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vendredi 28 juillet 2023

Tomates rouge-sang (Un bidonville africain dans les Pouilles/Italie)

Le génie de l'Internet 2.0 ? Une multitude d'informations et d'archives à la portée du plus grand nombre. Voilà que je tombe tantôt sur cet excellent papier d'une journaliste italienne sur la question des "esclaves du pomodoro" (la formule est de moi) en Italie. Et je ne pouvais que le traduire en français, et comme Blogspot dispose d'un traducteur fort versatile, la chose pourra être lue dans plein d'autres langues. 

Relecture en cours.

 

L'expérience de Matteo Fraschini Koffi dans le ghetto de Rignano est aussi devenue un livre. Il y dénonce les conditions inhumaines dans lesquelles des milliers de personnes, pour la plupart des migrants (1), sont obligées de travailler à la collecte de tomates dans les Pouilles.

Il y a pensé pendant près de deux ans, a dû traverser l'Afrique pour retourner en Italie et décider qu'il pouvait le faire. C'est l'histoire, devenue un livre, de Matteo Fraschini Koffi, né au Togo, adopté très jeune et élevé en Italie, puis revenu en Afrique à la recherche de ses origines, mais aussi, surtout en qualité de journaliste. Par la suite, à son retour dans notre pays, il s'est mêlé aux milliers d'Africains qui sont contraints d'accepter chaque année des conditions de vie et de travail inhumaines dans les champs de récolte de tomates des Pouilles.

 
L'été dernier, Matteo s'est infiltré dans le ghetto de Rignano, une petite Afrique miniature. En effet, le pire de l'Afrique et de l'Italie réunies, lieu d'illégalité, de trafic et d'exploitation à la limite de l'esclavage.

Il l'a raconté dans divers reportages, ce qui lui a valu le prestigieux prix journalistique « Il Premiolino ». Et maintenant, cette expérience est devenue un livre en collaboration avec le photographe et cinéaste Antonio Fortarezza : Campi d'oro rosso (Camps d'or rouge, Ed. Gruppo Solidarietà Africa, Seregno).
 
"Le projet originel vient d'Antonio, dit Matteo. Originaire de Foggia, mais résidant à Milan, Antonio retournait régulièrement dans les Pouilles pour enquêter sur les embauches illégales, notamment liées au ghetto de Rignano. Il y a deux ans, il m'a raconté ce qu'il y faisait. J'y ai longuement réfléchi et ai finalement décidé d'essayer de vivre cette expérience."
 
Après une nouvelle parenthèse en Afrique, où il vit depuis 2006, l'été dernier, Matteo s'est senti vraiment prêt. "Les années passées sur le continent africain m'ont certainement aidé à « flairer » la situation du ghetto, où les mêmes dynamiques que j'avais retrouvées dans les bidonvilles de Nairobi se reproduisent de bien des manières plutôt qu'à Agades, au Niger, où il y a une cinquantaine de ghettos, par lesquels transitent des milliers de migrants en transit vers l'Afrique du Nord".
 
Débarqué dans les Pouilles, Matteo prend un certain temps pour se familiariser avec la réalité du travail saisonnier dans divers lieux de la région. Il fait alors une première « incursion » dans le ghetto de Rignano : juste quelques minutes, accompagné d'un ancien habitant, le temps de comprendre comment ce lieu est organisé et comment il fonctionne, sans trop attirer l'attention, pour ne pas être reconnu.
 
"J'ai attendu encore une semaine – dit-il – le temps de faire pousser ma barbe et mes cheveux. Puis je suis entré. J'étais très déterminé. Mais si je n'avais pas vécu dix ans en Afrique, je n'y serais pas arrivé. Les expériences que j'ai vécues sur ce continent (africain) m'ont rendu tout à fait sûr de ce que je voulais faire".
 
Matteo a passé deux semaines dans le ghetto de Rignano, où environ 1 500 personnes se rassemblent pendant les mois d'été. Un bidonville totalement illégal au "service" de l'embauche clandestine qui gère la récolte de tomates. 
 
Dans les Pouilles, deuxième producteur italien de tomates après la Sicile, plus de 40 % des ouvriers des exploitations inspectées sont irréguliers. En effet, bon nombre des quelque 27 000 entrepreneurs agricoles des Pouilles comptent sur l'embauche illégale pour recruter de la main-d'œuvre bon marché. Et ce ne sont pas seulement les travailleurs subsahariens et nord-africains, mais aussi de nombreux travailleurs européens et italiens. Même beaucoup de femmes. En fait, environ 40 000 travailleurs des Pouilles seraient victimes de l'embauche illégale. Tout ce monde reçoit des salaires très bas, notamment parce que le prix auquel les grandes entreprises de transformation et de distribution achètent leurs produits aux enchères est, lui-même, très bas.
 
"À l'intérieur du ghetto, il y a un peu de tout : un peu de mafia et un peu de drogue, beaucoup de prostitution et beaucoup d'exploitation. Des histoires souvent très similaires de jeunes immigrés, qui pour certains se sont retrouvés malgré eux en Italie, après la chute de Kadhafi en Libye, et qui ne peuvent plus repartir faute d'argent. J'ai été très surpris par la complexité des dynamiques que j'y ai trouvées et qui sont le miroir d'un pays comme l'Italie, qui tolère de telles zones d'ombre, mais qui sont aussi le résultat de politiques internationales myopes et incompétentes. Le ghetto n'est que le symptôme d'un système plus complexe et d'une chaîne d'approvisionnement qui va jusqu'au supermarché – en passant par des politiques nationales et internationales quelque peu discutables".
 
Et il ajoute : "Il est inutile de dire : « Fermons le ghetto ». Le ghetto n'est pas le problème. Ce sont les intérêts qui sont à l'intérieur et autour de nous".
 
À Rignano, Matteo a également rencontré un missionnaire (2), le Père Arcangelo Maira, un Scalabrinien qui, après une longue expérience en Afrique, a trouvé un morceau de ce continent sur sa terre. "Père l'Archange – nous rappelle Matteo – est celui qui n'a pas eu peur. Et qui avait un rôle important au sein du ghetto. Je pense qu'il a reçu des menaces et c'est peut-être aussi pour ça qu'il ne sera plus là cette année".
 
Le Père Maira a donné vie au projet "Je suis là parmi les immigrés", impliquant environ 250 jeunes volontaires qui travaillent parmi les saisonniers, avec lesquels ils partagent d'abord leur temps, leur enthousiasme, le désir de se confronter d'égal à égal et de les traiter comme des personnes humaines et non comme de simples machines à ramasser des tomates. 
 
"Toutes les organisations ne sont pas dans le ghetto avec cet esprit - conclut Matteo - : cela me fait mal de voir des groupes qui devraient être du même côté et se battre ensemble pour les droits de ceux qui y vivent et y travaillent, se contenter de faire avancer leurs propres intérêts spécifiques, qui ne coïncident pas forcément avec les intérêts des migrants. Et ainsi - conclut Matteo avec amertume - chaque année, le même mécanisme d'injustice et d'exploitation se répète".


Source :

 

Notes

(1) Les populations qui traversent la Méditerranée ou proviennent des Balkans, de Turquie ou de Grèce ne sont pas de simples "migrants", raison pour laquelle je récuse ce terme. Ce sont des clandestins amenés là par des mafias 2.0, en somme des évolutions parfaitement hi-tech du trafic d'esclaves.

(2) Ah, l'inévitable missionnaire ! Il se trouve que je suis fils de pasteur, et que je connais bien la dynamique mentale qui fait venir une Sœur Emmanuelle auprès des fouilleurs d'ordures du Caire, une Mère Tereza près des mourants de Calcutta, un Père Pedro dans des bidonvilles de Madagascar, pour ne citer que ces cas emblématiques. Le fait est que les missionnaires adorent les pauvres, qu'il ne s'agit pas de sortir de la pauvreté, mais d'engluer dans de fausses espérances, la première étant la volonté d'en convertir un grand nombre au christianisme. On parie combien que, dans ce bidonville des Pouilles, sans eau courante ni sanitaires, notre bon Père avait aménagé une chapelle catholique ?