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mardi 11 février 2020

Sémantique de la désinformation #26


Épisode §26. Et ils le baptisèrent "grand remplacement"

À l'attention de ceux et celles de mes visiteurs qui ne connaissent pas la France : le "grand remplacement" est une théorie fumeuse, inventée par je ne sais quel crétin, qui n'a jamais mis les pieds dans une quelconque université pour y apprendre ou la sociologie, ou la démographie, ou les statistiques, mais bon..., et qui, par ailleurs, n'a jamais entendu parler de la Nouvelle Calédonie, cette terre canaque sur laquelle un referendum, disons, même pas d'autodétermination (1), a eu lieu en 2018. Pourquoi "même pas d'autodétermination" ? Pour la simple raison que la France nie les droits des autochtones calédoniens, le peuple canaque, seul peuple susceptible de jouir d'une "auto"-détermination, s'étant vu noyé sur son propre sol par des arrivées massives de colons, le tout dans le cadre d'une politique délibérée d'expropriation des autochtones, rendus minoritaires sur leur propre sol.

Vous comprendrez, par conséquent, que les inventeurs de la théorie du Grand Remplacement, qui sont tout sauf des intellectuels rigoureux, se gardent bien d'évoquer le sort des Canaques dans leurs diatribes.

Mais il ne sera pas question de canaques, ici, que j'évoque, par ailleurs, quelque part sur ce blog. Le fait est qu'en inspectant mes archives, je suis tombé sur un texte fort intéressant sur le départ vers leur pays d'origine de travailleurs nord-africains, à la suite de fermetures d'usines du côté de Sochaux (Montbéliard).

Il va s'agir de la citation d'une citation.

Montbéliard : les dégâts du départ des immigrés 

Gérard Mamet 

Extrait d’un article paru dans Les Cahiers de l’AERIP (Association d’Étude des Réalités Institutionnelles et Politiques), n° 3, octobre 1987, sous le titre « Les dégâts économiques et humains du départ des immigrés. L’exemple de la région de Montbéliard ».


La région de Montbéliard est profondément marquée par la mono-industrie. L’usine de Sochaux, qui est la plus grande concentration ouvrière de France est en train de connaître des changements très importants qui ont des graves répercussions sur toute l’économie de la région. Entre 1979 et 1987, les effectifs de la firme Peugeot de Sochaux sont passés de près de 40 000 salariés à 23 500 fin 86. Pendant cette période, le nombre de travailleurs immigrés est passé de 8 500 (avec les intérimaires) à environ 2 700 aujourd’hui. Ce sont donc eux les premières victimes de la crise que traverse actuellement l’industrie automobile.
[...]

Quand survient la baisse de production en 1979 les intérimaires sont renvoyés sur le champ. Ils ont servi de marge de manœuvre.

En juillet 1980, Peugeot lance une première opération « retour des étrangers » au pays d’origine. Ils reçoivent 10 000 F de l’État et 15 000 F de Peugeot. 1 000 travailleurs immigrés partent dans le cadre de cette opération qui se termine en mars 1981.

Mais ce n’est pas suffisant pour Peugeot et en 1984 la direction met au point un dispositif plus alléchant appelé pompeusement « convention de mise en œuvre des aides à la réinsertion des travailleurs immigrés dans leur pays d’origine ». Ce sont les « contrats ONI » qui font partie d’un ensemble plus vaste baptisé « plan social » qui comprend aussi les mises en préretraite FNE [1] et l’incitation au départ volontaire.

Le contrat ONI est présenté comme une « aide conventionnelle à la réinsertion en faveur des travailleurs étrangers ». Il donne droit à une prime qui peut paraître mirifique de 100 000 à 140 000 F suivant la situation familiale et l’ancienneté.

Voici la composition de la fameuse prime :
  • le versement par l’État d’une somme pouvant atteindre 20 000 F
  • une aide au déménagement qui varie selon les pays
  • le billet de retour par avion pour l’intéressé, le conjoint et les enfants mineurs
  • une indemnité correspondant à 66 % des droits aux ASSEDIC
  • l’indemnité de licenciement
  • une prime de 15 000 F de Peugeot.
Mais en contrepartie, le travailleur perd ses droits sociaux acquis en France et n’a plus la possibilité de revenir. Pour ceux qui sont près de la retraite, c’est un véritable marché de dupes.

L’aide au retour ne s’adressait normalement qu’à des travailleurs volontaires. L’article 6 de la convention indiquait : « L’ONI veille à la bonne information du personnel et au strict respect du volontariat des candidats ». Peut-on vraiment parler de volontariat dans une situation de chômage et de racisme larvé ? Beaucoup de travailleurs ont eu peur du lendemain, peur de se retrouver à la porte, sans rien, quelques mois plus tard. Après 15 ou 20 ans de travail à la chaîne, certains étaient las. Ils en avaient assez du bruit, du travail pénible et des vexations de certains petits chefs réceptifs aux idées du Front national.

La première convention a donc rencontré un certain succès : 1561 départs pour la seule usine de Sochaux (478 Turcs, 441 Algériens, 330 Yougoslaves, 166 Portugais, 115 Marocains, 27 Tunisiens et 4 divers). Mais la deuxième convention qui a démarré le 1er février 86 marche beaucoup moins bien. Les explications sont multiples. D’abord il reste beaucoup moins d’immigrés et ceux qui étaient le plus enclins à partir l’on déjà fait. Mais beaucoup d’immigrés hésitent aussi parce qu’ils reçoivent des mauvaises nouvelles de ceux qui sont rentrés : la réinsertion se passe mal. Alors on voit fleurir dans la région des tracts odieux avec le slogan « La valise ou le cercueil » et signés « Comité contre le racisme anti-français » ou des tracts un peu moins grossiers signés « Comité pour l’emploi des Français ». Si on n’a jamais su exactement qui était derrière ces diffusions de tracts anonymes, on a parfaitement compris à qui cela profitait.

Peugeot, de son côté, ne ménage pas sa peine pour persuader les immigrés de tous les avantages de l’« aide à la réinsertion ». […] Il n’y aura malgré tout que 180 travailleurs pour signer la deuxième convention ONI.

Des conséquences désastreuses

Avec les familles, ce sont près de 7 000 immigrés qui ont quitté la région de Montbéliard en 2 ans, soit plus de 5 % de la population. Dans une ville de la région, Bethoncourt, les 1 100 départs représentent 10 % de la population. Dans certains quartiers, les départs correspondent à 15 % du nombre d’habitants. […]

Tout le monde s’aperçoit vite de l’effet désastreux des départs dans de nombreuses activités : l’enseignement, le logement, le commerce et les services, etc.

[...]

– Dans la région de Montbéliard, le nombre de logements vides s’accroît de 979 de mars 85 à mars 86, principalement à cause des départs ONI. On arrive ainsi à 2 810 logements vacants pour les 3 organismes HLM en janvier 1987. Le journal local « Le Pays » du 20 février 87 annonce 16 millions de pertes pour l’habitat social. Les bâtiments vides sont murés, véritable spectacle de désolation. On voit même fleurir des inscriptions comme « dead city », ville morte, sur des bâtiments fantômes.

Certes le départ des immigrés n’est pas la seule cause de cette situation. […] Mais il en est une des causes majeures. Le secteur du bâtiment et des travaux publics a perdu 1 000 emplois en 5 ans.

– À la rentrée 85, l’inspection académique a donné les chiffres suivants concernant les départs d’enfants d’immigrés : maternelles : 480 ; primaire : 1300 ; collège. : 293 ; Total : 2073.

Les chiffres fournis par la préfecture font apparaître que le nombre d’enfants de moins de 16 ans est passé de 9 849 à 6 992 au cours de l’année 85. Dans la mesure où le ministère de l’Éducation se refuse à diminuer les effectifs des classes de façon significative dans les zones prioritaires, cela se traduit par de nombreuses suppressions de postes. Par exemple sur le quartier des Buis qui compte 4 000 habitants, l’inspection académique vient d’annoncer, en février 87, 9 suppressions de postes : 6 en primaire et 3 en maternelle.

– C’est certainement dans le commerce et les services que les suppressions d’emplois induites sont les plus importantes. Aucune évaluation n’a été faite à notre connaissance, mais on peut dire sans risquer de se tromper qu’il s’agit de plusieurs centaines de suppressions d’emplois.

Les élèves d’un collège ont réalisé une enquête auprès des commerçants du quartier des Buis à Valentigney. Voici ce qu’ils ont entendu :
  • Supermarché RAVI : baisse de 30 % du chiffre d’affaires
  • Boulangerie : grosse baisse des ventes due au départ des Maghrébins
  • Boucherie : le départ des Portugais qui étaient des gros acheteurs a entraîné une nette baisse des ventes – Bureau de tabac, pressing, […]
  • Les moyens financiers des communes sont également touchés par la diminution de la taxe d’habitation et de la Dotation générale de fonctionnement qui sont liées au nombre d’habitants.
[…]

Nous assistons donc à un véritable engrenage de la récession économique. Les suppressions d’emplois chez Peugeot et les départs des immigrés entraînent une diminution du nombre d’habitants donc de consommateurs. Cela induit des suppressions d’emplois dans d’autres secteurs comme le commerce, le bâtiment, l’enseignement, etc. Ce qui, par contrecoup, induit une nouvelle baisse de la consommation donc de nouvelles suppressions d’emplois, etc. La firme Peugeot s’en tire et devient sans doute plus compétitive, mais cela se fait au détriment de tous les autres secteurs de l’activité économiques de la région. […]

Retour ou exode

Quand un travailleur immigré quitte son pays pour des raisons économiques, il part dans l’idée de revenir au pays et cet espoir va le suivre pendant des années avant de se réaliser ou de glisser lentement vers l’oubli. Souvent le retour subsiste au niveau des mots, du rêve, du mythe. Il vit d’abord en célibataire dans l’espoir de réaliser rapidement les économies qui lui permettront de réaliser son rêve : l’achat d’un commerce, d’une ferme, d’un véhicule de transport, etc. Mais l’argent ne se gagne pas aussi vite qu’il l’espérait. Il fait venir sa femme et ses enfants. Ces derniers sont scolarisés en France et commencent à vivre comme tous les jeunes et tous les enfants de leur âge.

La pression du racisme et les primes proposées aux candidats au départ sont venues perturber les mécanismes normaux d’intégration dans la société française. Les familles immigrées se sont trouvées déstabilisées et certaines d’entre elles se sont décidées à quitter notre pays. Le collège des Tâles à Valentigney a organisé une correspondance avec les enfants rentrés au pays de leurs parents pour savoir ce qu’ils étaient devenus. Le collège a reçu des dizaines de lettres pleines de tendresse et de nostalgie. Cet échange de courrier, s’il n’a pas le caractère d’une enquête scientifique, permet de se faire une idée sur les difficultés de réinsertion de ces enfants. Ce sont eux les véritables sacrifiés de cette politique dite d’aide au retour.

Que disent-ils dans leurs lettres ? D’abord que certains parents n’ont pas trouvé de travail. Sur 21 pères, 11 se sont installés comme commerçants, 5 ont un autre travail et 5 sont au chômage, soit près de 25 %. Cela vient contredire le discours officiel de l’ONT qui laisse croire que la réinsertion se passe bien. L’ONI devait d’ailleurs vérifier le sérieux des projets de réinsertion avant la signature des contrats. Les projets de réinsertion ne correspondent que rarement aux besoins des pays d’origine. L’Algérie ou la Turquie ont besoin d’ouvriers très qualifiés, de techniciens, d’ingénieurs, etc. et pas tellement de commerçants. Il faut donc battre en brèche un certain discours sur le retour considéré comme un outil du développement de pays du Tiers-Monde. La France n’a d’ailleurs jamais fait un effort sérieux de formation professionnelle des travailleurs immigrés. À Sochaux, ils sont ouvriers à plus de 99 % (en 1977, seulement 6 ingénieurs et cadres et 40 employés, techniciens, agents de maîtrise sur 6 500 étrangers).

La réinsertion scolaire est également très problématique. Les enfants algériens disent qu’ils ont beaucoup de mal avec l’arabe classique. Les jeunes rentrés en Turquie ne maîtrisent pas la langue turque. Certains disent qu’ils ne comprennent rien à aucune matière. Ce qui est dramatique, c’est que ces enfants qui commençaient à réussir dans l’école française se retrouvent à la case départ. Certains expliquent dans des termes bouleversants qu’ils ne pourront pas réaliser leur projet de devenir infirmière ou technicien.

Mais c’est sans doute au niveau psychologique que leur situation est la plus dramatique.

[…]

En fait, ces enfants, ces jeunes étaient intégrés dans la société française, parfois peut-être sans s’en être rendu compte.

Mais nous avons aussi des échos des adultes. Certains connaissent de grosses difficultés : chômage, absence de logement, différences de mode de vie, etc. Le syndicat CGT de Sochaux par exemple a reçu plusieurs lettres disant : « Nous avons été trompés, nous n’avons pas de travail, aidez-nous à revenir. Nous sommes prêts à rembourser les primes ». Quand François Mitterrand est venu à Montbéliard, SOS Racisme l’a d’ailleurs interpellé sur cette question. Il faudra bien que la France accepte que ceux qui ne peuvent pas se réinsérer puissent revenir. Certains sont déjà là avec des visas de tourisme.

L’attitude des amicales qui entretenaient plus ou moins le mythe du retour a changé. Pendant longtemps, l’Amicale des Algériens par exemple, disait que l’Algérie était prête à accueillir tous ses ressortissants. La crise économique : baisse du pétrole et baisse du dollar, a entraîné une modification du discours. L’AAE insiste maintenant sur le droit de rester, ce que fait aussi l’ATMF depuis plusieurs années. L’ATMF dit même : les immigrés sont intégrés dans la société française et ils resteront ici. Point de vue que nous partageons complètement.

 

En guise de conclusion

1 – La région de Montbéliard a fait l’expérience de la politique de renvoi massif des immigrés, préconisée par Le Pen puisque le quart des immigrés est parti. Les effets en sont catastrophiques pour l’économie de la région. Les commerçants des quartiers sont peut-être ceux qui font le plus les frais du départ des immigrés. Ce qui est sûr : les déséquilibres économiques se sont encore accentués.

[…]

2 – Les problèmes humains de ceux qui sont partis ont souvent été négligés. La prime, même si elle atteint les dix ou douze millions de centimes, ne résout pas magiquement les problèmes de réinsertion. Elle a finalement empêché les familles de faire un véritable choix qui tienne compte de tous, c’est-à-dire aussi des femmes et des enfants.

Article extrait du Plein droit n° 4, juillet 1988


Source 


(1) Auto..., en anglais self. S'agissant de la Nouvelle-Calédonie, à qui peut bien renvoyer ce "self"/"auto" ? On ne sait pas. En tout cas, le concept même de "peuple autochtone" semble avoir été effacé des tablettes, à la manière des sbires de Staline retouchant une photographie gênante afin d'en faire disparaître un quidam tombé en disgrâce ! France, pays des droits de l'Homme, mais pas de ceux des Canaques !


Lecture


vendredi 1 mars 2019

Gilets jaunes, colère noire et volée de bois vert #14


Épisode §14. L'essentiel et l'accessoire...

... ou de la structure vs. conjoncture



"Vous allez échouer, sauf si...".

Les Gilets Jaunes sont-ils partis pour échouer ?

À en croire nos politologues et politocrates, les cortèges des déambulations hebdomadaires rétrécissent, ce qui serait le signe du déclin progressif du mouvement ; par ailleurs, les sondages montrent une lente désaffection des Français pour le mouvement, en même temps qu'une progression de la popularité de l'exécutif... 

- Ah, les fameux sondages ! Mais que seraient nos politocrates sans les sondages ? 

Les visiteurs habituels de ce blog connaissent le peu de considération que m'inspirent ceux que l'on appelle des politologues, et que moi, j'appelle des politocrates, comme bureaucrates, auxquels il faut ajouter toute la camarilla des politiciens et autres politicards qui, s'ils étaient médecins ou pilotes de ligne, seraient responsables de bien des hécatombes dans les hôpitaux et de crashs aériens dans lesquels ils auraient toutes les chances de passer de vie à trépas !

Entre nous, quand on voit la fréquence avec laquelle ils se plantent et voient leurs programmes et prévisions échouer, combien de responsables politiques, de politiciens et politiciennes, voire de politologues et autres politocrates seraient encore en vie, s'ils avaient été pilotes professionnels dans l'aviation ?

Prenons la France : voilà des gens qui ont fait des études non pas inférieures, mais supérieures - et tout le monde sait ce que c'est que d'être passé par l'ENA, Sciences Po', Polytechnique, Normale Sup' et autres "grandes écoles" bien dans la tradition aristo-élitiste française - et qui s'avèrent incapables d'apprécier à sa juste mesure une insurrection comme celle des Gilets Jaunes, laquelle survient après plein d'autres insurrections que nos grands esprits n'ont jamais su anticiper ni accompagner, ce qui fait que ce pays passe son temps à réparer des installations dégradées, qu'il s'agisse du Grand Marché International de Rungis dévasté par des marins-pêcheurs, de telle ou telle préfecture ou de tel ou tel centre d'impôts attaqué(e) par des agriculteurs, de l'Arc de Triomphe parisien couvert de tags, de radars automatiques incendiés et rendus inutilisables, du prestigieux Parlement de Bretagne, à Rennes, détruit par des marins-pêcheurs eux-mêmes bretons, des ronds-points bloqués, des rues dépavées par les manifestants dans le Quartier Latin parisien, des portiques dédiés à la perception de l'éco-taxe et vandalisés par des "bonnets rouges"..., sans parler des ravages humains, avec tous ces policiers et gendarmes caillassés et devenant, par la force des choses, tabasseurs de manifestants (cf. Malik Oussekine) voire manieurs de tasers, flash-balls et autres Lanceurs de Balles de Défense (LBD) ou grenades de désencerclement (cf. Rémy Fraisse)..., la liste est longue, qui fait de la France la championne européenne des jacqueries et insurrections en tous genres. 

Florilège :






 
























Observons que, dans le florilège précédent, il n'y a pas la Corse, ni le pays basque...

Mais, parmi tous ces grands esprits que j'évoquais plus haut, personne pour faire le lien entre l'instauration - ou plutôt la restauration - du bonapartisme en France par De Gaulle et cette terrible impression que ce pays est difficilement gouvernable, comparé à tous ses voisins de l'Union Européenne qui, sans exception, ont fait le choix du strict parlementarisme.

Et pourtant, ces mêmes grands esprits vous affirment, mordicus, que ladite Vème République représente la quintessence même de l'organisation politique, dès lors que - contrairement à d'autres régimes - elle garantit au pays une stabilité qui n'existerait pas ailleurs. Et là, on vous ressort le sempiternel épouvantail de la Quatrième République, jugée ingouvernable car (trop) strictement parlementaire.

Et c'est sur la base de cette escroquerie intellectuelle que la France est gouvernée depuis soixante ans maintenant, nos politocrates confondant stabilité bureaucratique et stabilité sociale. Le fait est que la pseudo-stabilité institutionnelle française (comparée avec l'apparente instabilité de la Belgique ou de l'Italie) est un leurre dissimulant une énorme instabilité sociale dont on voit bien que l'actuel et fort imprudent "Jupiter" français a fort peu de chances de sortir indemne ! 

Car, si le parlementarisme était systématiquement générateur d'instabilité, qu'on nous explique pourquoi tant de pays, au sortir de la monarchie absolue ou de la dictature, ont délibérément renoncé au modèle autocratique cher à De Gaulle et aux dictateurs africains, asiatiques ou sudaméricains.

C'est ainsi que l'Allemagne post-hitlérienne renoue avec la bonne vieille et parfois décriée République de Weimar, de même que l'Espagne, la Grèce, l'Italie et le Portugal sortent de la dictature pour instaurer/restaurer le parlementarisme [la majorité parlementaire désigne le chef de l'exécutif], à l'instar des ex-satellites de l'URSS que sont Roumanie,  Pays Baltes, Hongrie, Bulgarie, États ex-tchécoslovaques et ex-yougoslaves.

Revenons en France : il suffit, souvent, d'observer ce pays depuis l'étranger - ce que j'ai fait, des années durant, depuis l'Allemagne ou l'Autriche - pour sentir à quel point l'escroquerie de la soi-disant stabilité politique a la peau dure.

Il se trouve que j'étais en Allemagne, pour y apprendre la langue de Goethe, Hölderlin et Schiller, lors de l'avènement de François Mitterrand comme président de la République française. Mitterrand est élu en mai 1981 ; Helmut Kohl devient chancelier allemand en octobre 1982.

Et, depuis l'Allemagne, vous apprenez qu'en France, les  cheminots ou les contrôleurs aériens sont en grève, ou alors les enseignants, ou encore que les viticulteurs arraisonnent des camions-citernes transportant du vin italien ou espagnol qu'ils vont déverser dans le caniveau, à moins qu'il ne s'agisse d'une jacquerie initiée par des marins-pêcheurs, ou peut-être des infirmières, des lycéens, étudiants, gardiens de prison, la télévision ou la radio publique, mais peut-être a-t-on plutôt affaire à des manifestations de chauffeurs routiers, de producteurs de lait, d'éleveurs de porcs, de volaillers, de chauffeurs de taxi, de chasseurs, d'organisations familiales catholiques opposées aux projets du ministre de l'Éducation nationale, etc.

Et, pendant que les Français se farcissaient grèves et jacqueries populaires, en Allemagne, Autriche..., c'était zéro virgule zéro zéro zéro arrêt de travail, zéro manifestation violente, zéro déploiement de policiers ou de gendarmes casqués censés canaliser une foule en colère, etc. Il est vrai que l'Allemagne avait été secouée par la mouvance R.A.F. de Baader et Meinhof, tandis que l'Italie avait droit à ses Brigades Rouges, l'Espagne à l'E.T.A., sans oublier l'activisme militariste de l'I.R.A. au Royaume-Uni. Mais la France a eu également sa dose en la matière avec Action Directe ! 

Prenez la stabilité gouvernementale : je rappelais que Mitterrand et Kohl sont arrivés aux affaires à une année et demie d'intervalle. Mitterrand va cumuler deux septennats à l'Elysée, contre seize années de ministère Kohl. Et c'est ici que j'invite quiconque à faire le décompte des premiers ministres s'étant succédé en France durant les deux septennats de Mitterrand, sachant que, dans le même laps de temps, l'Allemagne n'aura connu qu'un seul et unique chancelier !

Mieux : depuis 1982, l'Allemagne a connu trois chanceliers (Kohl, Schroeder, Merkel) quand, dans le même temps, la France s'offrait combien de premiers ministres, entre Pierre Mauroy (1981) et Edouard Phlippe (2019) ? Que les politocrates et autres profs à Science Po' fassent le décompte et cessent de nous bassiner avec cette pseudo-stabilité des institutions de la Cinquième République ! 

Pour mémoire : vingt-sept équipes gouvernementales entre Mitterrand (1981) et Macron (2019). (Source)

Une pure escroquerie intellectuelle que cette République dite Cinquième, dès lors que, dans la réalité, elle prend fin avec la réforme constitutionnelle de 1962 ! Ce qui veut dire que ce pauvre Mélenchon n'a rien compris, qui nous pompe avec sa Sixième République, alors même que nous y sommes entrés de jure en 1962, et de facto en 1965, le reste n'étant que "foutage de gueule" de la part d'une oligarchie cynique et complètement déconnectée des réalités !

Mais je sais que quelques pseudo-experts vont me rétorquer :
- Mais, monsieur, votre "de jure" est excessif, voire superfétatoire, dès lors que la Sixième République n'a jamais été instaurée ni en 1962, ni en 1965 !
J'entends bien l'objection, que je trouve plutôt faiblarde, dans la mesure où il est évident que, dans n'importe quelle démocratie authentique, les changements intervenus en 1962 auraient conduit à un changement de matricule de la Constitution. Sauf qu'en France, en 1962, on a une équipe de larbins (cf. Michel Debré), toute à la dévotion du "grand" général de brigade, admirateur de Franco et de Perón, et dont les souhaits non avoués devaient être dissimulés à un peuple français assimilé à des veaux ! Pour mémoire, l'annonce par De Gaulle de la réforme constitutionnelle à venir intervient quelques semaines à peine après l'attentat dit du Petit Clamart...  

De fait, le propre des autocrates est de toujours avancer masqués, pour mettre bas les masques dès que l'occasion se présente. Voyez le Turc Erdogan, prenant prétexte - ben voyons ! - d'un présumé coup d'État militaire visant sa personne pour s'attribuer l'essentiel des pouvoirs, moyennant un tripatouillage constitutionnel que n'aurait pas renié son mentor,  Charles de Gaulle, lequel, au hasard d'une conférence de presse, feignait l'indignation en lançant à la cantonade : 
- Mais pourquoi voulez-vous qu'à soixante-sept ans je commence une carrière de dictateur ? (Source)

Et c'est là qu'on aurait pu lui rétorquer : 
- Mais tout simplement parce que les chiens ne font pas de chats ! Pouvez-vous nous citer un seul régime politique démocratique initié par un militaire ?

Ce qu'il y a de particulièrement intéressant avec le mouvement des Gilets Jaunes, c'est probablement le fait que, contrairement à mes soupçons du début ("encore une jacquerie désordonnée qui va finir en eau de boudin comme toutes celles qui l'ont précédée"...), ce mouvement a très rapidement appris à décanter ses revendications, ce qui fait que, contrairement à ce que prétextent nos politocrates, selon lesquels le mouvement part dans tous les sens, au point qu'on n'arrive plus à identifier ses réelles intentions, quiconque détient un minimum de jugeote et de culture générale voit bien que les revendications du mouvement ont été très rapidement hiérarchisées entre exigences d'ordre structurel (cf. la démocratie "directe") et revendications d'ordre conjoncturel (pouvoir d'achat, taxes...).

Et, pour s'en convaincre, il suffit d'observer les pancartes et banderoles et les principaux slogans qui y sont inscrits : il s'agit bien d'aller à l'essentiel en ciblant le(s) princip(al)(aux) symbole(s) de l'autocratie.









Par voie de conséquence, ceux qui nous disent que le discours des Gilets Jaunes est désormais illisible, voire inintelligible, sont soit des crétins, soit des escrocs, voire les deux. 


Lectures :  01 - 02 - 03 -  04 - 05 - 06 - 07 - 08 - 09 - 10 - 11 - 12


Petit supplément 01 : quand je vous dis que les politocrates ne sont rien d'autre que de vulgaires commentateurs de sondages, voici le genre de choses qu'un "directeur de recherches au CNRS" est capable de pondre :
Les « gilets jaunes » tentent aujourd’hui de se structurer, deux mois et demi après leur première journée de mobilisation, le 17 novembre 2018. Le défi est de taille vu la singularité du mouvement, hétéroclite, non partisan et qui rejette le système représentatif. Olivier Costa, directeur de recherches au CNRS, estime que les « gilets jaunes », inexpérimentés en matière politique, sont aujourd’hui « confrontés au principe de réalité et découvrent toute la difficulté à mener une action publique ».
Les « gilets jaunes » tentent depuis quelques semaines de se structurer, tout en rejetant le système représentatif. Peuvent-ils résoudre cette équation ?
Olivier Costa : La mobilisation des « gilets jaunes » est nourrie par le rejet des partis et de la classe politique et aspire à une autre forme de démocratie, plus participative. Mais pour faire exister un mouvement de cette ampleur et lui permettre d’influer sur la vie publique, une structuration est inévitable, et exige de répondre à des questions incontournables : qui dirige, comment les leaders sont contrôlés, quelle ligne politique est retenue, etc. Les « gilets jaunes », pas ou peu politisés, sont aujourd’hui confrontés à ce principe de réalité, et découvrent toute la difficulté à mener une action publique. Ils retombent sur les problématiques des organisations et partis politiques classiques, qui sont précisément le point de départ de la contestation. C’est la quadrature du cercle.
La difficulté à se structurer ne tient-elle pas aussi à l’hétérogénéité du mouvement et de ses revendications ?
Oui. Le mouvement a mobilisé des gens de tous horizons, de gauche comme de droite, avec des thématiques communes dénonçant l’abandon des territoires, la corruption des élites et le pouvoir d’achat insuffisant. Mais les solutions proposées, elles, partent dans tous les sens, et on voit mal une ligne politique se dégager. (source)
Entre nous, vous n'êtes pas mort(s) de rire ? Par parenthèse, en ce moment-même, un autre grand politocrate et expert dans le commentaire de sondages (Olivier Duhamel) est en train d'animer une émission de radio (Europe 1), et - après avoir annoncé la fin prochaine du mouvement des G.J. - il vient de poser à ses invités cette question essentielle : "Aux élections européennes, qui de Macron ou de Le Pen va arriver en tête ?" (Samedi 2 mars, 10h36). Voilà qui vous donne une idée du niveau d'une certaine "élite" française ! Mais bon, si vous connaissez Michel et Monique Pinçon-Charlot (lien), alors vous savez qu'il existe des gens autrement plus intéressants et plus performants que les profs de Science Po' !


Petit supplément (illustré) 02 :