(Relecture en cours)
Ce qui suit est un article fort copieux (soit plus de 6200 mots, 38240 signes) déniché sur Twitter. Et comment ne pas avoir une petite pensée pour la pauvre Ursula von der Leyen, laquelle a cru bon de devoir censurer - ce à quoi rien ni personne ne l'autorisaient - RT et Sputnik en anticipant des violations de déontologie que ces deux organes de presse et de télévision étaient (forcément !) censés commettre, entraînant dans son (von der Leyen) misérable sillage l'ensemble de l'Union Européenne. Même Josef Goebbels, ministre de la propagande, et Heinrich Himmler, ministre de l'Intérieur de Hitler, n'auraient pas fait mieux, enfin, je veux dire pire ! Le problème, pour la racaille qui croit encore pouvoir diriger le monde comme au temps des Guerres de l'Opium, c'est que censurer des organes d'information électroniques, au temps de l'Internet, reviendrait à vouloir dresser un barrage contre le Pacifique, pour paraphraser Marguerite Duras. Autant parler d'une mission impossible !
Voyez, donc, ce très long papier traduit par mes soins, que nous devons à un ancien haut cadre du renseignement suisse, et que j'ai découvert grâce à Oliver Stone, lui-même cité par un certain "combattant russe" fort actif sur Twitter. Quelque chose me dit que quiconque lira ce papier dans son intégralité risque de se faire une idée tout à fait différente des politiciens et des journalistes en général : je veux parler de l'incompétence et du cynisme des uns et des autres en ce qui concerne les souffrances du "peuple ukrainien", l'Ukraine s'arrêtant désormais, comme on peut le deviner, aux frontières occidentales du Donbass, comme une preuve que plus personne ne met en doute le détachement définitif de ces deux républiques de l'Ukraine, tel qu'entériné par Vladimir Poutine en ce 24 février 2022.
Précision utile : les mises en exergue sont de mon fait. Traduit de l'anglais (Source)
La situation militaire
en Ukraine (Jacques
Baud, 1er avril 2022)
Première partie : le
chemin de la guerre
Durant des années, du
Mali à l'Afghanistan, j'ai œuvré pour la paix et risqué ma vie pour elle. Il ne
s'agit donc pas de justifier la guerre, mais de comprendre ce qui nous y a
conduits. Je constate que les "experts" qui se relaient à la
télévision analysent la situation sur la base d'informations douteuses, le plus
souvent des hypothèses érigées en faits, et qu'ensuite on n'arrive plus à
comprendre ce qui se passe. C'est ainsi que se créent les paniques.
Le problème n'est pas
tant de savoir qui a raison dans ce conflit, mais de s'interroger sur la
manière dont nos dirigeants prennent leurs décisions.
Essayons d'examiner les
racines du conflit. Cela commence par ceux qui, depuis huit ans, parlent de
"séparatistes" ou d'"indépendantistes" du Donbass. Ce n'est
pas vrai. Les référendums menés par les deux républiques autoproclamées de
Donetsk et de Lougansk, en mai 2014, n'étaient pas des référendums
d'"indépendance" (независимость), comme l'ont prétendu certains
journalistes peu scrupuleux, mais des référendums
d'"autodétermination" ou d'"autonomie" (самостоятельность).
Le qualificatif "pro-russe" suggère que la Russie était partie prenante
au conflit, ce qui n'était pas le cas, et le terme "russophones"
aurait été plus honnête. De plus, ces référendums ont été menés contre l'avis
de Vladimir Poutine.
En effet, ces
républiques ne cherchaient pas à se séparer de l'Ukraine, mais à avoir un
statut d'autonomie leur garantissant l'usage de la langue russe comme langue
officielle. Car le premier acte législatif du nouveau gouvernement issu du
renversement du président Ianoukovitch a été l'abolition, le 23 février 2014,
de la loi Kivalov-Kolesnichenko de 2012, qui faisait du russe une langue
officielle. C’est un peu comme si des putschistes décidaient que le français et
l'italien ne seraient plus des langues officielles en Suisse.
Cette décision a
provoqué une tempête au sein de la population russophone. Il en a résulté une
répression féroce contre les régions russophones (Odessa, Dniepropetrovsk,
Kharkov, Lougansk et Donetsk) qui s'est déroulée à partir de février 2014 et a
conduit à une militarisation de la situation et à quelques massacres (à Odessa
et Marioupol, pour les plus notables). À la fin de l'été 2014, il ne restait
plus que les républiques autoproclamées de Donetsk et de Lougansk.
À ce stade, resté trop
rigide et engoncé dans une approche doctrinaire de l'art des opérations,
l'état-major ukrainien soumet l'ennemi sans parvenir à l'emporter. L'examen du
déroulement des combats de 2014-2016 dans le Donbass montre que l'état-major
ukrainien a appliqué systématiquement et mécaniquement les mêmes schémas
opératoires. Or, la guerre menée par les autonomistes était très proche de ce
que nous avons observé au Sahel : des opérations très mobiles menées avec des
moyens légers. Avec une approche plus souple et moins doctrinaire, les rebelles
ont pu exploiter l'inertie des forces ukrainiennes pour les "piéger" à plusieurs reprises.
En 2014, lorsque
j'étais à l'OTAN, j'étais responsable de la lutte contre la prolifération des
armes légères, et nous essayions de détecter les livraisons d'armes russes aux
rebelles, pour voir si Moscou était impliqué. Les informations que nous
recevions alors provenaient presque entièrement des services de renseignement
polonais et ne "collaient" pas avec celles de l'OSCE :
malgré des allégations assez grossières, il n'y avait pas de livraisons d'armes
et d'équipements militaires en provenance de Russie.
Les rebelles étaient équipés
par le biais de la défection d'unités ukrainiennes russophones qui sont passées
du côté des rebelles. Au fur et à mesure des échecs ukrainiens, des bataillons
de chars, d'artillerie et de défense anti-aérienne sont venus grossir les rangs
des autonomistes. C'est ce qui a poussé les Ukrainiens à s'engager dans les
accords de Minsk. Mais juste après avoir signé les accords de Minsk-1, le
président ukrainien Petro Porochenko a lancé une opération antiterroriste
massive (ATO/Антитерористична операція) contre le Donbass. Bis repetita placent
: mal conseillés par les officiers de l'OTAN, les Ukrainiens ont subi une
défaite cuisante à Debaltsevo, qui les a contraints à s'engager dans les
accords de Minsk-2.
Il est essentiel de
rappeler, ici, que les Accords de Minsk-1 (septembre 2014) et Minsk-2 (février
2015) ne prévoyaient pas la séparation ou l'indépendance des Républiques, mais
leur autonomie dans le cadre de l'Ukraine. Ceux qui ont lu les Accords (il y en
a très, très, très peu qui l'ont réellement fait) noteront qu'il est écrit en
toutes lettres que le statut des Républiques devait être négocié entre Kiev et
les représentants des Républiques, pour une solution interne à l'Ukraine.
C'est pourquoi, depuis
2014, la Russie a systématiquement exigé leur mise en œuvre tout en refusant
d'être partie aux négociations, car il s'agissait d'une affaire interne à
l'Ukraine. De l'autre côté, les Occidentaux - menés par la France - ont
systématiquement tenté de remplacer les accords de Minsk par le "format
Normandie", qui mettait Russes et Ukrainiens face à face. Rappelons
toutefois qu'il n'y a jamais eu de troupes russes dans le Donbass avant les
23-24 février 2022. De plus, les observateurs de l'OSCE n'ont jamais observé la
moindre trace d'unités russes opérant dans le Donbass. Par exemple, la carte
des services de renseignement américains publiée par le Washington Post, le 3
décembre 2021, ne montre pas de troupes russes dans le Donbass.
En octobre 2015, Vasyl
Hrytsak, directeur du Service de sécurité ukrainien (SBU), a avoué que seuls 56
combattants russes avaient été observés dans le Donbass, chiffres tout à fait comparables
à ceux des Suisses qui allaient se battre en Bosnie le week-end, dans les
années 1990, ou aux Français qui vont se battre en Ukraine aujourd'hui.
L'armée ukrainienne
était alors dans un état déplorable. En octobre 2018, après quatre années de
guerre, le procureur militaire ukrainien en chef, Anatoly Matios, a déclaré que
l'Ukraine avait perdu 2700 hommes dans le Donbass : 891 de maladies, 318
d'accidents de la route, 177 d'autres accidents, 175 d'empoisonnements (alcool,
drogues), 172 de maniement négligeant des armes, 101 de violations des règles
de sécurité, 228 de meurtres et 615 de suicides.
De fait, l'armée était minée
par la corruption de ses cadres et ne bénéficiait plus du soutien de la
population. Selon un rapport du ministère de l'Intérieur britannique, lors du
rappel des réservistes en mars/avril 2014, 70% ne se sont pas présentés à la
première session, 80% à la deuxième, 90% à la troisième et 95% à la
quatrième. En octobre/novembre 2017, 70 % des conscrits ne se sont pas
présentés à la campagne de rappel de l’"automne 2017". Sans
compter les suicides et les désertions (souvent au profit des autonomistes),
qui ont atteint jusqu'à 30% des effectifs dans la zone de l'ATO. Les jeunes
Ukrainiens ont refusé d'aller se battre dans le Donbass et ont préféré l'émigration,
ce qui explique aussi, au moins partiellement, le déficit démographique du
pays.
Le ministère ukrainien
de la Défense s'est alors tourné vers l'OTAN pour l'aider à rendre ses forces
armées plus "attractives". Ayant déjà travaillé sur des projets
similaires dans le cadre des Nations Unies, j'ai été sollicité par l'OTAN pour
participer à un programme de restauration de l'image des forces armées
ukrainiennes. Mais il s'agissait d'un processus à long terme et les Ukrainiens
voulaient aller vite.
Ainsi, pour compenser
le manque de soldats, le gouvernement ukrainien a eu recours à des milices
paramilitaires. Elles sont essentiellement composées de mercenaires étrangers,
souvent des militants d'extrême-droite. En 2020, elles constituaient environ 40% des forces ukrainiennes et comptaient environ 102000 hommes, selon Reuters.
Ils étaient armés, financés et entraînés par les États-Unis, la
Grande-Bretagne, le Canada et la France. Ils étaient de plus de 19
nationalités, dont des Suisses.
Les pays occidentaux
ont donc clairement créé et soutenu les milices d'extrême-droite ukrainiennes.
En octobre 2021, le Jerusalem Post a tiré la sonnette d'alarme en dénonçant le
projet Centuria. Ces milices opéraient dans le Donbass depuis 2014, avec le
soutien de l'Occident. Même si l'on peut discuter du terme "nazi", il
n'en reste pas moins que ces milices sont violentes, véhiculent une idéologie
nauséabonde et sont virulemment antisémites. Leur antisémitisme est plus
culturel que politique, c'est pourquoi le terme "nazi" n'est pas
vraiment approprié. Leur haine du Juif trouve son origine dans les grandes
famines des années 1920 et 1930 en Ukraine, résultant de la confiscation des
récoltes par Staline pour financer la modernisation de l'Armée rouge. Ce
génocide - connu en Ukraine sous le nom de Holodomor - a été perpétré par le
NKVD (l'ancêtre du KGB), dont les échelons supérieurs de la direction étaient
principalement composés de Juifs. C'est pourquoi, aujourd'hui, les extrémistes
ukrainiens demandent à Israël de s'excuser pour les crimes du communisme, comme
le note le Jerusalem Post. On est loin de la "réécriture de
l'histoire" de Vladimir Poutine.
Ces milices, issues des
groupes d'extrême-droite, qui ont animé la révolution de l'Euromaïdan en 2014,
sont composées d'individus fanatiques et brutaux. La plus connue d'entre elles
est le régiment Azov, dont l'emblème rappelle la 2e division Panzer SS "Das
Reich", vénérée en Ukraine pour avoir libéré Kharkov des Soviétiques en
1943, avant de perpétrer le massacre d'Oradour-sur-Glane en France en 1944.
Parmi les figures
célèbres du régiment d'Azov figure l'opposant Roman Protassevitch, arrêté en
2021 par les autorités biélorusses suite à l'affaire du vol RyanAir FR4978. Le
23 mai 2021, le détournement délibéré d'un avion de ligne par un MiG-29 -
prétendument avec l'approbation de Poutine - a été mentionné comme motif
d'arrestation de Protassevitch, bien que les informations disponibles à
l'époque ne confirmassent absolument pas ce scénario.
Mais il fallait alors
montrer que le président Loukachenko était un voyou et Protassevitch un
"journaliste" amoureux de la démocratie. Or, une enquête assez
révélatrice produite par une ONG américaine, en 2020, a mis en évidence les
activités militantes d'extrême-droite de Protassevitch. Le mouvement
conspirationniste occidental se met alors en place et des médias peu scrupuleux
"aèrent" sa biographie. Enfin, en janvier 2022, le rapport de l'OACI
est publié et montre que malgré quelques erreurs de procédure, la Biélorussie a
agi conformément aux règles en vigueur et que le MiG-29 a décollé 15 minutes
après que le pilote de RyanAir a décidé d'atterrir à Minsk. Donc pas de complot
biélorusse et encore moins de Poutine. Ah ! ... Encore un détail :
Protassevitch, cruellement torturé par la police biélorusse, est désormais
libre. Ceux qui voudraient correspondre avec lui, peuvent se rendre sur son
compte Twitter.
La caractérisation des
paramilitaires ukrainiens comme "nazis" ou "néo-nazis" est
considérée comme de la propagande russe. Peut-être. Mais ce n'est pas l'avis du
Times of Israel, du Centre Simon Wiesenthal ou du Center for Counterterrorism
de l'Académie de West Point. Mais cela reste discutable, car en 2014, le
magazine Newsweek semblait les associer davantage à... l'État islamique. Faites
votre choix !
L'Occident a donc
soutenu et continué à armer des milices qui se sont rendues coupables de
nombreux crimes contre les populations civiles depuis 2014 : viols, tortures et
massacres. Mais si le gouvernement suisse a été très prompt à prendre des
sanctions contre la Russie, il n'en a pas adoptées contre l'Ukraine, qui
massacre sa propre population depuis 2014. En fait, ceux qui défendent les droits
de l'homme en Ukraine ont longtemps condamné les actions de ces groupes, mais
n'ont pas été soutenus par nos gouvernements. Car, en réalité, nous ne
cherchons pas à aider l'Ukraine, mais à combattre la Russie.
L'intégration de ces
forces paramilitaires dans la Garde nationale ne s'est pas du tout accompagnée
d'une "dénazification", comme certains le prétendent. Parmi les
nombreux exemples, celui de l'insigne du régiment Azov est instructif.
En 2022, très
schématiquement, les forces armées ukrainiennes qui combattaient l'offensive
russe étaient organisées comme suit :
- L'armée de terre, subordonnée au ministère
de la défense. Elle est organisée en 3 corps d'armée et composée de formations
de manœuvre (chars, artillerie lourde, missiles, etc.).
- La Garde nationale, qui dépend du ministère
de l'Intérieur et est organisée en 5 commandements territoriaux.
La Garde nationale est
donc une force de défense territoriale qui ne fait pas partie de l'armée
ukrainienne. Elle comprend des milices paramilitaires, appelées "bataillons
de volontaires" (добровольчі батальйоні), également connues sous le nom
évocateur de "bataillons de représailles", et composées d'infanterie.
Principalement formés pour le combat urbain, ils défendent aujourd'hui des
villes comme Kharkov, Mariupol, Odessa, Kiev, etc.
Deuxième partie : La
guerre
En tant qu'ancien chef
des forces du Pacte de Varsovie au sein du service de renseignement stratégique
suisse, je constate avec tristesse - mais sans étonnement - que nos services ne
sont plus en mesure de comprendre la situation militaire en Ukraine. Les "experts"
autoproclamés qui défilent sur nos écrans relaient inlassablement les mêmes
informations modulées par l'affirmation que la Russie - et Vladimir Poutine -
est irrationnelle. Prenons un peu de recul.
1. Le déclenchement de
la guerre
Depuis novembre 2021,
les Américains n'ont cessé de menacer d'une invasion russe en Ukraine.
Cependant, les Ukrainiens ne semblaient pas d'accord. Pourquoi ?
Il faut remonter au 24
mars 2021. Ce jour-là, Volodymyr Zelensky a publié un décret pour la reconquête
de la Crimée et a commencé à déployer ses forces dans le sud du pays. Dans le
même temps, plusieurs exercices de l'OTAN ont été menés entre la mer Noire et
la mer Baltique, accompagnés d'une augmentation significative des vols de
reconnaissance le long de la frontière russe. La Russie a ensuite effectué
plusieurs exercices pour tester l'état de préparation opérationnelle de ses
troupes et montrer qu'elle suivait l'évolution de la situation.
Le calme est revenu
jusqu'en octobre-novembre avec la fin des exercices ZAPAD 21, dont les
mouvements de troupes ont été interprétés comme le renfort d'une offensive
contre l'Ukraine. Cependant, même les autorités ukrainiennes ont réfuté l'idée
de préparatifs russes pour une guerre, et Oleksiy Reznikov, ministre ukrainien
de la Défense, affirme qu'il n'y a eu aucun changement à sa frontière depuis le
printemps.
En violation des
accords de Minsk, l'Ukraine mène des opérations aériennes dans le Donbass à
l'aide de drones, dont au moins une frappe contre un dépôt de carburant à
Donetsk en octobre 2021. La presse américaine l'a noté, mais pas les Européens
; et personne n'a condamné ces violations.
En février 2022, les
événements se précipitent. Le 7 février, lors de sa visite à Moscou, Emmanuel
Macron réaffirme à Vladimir Poutine son attachement aux accords de Minsk,
engagement qu'il réitérera après sa rencontre avec Volodymyr Zelensky le
lendemain. Mais le 11 février, à Berlin, après neuf heures de travail, la
réunion des conseillers politiques des dirigeants du "format Normandie"
s'est achevée, sans résultat concret : les Ukrainiens refusent toujours
d'appliquer les accords de Minsk, apparemment sous la pression des États-Unis.
Vladimir Poutine a noté que Macron avait fait des promesses vides et que
l'Occident n'était pas prêt à faire appliquer les accords, ainsi qu’il le fait
depuis huit ans.
Les préparatifs
ukrainiens dans la zone de contact se poursuivent. Le Parlement russe s'est
alarmé et, le 15 février, a demandé à Vladimir Poutine de reconnaître
l'indépendance des républiques, ce qu'il a refusé de faire.
Le 17 février, le
président Joe Biden a annoncé que la Russie allait attaquer l'Ukraine dans les
prochains jours. Comment le savait-il ? C'est un mystère. Mais depuis le 16,
les tirs d'artillerie sur la population du Donbass ont augmenté de façon
spectaculaire, comme le montrent les rapports quotidiens des observateurs de
l'OSCE. Naturellement, ni les médias, ni l'Union européenne, ni l'OTAN, ni
aucun gouvernement occidental ne réagissent ou n'interviennent. Il sera dit
plus tard qu'il s'agissait de désinformation russe. En fait, il semble que
l'Union européenne et certains pays aient délibérément gardé le silence sur le
massacre de la population du Donbass, sachant que cela provoquerait une
intervention russe.
Dans le même temps, des
informations ont fait état de sabotages dans le Donbass. Le 18 janvier, des
combattants du Donbass ont intercepté des saboteurs parlant polonais et équipés
de matériel occidental, qui cherchaient à créer des incidents chimiques à
Gorlivka. Il pourrait s'agir de mercenaires de la CIA, dirigés ou
"conseillés" par des Américains et composés de combattants ukrainiens
ou européens, pour mener des actions de sabotage dans les républiques du
Donbass.
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Nombre d'explosions dans le Donbass
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Violations du cessez-le-feu par les Ukrainiens
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En fait, dès le 16
février, Joe Biden savait que les Ukrainiens avaient commencé à bombarder la
population civile du Donbass, mettant Vladimir Poutine devant un choix
difficile : aider militairement le Donbass et créer un problème international,
ou rester les bras croisés et regarder la population russophone du Donbass se
faire écraser.
S'il décidait
d'intervenir, Poutine pourrait invoquer l'obligation internationale de la
"responsabilité de protéger" (R2P). Mais il savait que, quelle que
soit sa nature ou son ampleur, l'intervention déclencherait une tempête de
sanctions. Par conséquent, que l'intervention russe soit limitée au Donbass ou
qu'elle aille plus loin pour faire pression sur l'Occident concernant le statut
de l'Ukraine, le prix à payer serait le même. C'est ce qu'il a expliqué dans
son discours du 21 février.
Ce jour-là, il a accédé
à la demande de la Douma et reconnu l'indépendance des deux républiques du
Donbass et, dans le même temps, il a signé avec elles des traités d'amitié et
d'assistance.
Les bombardements
d'artillerie ukrainiens sur la population du Donbass se poursuivent et, le 23
février, les deux républiques demandent une assistance militaire à la Russie.
Le 24 février, Vladimir Poutine a invoqué l'article 51 de la Charte des Nations
unies, qui prévoit une assistance militaire mutuelle dans le cadre d'une alliance
défensive.
Afin de rendre
l'intervention russe totalement illégale aux yeux de l'opinion publique, nous
avons délibérément caché le fait que la guerre a réellement commencé le 16
février. L'armée ukrainienne se préparait à attaquer le Donbass dès 2021, comme
le savaient parfaitement certains services de renseignement russes et
européens.
Les juristes jugeront.
Dans son discours du 24
février, Vladimir Poutine a énoncé les deux objectifs de son opération :
"démilitariser" et "dénazifier" l'Ukraine. Il ne s'agit
donc pas de s'emparer de l'Ukraine, ni même, vraisemblablement, de l'occuper ;
et encore moins de la détruire. Dès lors, notre visibilité sur le déroulement
de l'opération est limitée : les Russes ont une excellente sécurité des
opérations (OPSEC) et les détails de leur planification ne sont pas connus.
Mais assez rapidement, le déroulement de l'opération nous permet de comprendre
comment les objectifs stratégiques ont été traduits sur le plan opérationnel.
Démilitarisation :
- destruction au sol de l'aviation
ukrainienne, des systèmes de défense aérienne et des moyens de reconnaissance ;
- neutralisation des structures de
commandement et de renseignement (C3I), ainsi que des principales routes
logistiques dans la profondeur du territoire ;
- encerclement du gros de l'armée ukrainienne
massée dans le sud-est du pays.
Dénazification :
- destruction ou neutralisation des
bataillons de volontaires opérant dans les villes d'Odessa, Kharkov et
Marioupol, ainsi que dans diverses installations du territoire.
2. Démilitarisation
L'offensive russe s'est
déroulée de manière très "classique". D'abord - comme les Israéliens
l'avaient fait en 1967 - par la destruction au sol de l'aviation dès les
premières heures. Ensuite, on a assisté à une progression simultanée sur plusieurs
axes selon le principe de "l'eau qui coule" : avancer partout où la
résistance était faible et laisser les villes (très exigeantes en termes de
troupes) pour plus tard. Au nord, la centrale de Tchernobyl a été immédiatement
occupée pour prévenir les actes de sabotage. Les images de soldats ukrainiens
et russes gardant ensemble la centrale ne sont bien sûr pas montrées.
L'idée que la Russie
cherche à prendre le contrôle de Kiev, la capitale, pour éliminer Zelensky,
vient typiquement de l'Occident - c'est ce qu'ils ont fait en Afghanistan, en
Irak, en Libye, et ce qu'ils voulaient faire en Syrie avec l'aide de l'État
islamique. Mais Vladimir Poutine n'a jamais eu l'intention d'abattre ou de
renverser Zelensky. Au contraire, la Russie cherche à le maintenir au pouvoir
en le poussant à négocier, en encerclant Kiev. Jusqu'à présent, il avait refusé
d'appliquer les accords de Minsk. Mais maintenant, les Russes veulent obtenir
la neutralité de l'Ukraine.
De nombreux
commentateurs occidentaux ont été surpris que les Russes continuent à chercher
une solution négociée tout en menant des opérations militaires. L'explication
réside dans la perspective stratégique russe depuis l'ère soviétique. Pour
l'Occident, la guerre commence quand la politique s'arrête. Or, l'approche russe
est d'inspiration clausewitzienne : la guerre est la continuité de la politique
et on peut passer de l'une à l'autre de manière fluide, même pendant le combat.
Cela permet de créer une pression sur l'adversaire et de le pousser à négocier.
D'un point de vue
opérationnel, l'offensive russe est un exemple du genre : en six jours, les
Russes se sont emparés d'un territoire aussi grand que le Royaume-Uni, avec une
vitesse d'avance supérieure à ce que la Wehrmacht avait réalisé en 1940.
Le gros de l'armée
ukrainienne était déployé dans le sud du pays en vue d'une opération majeure
contre le Donbass. C'est pourquoi les forces russes ont pu l'encercler dès le
début du mois de mars dans le "chaudron" entre Slavyansk, Kramatorsk
et Severodonetsk, avec une poussée de l'Est par Kharkov et une autre du Sud
depuis la Crimée. Les troupes des républiques de Donetsk (DPR) et de Lougansk
(LPR) complètent les forces russes par une poussée depuis l'est.
À ce stade, les forces
russes resserrent lentement l'étau, mais ne sont plus soumises à la pression du
temps. Leur objectif de démilitarisation est pratiquement atteint et les forces
ukrainiennes restantes ne disposent plus d'une structure de commandement
opérationnelle et stratégique.
Le
"ralentissement" que nos "experts" attribuent à une
mauvaise logistique n'est que la conséquence de l'atteinte de leurs objectifs.
La Russie ne semble pas vouloir s'engager dans une occupation de l'ensemble du
territoire ukrainien. En fait, il semble que la Russie tente de limiter son
avancée à la frontière linguistique du pays.
Nos médias parlent de
bombardements indiscriminés contre la population civile, notamment à Kharkov,
et des images dantesques sont diffusées en boucle. Pourtant, Gonzalo Lira, un
latino-américain qui y vit, nous présente une ville calme les 10 et 11 mars. Il
est vrai que c'est une grande ville et que nous ne voyons pas tout, mais cela
semble indiquer que nous ne sommes pas dans la guerre totale qui nous est
servie en permanence sur nos écrans.
Quant aux républiques
du Donbass, elles ont "libéré" leurs propres territoires et se
battent dans la ville de Mariupol.
3. Dénazification
Dans des villes comme
Kharkov, Mariupol et Odessa, la défense est assurée par des milices
paramilitaires. Elles savent que l'objectif de "dénazification" les
vise en priorité.
Pour un attaquant dans
une zone urbanisée, les civils sont un problème. C'est pourquoi la Russie
cherche à créer des couloirs humanitaires pour vider les villes des civils et
ne laisser que les milices, pour les combattre plus facilement.
A l'inverse, ces
milices cherchent à garder les civils dans les villes afin de dissuader l'armée
russe d'y combattre. C'est pourquoi elles sont réticentes à la mise en place de
ces corridors et font tout pour que les efforts russes échouent : elles peuvent
utiliser la population civile comme "boucliers humains". Les vidéos
montrant des civils tentant de quitter Mariupol et battus par des combattants
du régiment Azov sont bien sûr soigneusement censurées ici.
Sur Facebook, le groupe
Azov a été considéré comme faisant partie de la même catégorie que l'État
islamique et soumis à la "politique relative aux personnes et
organisations dangereuses" de la plateforme. Il était donc interdit de le
glorifier, et les "posts" qui lui étaient favorables étaient
systématiquement bannis. Mais le 24 février, Facebook a changé sa politique et
a autorisé les posts favorables à la milice. Dans le même esprit, en mars, la
plateforme a autorisé, dans les anciens pays de l'Est, les appels au meurtre de
soldats et de dirigeants russes. Voilà pour les valeurs qui inspirent nos
dirigeants, comme nous allons le voir.
Nos médias propagent
une image romantique de la résistance populaire. C'est cette image qui a
conduit l'Union européenne à financer la distribution d'armes à la population
civile. C'est un acte criminel. En ma qualité de responsable de la doctrine du
maintien de la paix à l'ONU, j'ai travaillé sur la question de la protection
des civils. Nous avons constaté que la violence contre les civils se produisait
dans des contextes très spécifiques. En particulier, lorsque les armes sont
abondantes et qu'il n'y a pas de structures de commandement.
Ces structures de
commandement sont l'essence même des armées : leur fonction est de canaliser
l'usage de la force vers un objectif. En armant les citoyens de manière
désordonnée, comme c'est le cas actuellement, l'UE les transforme en
combattants, ce qui a pour conséquence d'en faire des cibles potentielles. De
plus, sans commandement, sans objectifs opérationnels, la distribution d'armes
conduit inévitablement à des règlements de compte, au banditisme et à des
actions plus meurtrières qu'efficaces. La guerre devient une affaire
d'émotions. La force devient violence. C'est ce qui s'est passé à Tawarga
(Libye) du 11 au 13 août 2011, où 30 000 Africains noirs ont été massacrés avec
des armes parachutées (illégalement) par la France. D'ailleurs, le Royal
Institute for Strategic Studies (RUSI) britannique ne voit aucune valeur
ajoutée dans ces livraisons d'armes.
De plus, en livrant des
armes à un pays en guerre, on s'expose à être considéré comme un belligérant.
Les frappes russes du 13 mars 2022 contre la base aérienne de Mykolayev font
suite aux avertissements russes selon lesquels les livraisons d'armes seraient
traitées comme des cibles hostiles.
L'UE répète
l'expérience désastreuse du Troisième Reich dans les dernières heures de la
bataille de Berlin. La guerre doit être laissée aux militaires et lorsqu'un
camp a perdu, il faut l'admettre. Et s'il doit y avoir une résistance, elle
doit être dirigée et structurée. Or, nous faisons exactement le contraire, nous
poussons les citoyens à aller se battre et dans le même temps, Facebook
autorise les appels au meurtre de soldats et de dirigeants russes. Voilà pour
les valeurs qui nous inspirent.
Certains services de
renseignement voient dans cette décision irresponsable un moyen d'utiliser la
population ukrainienne comme chair à canon pour combattre la Russie de Vladimir
Poutine. Ce genre de décision meurtrière aurait dû être laissé aux collègues du
grand-père d'Ursula von der Leyen. Il aurait été préférable d'engager des
négociations et d'obtenir ainsi des garanties pour la population civile plutôt
que de jeter de l'huile sur le feu. Il est facile d'être combatif avec le sang
des autres.
4. La maternité de
Marioupol
Il est important de
comprendre au préalable que ce n'est pas l'armée ukrainienne qui défend
Marioupol, mais la milice Azov, composée de mercenaires étrangers.
Dans son résumé de la
situation du 7 mars 2022, la mission russe de l'ONU à New York a déclaré que
"les résidents rapportent que les forces armées ukrainiennes ont expulsé
le personnel de l'hôpital de naissance n°1 de la ville de Marioupol et ont
installé un poste de tir à l'intérieur de l'établissement."
Le 8 mars, le média
russe indépendant Lenta.ru a publié le témoignage de civils de Marioupol qui
ont raconté que la maternité avait été prise d'assaut par la milice du régiment
Azov, lequel avait chassé les occupants civils en les menaçant de leurs armes,
ce qui confirmait les déclarations de l'ambassadeur russe quelques heures plus
tôt.
L'hôpital de Mariupol
occupe une position dominante, parfaitement adaptée à l'installation d'armes
antichars et à l'observation. Le 9 mars, les forces russes ont frappé le
bâtiment. Selon CNN, 17 personnes ont été blessées, mais les images ne montrent
aucune victime dans le bâtiment et rien ne prouve que les victimes mentionnées
soient liées à cette frappe. On parle d'enfants, mais en réalité, il n'y a
rien. Cela peut être vrai, mais cela peut aussi ne pas être vrai. Cela n'a pas empêché
pas les dirigeants de l'UE d'y voir un crime de guerre. Et cela a permis à
Zelensky de réclamer une zone d'exclusion aérienne au-dessus de l'Ukraine.
En réalité, nous ne
savons pas exactement ce qui s'est passé. Mais la séquence des événements tend
à confirmer que les forces russes ont frappé une position du régiment Azov et
que la maternité était alors libre de tout civil.
Le problème est que les
milices paramilitaires (ukrainiennes) qui défendent les villes sont encouragées
par la communauté internationale (plus exactement : le groupe de l’OTAN !
Note du traducteur) à ne pas respecter les coutumes de la guerre. Il semble que
les Ukrainiens aient rejoué le scénario de la maternité de Koweït City en 1990,
totalement mis en scène par la firme Hill & Knowlton pour 10,7 millions de
dollars afin de convaincre le Conseil de sécurité des Nations Unies
d'intervenir en Irak pour l'opération Bouclier/tempête du désert.
Les politiciens
occidentaux ont accepté les frappes civiles dans le Donbass pendant huit ans,
sans adopter la moindre sanction contre le gouvernement ukrainien. Nous sommes
entrés depuis longtemps dans une dynamique où les politiciens occidentaux ont
accepté de sacrifier le droit international à leur objectif d'affaiblir la
Russie.
Troisième partie :
Conclusions
En tant qu'ancien
professionnel du renseignement, la première chose qui me frappe est l'absence
totale des services de renseignement occidentaux dans la l’évaluation de la
situation au cours de l'année écoulée. En Suisse, ces services ont été
critiqués pour ne pas avoir donné une image correcte de la situation. En fait,
il semble que, dans tout le monde occidental, les services de renseignement aient
été dépassés par les politiciens. Le problème est que ce sont les politiciens
qui décident - le meilleur service de renseignement du monde est inutile si le
décideur ne l'écoute pas. C'est ce qui s'est passé pendant cette crise.
Cela dit, si certains
services de renseignement avaient une image très précise et rationnelle de la
situation, d'autres avaient clairement la même image que celle propagée par nos
médias. Dans cette crise, les services des pays de la "nouvelle
Europe" ont joué un rôle important. Le problème est que, par expérience,
je les ai trouvés extrêmement mauvais au niveau analytique : doctrinaires,
ils n'ont pas l'indépendance intellectuelle et politique nécessaire pour
évaluer une situation avec une "acuité" militaire. Il vaut mieux les
avoir comme ennemis que comme amis.
Deuxièmement, il semble
que, dans certains pays européens, les hommes politiques aient délibérément
ignoré leurs services de renseignement, afin de répondre idéologiquement à la
situation. C'est pourquoi cette crise est irrationnelle depuis le début. Il
convient de noter que tous les documents qui ont été présentés au public
pendant cette crise l'ont été par des hommes politiques sur la base de sources
commerciales.
Certains politiciens
occidentaux souhaitaient manifestement qu'il y ait un conflit. Aux États-Unis,
les scénarios d'attaque présentés par Anthony Blinken au Conseil de sécurité
n'étaient que le fruit de l'imagination d'une Tiger Team travaillant pour lui -
il a fait exactement comme Donald Rumsfeld en 2002, qui avait ainsi
"court-circuité" la CIA et d'autres services de renseignement
beaucoup moins affirmatifs sur les armes chimiques irakiennes.
Les développements
dramatiques auxquels nous assistons aujourd'hui ont des causes que nous
connaissions mais que nous avons refusé de voir :
- sur le plan stratégique, l'expansion de
l'OTAN (que nous n'avons pas abordée ici) ;
- sur le plan politique, le refus
occidental d'appliquer les accords de Minsk ;
- et sur le plan opérationnel, les
attaques continues et répétées contre la population civile du Donbass au cours
des dernières années et l'augmentation spectaculaire de ces agressions à la fin
février 2022.
En d'autres termes,
nous pouvons naturellement déplorer et condamner l'attaque russe. Mais NOUS
(c'est-à-dire : les États-Unis, la France et l'Union européenne en tête) avons
créé les conditions pour qu'un conflit éclate. Nous montrons de la compassion
pour le peuple ukrainien et les deux millions de réfugiés. C'est très bien.
Mais si nous avions eu un minimum de compassion pour le même nombre de réfugiés
des populations ukrainiennes du Donbass, massacrées par leur propre
gouvernement, et qui ont cherché refuge en Russie pendant huit ans, rien de
tout cela ne serait probablement arrivé.
Comme on peut le
constater, plus de 80% des victimes du Donbass sont le résultat des
bombardements de l'armée ukrainienne. Pendant des années, l'Occident a gardé le
silence sur le massacre des Ukrainiens russophones par le gouvernement de Kiev,
sans jamais essayer de faire pression sur ce gouvernement. C'est ce silence qui
a obligé la partie russe à agir. [Source : "Conflict-related civilian
casualties", Mission de surveillance des droits de l'homme des Nations
unies en Ukraine].
La question de savoir
si le terme "génocide" s'applique aux abus subis par la population du
Donbass est ouverte. Le terme est généralement réservé à des cas de plus grande
ampleur (Holocauste, etc.). Mais la définition donnée par la Convention sur le
génocide est probablement assez large pour s'appliquer à cette affaire. Les
juristes le comprendront.
Il est clair que ce
conflit nous a conduits à l'hystérie. Les sanctions semblent être devenues
l'outil privilégié de nos politiques étrangères. Si nous avions insisté pour
que l'Ukraine respecte les accords de Minsk, que nous avions négociés et
approuvés, rien de tout cela ne serait arrivé. La condamnation de Vladimir
Poutine est aussi la nôtre. Il ne sert à rien de pleurnicher après coup, nous
aurions dû agir plus tôt. Or, ni Emmanuel Macron (en tant que garant et membre
du Conseil de sécurité de l'ONU), ni Olaf Scholz, ni Volodymyr Zelensky n'ont
respecté leurs engagements. Au final, la véritable défaite est celle de ceux
qui n'ont pas de voix.
L'Union européenne n'a
pas été en mesure de promouvoir l'application des accords de Minsk - au
contraire, elle n'a pas réagi lorsque l'Ukraine bombardait sa propre population
dans le Donbass. Si elle l'avait fait, Vladimir Poutine n'aurait pas eu besoin
de réagir. Absente de la phase diplomatique, l'UE s'est distinguée en
alimentant le conflit. Le 27 février, le gouvernement ukrainien a accepté
d'entamer des négociations avec la Russie. Mais quelques heures plus tard,
l'Union européenne a voté un budget de 450 millions d'euros pour fournir des
armes à l'Ukraine, ajoutant de l'huile sur le feu. Dès lors, les Ukrainiens ont
estimé qu'ils n'avaient pas besoin de conclure un accord. La résistance de la
milice Azov à Marioupol a même conduit à un coup de pouce de 500 millions
d'euros pour les armes.
En Ukraine, avec la
bénédiction des pays occidentaux, ceux qui sont en faveur d'une négociation ont
été éliminés. C'est le cas de Denis Kireyev, un des négociateurs ukrainiens,
assassiné le 5 mars par les services secrets ukrainiens (SBU) parce qu'il était
trop favorable à la Russie et était considéré comme un traître. Le même sort a
été réservé à Dmitry Demyanenko, ancien chef adjoint de la direction principale
du SBU pour Kiev et sa région, assassiné le 10 mars, parce qu'il était trop
favorable à un accord avec la Russie, par la milice Mirotvorets
("Peacemaker"). Cette milice est associée au site Internet
Mirotvorets, qui répertorie les "ennemis de l'Ukraine", avec leurs
données personnelles, leurs adresses et leurs numéros de téléphone, afin de les
harceler, voire de les éliminer ; une pratique punissable dans de nombreux
pays, mais pas en Ukraine. L'ONU et certains pays européens ont exigé la
fermeture de ce site - refusée par la Rada.
Au final, le prix à
payer sera élevé, mais Vladimir Poutine atteindra probablement les objectifs
qu'il s'est fixés. Ses liens avec Pékin se sont renforcés. La Chine apparaît
comme un médiateur dans le conflit, tandis que la Suisse rejoint la liste des
ennemis de la Russie. Les Américains doivent demander du pétrole au Venezuela
et à l'Iran pour sortir de l'impasse énergétique dans laquelle ils se sont mis
- Juan Guaído quitte définitivement la scène et les États-Unis doivent
piteusement revenir sur les sanctions imposées à leurs ennemis.
Les ministres
occidentaux qui cherchent à faire s'effondrer l'économie russe et à faire
souffrir le peuple russe, voire qui appellent à l'assassinat de Poutine,
montrent (même s'ils ont partiellement inversé la forme de leurs propos, mais
pas le fond !) que nos dirigeants ne valent pas mieux que ceux que nous
haïssons - car sanctionner les athlètes russes des Jeux Para-Olympiques ou les
artistes russes n'a rien à voir avec la lutte contre Poutine.
Ainsi, nous
reconnaissons que la Russie est une démocratie puisque nous considérons que le
peuple russe est responsable de la guerre. Si ce n'est pas le cas, alors
pourquoi cherchons-nous à punir toute une population pour la faute d'une seule personne
? Rappelons que les punitions collectives sont interdites par les Conventions
de Genève.
La leçon à tirer de ce
conflit est notre sens de l'humanité à géométrie variable. Si nous tenions tant
à la paix et à l'Ukraine, pourquoi n'avons-nous pas encouragé l'Ukraine à
respecter les accords qu'elle avait signés et que les membres du Conseil de
sécurité avaient approuvés ?
L'intégrité des médias
se mesure à leur volonté de travailler dans le respect des termes de la Charte
de Munich. Ils ont réussi à propager la haine des Chinois pendant la crise du
Covid et leur message polarisé conduit aux mêmes effets contre les Russes. Le
journalisme devient de plus en plus non professionnel et militant.
Comme le disait Goethe
: "Plus la lumière est grande, plus l'ombre est sombre." Plus les
sanctions contre la Russie sont disproportionnées, plus les cas où nous n'avons
rien fait mettent en évidence notre racisme et notre servilité. Pourquoi aucun
homme politique occidental n'a réagi aux frappes contre la population civile du
Donbass depuis huit ans ?
Car enfin, en quoi le conflit
en Ukraine est-il plus condamnable que la guerre en Irak, en Afghanistan ou en
Libye ? Quelles sanctions avons-nous adoptées contre ceux qui ont délibérément
menti à la communauté internationale pour mener des guerres injustes,
injustifiées et meurtrières ? Avons-nous cherché à "faire souffrir"
le peuple américain qui nous a menti (parce qu'il est une démocratie !) avant
la guerre en Irak ? Avons-nous adopté une seule sanction contre les pays, les
entreprises ou les hommes politiques qui fournissent des armes au conflit au
Yémen, considéré comme la "pire catastrophe humanitaire au monde ?"
Avons-nous sanctionné les pays de l'Union européenne qui pratiquent la torture
la plus abjecte sur leur territoire au profit des États-Unis ?
Poser la question, c'est
y répondre... et la réponse n'est pas jolie.
Jacques Baud est un
ancien colonel de l'état-major général, ex-membre du renseignement stratégique
suisse, spécialiste des pays de l'Est. Il a été formé dans les services de
renseignement américains et britanniques. Il a été chef politique des
opérations de paix des Nations unies. En tant qu'expert des Nations Unies sur
l'État de droit et les institutions de sécurité, il a conçu et dirigé la
première unité de renseignement multidimensionnelle des Nations Unies au
Soudan. Il a travaillé pour l'Union africaine et a été pendant cinq ans
responsable de la lutte, à l'OTAN, contre la prolifération des armes légères.
Il a participé à des discussions avec les plus hauts responsables militaires et
du renseignement russes juste après la chute de l'URSS. Au sein de l'OTAN, il a
suivi la crise ukrainienne de 2014 et a ensuite participé à des programmes
d'aide à l'Ukraine. Il est l'auteur de plusieurs ouvrages sur le renseignement,
la guerre et le terrorisme, notamment Le Détournement aux éditions SIGEST,
Gouverner par les fake news, L'affaire Navalny. Son dernier ouvrage s'intitule
Poutine, maître du jeu ? aux éditions Max Milo.
Nota bene : en ce qui concerne les origines du conflit, il me semble que l'auteur de l'article se situe dans le "stricto sensu". Il est vrai qu'il signale la chose et qu'aborder la question, "lato sensu", aurait rendu l'article tout bonnement illisible car trop long.
Mais rien ne nous interdit de parler des vraies et lointaines origines de ce conflit. Voyez les liens qui suivent (en ex-étudiant besogneux en documentation, j'ai pour habitude de m'appuyer sur de solides archives).
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