of the bulge. (...) More than a third of all adults and 17 percent of young people are obese, according to the experts, and many of them have been consigned to troubled lives with obesity-related health problems such as type 2 diabetes, coronary heart disease and stroke, hypertension, arthritis and even cancer. Without major government and private intervention and a sea change in many Americans’ unhealthy eating habits, the adult obesity rate could reach 50 percent by 2030, according to one study. (source)
Traduction : Jusqu'à présent, les Américains ont perdu la bataille du surpoids. (...) Plus d'un tiers de tous les adultes et 17 pour cent des jeunes sont obèses, selon les experts, et beaucoup d'entre eux ont été confinés dans des conditions de vie perturbées par les problèmes de santé liés à l'obésité, pour citer le diabète de type 2, les maladies coronariennes et les accidents cérébrovasculaires, l'hypertension, l'arthrite et même le cancer. Sans une intervention majeure du gouvernement et du secteur privé et un changement radical dans les habitudes alimentaires malsaines de nombreux Américains, le taux d'obésité des adultes pourrait atteindre 50 % d'ici 2030, selon une étude.
Le fait est que surpoids et obésité touchent particulièrement les populations les plus pauvres du monde. C'est ainsi qu'en France, l'obésité est quatre fois plus importante chez les enfants d'ouvriers que les enfants de cadres. Et s'il y a une chose que les sociétés de l'opulence ont réussi à exporter dans le reste du monde, c'est précisément ce surpoids (l'obésité n'étant souvent que l'arbre qui cache la forêt) qui a tout envahi, notamment les pauvres où qu'ils vivent.

Et comment les Outre-mer auraient-ils pu échapper à la pandémie, eux dont les élites vivent dans l'hystérie permanente de vouloir copier leurs modèles occidentaux ?
Source

Citation, dans la rubrique "C'est à peine croyable !" :
Mercredi 27 mars 2013, les députés de la majorité ont voté en première lecture une proposition de loi socialiste visant à mettre fin à une situation étonnante : dans les DOM-TOM, certains produits alimentaires comme les sodas ou les yaourts contiennent bien plus de sucre que leurs équivalents vendus en France hexagonale. (...) Tout comme le scandale du chlordécone et son cortège de cancers et de retards psychomoteurs, c’est à une autre exception mortifère des outremers français que s’attaque le Parlement. (...) Retour sur un scandale de santé publique, ou comment les industriels « se sucrent » sur le dos des Français d’Outre-Mer. (Source)
Dans le même temps, ces sociétés dites pauvres, où l'obésité explose, sont aussi des contrées où les humains bougent parce que forcés de le faire : traverser la forêt à pied pour les besoins de l'agriculture ou de la chasse, pagayer des heures durant sur une rivière, un fleuve, voire en pleine mer, pour les besoins de la pêche, transporter à dos d'homme ou de femme des marchandises pour se rendre au marché, transporter à dos de femme ou d'enfant des calebasses remplies d'eau entre le marigot le plus proche et le village, etc. Bien plus que la pratique du sport, ces gens vivent essentiellement de manière sportive, parcourant des dizaines de kilomètres par jour !  Par parenthèse, avez-vous déjà vu des Pygmées, des Massaïs ou des Bushmen obèses ? 





5. Sports. Précisément, les Polynésiens sont les inventeurs du surf et du va'a (course de pirogues à balanciers), ce qui en fait de grands sportifs, l'aire de jeu la plus immédiate pour les enfants et les adolescents étant le lagon (cf. img. 14). Et à quoi voit-on que c'est un lagon ? Ben, au fait qu'il n'y a pas de vagues, pardi !

Prenez le va'a, la course de pirogues : ici, l'obésité n'a pas sa place, ne serait-ce qu'en raison de l'étroitesse des embarcations. 



Ce qui fait que la société polynésienne présente à la fois des morphotypes costauds et musclés, et d'autres morphotypes plutôt enveloppés, voire obèses, à l'instar de ce qu'on peut voir aux États-Unis, le pays le plus couvert de médailles olympiques, mais aussi le champion du monde de l'obésité ! 

La question qu'il faut se poser serait de savoir comment des contemporains vivant dans un même village polynésien peuvent afficher des apparences physiques aussi disparates que sur les deux images qui suivent (cf. l'homme musclé, à gauche sur la deuxième image). 
 
 


6. Métissage : on présente généralement la Polynésie comme étant le pays des Maoris. C'est à la fois vrai et faux. Il suffit de considérer quelques patronymes : au hasard, ce politicien qui a longtemps dirigé le gouvernement local (Gaston Flosse), ou encore cette reine de beauté (Mareva Galanter) élue miss France il y a une vingtaine d'années ;  des patronymes qui n'ont rien de "maori", sans parler du phénotype bien peu "tahitien" de la Miss France 1998 ! Sans vouloir médire - mais tout en médisant -, je dirai que la miss France de 1998 ressemblait autant à une Tahitienne qu'une coccinelle Volkswagen pouvait ressembler à une Rolls-Royce !

Il suffit parfois de tomber sur d'anciennes illustrations pour se rendre compte que les Vahinés d'antan n'ont pas du tout le même "look" que celles d'aujourd'hui.  C'est ainsi que celle que l'on aperçoit ci-dessous est presque noire de peau !


Par ailleurs, tout le monde a pu voir que les Vahinés de Gauguin avaient la peau plutôt foncée.  Voilà qui nous donne une idée du profond métissage subi par la société polynésienne à travers les siècles, notamment depuis la colonisation européenne et l'immigration chinoise.


On estimait notamment qu'en 1983, il y avait deux tiers de Polynésiens "non mixtes", soit, théoriquement, un tiers de sangs-mêlés, ce qui a tout de même incité un chercheur à écrire que "tenter aujourd'hui de déterminer le pourcentage d'insulaires de sang mêlé ou celui de Polynésiens de sang pur est, pour tout le Pacifique, une tâche insurmontable, en raison de l'intensité du métissage et de son ancienneté." (Source

Ce phénomène est aisément "lisible" dans notre reportage : on peut dire, en gros, que les Maoris ont le visage plutôt rond et les yeux peu voire pas du tout bridés, et les images 11 et 12 nous permettent de déceler des origines distinctes chez les deux hommes : je dirai que le premier (img. 11) est un maori mâtiné de chinois, tandis que le second (img. 12) a des origines européennes bien visibles. Nous aurons l'occasion de mieux illustrer ce phénomène chez les membres d'une même famille.

Cela dit, j'en entends qui s'insurgent : "Visages ronds des Maoris ? Peut-être, mais avez-vous oublié le faciès particulier des Mohaïs de Rapa Nui ?"

Et là, je réponds : "Excellente objection !". Le fait est que les statues de l'Île de Pâques (Rapa Nui), avec leurs longs visages émaciés, n'ont que très peu de rapport avec le faciès arrondi, supposé être celui des Maoris pur jus, tels que je me les représente et qu'on peut le voir un peu partout.


Alors, ce serait quoi l'explication ? J'avoue que, pour ma part, je me perds en conjecture..., so far, comme diraient les anglo-saxons ! 

7. Paganisme. Il faut dire que France Ô nous a livré là un reportage bien étonnant ! Rendez-vous compte : d'habitude, dans les Mers du Sud, on ne pouvait pas voir un documentaire quelconque à la télévision, sans qu'à un moment ou un autre, une église n'entre dans le champ de la caméra.

Citation :
Il suffit de faire le tour de l'île pour s'apercevoir que les missionnaires ont eu à cœur de s'installer sur le Territoire maohi! Partout... partout des églises. Des grandes, des petites, des baroques, des coloniales, des classiques, des jaunes, des roses, des rouges, des blanches. Dans un même village dans un rayon de moins de 500 mètres, nous en avons compté quatre.
Impossible de sous-estimer l'impact de l'établissement de la chrétienté sur la société maohie. Elle a infiltré tout le fonctionnement de l'archipel.
Certaines églises siègent sur le lieu même des maraes originels. Pendant plus d'un millier d'années, les insulaires vénérèrent leurs dieux maohis. En tête, Taaroa, le créateur du monde, suivi par des dieux secondaires, mais néanmoins importants, tel Oro, le dieu de la guerre, ou Tané, le dieu de la beauté. Les anciens respectaient les « tupapau » les esprits des choses ou des revenants... Tout un culte qui rythma la vie des Maohis pendant des centaines d'années. Puis, en quelques décennies, ils oublièrent tout : cérémonies, signification des rites, déroulement de leur quotidien.
Malgré les quelques « martyres » que l'Eglise eut connus, elle se tailla la première place, selon des méthodes éprouvées au travers des siècles. Ainsi, en culpabilisant la population, elle acquit une partie de son audience. Elle convainquit le reste à la rejoindre, par la force. Partout, les tikis en bois furent brûlés, les tikis de pierre mutilés ou détruits à coup de masse. Les maraes furent détruits ou servirent de soubassements à la nouvelle Eglise. Les chants et danses païens furent interdits. Le port du pareu et des « petites tenues » remplacé par les robes missionnaires. Les tatouages proscrits. (Source)
Mais comme dirait Alain Delon dans une fameuse publicité, "Ça c'était avant !", tant on sent bien que, de nos jours, les missionnaires reculent partout, voire ont disparu complètement - remplacés, il est vrai, par des supplétifs locaux - les Polynésiens étant de plus en plus nombreux à renouer avec leurs racines ancestrales, ce que ce "petit" reportage qui ne paie pas de mine illustre de façon éclatante.

Ici, aucune église visible, aucun missionnaire, aucun prêtre, aucun pasteur ! C'est tout juste si l'on aperçoit tantôt un crucifix dans une habitation (cf. img. 32). En revanche, les références aux cultes ancestraux sont bien là, avec ces "tikis" que l'on aperçoit ici ou là (cf. img. 44, 48, 61). Vous imaginez ma stupéfaction !

8. Nudité des corps : voilà qui coule de source à la suite de la section précédente. Il faut dire que les missionnaires n'ont pas fait les choses à moitié, imposant aux vahinés le port de robes longues et amples destinées à couvrir ces seins que l'on ne saurait voir ! Lisez l'article intitulé 'Robe mission' sur une fameuse encyclopédie en ligne : 

La robe mission, robe empire ou robe popinée (Nouvelle-Calédonie) est un vêtement féminin porté dans toute l'Océanie. Il s'agit d'une robe longue et ample sans décolleté mais aux couleurs généralement bariolées. Elle a été imposée par les missionnaires chrétiens, venus évangéliser cette partie du monde au XIXe siècle, en remplacement des tenues traditionnelles impudiques à leurs yeux. Les Océaniennes se sont peu à peu approprié cette robe qui a pris des tons bariolés. Son port est désormais revendiqué et fait office de costume local. Ainsi, en Nouvelle-Calédonie, les équipes féminines de cricket s'affrontent en robe mission d'une couleur différente pour chaque équipe. (Source)

C'est là qu'il y aurait une petite recherche comparative à faire entre Polynésie et Calédonie. 

Source
Visiblement, côté Maori, c'est raté pour les missionaires, les Polynésiennes s'ingéniant désormais à découvrir leur peau à la moindre occasion (cf. img. 9, 10, 31, 41, 48).

9. Corps fleuris : l'Océanie est la région du monde où l'on se pare volontiers de fleurs, et où les nouveaux arrivants reçoivent systématiquement un collier bien parfumé autour du cou. Ce qui m'a surpris ici, c'est de voir un homme arborer une fleur à sa tempe, pratique que je croyais réservée aux femmes. En fait, les hommes en portent aussi, mais l'expérience montre tout de même que la chose est fort rare (cf. img. 26-29, 42-49). Soit dit en passant, l'homme que l'on aperçoit durant une séance de "coaching" de futures miss a les traits plutôt effeminés et porte des habits féminins (cf. img. 42), ceci expliquant probablement cela.

La question est maintenant de savoir si, à l'instar du foulard des Antillaises, par exemple, un code particulier est attaché au port de la fameuse fleur de tiaré. Car, quand on connaît les coutumes vestimentaires de certaines populations à travers le monde, on se doute bien qu'il y a anguille sous roche.

10. Tatouages : encore un échec cuisant pour les missionnaires, tant on peut constater que la magie du tatouage a repris du poil de la bête, ce à quoi les missionnaires ont probablement contribué, à leur corps défendant.

Rappelons que les premiers missionnaires ont souvent été, également, des ethnographes de fait, s'appliquant à décrire par le menu les sociétés qu'ils étaient venus détruire. Je pense à l'école allemande de la revue "Anthropos", qui nous a laissé de très riches archives sur les langues, les mœurs et coutumes des peuples rencontrés, la géographie, l'histoire, etc. 

Lisez cette présentation d'un ouvrage titré Du missionnaire à l'anthropologue :
L’engouement du public pour les écrits missionnaires, les journaux ou les récits de voyage alimente de nos jours toute une politique de réédition. Anthropologues et historiens découvrent ou redécouvrent avec un grand intérêt les ressources ethnohistoriques et ethnolinguistiques des journaux de bord tenus par les missionnaires européens ou indigènes, catéchistes ou évangélistes, répondant tantôt à la demande d’information de l’autorité institutionnelle de leur congrégation, tantôt à leur propre quête et curiosité. (...) De la traduction de la Bible en langue vernaculaire à la production 
de traités savants sur la parenté ou la religion primitive, en passant par l’élaboration érudite de dictionnaires, de nombreux missionnaires ethnologues ont apporté une contribution majeure à l’émergence de la discipline ethnologique. À partir des années 1960, la consécration de l’anthropologie comme discipline universitaire et la professionnalisation du métier d’ethnologue ont amené les générations plus récentes à repenser les liens, les compromis ou les malentendus entre vocation religieuse et carrière d’ethnologue. Depuis lors s’est ouvert un vaste débat méthodologique entre historiens, anthropologues et missiologues. (Source).

En ce qui concerne les Mers du Sud, force est d'admettre que la sophistication du tatouage maori n'a rien d'équivalent dans le monde et il y a fort à parier que les toutes premières descriptions de ces tatouages sont apparues dans des récits de voyages produits par des missionnaires. De fait, contrairement aux réalisations commerciales et vulgaires que l'on aperçoit un peu partout, le tatouage polynésien s'appuie sur un puissant fonds patrimonial et ancestral aisément accessible grâce aux archives. Du coup, il suffit désormais aux artistes Maoris d'aller inspecter les traités d'ethnographie ou les récits de voyageurs ou de missionnaires, dans les musées et les archives, pour retrouver intact l'art de leurs ancêtres. Je dois dire que cette séquence a été un des passages les plus fascinants du reportage. (Cf. img. 2-10, 15-22).

Et comme cela ne suffisait pas à l'humiliation des barbares en soutanes venus "civiliser les sauvages", voilà que le tatouage maori a essaimé dans le monde entier. Il faut dire qu'il est particulièrement spectaculaire. Voyez ces sculptures aperçues au Musée du Quai Branly.


11. Muséographie et archives 

Les auteurs de notre "petit" reportage sur France Ô ne se sont pas contentés de promener leur caméra au sein de cette communauté polynésienne, puisqu'ils ont eu la judicieuse idée de consulter quelques archives, notamment dans un musée ethnographique de Nouvelle Zélande. C'est ce qui nous vaut ce sublime croquis d'un guerrier des Marquises entièrement couvert de tatouages, au point qu'il paraît être de race noire (il a effectivement la peau très foncée).

À l'époque, il valait mieux être svelte et musclé pour faire face aux ennemis éventuels, et savoir également manier la massue, cet énorme objet tiré d'un bois fort difficile à sculpter, pesant près de cinq kilos, et que l'on abattait sur le crâne d'un adversaire ou d'un sujet soumis au sacrifice.


Des exemplaires de ces massues étaient récemment visibles lors de la formidable exposition consacrée à l'Océanie (et déjà évoquée ailleurs sur ce blog) au musée parisien du Quai Branly.




12. Une simple élection de miss ?

Il faut bien admettre que le titre du reportage "Iconiques vahinés" était plutôt biaisé, une vahiné (femme, épouse, concubine, maîtresse) n'étant pas nécessairement candidate au titre de "miss". Mais bon, l'essentiel était ailleurs, n'est-ce pas ?

Toujours est-il que nous suivons une jeune Polynésienne dans sa préparation pour l'élection, dont elle sortira gagnante (cf. img. 26-32, 53-57). Mais il semble qu'ici, les Polynésiens aient adapté le concept de "miss" à leurs propres codes traditionnels.

13. Parures végétales

Précisément, parmi les codes vestimentaires de cette élection, il y avait l'obligation pour les candidates et leur entourage de confectionner des costumes traditionnels à base de végétaux, histoire d'illustrer le talent des candidates dans le maniement des techniques vestimentaires ancestrales. Le fait est que, hormis les chaussures, tout l'habillement est fait main, à base de fibres végétales et de fleurs locales (cf. 23-25, 38,39, 51-55).


14. Familles adoptives

Il est une tradition bien connue des Polynésiens, le f'a'a'amu, qui consiste à confier des enfants à une parente plus ou moins éloignée, voire à une amie, qui va jouer le rôle de mère adoptive sans qu'à aucun moment l'enfant ne se détache de sa famille biologique. 

Citation : 
Le "fa’a’amu" fait partie de la vie du polynésien depuis des siècles. Pour preuve, des récits mythologiques où l’on retrouve l’adoption d’un prince mi-homme, mi-dieu sur le mont Temehani, à Raiatea (îles sous-le-vent). Nombreuses sont les légendes qui mettent en avant ce côté spécifique du triangle polynésien. Au henua ‘enana, on raconte l’histoire d’un jeune guerrier de l’île de Ua Pou lequel aurait été adopté par une vieille dame nommée Taheta (d’autres disent qu’il s’agirait plutôt d’un grand-père). Une indication précieuse est donnée ici pour une compréhension générale du phénomène. On y parle « d’une grand-mère » et non pas de « sa grand-mère », ce qui revient donc à dire que le système tendait peu à peu vers une forme d’adoption plus élargie, dépassant le cercle des "feti’i" (famille). Les amis pouvaient, eux aussi, adopter.

Dans la vie quotidienne d’antan, il n’était pas rare qu’après une bataille, les enfants des vaincus étaient souvent adoptés par le clan des vainqueurs. Des témoignages de navigateurs, de missionnaires ou autres visiteurs relatent des scènes d’adoption auxquels ils ont assisté. Si le côté traditionnel restait obligatoire, il n’en n’était pas de même pour le côté affectif. Les enfants fraîchement adoptés n’étaient pas forcément acceptés par leurs nouvelles tribus. Même pour ceux qui étaient recueillis par les familles royales elles-mêmes. Heureusement, ce comportement restait exceptionnel et isolé. La tendance était plutôt vers un bon accueil et un amour égal à celui donné aux membres « de sang » d’une même famille. L’avenir et le nouveau mode vie allait mettre en avant une autre classe d’ « adoptant »…les étrangers.
(Source)

Mais, comme cela se produit parfois, les meilleurs idées du monde se trouvent souvent dénaturées par la société de consommation et les inégalités sociales, ce qui fait que cette bien inoffensive tradition consistant à "prêter" un enfant à une femme stérile vivant dans le village ou l'île d'à côté, s'est trouvée régulièrement dévoyée lorsque de petits Polynésiens se sont retrouvés littéralement déportés de leur archipel natal à des milliers de kilomètres de distance, vers de riches familles vivant dans de lointaines contrées opulentes d'Europe ou d'Amérique du Nord.

Il faut croire que nos reporters ont eu beaucoup de chance, pour se retrouver en présence d'une personne (l'héroïne du reportage) ayant fait l'objet d'un f'a'a'amu, avec pour cerise sur le gâteau la présence - apparemment exceptionnelle, au point que la principale intéressée en a été submergée par l'émotion - de la mère adoptive (à gauche) aux côtés de la mère biologique (en rouge, à droite). Par parenthèse, le père de la reine de beauté apparaît quelque part lors du reportage (cf. img. 25, le gaillard musclé à gauche).


 
 


15.  Métissage (suite)

Nous avons illustré la multiplicité des phénotypes plus haut. La question prend une tournure particulière lorsqu'on l'évalue au sein d'une même famille. C'est ainsi que l'une des héroïnes du reportage s'est trouvée être une ancienne lauréate de l'élection de miss filmée par nos reporters.

Et voilà que notre ancienne miss s'en va rendre visite à sa famille proche. Nous la voyons ci-dessous aux côtés de sa grand-mère et de sa mère, soit trois générations d'une même lignée (tiens, pas d'homme, comme aux Antilles et en Guyane ?), dont on peut dire sans mal qu'elles affichent des phénotypes assez dissemblables, entre le type nettement "asiatique" (chinois) de la grand-mère, celui plutôt hybride et mâtiné de caucasien de la mère, et le faciès nettement plus "maori" de la jeune femme.


 
 



16. Générique de fin 

Ledit générique (cf. img. 67-71) nous apprend que le reportage émane d'une "boîte de production" privée, pratique fort courante de nos jours. Et il y a fort à parier que, compte tenu du caractère supra-géographique du sujet (voyez la taille de l'Océan Pacifique, donc, de l'Océanie !), nos producteurs n'aient pas eu de mal à vendre leur sujet à moult chaînes de télévision au sein de l'immense espace polynésien, voire au-delà.

C'est précisément cela, la mondialisation des images, telle qu'elle s'impose de plus en plus au téléspectateur lambda disposant d'une connexion au câble ou au satellite.


Bilan : 

J'étais parti avec en tête une dizaine de thèmes à retirer d'un bout de reportage de vingt-six minutes. Au final, j'en ai tiré une quinzaine de sujets. Ce petit travail m'a pris deux fois deux heures en deux après-midi distinctes et, pour ce faire, je n'ai eu besoin d'aucune note, mon carnet de notes s'appelant 'Gogol', je veux parler du fameux moteur de recherche.

Le fait est que les petits développements qui précèdent sont à la portée de tout quidam disposant d'une culture générale moyenne, soit après deux ou trois années d'études universitaires, même si je suis persuadé qu'un(e) très bon lycéen(ne), habitué(e) à lire autre chose que des mangas, à fréquenter musées et salles d'expositions, et à regarder des choses intelligentes à la télévision, ne devrait avoir aucun problème pour produire une analyse consistante d'un reportage comme celui évoqué ici.

Il va sans dire que bien d'autres thèmes que ceux évoqués ici auraient pu être abordés, et peut-être l'ont-ils été dans la première moitié de l'émission, que je n'ai pas vue ; je pense à quelques incontournables de la vie polynésienne, comme le va'a, le surf, le coprah, le monoï, le heiva, mais aussi l'océan omniprésent, les récifs de corail, l'huître perlière, le volcanisme, qui a donné à ces îles ce "look" échancré et escarpé que l'on retrouve un peu partout, par exemple à Hawaï, mais aussi à la Réunion (cf. img. 1).


Bien entendu, je n'ai cité ici que peu d'"experts" ou d'ethnologues. Il n'a jamais été question de produire un travail savant, le reportage concerné ne s'y prêtant pas forcément, et ce, malgré une richesse documentaire sans commune mesure avec les niaiseries auxquelles la télévision commerciale nous a habitués. Pour les sources, il y a l'Internet, qui vous livre en un temps record l'information désirée pour peu que vous saisissiez les bons mots-clés.

La question est maintenant de savoir si la petite clique de guignols désireux d'avoir la peau de France Ô dispose du minimum de culture générale requis pour produire une petite analyse comme celle affichée plus haut. Entre nous, j'en doute ! En tout cas, ce petit article leur a fourni l'occasion de tester leur culture générale, dont on peut se douter qu'elle ne vole pas très haut !

Le fait est que France Ô n'est pas une chaîne de télévision locale, ni même (franco)française, mais un programme destiné au vaste monde ; la seule et unique chaîne généraliste française calibrée pour la mondialisation, c'est-à-dire que l'on peut regarder de n'importe quel pays du monde, pour peu que l'on adapte la langue du doublage, dès lors que nous avons là la seule chaîne de télévision (dans le monde) basée non pas dans un pays, mais dans un espace géographique allant de l'Atlantique Nord (Saint-Pierre et Miquelon) aux terres les plus lointaines de l'Océan Pacifique, dans ce gigantesque espace incluant Polynésie, Calédonie, Wallis et Futuna, en passant par des îles africaines dans l'Océan Indien, la Mer des Caraïbes, le Nord-Est du continent sud américain, soit aux confins de quatre continents (Amériques Nord et Sud, Afrique, Asie-Océanie), avec ce qu'on imagine en termes de décalage(s) horaire(s) et de diversité géo-ethno-socio-culturelle.

Rien que ça ! 


Et même la chaîne mondiale de référence qu'est la BBC ne couvre pas (plus !) un domaine aussi vaste. Et nous avons là des guignols stupides et phénoménalement incultes qui n'ont visiblement rien compris !          



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