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vendredi 15 avril 2022

Un avis autorisé (suisse) sur la situation militaire en Ukraine

(Relecture en cours)

Ce qui suit est un article fort copieux (soit plus de 6200 mots, 38240 signes) déniché sur Twitter. Et comment ne pas avoir une petite pensée pour la pauvre Ursula von der Leyen, laquelle a cru bon de devoir censurer  - ce à quoi rien ni personne ne l'autorisaient - RT et Sputnik en anticipant des violations de déontologie que ces deux organes de presse et de télévision étaient (forcément !) censés commettre, entraînant dans son (von der Leyen) misérable sillage l'ensemble de l'Union Européenne. Même Josef Goebbels, ministre de la propagande, et Heinrich Himmler, ministre de l'Intérieur de Hitler, n'auraient pas fait mieux, enfin, je veux dire pire ! Le problème, pour la racaille qui croit encore pouvoir diriger le monde comme au temps des Guerres de l'Opium, c'est que censurer des organes d'information électroniques, au temps de l'Internet, reviendrait à vouloir dresser un barrage contre le Pacifique, pour paraphraser Marguerite Duras. Autant parler d'une mission impossible !

Voyez, donc, ce très long papier traduit par mes soins, que  nous devons à un ancien haut cadre du renseignement suisse, et que j'ai découvert grâce à Oliver Stone, lui-même cité par un certain "combattant russe" fort actif sur Twitter. Quelque chose me dit que quiconque lira ce papier dans son intégralité risque de se faire une idée tout à fait différente des politiciens et des journalistes en général : je veux parler de l'incompétence et du cynisme des uns et des autres en ce qui concerne les souffrances du "peuple ukrainien", l'Ukraine s'arrêtant désormais, comme on peut le deviner, aux frontières occidentales du Donbass, comme une preuve que plus personne ne met en doute le détachement définitif de ces deux républiques de l'Ukraine, tel qu'entériné par Vladimir Poutine en ce 24 février 2022.

Précision utile : les mises en exergue sont de mon fait. Traduit de l'anglais (Source)

 

La situation militaire en Ukraine (Jacques Baud, 1er avril 2022)

 

Première partie : le chemin de la guerre

Durant des années, du Mali à l'Afghanistan, j'ai œuvré pour la paix et risqué ma vie pour elle. Il ne s'agit donc pas de justifier la guerre, mais de comprendre ce qui nous y a conduits. Je constate que les "experts" qui se relaient à la télévision analysent la situation sur la base d'informations douteuses, le plus souvent des hypothèses érigées en faits, et qu'ensuite on n'arrive plus à comprendre ce qui se passe. C'est ainsi que se créent les paniques.

Le problème n'est pas tant de savoir qui a raison dans ce conflit, mais de s'interroger sur la manière dont nos dirigeants prennent leurs décisions.

Essayons d'examiner les racines du conflit. Cela commence par ceux qui, depuis huit ans, parlent de "séparatistes" ou d'"indépendantistes" du Donbass. Ce n'est pas vrai. Les référendums menés par les deux républiques autoproclamées de Donetsk et de Lougansk, en mai 2014, n'étaient pas des référendums d'"indépendance" (независимость), comme l'ont prétendu certains journalistes peu scrupuleux, mais des référendums d'"autodétermination" ou d'"autonomie" (самостоятельность). Le qualificatif "pro-russe" suggère que la Russie était partie prenante au conflit, ce qui n'était pas le cas, et le terme "russophones" aurait été plus honnête. De plus, ces référendums ont été menés contre l'avis de Vladimir Poutine.

En effet, ces républiques ne cherchaient pas à se séparer de l'Ukraine, mais à avoir un statut d'autonomie leur garantissant l'usage de la langue russe comme langue officielle. Car le premier acte législatif du nouveau gouvernement issu du renversement du président Ianoukovitch a été l'abolition, le 23 février 2014, de la loi Kivalov-Kolesnichenko de 2012, qui faisait du russe une langue officielle. C’est un peu comme si des putschistes décidaient que le français et l'italien ne seraient plus des langues officielles en Suisse.

Cette décision a provoqué une tempête au sein de la population russophone. Il en a résulté une répression féroce contre les régions russophones (Odessa, Dniepropetrovsk, Kharkov, Lougansk et Donetsk) qui s'est déroulée à partir de février 2014 et a conduit à une militarisation de la situation et à quelques massacres (à Odessa et Marioupol, pour les plus notables). À la fin de l'été 2014, il ne restait plus que les républiques autoproclamées de Donetsk et de Lougansk.

À ce stade, resté trop rigide et engoncé dans une approche doctrinaire de l'art des opérations, l'état-major ukrainien soumet l'ennemi sans parvenir à l'emporter. L'examen du déroulement des combats de 2014-2016 dans le Donbass montre que l'état-major ukrainien a appliqué systématiquement et mécaniquement les mêmes schémas opératoires. Or, la guerre menée par les autonomistes était très proche de ce que nous avons observé au Sahel : des opérations très mobiles menées avec des moyens légers. Avec une approche plus souple et moins doctrinaire, les rebelles ont pu exploiter l'inertie des forces ukrainiennes pour les "piéger" à plusieurs reprises.

En 2014, lorsque j'étais à l'OTAN, j'étais responsable de la lutte contre la prolifération des armes légères, et nous essayions de détecter les livraisons d'armes russes aux rebelles, pour voir si Moscou était impliqué. Les informations que nous recevions alors provenaient presque entièrement des services de renseignement polonais et ne "collaient" pas avec celles de l'OSCE : malgré des allégations assez grossières, il n'y avait pas de livraisons d'armes et d'équipements militaires en provenance de Russie.

Les rebelles étaient équipés par le biais de la défection d'unités ukrainiennes russophones qui sont passées du côté des rebelles. Au fur et à mesure des échecs ukrainiens, des bataillons de chars, d'artillerie et de défense anti-aérienne sont venus grossir les rangs des autonomistes. C'est ce qui a poussé les Ukrainiens à s'engager dans les accords de Minsk. Mais juste après avoir signé les accords de Minsk-1, le président ukrainien Petro Porochenko a lancé une opération antiterroriste massive (ATO/Антитерористична операція) contre le Donbass. Bis repetita placent : mal conseillés par les officiers de l'OTAN, les Ukrainiens ont subi une défaite cuisante à Debaltsevo, qui les a contraints à s'engager dans les accords de Minsk-2.

Il est essentiel de rappeler, ici, que les Accords de Minsk-1 (septembre 2014) et Minsk-2 (février 2015) ne prévoyaient pas la séparation ou l'indépendance des Républiques, mais leur autonomie dans le cadre de l'Ukraine. Ceux qui ont lu les Accords (il y en a très, très, très peu qui l'ont réellement fait) noteront qu'il est écrit en toutes lettres que le statut des Républiques devait être négocié entre Kiev et les représentants des Républiques, pour une solution interne à l'Ukraine.

C'est pourquoi, depuis 2014, la Russie a systématiquement exigé leur mise en œuvre tout en refusant d'être partie aux négociations, car il s'agissait d'une affaire interne à l'Ukraine. De l'autre côté, les Occidentaux - menés par la France - ont systématiquement tenté de remplacer les accords de Minsk par le "format Normandie", qui mettait Russes et Ukrainiens face à face. Rappelons toutefois qu'il n'y a jamais eu de troupes russes dans le Donbass avant les 23-24 février 2022. De plus, les observateurs de l'OSCE n'ont jamais observé la moindre trace d'unités russes opérant dans le Donbass. Par exemple, la carte des services de renseignement américains publiée par le Washington Post, le 3 décembre 2021, ne montre pas de troupes russes dans le Donbass.

En octobre 2015, Vasyl Hrytsak, directeur du Service de sécurité ukrainien (SBU), a avoué que seuls 56 combattants russes avaient été observés dans le Donbass, chiffres tout à fait comparables à ceux des Suisses qui allaient se battre en Bosnie le week-end, dans les années 1990, ou aux Français qui vont se battre en Ukraine aujourd'hui.

L'armée ukrainienne était alors dans un état déplorable. En octobre 2018, après quatre années de guerre, le procureur militaire ukrainien en chef, Anatoly Matios, a déclaré que l'Ukraine avait perdu 2700 hommes dans le Donbass : 891 de maladies, 318 d'accidents de la route, 177 d'autres accidents, 175 d'empoisonnements (alcool, drogues), 172 de maniement négligeant des armes, 101 de violations des règles de sécurité, 228 de meurtres et 615 de suicides.

De fait, l'armée était minée par la corruption de ses cadres et ne bénéficiait plus du soutien de la population. Selon un rapport du ministère de l'Intérieur britannique, lors du rappel des réservistes en mars/avril 2014, 70% ne se sont pas présentés à la première session, 80% à la deuxième, 90% à la troisième et 95% à la quatrième. En octobre/novembre 2017, 70 % des conscrits ne se sont pas présentés à la campagne de rappel de l’"automne 2017". Sans compter les suicides et les désertions (souvent au profit des autonomistes), qui ont atteint jusqu'à 30% des effectifs dans la zone de l'ATO. Les jeunes Ukrainiens ont refusé d'aller se battre dans le Donbass et ont préféré l'émigration, ce qui explique aussi, au moins partiellement, le déficit démographique du pays.

Le ministère ukrainien de la Défense s'est alors tourné vers l'OTAN pour l'aider à rendre ses forces armées plus "attractives". Ayant déjà travaillé sur des projets similaires dans le cadre des Nations Unies, j'ai été sollicité par l'OTAN pour participer à un programme de restauration de l'image des forces armées ukrainiennes. Mais il s'agissait d'un processus à long terme et les Ukrainiens voulaient aller vite.

Ainsi, pour compenser le manque de soldats, le gouvernement ukrainien a eu recours à des milices paramilitaires. Elles sont essentiellement composées de mercenaires étrangers, souvent des militants d'extrême-droite. En 2020, elles constituaient environ 40% des forces ukrainiennes et comptaient environ 102000 hommes, selon Reuters. Ils étaient armés, financés et entraînés par les États-Unis, la Grande-Bretagne, le Canada et la France. Ils étaient de plus de 19 nationalités, dont des Suisses.

Les pays occidentaux ont donc clairement créé et soutenu les milices d'extrême-droite ukrainiennes. En octobre 2021, le Jerusalem Post a tiré la sonnette d'alarme en dénonçant le projet Centuria. Ces milices opéraient dans le Donbass depuis 2014, avec le soutien de l'Occident. Même si l'on peut discuter du terme "nazi", il n'en reste pas moins que ces milices sont violentes, véhiculent une idéologie nauséabonde et sont virulemment antisémites. Leur antisémitisme est plus culturel que politique, c'est pourquoi le terme "nazi" n'est pas vraiment approprié. Leur haine du Juif trouve son origine dans les grandes famines des années 1920 et 1930 en Ukraine, résultant de la confiscation des récoltes par Staline pour financer la modernisation de l'Armée rouge. Ce génocide - connu en Ukraine sous le nom de Holodomor - a été perpétré par le NKVD (l'ancêtre du KGB), dont les échelons supérieurs de la direction étaient principalement composés de Juifs. C'est pourquoi, aujourd'hui, les extrémistes ukrainiens demandent à Israël de s'excuser pour les crimes du communisme, comme le note le Jerusalem Post. On est loin de la "réécriture de l'histoire" de Vladimir Poutine.

Ces milices, issues des groupes d'extrême-droite, qui ont animé la révolution de l'Euromaïdan en 2014, sont composées d'individus fanatiques et brutaux. La plus connue d'entre elles est le régiment Azov, dont l'emblème rappelle la 2e division Panzer SS "Das Reich", vénérée en Ukraine pour avoir libéré Kharkov des Soviétiques en 1943, avant de perpétrer le massacre d'Oradour-sur-Glane en France en 1944.

Parmi les figures célèbres du régiment d'Azov figure l'opposant Roman Protassevitch, arrêté en 2021 par les autorités biélorusses suite à l'affaire du vol RyanAir FR4978. Le 23 mai 2021, le détournement délibéré d'un avion de ligne par un MiG-29 - prétendument avec l'approbation de Poutine - a été mentionné comme motif d'arrestation de Protassevitch, bien que les informations disponibles à l'époque ne confirmassent absolument pas ce scénario.

Mais il fallait alors montrer que le président Loukachenko était un voyou et Protassevitch un "journaliste" amoureux de la démocratie. Or, une enquête assez révélatrice produite par une ONG américaine, en 2020, a mis en évidence les activités militantes d'extrême-droite de Protassevitch. Le mouvement conspirationniste occidental se met alors en place et des médias peu scrupuleux "aèrent" sa biographie. Enfin, en janvier 2022, le rapport de l'OACI est publié et montre que malgré quelques erreurs de procédure, la Biélorussie a agi conformément aux règles en vigueur et que le MiG-29 a décollé 15 minutes après que le pilote de RyanAir a décidé d'atterrir à Minsk. Donc pas de complot biélorusse et encore moins de Poutine. Ah ! ... Encore un détail : Protassevitch, cruellement torturé par la police biélorusse, est désormais libre. Ceux qui voudraient correspondre avec lui, peuvent se rendre sur son compte Twitter.

La caractérisation des paramilitaires ukrainiens comme "nazis" ou "néo-nazis" est considérée comme de la propagande russe. Peut-être. Mais ce n'est pas l'avis du Times of Israel, du Centre Simon Wiesenthal ou du Center for Counterterrorism de l'Académie de West Point. Mais cela reste discutable, car en 2014, le magazine Newsweek semblait les associer davantage à... l'État islamique. Faites votre choix !

L'Occident a donc soutenu et continué à armer des milices qui se sont rendues coupables de nombreux crimes contre les populations civiles depuis 2014 : viols, tortures et massacres. Mais si le gouvernement suisse a été très prompt à prendre des sanctions contre la Russie, il n'en a pas adoptées contre l'Ukraine, qui massacre sa propre population depuis 2014. En fait, ceux qui défendent les droits de l'homme en Ukraine ont longtemps condamné les actions de ces groupes, mais n'ont pas été soutenus par nos gouvernements. Car, en réalité, nous ne cherchons pas à aider l'Ukraine, mais à combattre la Russie.

L'intégration de ces forces paramilitaires dans la Garde nationale ne s'est pas du tout accompagnée d'une "dénazification", comme certains le prétendent. Parmi les nombreux exemples, celui de l'insigne du régiment Azov est instructif.

En 2022, très schématiquement, les forces armées ukrainiennes qui combattaient l'offensive russe étaient organisées comme suit :

  •     L'armée de terre, subordonnée au ministère de la défense. Elle est organisée en 3 corps d'armée et composée de formations de manœuvre (chars, artillerie lourde, missiles, etc.).
  •     La Garde nationale, qui dépend du ministère de l'Intérieur et est organisée en 5 commandements territoriaux.

La Garde nationale est donc une force de défense territoriale qui ne fait pas partie de l'armée ukrainienne. Elle comprend des milices paramilitaires, appelées "bataillons de volontaires" (добровольчі батальйоні), également connues sous le nom évocateur de "bataillons de représailles", et composées d'infanterie. Principalement formés pour le combat urbain, ils défendent aujourd'hui des villes comme Kharkov, Mariupol, Odessa, Kiev, etc.

 

Deuxième partie : La guerre

En tant qu'ancien chef des forces du Pacte de Varsovie au sein du service de renseignement stratégique suisse, je constate avec tristesse - mais sans étonnement - que nos services ne sont plus en mesure de comprendre la situation militaire en Ukraine. Les "experts" autoproclamés qui défilent sur nos écrans relaient inlassablement les mêmes informations modulées par l'affirmation que la Russie - et Vladimir Poutine - est irrationnelle. Prenons un peu de recul.

 

1. Le déclenchement de la guerre

Depuis novembre 2021, les Américains n'ont cessé de menacer d'une invasion russe en Ukraine. Cependant, les Ukrainiens ne semblaient pas d'accord. Pourquoi ?

Il faut remonter au 24 mars 2021. Ce jour-là, Volodymyr Zelensky a publié un décret pour la reconquête de la Crimée et a commencé à déployer ses forces dans le sud du pays. Dans le même temps, plusieurs exercices de l'OTAN ont été menés entre la mer Noire et la mer Baltique, accompagnés d'une augmentation significative des vols de reconnaissance le long de la frontière russe. La Russie a ensuite effectué plusieurs exercices pour tester l'état de préparation opérationnelle de ses troupes et montrer qu'elle suivait l'évolution de la situation.

Le calme est revenu jusqu'en octobre-novembre avec la fin des exercices ZAPAD 21, dont les mouvements de troupes ont été interprétés comme le renfort d'une offensive contre l'Ukraine. Cependant, même les autorités ukrainiennes ont réfuté l'idée de préparatifs russes pour une guerre, et Oleksiy Reznikov, ministre ukrainien de la Défense, affirme qu'il n'y a eu aucun changement à sa frontière depuis le printemps.

En violation des accords de Minsk, l'Ukraine mène des opérations aériennes dans le Donbass à l'aide de drones, dont au moins une frappe contre un dépôt de carburant à Donetsk en octobre 2021. La presse américaine l'a noté, mais pas les Européens ; et personne n'a condamné ces violations.

En février 2022, les événements se précipitent. Le 7 février, lors de sa visite à Moscou, Emmanuel Macron réaffirme à Vladimir Poutine son attachement aux accords de Minsk, engagement qu'il réitérera après sa rencontre avec Volodymyr Zelensky le lendemain. Mais le 11 février, à Berlin, après neuf heures de travail, la réunion des conseillers politiques des dirigeants du "format Normandie" s'est achevée, sans résultat concret : les Ukrainiens refusent toujours d'appliquer les accords de Minsk, apparemment sous la pression des États-Unis. Vladimir Poutine a noté que Macron avait fait des promesses vides et que l'Occident n'était pas prêt à faire appliquer les accords, ainsi qu’il le fait depuis huit ans.

Les préparatifs ukrainiens dans la zone de contact se poursuivent. Le Parlement russe s'est alarmé et, le 15 février, a demandé à Vladimir Poutine de reconnaître l'indépendance des républiques, ce qu'il a refusé de faire.

Le 17 février, le président Joe Biden a annoncé que la Russie allait attaquer l'Ukraine dans les prochains jours. Comment le savait-il ? C'est un mystère. Mais depuis le 16, les tirs d'artillerie sur la population du Donbass ont augmenté de façon spectaculaire, comme le montrent les rapports quotidiens des observateurs de l'OSCE. Naturellement, ni les médias, ni l'Union européenne, ni l'OTAN, ni aucun gouvernement occidental ne réagissent ou n'interviennent. Il sera dit plus tard qu'il s'agissait de désinformation russe. En fait, il semble que l'Union européenne et certains pays aient délibérément gardé le silence sur le massacre de la population du Donbass, sachant que cela provoquerait une intervention russe.

Dans le même temps, des informations ont fait état de sabotages dans le Donbass. Le 18 janvier, des combattants du Donbass ont intercepté des saboteurs parlant polonais et équipés de matériel occidental, qui cherchaient à créer des incidents chimiques à Gorlivka. Il pourrait s'agir de mercenaires de la CIA, dirigés ou "conseillés" par des Américains et composés de combattants ukrainiens ou européens, pour mener des actions de sabotage dans les républiques du Donbass.

Nombre d'explosions dans le Donbass

Violations du cessez-le-feu par les Ukrainiens

En fait, dès le 16 février, Joe Biden savait que les Ukrainiens avaient commencé à bombarder la population civile du Donbass, mettant Vladimir Poutine devant un choix difficile : aider militairement le Donbass et créer un problème international, ou rester les bras croisés et regarder la population russophone du Donbass se faire écraser.

S'il décidait d'intervenir, Poutine pourrait invoquer l'obligation internationale de la "responsabilité de protéger" (R2P). Mais il savait que, quelle que soit sa nature ou son ampleur, l'intervention déclencherait une tempête de sanctions. Par conséquent, que l'intervention russe soit limitée au Donbass ou qu'elle aille plus loin pour faire pression sur l'Occident concernant le statut de l'Ukraine, le prix à payer serait le même. C'est ce qu'il a expliqué dans son discours du 21 février.

Ce jour-là, il a accédé à la demande de la Douma et reconnu l'indépendance des deux républiques du Donbass et, dans le même temps, il a signé avec elles des traités d'amitié et d'assistance.

Les bombardements d'artillerie ukrainiens sur la population du Donbass se poursuivent et, le 23 février, les deux républiques demandent une assistance militaire à la Russie. Le 24 février, Vladimir Poutine a invoqué l'article 51 de la Charte des Nations unies, qui prévoit une assistance militaire mutuelle dans le cadre d'une alliance défensive.

Afin de rendre l'intervention russe totalement illégale aux yeux de l'opinion publique, nous avons délibérément caché le fait que la guerre a réellement commencé le 16 février. L'armée ukrainienne se préparait à attaquer le Donbass dès 2021, comme le savaient parfaitement certains services de renseignement russes et européens. 

Les juristes jugeront.

Dans son discours du 24 février, Vladimir Poutine a énoncé les deux objectifs de son opération : "démilitariser" et "dénazifier" l'Ukraine. Il ne s'agit donc pas de s'emparer de l'Ukraine, ni même, vraisemblablement, de l'occuper ; et encore moins de la détruire. Dès lors, notre visibilité sur le déroulement de l'opération est limitée : les Russes ont une excellente sécurité des opérations (OPSEC) et les détails de leur planification ne sont pas connus. Mais assez rapidement, le déroulement de l'opération nous permet de comprendre comment les objectifs stratégiques ont été traduits sur le plan opérationnel.

Démilitarisation :

  •     destruction au sol de l'aviation ukrainienne, des systèmes de défense aérienne et des moyens de reconnaissance ;
  •     neutralisation des structures de commandement et de renseignement (C3I), ainsi que des principales routes logistiques dans la profondeur du territoire ;
  •     encerclement du gros de l'armée ukrainienne massée dans le sud-est du pays.

 Dénazification :

  •     destruction ou neutralisation des bataillons de volontaires opérant dans les villes d'Odessa, Kharkov et Marioupol, ainsi que dans diverses installations du territoire.

 

2. Démilitarisation

L'offensive russe s'est déroulée de manière très "classique". D'abord - comme les Israéliens l'avaient fait en 1967 - par la destruction au sol de l'aviation dès les premières heures. Ensuite, on a assisté à une progression simultanée sur plusieurs axes selon le principe de "l'eau qui coule" : avancer partout où la résistance était faible et laisser les villes (très exigeantes en termes de troupes) pour plus tard. Au nord, la centrale de Tchernobyl a été immédiatement occupée pour prévenir les actes de sabotage. Les images de soldats ukrainiens et russes gardant ensemble la centrale ne sont bien sûr pas montrées.

L'idée que la Russie cherche à prendre le contrôle de Kiev, la capitale, pour éliminer Zelensky, vient typiquement de l'Occident - c'est ce qu'ils ont fait en Afghanistan, en Irak, en Libye, et ce qu'ils voulaient faire en Syrie avec l'aide de l'État islamique. Mais Vladimir Poutine n'a jamais eu l'intention d'abattre ou de renverser Zelensky. Au contraire, la Russie cherche à le maintenir au pouvoir en le poussant à négocier, en encerclant Kiev. Jusqu'à présent, il avait refusé d'appliquer les accords de Minsk. Mais maintenant, les Russes veulent obtenir la neutralité de l'Ukraine.

De nombreux commentateurs occidentaux ont été surpris que les Russes continuent à chercher une solution négociée tout en menant des opérations militaires. L'explication réside dans la perspective stratégique russe depuis l'ère soviétique. Pour l'Occident, la guerre commence quand la politique s'arrête. Or, l'approche russe est d'inspiration clausewitzienne : la guerre est la continuité de la politique et on peut passer de l'une à l'autre de manière fluide, même pendant le combat. Cela permet de créer une pression sur l'adversaire et de le pousser à négocier.

D'un point de vue opérationnel, l'offensive russe est un exemple du genre : en six jours, les Russes se sont emparés d'un territoire aussi grand que le Royaume-Uni, avec une vitesse d'avance supérieure à ce que la Wehrmacht avait réalisé en 1940.

Le gros de l'armée ukrainienne était déployé dans le sud du pays en vue d'une opération majeure contre le Donbass. C'est pourquoi les forces russes ont pu l'encercler dès le début du mois de mars dans le "chaudron" entre Slavyansk, Kramatorsk et Severodonetsk, avec une poussée de l'Est par Kharkov et une autre du Sud depuis la Crimée. Les troupes des républiques de Donetsk (DPR) et de Lougansk (LPR) complètent les forces russes par une poussée depuis l'est.

À ce stade, les forces russes resserrent lentement l'étau, mais ne sont plus soumises à la pression du temps. Leur objectif de démilitarisation est pratiquement atteint et les forces ukrainiennes restantes ne disposent plus d'une structure de commandement opérationnelle et stratégique.

Le "ralentissement" que nos "experts" attribuent à une mauvaise logistique n'est que la conséquence de l'atteinte de leurs objectifs. La Russie ne semble pas vouloir s'engager dans une occupation de l'ensemble du territoire ukrainien. En fait, il semble que la Russie tente de limiter son avancée à la frontière linguistique du pays.

Nos médias parlent de bombardements indiscriminés contre la population civile, notamment à Kharkov, et des images dantesques sont diffusées en boucle. Pourtant, Gonzalo Lira, un latino-américain qui y vit, nous présente une ville calme les 10 et 11 mars. Il est vrai que c'est une grande ville et que nous ne voyons pas tout, mais cela semble indiquer que nous ne sommes pas dans la guerre totale qui nous est servie en permanence sur nos écrans.

Quant aux républiques du Donbass, elles ont "libéré" leurs propres territoires et se battent dans la ville de Mariupol.

 

3. Dénazification

Dans des villes comme Kharkov, Mariupol et Odessa, la défense est assurée par des milices paramilitaires. Elles savent que l'objectif de "dénazification" les vise en priorité.

Pour un attaquant dans une zone urbanisée, les civils sont un problème. C'est pourquoi la Russie cherche à créer des couloirs humanitaires pour vider les villes des civils et ne laisser que les milices, pour les combattre plus facilement.

A l'inverse, ces milices cherchent à garder les civils dans les villes afin de dissuader l'armée russe d'y combattre. C'est pourquoi elles sont réticentes à la mise en place de ces corridors et font tout pour que les efforts russes échouent : elles peuvent utiliser la population civile comme "boucliers humains". Les vidéos montrant des civils tentant de quitter Mariupol et battus par des combattants du régiment Azov sont bien sûr soigneusement censurées ici.

Sur Facebook, le groupe Azov a été considéré comme faisant partie de la même catégorie que l'État islamique et soumis à la "politique relative aux personnes et organisations dangereuses" de la plateforme. Il était donc interdit de le glorifier, et les "posts" qui lui étaient favorables étaient systématiquement bannis. Mais le 24 février, Facebook a changé sa politique et a autorisé les posts favorables à la milice. Dans le même esprit, en mars, la plateforme a autorisé, dans les anciens pays de l'Est, les appels au meurtre de soldats et de dirigeants russes. Voilà pour les valeurs qui inspirent nos dirigeants, comme nous allons le voir.

Nos médias propagent une image romantique de la résistance populaire. C'est cette image qui a conduit l'Union européenne à financer la distribution d'armes à la population civile. C'est un acte criminel. En ma qualité de responsable de la doctrine du maintien de la paix à l'ONU, j'ai travaillé sur la question de la protection des civils. Nous avons constaté que la violence contre les civils se produisait dans des contextes très spécifiques. En particulier, lorsque les armes sont abondantes et qu'il n'y a pas de structures de commandement.

Ces structures de commandement sont l'essence même des armées : leur fonction est de canaliser l'usage de la force vers un objectif. En armant les citoyens de manière désordonnée, comme c'est le cas actuellement, l'UE les transforme en combattants, ce qui a pour conséquence d'en faire des cibles potentielles. De plus, sans commandement, sans objectifs opérationnels, la distribution d'armes conduit inévitablement à des règlements de compte, au banditisme et à des actions plus meurtrières qu'efficaces. La guerre devient une affaire d'émotions. La force devient violence. C'est ce qui s'est passé à Tawarga (Libye) du 11 au 13 août 2011, où 30 000 Africains noirs ont été massacrés avec des armes parachutées (illégalement) par la France. D'ailleurs, le Royal Institute for Strategic Studies (RUSI) britannique ne voit aucune valeur ajoutée dans ces livraisons d'armes.

De plus, en livrant des armes à un pays en guerre, on s'expose à être considéré comme un belligérant. Les frappes russes du 13 mars 2022 contre la base aérienne de Mykolayev font suite aux avertissements russes selon lesquels les livraisons d'armes seraient traitées comme des cibles hostiles.

L'UE répète l'expérience désastreuse du Troisième Reich dans les dernières heures de la bataille de Berlin. La guerre doit être laissée aux militaires et lorsqu'un camp a perdu, il faut l'admettre. Et s'il doit y avoir une résistance, elle doit être dirigée et structurée. Or, nous faisons exactement le contraire, nous poussons les citoyens à aller se battre et dans le même temps, Facebook autorise les appels au meurtre de soldats et de dirigeants russes. Voilà pour les valeurs qui nous inspirent.

Certains services de renseignement voient dans cette décision irresponsable un moyen d'utiliser la population ukrainienne comme chair à canon pour combattre la Russie de Vladimir Poutine. Ce genre de décision meurtrière aurait dû être laissé aux collègues du grand-père d'Ursula von der Leyen. Il aurait été préférable d'engager des négociations et d'obtenir ainsi des garanties pour la population civile plutôt que de jeter de l'huile sur le feu. Il est facile d'être combatif avec le sang des autres.

 

4. La maternité de Marioupol

Il est important de comprendre au préalable que ce n'est pas l'armée ukrainienne qui défend Marioupol, mais la milice Azov, composée de mercenaires étrangers.

Dans son résumé de la situation du 7 mars 2022, la mission russe de l'ONU à New York a déclaré que "les résidents rapportent que les forces armées ukrainiennes ont expulsé le personnel de l'hôpital de naissance n°1 de la ville de Marioupol et ont installé un poste de tir à l'intérieur de l'établissement."

Le 8 mars, le média russe indépendant Lenta.ru a publié le témoignage de civils de Marioupol qui ont raconté que la maternité avait été prise d'assaut par la milice du régiment Azov, lequel avait chassé les occupants civils en les menaçant de leurs armes, ce qui confirmait les déclarations de l'ambassadeur russe quelques heures plus tôt.

L'hôpital de Mariupol occupe une position dominante, parfaitement adaptée à l'installation d'armes antichars et à l'observation. Le 9 mars, les forces russes ont frappé le bâtiment. Selon CNN, 17 personnes ont été blessées, mais les images ne montrent aucune victime dans le bâtiment et rien ne prouve que les victimes mentionnées soient liées à cette frappe. On parle d'enfants, mais en réalité, il n'y a rien. Cela peut être vrai, mais cela peut aussi ne pas être vrai. Cela n'a pas empêché pas les dirigeants de l'UE d'y voir un crime de guerre. Et cela a permis à Zelensky de réclamer une zone d'exclusion aérienne au-dessus de l'Ukraine.

En réalité, nous ne savons pas exactement ce qui s'est passé. Mais la séquence des événements tend à confirmer que les forces russes ont frappé une position du régiment Azov et que la maternité était alors libre de tout civil.

Le problème est que les milices paramilitaires (ukrainiennes) qui défendent les villes sont encouragées par la communauté internationale (plus exactement : le groupe de l’OTAN ! Note du traducteur) à ne pas respecter les coutumes de la guerre. Il semble que les Ukrainiens aient rejoué le scénario de la maternité de Koweït City en 1990, totalement mis en scène par la firme Hill & Knowlton pour 10,7 millions de dollars afin de convaincre le Conseil de sécurité des Nations Unies d'intervenir en Irak pour l'opération Bouclier/tempête du désert.

Les politiciens occidentaux ont accepté les frappes civiles dans le Donbass pendant huit ans, sans adopter la moindre sanction contre le gouvernement ukrainien. Nous sommes entrés depuis longtemps dans une dynamique où les politiciens occidentaux ont accepté de sacrifier le droit international à leur objectif d'affaiblir la Russie.

 

Troisième partie : Conclusions


En tant qu'ancien professionnel du renseignement, la première chose qui me frappe est l'absence totale des services de renseignement occidentaux dans la l’évaluation de la situation au cours de l'année écoulée. En Suisse, ces services ont été critiqués pour ne pas avoir donné une image correcte de la situation. En fait, il semble que, dans tout le monde occidental, les services de renseignement aient été dépassés par les politiciens. Le problème est que ce sont les politiciens qui décident - le meilleur service de renseignement du monde est inutile si le décideur ne l'écoute pas. C'est ce qui s'est passé pendant cette crise.

Cela dit, si certains services de renseignement avaient une image très précise et rationnelle de la situation, d'autres avaient clairement la même image que celle propagée par nos médias. Dans cette crise, les services des pays de la "nouvelle Europe" ont joué un rôle important. Le problème est que, par expérience, je les ai trouvés extrêmement mauvais au niveau analytique : doctrinaires, ils n'ont pas l'indépendance intellectuelle et politique nécessaire pour évaluer une situation avec une "acuité" militaire. Il vaut mieux les avoir comme ennemis que comme amis.

Deuxièmement, il semble que, dans certains pays européens, les hommes politiques aient délibérément ignoré leurs services de renseignement, afin de répondre idéologiquement à la situation. C'est pourquoi cette crise est irrationnelle depuis le début. Il convient de noter que tous les documents qui ont été présentés au public pendant cette crise l'ont été par des hommes politiques sur la base de sources commerciales.

Certains politiciens occidentaux souhaitaient manifestement qu'il y ait un conflit. Aux États-Unis, les scénarios d'attaque présentés par Anthony Blinken au Conseil de sécurité n'étaient que le fruit de l'imagination d'une Tiger Team travaillant pour lui - il a fait exactement comme Donald Rumsfeld en 2002, qui avait ainsi "court-circuité" la CIA et d'autres services de renseignement beaucoup moins affirmatifs sur les armes chimiques irakiennes.

Les développements dramatiques auxquels nous assistons aujourd'hui ont des causes que nous connaissions mais que nous avons refusé de voir :

  • sur le plan stratégique, l'expansion de l'OTAN (que nous n'avons pas abordée ici) ;
  • sur le plan politique, le refus occidental d'appliquer les accords de Minsk ;
  • et sur le plan opérationnel, les attaques continues et répétées contre la population civile du Donbass au cours des dernières années et l'augmentation spectaculaire de ces agressions à la fin février 2022.

En d'autres termes, nous pouvons naturellement déplorer et condamner l'attaque russe. Mais NOUS (c'est-à-dire : les États-Unis, la France et l'Union européenne en tête) avons créé les conditions pour qu'un conflit éclate. Nous montrons de la compassion pour le peuple ukrainien et les deux millions de réfugiés. C'est très bien. Mais si nous avions eu un minimum de compassion pour le même nombre de réfugiés des populations ukrainiennes du Donbass, massacrées par leur propre gouvernement, et qui ont cherché refuge en Russie pendant huit ans, rien de tout cela ne serait probablement arrivé.

Comme on peut le constater, plus de 80% des victimes du Donbass sont le résultat des bombardements de l'armée ukrainienne. Pendant des années, l'Occident a gardé le silence sur le massacre des Ukrainiens russophones par le gouvernement de Kiev, sans jamais essayer de faire pression sur ce gouvernement. C'est ce silence qui a obligé la partie russe à agir. [Source : "Conflict-related civilian casualties", Mission de surveillance des droits de l'homme des Nations unies en Ukraine].

La question de savoir si le terme "génocide" s'applique aux abus subis par la population du Donbass est ouverte. Le terme est généralement réservé à des cas de plus grande ampleur (Holocauste, etc.). Mais la définition donnée par la Convention sur le génocide est probablement assez large pour s'appliquer à cette affaire. Les juristes le comprendront.

Il est clair que ce conflit nous a conduits à l'hystérie. Les sanctions semblent être devenues l'outil privilégié de nos politiques étrangères. Si nous avions insisté pour que l'Ukraine respecte les accords de Minsk, que nous avions négociés et approuvés, rien de tout cela ne serait arrivé. La condamnation de Vladimir Poutine est aussi la nôtre. Il ne sert à rien de pleurnicher après coup, nous aurions dû agir plus tôt. Or, ni Emmanuel Macron (en tant que garant et membre du Conseil de sécurité de l'ONU), ni Olaf Scholz, ni Volodymyr Zelensky n'ont respecté leurs engagements. Au final, la véritable défaite est celle de ceux qui n'ont pas de voix.

L'Union européenne n'a pas été en mesure de promouvoir l'application des accords de Minsk - au contraire, elle n'a pas réagi lorsque l'Ukraine bombardait sa propre population dans le Donbass. Si elle l'avait fait, Vladimir Poutine n'aurait pas eu besoin de réagir. Absente de la phase diplomatique, l'UE s'est distinguée en alimentant le conflit. Le 27 février, le gouvernement ukrainien a accepté d'entamer des négociations avec la Russie. Mais quelques heures plus tard, l'Union européenne a voté un budget de 450 millions d'euros pour fournir des armes à l'Ukraine, ajoutant de l'huile sur le feu. Dès lors, les Ukrainiens ont estimé qu'ils n'avaient pas besoin de conclure un accord. La résistance de la milice Azov à Marioupol a même conduit à un coup de pouce de 500 millions d'euros pour les armes.

En Ukraine, avec la bénédiction des pays occidentaux, ceux qui sont en faveur d'une négociation ont été éliminés. C'est le cas de Denis Kireyev, un des négociateurs ukrainiens, assassiné le 5 mars par les services secrets ukrainiens (SBU) parce qu'il était trop favorable à la Russie et était considéré comme un traître. Le même sort a été réservé à Dmitry Demyanenko, ancien chef adjoint de la direction principale du SBU pour Kiev et sa région, assassiné le 10 mars, parce qu'il était trop favorable à un accord avec la Russie, par la milice Mirotvorets ("Peacemaker"). Cette milice est associée au site Internet Mirotvorets, qui répertorie les "ennemis de l'Ukraine", avec leurs données personnelles, leurs adresses et leurs numéros de téléphone, afin de les harceler, voire de les éliminer ; une pratique punissable dans de nombreux pays, mais pas en Ukraine. L'ONU et certains pays européens ont exigé la fermeture de ce site - refusée par la Rada.

Au final, le prix à payer sera élevé, mais Vladimir Poutine atteindra probablement les objectifs qu'il s'est fixés. Ses liens avec Pékin se sont renforcés. La Chine apparaît comme un médiateur dans le conflit, tandis que la Suisse rejoint la liste des ennemis de la Russie. Les Américains doivent demander du pétrole au Venezuela et à l'Iran pour sortir de l'impasse énergétique dans laquelle ils se sont mis - Juan Guaído quitte définitivement la scène et les États-Unis doivent piteusement revenir sur les sanctions imposées à leurs ennemis.

Les ministres occidentaux qui cherchent à faire s'effondrer l'économie russe et à faire souffrir le peuple russe, voire qui appellent à l'assassinat de Poutine, montrent (même s'ils ont partiellement inversé la forme de leurs propos, mais pas le fond !) que nos dirigeants ne valent pas mieux que ceux que nous haïssons - car sanctionner les athlètes russes des Jeux Para-Olympiques ou les artistes russes n'a rien à voir avec la lutte contre Poutine.

Ainsi, nous reconnaissons que la Russie est une démocratie puisque nous considérons que le peuple russe est responsable de la guerre. Si ce n'est pas le cas, alors pourquoi cherchons-nous à punir toute une population pour la faute d'une seule personne ? Rappelons que les punitions collectives sont interdites par les Conventions de Genève.

La leçon à tirer de ce conflit est notre sens de l'humanité à géométrie variable. Si nous tenions tant à la paix et à l'Ukraine, pourquoi n'avons-nous pas encouragé l'Ukraine à respecter les accords qu'elle avait signés et que les membres du Conseil de sécurité avaient approuvés ?

L'intégrité des médias se mesure à leur volonté de travailler dans le respect des termes de la Charte de Munich. Ils ont réussi à propager la haine des Chinois pendant la crise du Covid et leur message polarisé conduit aux mêmes effets contre les Russes. Le journalisme devient de plus en plus non professionnel et militant.

Comme le disait Goethe : "Plus la lumière est grande, plus l'ombre est sombre." Plus les sanctions contre la Russie sont disproportionnées, plus les cas où nous n'avons rien fait mettent en évidence notre racisme et notre servilité. Pourquoi aucun homme politique occidental n'a réagi aux frappes contre la population civile du Donbass depuis huit ans ?

Car enfin, en quoi le conflit en Ukraine est-il plus condamnable que la guerre en Irak, en Afghanistan ou en Libye ? Quelles sanctions avons-nous adoptées contre ceux qui ont délibérément menti à la communauté internationale pour mener des guerres injustes, injustifiées et meurtrières ? Avons-nous cherché à "faire souffrir" le peuple américain qui nous a menti (parce qu'il est une démocratie !) avant la guerre en Irak ? Avons-nous adopté une seule sanction contre les pays, les entreprises ou les hommes politiques qui fournissent des armes au conflit au Yémen, considéré comme la "pire catastrophe humanitaire au monde ?" Avons-nous sanctionné les pays de l'Union européenne qui pratiquent la torture la plus abjecte sur leur territoire au profit des États-Unis ?

Poser la question, c'est y répondre... et la réponse n'est pas jolie.

 

Jacques Baud est un ancien colonel de l'état-major général, ex-membre du renseignement stratégique suisse, spécialiste des pays de l'Est. Il a été formé dans les services de renseignement américains et britanniques. Il a été chef politique des opérations de paix des Nations unies. En tant qu'expert des Nations Unies sur l'État de droit et les institutions de sécurité, il a conçu et dirigé la première unité de renseignement multidimensionnelle des Nations Unies au Soudan. Il a travaillé pour l'Union africaine et a été pendant cinq ans responsable de la lutte, à l'OTAN, contre la prolifération des armes légères. Il a participé à des discussions avec les plus hauts responsables militaires et du renseignement russes juste après la chute de l'URSS. Au sein de l'OTAN, il a suivi la crise ukrainienne de 2014 et a ensuite participé à des programmes d'aide à l'Ukraine. Il est l'auteur de plusieurs ouvrages sur le renseignement, la guerre et le terrorisme, notamment Le Détournement aux éditions SIGEST, Gouverner par les fake news, L'affaire Navalny. Son dernier ouvrage s'intitule Poutine, maître du jeu ? aux éditions Max Milo.

 

Nota bene : en ce qui concerne les origines du conflit, il me semble que l'auteur de l'article se situe dans le "stricto sensu". Il est vrai  qu'il signale la chose et qu'aborder la question, "lato sensu", aurait rendu l'article tout bonnement illisible car trop long.

Mais rien ne nous interdit de parler des vraies et lointaines origines de ce conflit. Voyez les liens qui suivent (en ex-étudiant besogneux en documentation, j'ai pour habitude de m'appuyer sur de solides archives).

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