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dimanche 20 mars 2011

Libye, les armes de désinformation massive (2/7)





Épisode 2 : L'incroyable coalition



Tout le monde sait maintenant que l’un des acteurs, comment dire, majeurs (?!) de l’activisme de la France en Libye est Bernard-Henri Lévy, le grand philologue (j’ai toujours appris à faire la différence entre ‘amour des mots et du discours’ = ‘philologieet amour de la connaissance et de la science’ = ‘philosophie ; et, de ce point de vue, un des plus grands philosophes français et des plus grands philosophes, tout court, est certainement Blaise Pascal, inventeur (à seize ans) de la ‘pascaline’ et concepteur de ce principe génial qui veut que ‘les fluides pèsent selon leur hauteur.’.) que les plus lointaines galaxies nous envient. Mais tout le monde sait aussi qu’une fois auprès de ses nouveaux amis de Benghazi, Lévy n’a eu de cesse de leur vanter « la grandeur d’Israël » (sic).

Israël ? Je n'irai pas jusqu'à dire qu'ils sont prêts au compromis avec la grande démocratie de la région. Mais elle n'est plus l'ennemi principal. Et, quand j'en parle, quand j'évoque la grandeur d'Israël, on m'écoute avec une curiosité perplexe.

Vous avez compris que quand Lévy va quelque part, même dans une ville libyenne apparemment assiégée par les troupes de l’infâme Kadhafi, il ne perd jamais le nord et prend sur lui son petit vademecum pro-israélien. Du coup, un grand nombre d’Arabes (Lévy ayant droit aux honneurs des chaînes arabes d’information) doivent se demander s’il est français ou israélien. Tout bénef sans doute pour Tel Aviv, qui doit voir en Lévy un excellent ambassadeur bénévole, du moins supposé-je !

Autant dire qu’en s’écriant « Merci la France ! Merci l'occident ! », le soir du vote de la résolution 1973, les Benghazites n'étaient pas loin de penser probablement - en tout cas, ça doit être le rêve secret de Bernard-Henri Lévy – à dire aussi merci à notre grand philologue, et partant, à la grandeur d’Israël… Allez savoir !

C’est en le voyant s’agiter sur tous les médias français, passant d’une station de radio à une station de télévision (par exemple, dans la seule journée du 17 mars 2011, Lévy était sur France Inter pour le 8-9 ; sur BFM-TV pour le 18-19, et sur France 3 pour l'émission Ce Soir ou Jamais, et je n'ai pas pu regarder ni écouter toutes les chaînes ; il a dû en faire d’autres !), je me suis demandé si notre philologue lisait la presse voire se tenait simplement au courant de la situation, en Libye, par exemple. Toujours est-il qu'un peu à l'instigation de notre philologue émérite, voilà l’Occident parti à l’assaut de l’ignoble Kadhafi. L’Occident, ca veut dire, en gros, les Américains et leurs supplétifs, dont je ne citerai que la France et la Grande-Bretagne pour l’Europe, l’Arabie Saoudite et quelques monarchies pétrolières pour le monde arabe, sans oublier l’incontournable et indéfectible allié qu’est Israël, plus l’Australie par-ci, le Canada par-là...

Evidemment que les partis-pris de Bernard-Henri Lévy indisposent un bon nombre d’observateurs, dont certains ne se privent pas de le lui faire savoir, ainsi qu’on peut le constater sur le forum de son bloc notes sur le site du Point., et dont j'extrais les deux contributions qui suivent :

Pascalitole 19/03/2011 à 06:32
Il est beau le garenne...
Il a fier allure à faire celui qui tombe des nues en faisant mine de découvrir que les centres de tortures et les violations des droits sont courants, il me ferait presque de la peine... Il y a 3 ans la situation était exactement la même, il a 10 ans aussi et je ne parle pas d'il y a 30 ans... Mais il faut une révolution pour que l'on se rende compte que les superlatifs employés pour qualifier Kadhafi et sa clique de sanguinaires sont moins mesurés qu'avant... En gros il vous faut des images pour prouver qu'il est quelqu'un de pas fréquentable et enfin attaquable... Le philosophe qui appelle à la guerre comme si il n'y avait pas déjà eu assez de morts comme ça (lui dit que ce n'est pas ça, mais j'ai beaucoup de mal à trouver d'autres mots pour des avions qui vont bombarder un pays)... Pendant son Kadhafi Tour d'il y a 3 ans (tournée en France, concert supplémentaire en Espagne) on a fait rire tout le monde à force de constater l'impossibilité de pouvoir lui vendre des Rafales, bientôt on va se rendre compte que ne pas avoir réussi à les lui refourguer nous épargnera une petite honte de voir deux avions de guerre l'un contre l'autre venant d'une même usine de fabrication... J'ai honte à pas mal de chose depuis longtemps, mais je suis fier de mon pays chaque jour, je n'attends pas les actes d'un politique ou d'un philosophe [...] pour me donner le ton de ce qui est bien ou pas [...]

Chantalle 19/03/2011 à 02:34
Démocratie
Bonsoir monsieur BHL
Comme tout le monde le sait, l'Arabie Saoudite qui est une terrible dictature islamiste extermine ses opposants et assassine le mouvement démocratique en cours dans son propre pays ; de surcroit cette puissance vient d'envahir le Bahreïn afin d'exterminer le mouvement démocratique lui aussi en cours au Bahreïn : Ce que ses troupes, alliées au potentat du Barheïn, vient de faire ce jour 18 mars 2011 en faisant tirer sur la foule et tuant plus d'une cinquantaine de personnes manifestants pacifiquement. (...) Je désirerais savoir si vous comptiez faire bombarder aussi le Barheïn et l'Arabie Saoudite ces prochains jours. Comme vous ne dites rien sur ce sujet je me perds en conjectures. D'autant plus que je viens d'apprendre que l'Arabie Saoudite, le pays massacreurs des foules bahreïni participerait à l'opération militaire en Lybie que vous avez appelez de vos vœux. 


J'ai, dans les yeux, l'image de ces insurgés qui n'ont jamais, de leur vie, tenu une arme entre les mains et que l'on voit monter au front où les attendent les mercenaires et les avions d'un régime qui s'est dit prêt à noyer son propre pays dans "des rivières de sang".

Des insurgés n’ayant jamais tenu une arme, mais capables de repousser, des semaines durant, les assauts d’une armée de métier équipée de tanks, à Mizrata, par exemple ! Bernard-Henri Lévy est-il vraiment certain que tous les insurgés dont il parle soient des gamins sans expérience, ou ces gamins ne sont-ils pas poussés en avant, devant les caméras, juste pour faire diversion, les caïds plus expérimentés étant tapis dans l’ombre.

Tiens, à propos de caïds, celui représenté ci-dessous ne doit pas être le fruit d’une lubie.


AQ Commander (n.b. la page d'origine a été rafraîchie)



Extrait de l'article et traduction :

CAIRO March 13, 2011, 09:40 am ET
A top Libyan al-Qaida commander has urged his countrymen to overthrow Moammar Gadhafi's regime and establish Islamic rule, expanding the terror network's attempts to capitalize on the wave of unrest sweeping the region. (…) Abu Yahia al-Libi, al-Qaida's Afghanistan commander, said in a video posted on a militant website that after the fall of the regimes in Tunisia and Egypt, it is now Gadhafi's turn, as rebel fighters there press a nearly monthlong campaign to oust him. (…) Those nation's autocratic governments — enemies of Islamic militants — practiced "the worst kind of oppression" with the backing of the West and had failed to heed the lessons of history, he said. (…) "Now it is the turn of Gadhafi after he made the people of Libya suffer for more than 40 years," he said, adding that it would bring shame to the Libyan people if the strongman were allowed to die a peaceful death. (…) A transcript of the video was provided Sunday by SITE Intelligence Group, a U.S. organization that monitors militant messages. (…) Gadhafi has accused al-Qaida of being behind the movement seeking to end his more than 40-year rule, though the rebels have no known links to the terrorist organization. The uprisings in Egypt and Tunisia were similarly driven by widespread popular outrage at corruption, unemployment and limited outlets for political expression, rather than Islamist fervor. Nevertheless, al-Qaida has tried to make gains on the tumult, also urging formation of an Islamic government in Egypt.


LE CAIRE 13.03.2011
Un haut commandant libyen d'Al-Qaïda a exhorté ses compatriotes à renverser le régime de Mouammar Kadhafi et à établir la loi islamique, afin d’étendre le réseau terroriste et capitaliser la vague de protestation qui balaie la région. 
(…) 
Abou Yahia al-Libi, commandant d'Al-Qaida en Afghanistan, a déclaré, dans une vidéo postée sur un site militant qu’après la chute des régimes en Tunisie et en Egypte, c'est au tour de Kadhafi, que des combattants rebelles harcèlent depuis des mois dans le but de l’évincer. 
(…) 
Ces gouvernements autocratiques - ennemis des militants islamistes  pratiquent "la pire forme d'oppression", avec le soutien de l'Occident et ont omis de tenir compte des leçons de l'histoire, a-t-il déclaré. 
(…) 
"Maintenant c'est au tour de Kadhafi, lequel inflige des souffrances au peuple libyen depuis plus de quarante, a-t-il dit, ajoutant que ce serait faire honte au peuple libyen si les oppresseurs étaient autorisés à mourir d'une mort paisible. 
(…) 
Kadhafi a accusé Al-Qaïda d'être derrière le mouvement visant à mettre fin à son régime, vieux de plus de 40 ans, même si les rebelles n'ont pas de liens connus avec l'organisation terroriste. Les soulèvements en Egypte et en Tunisie étaient également entraînés par une indignation populaire généralisée face à la corruption, au chômage et aux restrictions à l'expression politique, plutôt que par une ferveur islamiste. Néanmoins, al-Qaida a tenté de capitaliser les émeutes et exhorte également la formation d'un gouvernement islamique en Egypte.








Extrait :

The terror cell sees Gaddafi’s bloody civil conflict as the perfect chance to swoop in and turn the war-torn country into an Islamic state. 
(...)
Exiled Libyans with connections to Al Qaeda are racing to find ways to send people home, in hope of steering the anti-Gaddafi revolt in a radical Islamist direction, according to several senior Afghan Taliban sources in contact with Al-Qaeda. 
(...) 
“This rebellion is the fresh breeze they’ve been waiting years for,” says an Afghan Taliban operative who helps facilitate the movement of Al Qaeda militants between the tribal area and Pakistani cities. “Some say they are ready to go back at this critical moment.” The operative, who has just returned from Pakistan’s lawless tribal area on the Afghanistan border, adds: “They realize that if they don’t use this opportunity, it could be the end of their chances to turn Libya toward a real Islamic state, as Afghanistan once was.” 
(...) 
So far, Muammar Qaddafi’s clumsy efforts to blame Al Qaeda for the popular uprising against his dictatorship would be a joke, if only he weren’t using that claim as an excuse for mowing down so many Libyans. In fact, it’s been many years since Libya has seen significant numbers of radical Islamists—or any other organized opposition, for that matter. Nearly all have been killed, locked up or chased into exile years ago by the regime’s secret police and security forces. Although the country’s most feared insurgent entity, the Al Qaeda-affiliated Libyan Islamic Fighting Group (known in Arabic as Al-Jama’a al-Islamiyah al-Muqatilah bi-Libya), has been seeking to topple Gaddafi since the early 1990s, it’s unlikely that more than a handful who pledge allegiance to Osama bin Laden remain inside Libya.

La cellule terroriste voit dans le conflit sanglant opposant Kadhafi à ses adversaires l'occasion idéale pour s’installer dans ce pays déchiré par la guerre et pour en faire un Etat islamique. 

Les Libyens en exil ayant des liens avec Al-Qaïda sont très actifs en ce moment pour trouver les moyens d'envoyer des activistes dans le pays, dans l'espoir de diriger la révolte anti-Kadhafi, le tout dans un projet islamiste radical, ainsi qu’il ressort de plusieurs sources de responsables afghans parmi les talibans ayant des  contacts avec Al-Qaïda. 

"Cette rébellion est le courant d’air frais qu'ils attendaient depuis des années", explique un activiste taliban afghan qui contribue à faciliter le mouvement des militants d'Al-Qaeda entre la zone tribale et les villes pakistanaises. "Certains disent qu'ils sont prêts à revenir en cette période critique." L’activiste, qui vient tout juste de rentrer des zones de non droit tribales du Pakistan, du côté de la frontière afghane, ajoute : " Ils se rendent compte que s’ils ne profitent pas de l’occasion, ce pourrait être la fin de leurs espoirs de transformer, un jour, la Libye en un véritable Etat islamique, à l’instar de ce que fut l'Afghanistan dans le passé."
(...)
Jusqu'ici, les efforts maladroits de Mouammar Kadhafi pour rendre Al-Qaeda responsable du  soulèvement populaire contre la dictature seraient une plaisanterie, si seulement il n'était pas en train d’utiliser cette revendication comme une excuse pour massacrer tant de Libyens. En fait, voici de nombreuses années maintenant que la Libye a vu un nombre important d'islamistes radicaux ou toute autre opposition organisée monter en puissance face au régime. Presque tous ont été tués, emprisonnés ou poussés vers l’exil par la police secrète du régime et les forces de sécurité. Bien que le mouvement insurrectionnel le plus redouté du pays, affilié à Al Qaeda, Le groupe islamique combattant libyen (connu en arabe comme Al-Jama'a al-Islamiyah al-Muqatilah bi-Libye), ait cherché à renverser Kadhafi depuis le début des années 1990, il est peu probable qu’un nombre significatif d’émules de Ben Laden soient encore présents sur le territoire libyen.

Le fait est qu'un "courant d'air frais" s'est installé, qui devrait voir plus d'un milicien ou activiste libyen, voire simplement d'une mouvance islamiste, rappliquer vers les zones en insurrection, comme l'ont révélé des appels comme celui du Caire du 13 mars 2011.

Et c'est là qu'on en vient à Hillary Clinton, dont on découvre qu'elle n'était pas initialement favorable à une intervention militaire en Libye - et pourquoi l'aurait-elle été, quand on voit l'attentisme des Américains et des Occidentaux partout ailleurs, dans le monde arabe ? -. Le problème de Clinton, c'est la suite, à savoir sa conversion à l'intervention.




“One of our biggest concerns is Libya descending into chaos and becoming a giant Somalia,” (Clinton) told the Senate Foreign Relations Committee today. (...) Clinton expressed her concern about the number of al Qaeda recruits that have come from Libya, suggesting the power vacuum that could result from the unrest in that country could be ripe for exploitation from terror groups, such as what has happened in Somalia which has been without a strong central government for over a decade and a half. (...) “It's right now not something that we see in the offing, but many of the al-Qaeda activists in Afghanistan and later in Iraq came from Libya and came from eastern Libya, which is now the so-called free area of Libya,” she noted.

"Une de nos plus grandes préoccupations serait de voir la Libye sombrer dans le chaos et de devenir une Somalie géante," a déclaré Clinton devant le Comité des relations étrangères du Sénat. 

Elle a aussi exprimé sa préoccupation quant au nombre de recrues d'Al-Qaïda d’origine libyenne, ce qui suggère qu’une vacance du pouvoir, résultant de troubles dans ce pays, pourrait être particulièrement propice à l’avènement de groupes terroristes, comme ce fut le cas en Somalie, ce pays étant resté sans gouvernement central fort depuis plus d'une décennie et demie. 

"Nous n’envisageons pas cette situation dans un avenir proche, mais la plupart des militants d'Al-Qaeda en Afghanistan, puis en Irak venaient de Libye et provenaient de l’Est de la Libye, qui correspond à cette zone « libre » de la Libye."

Depuis, il faut croire que Mme Clinton a pris un  virage à 180 degrés, ce qui peut paraître assez étrange, sauf quand on lit certaines explications et analyses.


Obama



(NEWSER) – President Obama came late to the decision to authorize military force against Libya, but he did so based on the counsel and efforts of Hillary Clinton, reports the New York Times. The secretary of state was herself against intervention until she secured buy-in from Arab nations; she then joined a small cadre of administration advisers calling for action, and within hours had convinced her boss to act. Clinton “had the proof,” a top adviser says, “that not only was the Arab League in favor, but that the Emirates were serious about participating.” 

That buy-in assuaged one of Robert Gates' major concerns about using military force, and put the US in a much stronger position. Another voice advocating action was Susan Rice, an Africa adviser to President Clinton when the United States sat on its hands during the Rwandan genocide—a move Clinton has called his "biggest regret." “Hillary and Susan Rice were key parts of this story because Hillary got the Arab buy-in and Susan worked the UN to get a 10-to-5 vote, which is no easy thing,” says a national security expert.

(Newser) - C'est Clinton qui a fait évoluer Obama sur la Libye

Le président Obama a mis du temps avant de se laisser convaincre qu'il fallait opter pour le recours à la force contre la Libye, mais il l’a fait en se fondant sur les conseils et les efforts de Hillary Clinton, comme le rapporte le New York Times. La secrétaire d'État elle-même était contre l'intervention, jusqu'à ce qu'elle obtienne l'adhésion des pays arabes ; elle a ensuite rejoint un petit groupe de conseillers d'administration appelant à une action, et en quelques heures, elle avait convaincu son patron d'agir. Clinton "a acquis la preuve», à en croire un conseiller de haut rang, « que non seulement la Ligue arabe était favorable à une action, mais aussi que les Emirats se sentaient particulièrement concernés par cette action." 

Cette adhésion arabe a permis d’évacuer une des principales réserves de Robert Gates concernant l’usage des forces armées, dont le but devrait être de conforter la position des Etats-Unis et non l’inverse. Une autre voix prépondérante a été celle de Susan Rice, qui fut la conseillère du président Clinton pour l’Afrique, alors même que les États-Unis étaient restés les bras croisés pendant le génocide rwandais, un événement que Clinton considère toujours comme son "plus grand regret." "Hillary et Susan Rice ont été des éléments clés de cette récente prise de position parce que Hillary a obtenu l’adhésion des Arabes, tandis que Susan s’activait à l'ONU pour obtenir un vote de 10 à 5, ce qui ne fut pas chose aisée», a déclaré un expert en sécurité nationale.


Donc, si j'ai bien compris, Clinton et Obama étaient réticents, jusqu'à ce que la première obtienne l'adhésion (buy-in) des Arabes. Mais c'est là qu'on aurait aimé en savoir plus : ça veut dire quoi adhésion ou engagement : qu'on suit le mouvement ou qu'on en est l'initiateur ? Parce que les deux situations ne sont pas du tout équivalentes. Si Clinton et Obama sont réticents, il a bien fallu un élément moteur pour qu'ils changent d'avis. D'autre part, si les Arabes se sont contentés d'adhérer au mouvement, il a bien fallu que quelqu'un les y incite, au départ. Mais peut-être veut-on préserver l'honneur des uns et des autres, surtout du côté arabe, en ne faisant pas passer les émirs et autres pétro-monarques pour des valets de l'Occident, qui livrent un des leurs aux armes des infidèles, quand on connaît le sentiment anti-occidental qui règne en ce moment dans la rue arabe.

Parce que, face aux mouvements populaires, lesquels n'ont pas commencé en Libye, on imagine fort bien la panique suscitée chez quelques vieillards assis sur leurs montagnes d'or et de pétrole, à l'idée que tout ça pourrait s'arrêter demain, surtout après avoir vu le raïs égyptien, qui n'était quand même pas n'importe qui, tomber comme un fruit mûr en si peu de temps.

Alors, imaginons que d'aucuns se soient dit qu'il serait peut-être judicieux d'allumer un contre-feu, sous la forme d'une bonne guerre chez cet emmerdeur de Kadhafi, histoire de détourner les regards de chez eux. Ce n'est pas ce qui se passe en ce moment ? N'est-on pas en train de massacrer à Bahreïn, au Yémen et ailleurs, le tout moyennant des protestations du bout des lèvres d'Obama et de Clinton...? Et là, on imagine le fameux "buy-in" ou "paquet cadeau" arabe, avec plein de surprises dedans : "on vous suit sur ce dossier, mais en contrepartie, est-ce que vous ne pourriez pas, en retour... et blablabli et blablabla !".

Résultat des courses : L'occident et Al Qaeda côte à côte ! 



Libya: the West and al-Qaeda on the same side

Statements of support for Libya's revolution by al-Qaeda and leading Islamists have led to fears that military action by the West might be playing into the hands of its ideological enemies. (

WikiLeaks cables, independent analysts and reporters have all identified supporters of Islamist causes among the opposition to Col Gaddafi's regime, particularly in the towns of Benghazi and Dernah. 

An al-Qaeda leader of Libyan origin, Abu Yahya al-Libi, released a statement backing the insurrection a week ago, while Yusuf Qaradawi, the Qatar-based, Muslim Brotherhood-linked theologian issued a fatwa authorising Col Gaddafi's military entourage to assassinate him. 

But they also agree that the leading roles in the revolution are played by a similar cross-section of society as that in Egypt next door – liberals, nationalists, those with personal experience of regime brutality and Islamists who subscribe to democratic principles. 

The WikiLeaks cables, initially revealed by The Daily Telegraph and dating from 2008, identified Dernah in particular as a breeding ground for fighters in a number of causes, including Afghanistan and Iraq. 

"The unemployed, disfranchised young men of eastern Libya have nothing to lose and are therefore willing to sacrifice themselves for something greater than themselves by engaging in extremism in the name of religion," the cables quoted a Dernah businessman as saying.


Des déclarations de soutien à la révolution libyenne par al-Qaeda et des islamistes de premier plan font craindre que l'action militaire occidentale puisse faire le jeu de ses ennemis idéologiques. 

Les télégrammes de Wikileaks, des analystes et des journalistes indépendants ont, tous, identifié des partisans des causes islamistes au sein de l'opposition au régime de Mouammar Kadhafi, en particulier dans les villes de Benghazi et Dernah. 

Un chef d'Al-Qaïda d'origine libyenne, Abou Yahya al-Libi, a publié un communiqué de soutien à l'insurrection, il y a une semaine, alors que Yusuf Qaradawi, basé au Qatar, le théologien des Frères musulmans, émettait une fatwa autorisant l'entourage militaire de Mouammar Kadhafi à l'assassiner. 

Mais les observateurs reconnaissent aussi que le rôle de premier plan dans la révolution est joué par une mouvance sociale similaire à celle qui prévaut en Egypte : libéraux, nationalistes, groupes ayant une expérience personnelle de la brutalité du régime et des islamistes qui souscrivent aux principes démocratiques. 

Les télégrammes de Wikileaks, d'abord révélés par le Daily Telegraph, et datant de 2008, ont identifié Dernah en particulier comme vivier de combattants dans un certain nombre de causes, y compris en Afghanistan et en Irak. 

"Les chômeurs, les jeunes gens privés de leurs droits, dans la partie Est de la Libye, n'ont rien à perdre et sont donc prêts à se sacrifier pour quelque chose de plus grand qu'eux-mêmes, en se livrant à l'extrémisme au nom de la religion", aurait déclaré un homme d'affaires de Dernah.

Inbelievable! Incroyable n'est-ce pas ? Les Occidentaux vont se retrouver, en Libye, en train d'ouvrir des brêches béantes dans une cuirasse, pour permettre à Al Qaeda de s'y engouffrer.

Par parenthèse, tout au début du soulèvement libyen, une colonne de près de cent soixante touristes italiens a été évacuée de l'intérieur du pays, où ils étaient venus faire du trekking. Cent soixante personnes tout d'un coup, ça fait beaucoup de monde. Ce qui permet d'observer que la Libye était probablement le dernier endroit où l'on puisse encore faire du trekking en toute sécurité, quand Mali, Mauritanie et autres Niger ou Tchad sont devenus particulièrement inhospitaliers.

Pourquoi le désert libyen était-il plus sûr que les autres ? Précisément, parce que des tribus y vivent, dont Kadhafi a eu l'intelligence de ne jamais piétiner les plates-bandes, contrairement à ce que les régimes bureaucratiques des pays voisins ont fait avec leurs nomades. Résultat : partout dans la région : Soudan, Tchad, Niger, Mali, Algérie, Mauritanie, les gouvernements centraux sont en bisbille, voire en guerre ouverte, avec les gens du désert, avec les conséquences que l'on voit maintenant : la facilité pour Al Qaeda de s'y implanter, en enrôlant les rebelles du cru. Du coup, les trekkers italiens visitant la Libye témoignent du savoir-faire de Kadhafi, qui est tout sauf un crétin ! Voire plus qu'un vulgaire dictateur, parce qu'un dictateur essaie de supplanter toutes les aspérités susceptibles d'amoindrir son domaine de compétence, alors que là, il a laissé les bédouins, ses frères, gérer leurs affaires comme aux temps ancestraux, les 4 x 4 rutilants et GPS en sus !

Le fait est qu'un bédouin se déplace dans son désert les yeux fermés,  étant capable de localiser la moindre dune, le moindre arbre, ne parlons pas des puits ou des oasis. Ce qui rend l'installation d'élements étrangers extrêmement difficile, car trop faciles à repérer sur une terre inconnue d'eux. 

Et voilà comment, sans disposer d'une énorme armée (il faudrait les effectifs de l'armée chinoise pour quadriller les 1,8 million de kilomètres carrés de cet immense pays), Kadhafi a réussi à sécuriser son pays en s'appuyant sur les groupes traditionnels, avec une formidable économie de moyens, donc d'argent.

Et ce sont précisément ces groupes traditionnels qui vont rendre l'installation des gens de Benghazi à Tripoli extrêmement difficile. et là aussi, Kadhafi avait tout prévu.

Alors quid d'Al Qaeda ?




Lui, c'est un activiste d'Al Qaeda, arrêté en Libye. C'est en tout cas ce que dit la légende.

Extrait :

Our correspondent in Tripoli was taken along with other foreign journalists to a prison where Libyan authorities presented a man who admitted being a member of an armed group with ties to al Qaeda. (…)  Salah Aboaoba claimed he was granted political asylum in Britain and has been living in Manchester where he says he had been raising funds for his jihadist group. He allegedly came to Libya to fight against Gaddafi’s regime. Libyan authorities claim he was captured in fighting in and around Zawiyah. (…) The British Foreign Office is said to be investigating the case amid reports his family and friends know nothing about his whereabouts, his arrest or detention. (…) Our correspondent Riad Muasses said the parade of the prisoner was carefully orchestrated. But he added it raised more questions than it answered, such as why al Qaeda is allegedly present in Libya but appears to have had no role to play in the Tunisian or Egyptian revolutions.

Notre correspondant à Tripoli a été emmené, avec d'autres journalistes étrangers, dans une prison où les autorités libyennes leur ont présenté un homme qui a admis être membre d'un groupe armé ayant des liens avec al-Qaeda. 

Salah Aboaoba a affirmé qu'il avait obtenu l'asile politique en Grande-Bretagne et a vécu à Manchester, où il dit avoir levé des fonds pour son groupe djihadiste. Il serait venu en Libye pour lutter contre le régime de Kadhafi. Les autorités libyennes affirment qu'il a été capturé lors de combats dans et autour de Zawiyah. 

Le Foreign Office britannique serait en train d’enquêter sur cette affaire, et il ressort des enquêtes que ni la famille ni les amis de l’intéressé ne savent ce qu’il est devenu ni quoi que ce soit sur une éventuelle arrestation ou détention. 

Notre correspondant a déclaré que la présentation du prisonnier a été soigneusement orchestrée. Mais il a ajouté qu'elle soulevait davantage de questions qu'elle n'apporte de réponses, telles que : pourquoi Al-Qaeda est prétendument présent en Libye, mais semble n’avoir eu aucun rôle à jouer dans les révolutions tunisiennes ou égyptiennes.


On pourrait aider ce journaliste à répondre à la question de l'implication d'Al Qaeda dans les différents pays nord-africains. Commençons par remarquer qu'il n'est nul besoin pour Al-Qaeda de tirer des ficelles au vu et au su de tout le monde, pour être efficace ! Ce serait même contre-productif. Du coup, l'absence visible d'Al Qaeda en Egypte ou Tunisie ne veut strictement rien dire. Il leur suffirait, pour commencer, d'y introduire des agents dormants, qui attendraient leur heure.

En revanche, la situation de la Libye est toute autre, étant donné le recours aux armes du côté des insurgés ; ça fait quand même une énorme différence. Or qui dit armes dit risques de chaos, et l'on imagine qu'une mouvance née dans le chaos de la guerre en Afghanistan sera toujours bien plus dans son élément au sein d'une situation incontrôlée de guerre civile que dans toute autre situation. Du reste, les activistes du mouvement le déclarent eux-mêmes, qui voient les violences en Libye comme un courant d'air frais.

Par ailleurs, Kadhafi semble avoir démontré des capacités de résistance supérieures à celles de beaucoup d'autres, ne serait-ce que sa capacité à survivre à sa mise au ban par l'impérialisme occidental. C'est dire si la cuirasse du bonhomme est solide. Par conséquent, on peut comprendre que tout ce qui pourrait donner l'impression d'un affaiblissement du pouvoir libyen constitue pour Al Qaeda une occasion unique à saisir.

Reste qu'on est quand même interloqué de voir l'occident anti-terroriste se liguer avec Al-Qaeda contre un ancien parrain du terrorisme, aux dires de certains, mais qui était tout de même rangé des voitures et qui avait réussi à donner des gages aux occidentaux, ne serait-ce que dans le contrôle des flux migratoires venant d'Afrique noire.


Et c'est là qu'on aimerait comprendre, en se posant une seule question : QUEL INTÉRÊT ?

Quel intérêt pour l'occident, l'Europe, la France, de voir le pouvoir de Kadhafi déstabilisé durablement, alors même qu'il ne présentait aucune menace pressante pour ses voisins et alliés, mais aussi, quel intérêt pour Al Qaeda ?



1. L'Occident  

Voilà des années, depuis au moins le 11 septembre 2001, soit dix ans, que l'Occident s'est installé en Afghanistan, pour y combattre ceux qu'on avait identifiés comme étant les incitateurs de l'attentat contre le World Trade Center. Soit dit par parenthèses, dix longues années, passées à perdre des soldats par centaines, à massacrer les civils par milliers dans le cadre de ce qu'on appelle des dégâts collatéraux, dix ans sans mettre la main sur Ben Laden, ça devrait laisser sceptique sur l'issue d'une guerre en Libye, dont on nous dit qu'elle ne donnera lieu à aucun engagement au sol !

Mais en atttendant, les Américains et leurs supplétifs en Afghanistan mènent une dure bataille à un ennemi moins bien équipé (tiens, tiens !), mais qui est chez lui, sur ses terres ! Du coup, la connaissance du terrain compense largement le déséquilibre militaire. Quant à transformer la Libye en une Palestine géante, qu'on agresserait du haut d'avions et d'hélicoptères de combat, les Israéliens sont payés pour savoir qu'en soixante ans, la détermination des Palestiniens est restée intacte, ce qui peut paraître désespérant quand on considère le caractère disproportionné des armements.

Comment imaginer que les familles des G.I's massacrés ou mutilés par les machines infernales des Talibans comprennent que leur pays aille en Libye conduire une opération qui, en déstabilisant un régime rugueux, certes, mais qui a sa cohérence, risque de conduire à un merdier à la sauce irakienne ou somalienne, comme Hilary Clinton le reconnaît elle-même dans ses moments de lucidité !?

Comment Obama va-t-il pouvoir expliquer aux Américains les raisons d'un tel grand écart, consistant à dire : en Afghanistan, nous nous battons contre Al Qaeda, mais en Libye, nous sommes à ses côtés contre quelqu'un qui nous a plutôt bien aidés, récemment, à contrer la propagation d'Al Qaeda ?

Pour dire les choses clairement, où sont les clauses du gentlemen's agreement tacite ou explicite passé entre Obama et Ben Laden, lequel conforterait, par parenthèse, la thèse selon laquelle Al Qaeda ne serait qu'une création de la CIA, laquelle avait déjà créé les Talibans, pour contrer l'invasion soviétique en Afghanistan !



2. L'Europe


Tout le monde connaît désormais l'île de Lampedusa, dont la population s'enrichit chaque semaine de quelques milliers de gueux, majoritairement africains, débarquant de barques et de pirogues branlantes, pour ceux qui auront réussi à échapper à la noyade.

Tout le monde sait que la Libye s'est engagée, aux côté des Européens, à la stabilisation des flux migratoires sauvages entre Afrique Noire et Grand Maghreb.

Tout le monde a constaté la recrudescence des arrivées de migrants à Lampedusa, suite aux événements de Tunisie. Il est donc raisonnablement envisageable que l'embrasement de l'ensemble des pays du sud de la Méditerranée provoquerait une catastrophe sanitaire et humanitaire absolument gigantesque.

Du coup, on s'interroge sur cette urgence à faire une guerre à la Libye, une guerre qui ne pouvait pas attendre, alors même que, contrairement à la Tunisie et à l'Egypte, en Libye, l'insurrection s'est armée dès les tout premiers jours !

Quel intérêt pour les Européens à voir déstabiliser le régime de Kadhafi maintenant, sauf à vouloir absolument voir exploser les chiffres d'une transhumance sauvage qui a déjà commencé.



3. La France

À voir Bernard-Henri s'agiter et s'extasier devant cette belle démocratie naissante du côté de Benghazi, à voir les gouvernants français, tout à leur excitation à décrocher ce vote au Conseil de Sécurité, on se demandait s'ils étaient au courant des appels de dignitaires d'Al Qaeda de voir s'établir un émirat islamiste dans les "zones libérées" de Libye.

Car il est indéniable qu'à l'heure où Lévy organise cette rencontre à l'Elysée, nul n'ignore qu'Al Qaeda soutient ouvertement les insurgés. Dans ces conditions, les promoteurs d'une agression militaire contre la Libye allaient fatalement se retrouver aux côtés d'Al Qaeda dans la répudiation du régime libyen.

Alliés de facto

Question : dans quel intérêt... pour la France ? 

Il se trouve que la France est ce pays dont une demi-douzaine de ressortissants se trouvent prisonniers, dans les conditions d'insalubrité et psychologiques qu'on imagine, de deux branches d'une même mouvance : les Talibans en Afghanistan, et AQMI au Niger. Il se trouve aussi que la France a payé un lourd tribut d'une cinquantaine de jeunes gens tombés "en faisant leur devoir" en Afghanistan.

Question : comment vont réagir les familles et des soldats tombés et des otages d'Al Qaeda/Talibans, en apprenant que la France s'apprêtait à aider la nébuleuse "terroriste" à s'implanter en Libye ? Et là aussi, on aimerait connaître les clauses du gentlemen's agreement conclu entre les dirigeants français et les émules de Ben Laden, à commencer par ceux d'AQMI.


4. Al Qaeda

Là, il faut dire qu'on se pince en entendant qu'une armada occidentale allait conduire des frappes sur la Libye, afin d'y soutenir des insurgés qui ont fait l'objet d'un soutien sans équivoque d'Al Qaeda, et sans que lesdits insurgés ne s'offusquent, d'ailleurs, de ce soutien. Ce qui nous vaut bel et bien d'avoir Al Qaeda aux côtés des Américains et de leurs supplétifs, joignant leurs forces pour déstabiliser le régime de Kadhafi.


Question : dans quel intérêt ?

Imaginons Al Qaeda, mouvement intégriste musulman, et uniquement. Bon, Kadhafi n'est pas un intégriste. Faut-il entendre par-là que tous les musulmans non intégristes de la terre sont des ennemis d'Al Qaeda ? Et puis, de là à s'allier à des chrétiens et à des juifs pour s'attaquer à un pays musulman, ça laisse quand même rêveur !

Imaginons maintenant Al Qaeda mouvement religieux mais aussi politique. Il ne  leur a quand même pas échappé que Kadhafi, quels que soient ses torts, présente la qualité rare, parmi les dirigeants arabes, d'être un homme debout, tout le contraire d'un larbin à la solde des Américains, par exemple, lui qui n'a jamais fricoté avec Israël. Disons qu'ils sont trois : Iran, Libye et Syrie, les pays du front du refus, à l'opposé des émirats, de l'Egypte de Moubarak et pétro-monarchies, dont l'Arabie Saoudite, disposés à recevoir des subsides des Américains, voire à héberger des bases militaires. Autant je comprends qu'Al Qaeda, mouvement nationaliste arabe, vilipende les 'collabos' koweitiens ou saoudiens, autant je m'interroge sur le fait de ranger la Libye et l'Arabie Saoudite dans le même panier : des résistants d'un côté, des collabos de l'autre. Etrange non ?

Mais, par ailleurs, Al Qaeda est un mouvement de parias, n'ayant pignon sur rue nulle part, et devant se cacher partout. Peut-on considérer cela comme un projet de vie acceptable pour des individus normalement constitués que de s'imposer un tel sort ? Peut-on, donc, quand on est un tel mouvement, n'avoir que des ennemis, et ne vaudrait-il pas mieux, de temps à autre, faire preuve de pragmatisme, en considérant que certains pays sont "moins pires" que d'autres, pour pouvoir s'en faire des alliés, en cas de coup dur ? Quand on s'appelle Ben Laden, qu'on a dû quitter précipitamment l'Est de l'Afrique, l'Afghanistan, etc., quand on sait que, l'âge venant, il peut s'avérer utile, voire vital, de passer quelques semaines ou mois dans un hôpital, peut-on se passer, à ce point, d'alliés puissants et efficaces ? 

Bref : quel intérêt un mouvement nationaliste pan-arabe, ou pan-musulman, a-t-il à vouloir absolument déstabiliser l'un des rares régimes qui a toujours montré de la constance dans sa résistance à l'impérialisme occidental, au risque de se nuire à lui-même ? Prenons le cas d'un célèbre activiste international, Carlos (Illich Ramirez...). Du temps de l'Union Soviétique, Carlos pouvait bénéficier de moult passeports lui permettant de voyager incognito, tout comme moult pays pouvaient lui offrir l'hospitalité, ce dont il a profité longtemps. Et puis un jour, on le retrouve en Afrique, vivant loin du lustre d'antan, et de surcroît, kidnappé par les Français. Minable ! Comme quoi, des alliés puissants, ça aide ! Je ne comprends donc pas comment les gens d'Al Qaeda peuvent se comporter comme s'ils pouvaient n'avoir que des ennemis ! En ont-ils seulement les moyens ?

Parce qu'il y aurait une explication rationnelle à ce qui précède :  qu'Al Qaeda soit en fait une création des occidentaux ! Du coup, on comprendrait tout ! Enfin, tout, sauf les morts et destructions en Afghanistan et au Pakistan. Parce que les attaques de drones existent bel et bien au Pakistan, et les soldats occidentaux sont bien tombés par centaines sous les engins explosifs d'Al Qaeda, enfin, c'est ce qu'on dit ! J'avoue que l'idée a quelque chose d'assez extravagant, mais il se trouve que Ben Laden court toujours, non ? L'a-t-on vraiment cherché ? On s'interroge. Et pour tout vous dire, si j'apprenais, demain, que Ben Laden se rend régulièrement, sous son nom, dans une clinique à New York, Genève voire à l'hôpital américain de Neuilly, pour y subir des examens de routine, je ne serais même pas surpris !

Prenons le cas de la France. Al Qaeda prend des otages et fixe ses conditions. Et côté français, on nous dit qu'il est hors de question de négocier avec des terroristes. Soit. Du coup, on se dit que les otages sont foutus ! Sauf si... Gentlemen's agreement! Par exemple, de l'argent. Pas officiellement, certes. Mais en sous-main. Et pour tout le monde, l'honneur est sauf. Mais il peut y avoir d'autres monnaies d'échange. Quoi par exemple ?

Entre nous, Juppé part pour New York pour arracher un vote au Conseil de Sécurité. Mais il sait, en partant, qu'Al Qaeda soutient les insurgés libyens, et qu'en cas de vote positif, les Occidentaux se retrouveraient alliés de fait de ceux-là même qui détiennent des otages français. Incroyable, non ? Isn't it incredible?

Et il fait quoi, Juppé, le bien éphémère ministre français des Affaires Etrangères ? Il appelle son président, et ils décident de tout arrêter ? Pas du tout. Entre nous, ça mérite des explications, non ? Mais pourquoi diable les journalistes ne posent-ils jamais les bonnes questions ? 

Monsieur le ministre, ou Monsieur le président, allez-vous expliquer aux familles des otages français d'Al Qaeda, ainsi qu'à celles des soldats tués en Afghanistan, cette situation scabreuse, qui voit la France combattre aux côtés d'Al Qaeda contre le régime libyen ? Et pouvez-vous nous dire ce que vous avez promis à Al Qaeda, ou ce que Al Qaeda vous a promis, comme prix de cette collaboration ?

Voilà LA question dont j'imagine que les Français attendent une réponse de leurs dirigeants.

Le fait est que, dans le silence des dirigeants, le petit peuple va en être réduit à fantasmer et à échafauder des hypothèses, y compris les plus scabreuses. Parce qu'en l'absence d'explication rationnelle, il faut bien laisser libre cours à l'imagination.

Alors, imaginons un politicien médiocre, mais alors plus nul que nul, si l'on ose dire, en perdition dans les sondages, lui qui ne vit que pour être populaire, indépendamment de l'efficacité de son action, le tout à quelques mois d'une élection décisive.

Imaginons ce démagogue, qui aime tant la lumière, et qui apprend, deux ou trois mois avant une élection, enfin..., l'élection quoi, que les otages d'Al Qaeda venaient d'être libérés. Imaginons notre homme allant, lui-même, accueillir les ex-otages au bas de la passerelle de l'avion, les conduisant en son palais où, devant micros et caméras, se donnant le beau rôle de libérateur et récoltant les vivats de la foule en délire. Imagine-t-on, un instant, qu'il puisse perdre l'élection ?

- Non mais, attendez là, non mais c'est quoi cette embrouille, c'est quoi ces insinuations malveillantes ? Mais je ne vous autorise pas à dire des choses pareilles de notre président !

- De votre président ? Mais de qui me parlez-vous ? M'avez-vous entendu prononcer le nom ou le titre de quiconque ?

- Ah, arrêtez votre numéro. Vous pensez que je ne vous vois pas venir, avec vos gros sabots ? Vous êtes en train d'insinuer que notre président adoré, qui, il est vrai, n'est pas bien fringuant en ce moment dans les sondages, pourrait se dire qu'une petite guerre contre la Libye, c'est toujours bon pour l'image de chef des armées, de moteur de l'Union européenne et du monde libre. Ça vaut bien quatre ou cinq points dans les sondages, peut-être même plus ! Vous pensez qu'il essaie, comme Margaret Thatcher avec les Malouines, de redorer son blason en se donnant une stature de "grand de ce monde". Mais comme vous êtes un esprit malfaisant, vous prêtez à notre président adoré des idées machiavéliques, comme..., comme...

- Ben allez-y, comme quoi, par exemple ? Vous pensez sans doute à la grotte d'Ouvéa, avec ces otages de militants canaques fort opportunément libérés durant la campagne électorale pour la présidentielle de 1988 ?

- Ben vous voyez, c'est vous-même qui vous trahissez !

- Je ne me trahis pas du tout ! Je réfléchis simplement à voix haute, en me demandant ce que je ferais, si j'étais au trente-sixième dessous, dans les sondages, à une petite année d'une élection cruciale. C'est tout. Il y en a qui seraient capables de vendre père et mère pour gagner une élection, car, sinon, quelle humiliation ! Alors, une petite libération d'otages, pile poil pour le journal de vingt heures ! 

- N'importe quoi ! Quelle absence de moralité !

- Vous rigolez ? Parce qu'envoyer des missiles pour tuer des gens, gratuitement, c'est moral peut-être ?, dans un pays victime d'une insurrection armée qui, ici même, serait balayée par l'armée, à l'instar, précisément, de ce soulèvement de canaques à Ouvéa, où la gendarmerie n'a pas chômé ; vous vous souvenez ? Parce que la France a le droit de massacrer les preneurs d'otages de la grotte d'Ouvéa, tandis que Kadhafi est taxé de crimes contre l'humanité quand des insurgés armés de chars et même d'avions de chasse narguent son autorité ! Remarquez, le coup d'Ouvéa n'a pas marché du tout. C'est Mitterrand qui a gagné !

- N'importe quoi ! Je ne vois pas le rapport ! Et puis, nous, on est une démocratie.

- Ah, ça c'est vrai, ça. Une démocratie qui voit un ancien président traîné devant la justice pour des histoires d'argent public mal utilisé, ou un premier ministre convaincu de s'être envoyé en l'air avec des prostituées mineures... Il doit être mort de rire, le Kadhafi devant ces manifestations de morale politique ! Mais on s'égare : expliquez moi, si vous y comprenez quelque chose, comment des gens qui nous tuent des soldats, en Afghanistan, vont se retrouver à côté de nous pour lutter contre Kadhafi. Ça, j'aimerais comprendre, au cas où vous auriez une meilleure explication que mon roman de tout à l'heure.

- Ben oui, quoi, il faut que j'explique, il faut que j'explique, comme si j'étais un spécialiste de ces affaires-là. J'en sais rien moi, mais en tout cas, ça n'a rien à voir avec vos fantasmes de je ne sais quoi !

-  Et moi je dis que ce ne sont pas que des fantasmes. De toute façon, il faudra bien expliquer aux familles des soldats tués en Afghanistan que là, les choses ont changé, qui justifient que l'on pactise avec les assassins des garçons, même si on est allé les agresser chez eux, après tout. Mais il faudra l'expliquer aux gens. Sinon, les gens vont se poser des questions.

- Comme par exemple ?

- Comme par exemple quelque chose d'inimaginable, mais bon ! On dit aux Talibans : vous nous rendez les otages, et en contrepartie, on vous aide à vous infiltrer en Libye, puisque vous y tenez tellement, le tout en profitant du merdier qu'on va y provoquer. Et puis, si les otages pouvaient être libérés à un moment particulièrement bien étudié, disons, deux ou trois mois avant l'élection...

- Stop ! Stop ! Je ne vous parle plus. Vous êtes ignoble ! C'est ignoble de penser des choses pareilles !

- C'est pas ignoble du tout. C'est juste une espèce de roman qui m'a traversé l'esprit. Vous connaissez la formule ? "Toute ressemblance avec des faits ou des personnages existants ou ayant existé ne saurait être que le fait du hasard." De toute façon, la guerre va s'arrêter maintenant.

- Qu'est-ce que vous racontez ?

- Je dis que la guerre, enfin, les frappes aériennes autorisées par l'ONU vont devoir s'arrêter. Vous savez quoi ? La Ligue arabe est contre !

- Comment ça, elle est contre ? Elle était pour. C'est bien pour ça qu'on y est allé, parce que sans le feu vert des pays arabes, on n'y serait pas allé.

- Elle était pour, mais il faut croire que les images de télévision ont fait leur effet. Il faut dire que quand on veut massacrer des gens, il vaut mieux le faire incognito. Tandis que là, les petis Libyens estropiés dans les hôpitaux, même si ce sont des mises en scène, ça fait tout de suite son effet : encore des Blancs, des infidèles, qui viennent massacrer des Arabes. Israël tue nos frères, personne ne bouge, et là, en deux jours, ils ont voté une résolution contre Kadhafi, et voilà que son pays est sous les bombes, parce qu'on est des Arabes ! Y en a marre !


I-Télé, 20 mars 2011




Question : s'ils n'ont plus la caution des 'harkis' de la Ligue arabe, derrière lesquels ils s'abritaient pour légitimer leur équipée sauvage aéroportée,  comment Obama et ses supplétifs vont-ils pouvoir tenir face à l'inévitable montée de la réprobation et de la colère au sein des foules arabes ?


Il faut dire que, quelque part, entre Afghanistan et Pakistan, d'autres foules ont violemment manifesté leur réprobation et leur ras-le-bol face à des raids aériens qui tuent indistinctement combattants, vieillards, femmes et enfants, ce qui a conduit les autorités à des révisions déchirantes, avec pour conséquence une capitulation annoncée, en rase campagne !


Prochain épisode : Berezina


(n.b. malgré de gros efforts, ce texte peut encore comporter des coquilles ici et là, que je m'efforce de rectifier...)