Ce qui suit est ma traduction d'un texte paru sur Mintpress et émanant d'une personnalité juive ayant fait sa "conversion de Paul". Il est question de Saül de Tarse, persécuteur de chrétiens qui, sur le chemin de Damas, fait une rencontre, à en croire les Évangiles. Et voilà notre homme devenu le premier des apôtres, le fameux Saint-Paul des Catholiques. Ici, nous avons quelqu'un qui a d'abord été un sioniste convaincu, et qui en est revenu, à l'instar de pas mal de ses congénères.
Relecture en cours
Ce que j'ai
vu à Gaza m'a changé pour toujours
Ma vraie libération en tant que
personne juive est liée à la libération du peuple palestinien.
par Ned Rosch, 7 Mai 2019
Retrouver les valeurs du judaïsme
après une expérience sioniste est une puissante collection de 40
essais rédigés par des juifs d'origines diverses. Chacun d’eux
décrit un parcours personnel allant d'une vision sioniste du monde à
un activisme solidaire des Palestiniens et de ceux des Israéliens
qui s’appliquent à édifier une société fondée sur la justice,
l'égalité et la coexistence pacifique. Dans cet extrait de l'essai
« La Palestine et mon parcours de découverte de soi », Ned Rosch
décrit l'impact profond d'une visite à Gaza en 2014, peu après les
bombardements intensifs de « l'opération Bord de mer » menée par
Israël.
Le grand écrivain indien Arundhati Roy
a écrit que "Le problème, c’est qu’une fois que vous voyez la
chose, vous ne pouvez plus l’ignorer. Et une fois que vous l’avez
vue, rester silencieux, ne rien dire, devient un acte aussi politique
que d’en parler. Il n’y a pas d’innocence. De toute façon, vous
êtes responsable."
À de nombreuses reprises dans ma vie,
je l'ai "vue" et ai senti que les fondements fortement endurcis
de mon éducation sioniste finiraient par se fissurer et se
transformer en poussière, mais peut-être que rien ne m’a plus
profondément ébranlé et renforcé ma perspective qu'un voyage à
Gaza en novembre 2014.
Pendant une courte mais remarquable
période d’une semaine et demie, j'ai eu le privilège incroyable
de faire partie d'une délégation sanitaire dans cette petite bande
de la Palestine historique, qui se trouve être l'un des endroits les
plus peuplés de la planète, car sa population est littéralement
emprisonnée par les Israéliens, avec l'aide des Égyptiens. Se
retrouver là, juste deux mois après la guerre meurtrière menée
par Israël en 2014 contre la population de Gaza, m’a permis
d’apercevoir, à travers les histoires douloureuses que j’ai
entendues et la destruction accablante dont j’ai été le témoin,
l’horreur grotesque de cette guerre de 51 jours. Les structures
bombardées étaient partout visibles, le chagrin universel, le
traumatisme intense.
Rawya, qui assurait la traduction pour
un stage que j’avais organisé à Gaza avec 15 éducateurs
scolaires, m'a raconté autour d'un thé chaud que : "Nous aurons
peut-être peur à notre tour. Mon mari et moi avons installé nos
quatre enfants âgés de neuf à quinze ans sur des chaises, et nous
et nos enfants avons discuté de ce que nous ferions si une bombe
nous tombait dessus et que nous soyons les seuls survivants de notre
famille. J'avais le sentiment d'avoir besoin de cette conversation
car la possibilité me paraissait si réelle et, en tant que mère,
je devais savoir que nos enfants avaient prévu la chose."
Elle,
les éducateurs, les enfants qu'ils voient et, selon les conseillers,
cela va sans dire, tout le monde à Gaza était traumatisé. Lorsque
des jets israéliens ont été entendus un soir au cours de notre
séjour à Gaza, la peur qui s’amplifiait était palpable.
En accédant à Gaza, nous avons vu des
squelettes obsédants de maisons, des personnes vivant dans des
bâtiments dévastés par les bombes, ainsi que des mosquées, des
hôpitaux et des usines en ruine. Ce qui reste gravé dans ma
mémoire, ce sera probablement ce que nous avons vu dans des
quartiers civils fortement bombardés. Il est difficile de trouver
des mots permettant même de décrire la dévastation totale du
territoire.
Les Palestiniens vivaient désormais
dans des baraques de fortune de carton et de couvertures, entourées
de gravats. Même si j’avais vu auparavant les mêmes images sur
des sites, l’impact produit par la vision de ces familles
accroupies près de ce qui était tout ce qu’elles possédaient et
qui, en quelques secondes, avait été totalement anéanti, m'a coupé
le souffle, à l’instar du pan éclaté d’une grande dalle de
béton, avec dessus les noms peints à la bombe des membres
d’une famille ensevelis sous les monticules de débris, et une
femme assise sur les gravats tout en regardant au loin, tandis qu’un
mariage était célébré au milieu d'immeubles ravagés.
Dans un camp de réfugiés, une
Palestinienne bien dynamique nommée Reem m'a dit qu'elle ne pouvait
plus penser à l'avenir. "Tout ce que j'ai, expliquait-elle, est
valable aujourd'hui et cela me suffit, dès lors que cela m’offre
de nombreuses opportunités pour aider les gens."
Reem ouvrait des
centres dans certaines des zones les plus détruites de Gaza, des
centres où les enfants jouent, lisent, chantent, apprennent le
français, plantent des graines dans des gobelets en papier - pour
peut-être avoir un aperçu de ce que pourrait être une enfance "normale."
Rien n'est normal à Gaza. Une décennie de siège et
trois guerres ont ravagé l’économie, emporté la vie de milliers
de personnes, détruit l’environnement et anéanti les espoirs de
voir les choses s’améliorer un jour, peut-être y avoir un avenir.
Yasser, un homme doux, directeur
exécutif du programme de santé mentale communautaire de Gaza, a
perdu 28 membres de sa famille élargie au cours de la guerre de
2014. Personne à Gaza n'a été épargné sur le fait d’avoir un
proche tué ou blessé lors du brutal et implacable assaut israélien.
Yasser a déclaré que sa famille parlait de 28 chaises vides.
La famille de Mohammed compte
maintenant 10 personnes de moins. L'un des défunts était une jeune
fille qui a été d’abord sauvée après avoir survécu pendant dix
jours sous un énorme tas de béton et de barres d'armature, avant de
mourir à l'hôpital deux jours plus tard. Elle s'appelait Yasmin.
"Je ne peux pas me sortir Yasmin de la tête avoir Yasmin ni
l’idée de ce que ses derniers jours ont été," dit Mohammed,
les larmes coulant sur sa chemise.
Tout le monde aspire à l'ouverture des
frontières pour pouvoir respirer, travailler, voyager, étudier à
l'étranger ou obtenir des soins médicaux qui ne sont pas
disponibles à Gaza en raison de la pénurie de tout ce qui a été
causé par le siège israélien. Pourtant, la plupart affirment
qu'ils reviendraient chez eux.
" Tout comme un poisson ne peut pas
survivre hors de l'eau, nous ne pouvons pas vivre longtemps loin de
Gaza. Nous devons rentrer à un moment donné.", a déclaré Walaa,
une jeune femme titulaire de deux diplômes de troisième cycle et
qui était au chômage en pleine économie dévastée de Gaza.
Imad, un infirmier travaillant à plein
temps et qui n’était plus payé depuis plus d’un an, m’a
invité à rencontrer son épouse et ses huit enfants dans leur
appartement extrêmement modeste mais confortable. Lorsqu'on lui a
demandé comment ils survivaient sans revenus et avec tant de bouches
à nourrir, Imad a expliqué que tout le monde à Gaza faisait ce
qu'il pouvait pour aider les autres, car ils se trouvaient tous dans
le même bateau. Il a ensuite haussé les épaules et posé
pensivement la question que nous entendions si souvent : "Que
pouvons-nous faire ?"
Il est frappant de réaliser que 2 millions
de Palestiniens sont emprisonnés à Gaza, soit dans une zone de
seulement 25 miles de long et 5 à 8 miles de large - plus petite que
la région métropolitaine de Portland.
Une merveilleuse animatrice, qui
s’occupait de groupes d'enfants à Gaza, m'a invitée dans un de
ces groupes pour des enfants de 5 ans ayant perdu leur maison, leur
famille, leur innocence - et bien plus encore - dans des attentats à
la bombe. Je me suis assis au sein du cercle parmi les enfants, alors
qu'ils choisissaient des reproductions de visages heureux ou tristes
pour représenter ce qu'ils ressentaient. Une fillette a déclaré
qu'elle avait pris un visage triste parce que son grand-père avait
été tué par une bombe. D'autres ont pris des visages tristes parce
qu'ils avaient fait de mauvais rêves. L’animatrice m'a dit que sa
propre fille de 10 ans l'avait implorée pendant la guerre : "Ne me
laisse pas seule. Je veux qu’on meure ensemble."
Il y a donc suffisamment de stress, de
chagrin, de douleur et de tristesse à vivre, mais il existe
également une quantité remarquable d’amour, de générosité et
de détermination. Ramadan, qui a traduit pour moi lors d’un de mes
ateliers, et qui prépare un doctorat en psychologie, m’a fait
observer que, de même que beaucoup de gens ne peuvent apprécier
l’importance de leur santé que lorsqu'ils tombent malades, les
Palestiniens ne peuvent ressentir plus intensément l'absence d'une
patrie qu’après l'avoir perdue si brutalement. "D'autres ont une
patrie physique, un endroit où ils vivent ou qu’ils visitent.
Notre patrie vit dans nos cœurs.", m'a dit Ramadan autour d'un
café, au son du clapotis des vagues sur le rivage.
Alors que je marchais dans un secteur
de Gaza qui avait été fortement bombardé par les Israéliens,
observant des maisons, des immeubles d'habitation et une école
complètement détruits, un homme d'âge moyen est venu vers moi et
m'a poliment offert un grand manuscrit recouvert de la poussière
provenant des décombres d’habitations toutes proches détruites au
cours d’un bombardement. Quand je lui ai demandé ce que c'était
et pourquoi il voulait me le donner, il m'a fait signe de le suivre
de l'autre côté de la rue jusqu'à un énorme tas de débris. Alors
que nous gravissions le monticule en évitant les éclats de verre,
les barres d’armature tordues et le béton, il a sorti son
téléphone et m’a montré la photo d’une maison très attrayante
et bien entretenue - sa maison. Il a expliqué que la famille
occupait cette maison et que tout avait été détruit, à
l'exception du manuscrit, sa thèse de doctorat, qui était une
critique littéraire des œuvres d'Ezra Pound et de T.S. Eliot.
Ce professeur, qui avait tout perdu,
insistait pour que je prenne ce qui restait d'une vie. Je ne saurai
jamais pourquoi. Peut-être que c’était l’hospitalité
palestinienne qui l’obligeait à donner quelque chose à cet
invité, et c’était tout ce qu’il avait à offrir. Peut-être
voulait-il que j’emporte ce document en lieu sûr, sachant que rien
n'était en sécurité à Gaza. Peut-être ce professeur disait-il
qu'en dépit de toutes les destructions que les Israéliens pouvaient
déclencher à leur guise, il y avait une chose qu'ils ne pourraient
jamais détruire : les idées - pas seulement à propos de Pound et
Eliot, mais aussi à propos du rétablissement de la justice pour un
peuple qui a souffert une brutalité et une dépossession
inimaginables.
Je continue de me débattre avec
beaucoup de choses, dont la moindre n’est pas le fait de trouver
les mots justes pour exprimer de manière adéquate l’intensité de
l’expérience de connaître, de façon modeste mais profondément
significative, un certain nombre de personnes inoubliables et belles
à Gaza, ainsi qu’un aperçu de la réalité incroyablement dure de
leur vie. Il est difficile de comprendre comment l’occupation et le
siège de Gaza, qui détruisent lentement mais très régulièrement
la vie de deux millions de personnes, peuvent se matérialiser et
comment le monde fait si peu pour arrêter cela. La question d’Imad :
"Que pouvons-nous faire ?" Résonne dans ma tête. Une partie de
ce que je peux faire est claire : un engagement plus fort, comme le
dit Arundhati Roy, à prendre la parole, affirmant plus largement et
plus souvent l’importance de la lutte des Palestiniens, car nous,
les Américains, sommes si profondément complices de l'occupation
israélienne en cours sur la terre palestinienne. La majeure partie
de ce que je peux faire va sûrement émerger avec le temps, tandis
que je continue à penser aux personnes que j'ai rencontrées et qui
ne veulent rien d'autre que vivre. À Gaza, j'ai laissé derrière
moi des amis et un morceau de mon cœur - un cœur brisé bien des
années auparavant par le conflit entre ce que j'avais appris à
penser de ce qu’était Israël, et ce que j'avais finalement
appris, qui était la sombre réalité d'Israël.
Il y a des années de cela, j’avais
sincèrement cru que j’étais plus ouvert d’esprit que ça,
lorsque j’essayais de croire fermement qu’il existait deux récits
légitimes et très différents, un juif et un palestinien, deux
revendications fondamentalement irréconciliables du même terrain,
et c'est pourquoi le conflit était si insoluble. Mais ce qui était
vraiment insoluble, c’était la bataille qui faisait rage dans ma
tête et encore plus vigoureusement dans mon cœur. Voyez-vous,
j'étais devenu un progressiste sur tous les sujets, sauf un. J'ai
défilé pour les droits civils, les droits des femmes, les droits
des personnes LGBTQ, les droits de tous, y compris l’abolition de
la guerre. Mais en ce qui concernait Israël et la Palestine, j'étais
extraordinairement déchiré. Même à supposer que mes amis eussent
pu me dire la vérité, comment aurais-je pu tourner le dos à mon
propre peuple et à ma propre éducation, surtout après les milliers
d'années de souffrances endurées par les Juifs ? L’histoire juive
des pogroms, de l’antisémitisme et des horreurs de l’Holocauste
n’est-elle pas au moins aussi convaincante, sinon plus ? Après
tout, en tant que personne nommée d'après une victime de
l'Holocauste, j'étais un maillon d'une longue chaîne.
Comment
pouvais-je contribuer à saper la lutte juive pour reconstruire un
peuple décimé après l'Holocauste ainsi qu’après la création
récente de l'État d'Israël ? Avec le temps et l’introspection, mon
double univers narratif a commencé à s’effilocher, puis à se
défaire complètement.
Le coup fatal est probablement venu lorsqu'un
ami palestinien m'a demandé pourquoi les juifs avaient tant de mal à
intégrer l'expérience palestinienne à la compréhension juive de
l'histoire. Je n’ai pas bien saisi sa question et, avec
appréhension, lui ai demandé de s’expliquer. Il m'a mis au défi
de ne pas voir deux récits contradictoires, mais une histoire, une
histoire de ce qui s'est réellement passé. Cette question et ce
défi, ainsi que l'exploration et la ré-exploration de leurs
réponses, m'ont conduit dans l'un des voyages les plus profonds et
les plus enrichissants de ma vie.
C’était la confrontation d’un
effort fondamental visant à réconcilier ma vision des choses autour
d’Israël et de la Palestine, avec les valeurs fondamentales de mon
cœur et, au bout du compte, la révélation du fait que, dans
l’essence même de mon être, ma véritable libération en tant que
Juif était désormais intrinsèquement liée à la libération
authentique du peuple palestinien. Mon sens de la liberté et de la
complétude ne sera atteint que lorsque chaque Juif - et chaque
Palestinien - sera libre. Le sionisme emprisonne non seulement les
corps palestiniens, mais aussi les esprits juifs.
J'ai fini par comprendre que la
merveilleuse tradition juive de "La Justice, La Justice tu
poursuivras !" m'obligeait à prendre position avec d'autres
personnes de bonne volonté, y compris de nombreux Juifs, pour
soutenir mes frères et sœurs palestiniens dans leur douleur, leur
lutte et leur résistance. Pour moi, la percée a été la prise de
conscience ultime que prendre la défense des Palestiniens ne voulait
pas dire tourner le dos à mon peuple.
Au contraire, en soutenant la
lutte palestinienne pour la liberté, je défendais les valeurs les
plus élevées du judaïsme et les revendiquais pour moi-même, d’une
manière profondément nouvelle et personnellement significative.
Nelson Mandela a déclaré un jour : "Nous savons trop bien que
notre liberté est incomplète sans la liberté des Palestiniens."
Source
Notes
1. Fils de pasteur, je ne supporte pas de lire le mot "holocauste" sous la plume d'un "Juif" qui se respecte. Que des cohortes de guignols incultes usent de ce mot, je peux l'admettre, mais des Juifs, là je dis NON ! (Lecture)
2. Une bonne partie de mon lectorat est faite de jeunes gens que j'ai pu avoir comme élèves et j'ai pour habitude de les titiller en les incitant à rechercher systématiquement des mots-clés (ou expressions-clés) dans les textes qu'ils lisent, histoire d'en faciliter la compréhension. Mais pour ne pas surcharger le texte, je me suis contenté de mettre en exergue quelques passages en les colorant de rouge.
3. Je rappelle que l'auteur de ce texte est un ancien sioniste, à l'instar de bien des gens ayant viré leur cuti, je pense au fameux Noam Chomsky, linguiste dont j'ai entendu parler pour la toute première fois sur les bancs de la Fac.
4. J'ai inventé sur Twitter le néologisme "Möchtegernjuden", en pensant à Jacques Brel : "Ils veulent avoir l'air, mais ils n'ont pas l'air du tout ! (...) Chez ces gens-là...". Et c'est bien parce que, fils d'un pasteur hébraïsant, ayant eu moi-même deux "fiancées" ashkénazes et ayant sévi dans ma jeunesse comme professeur à domicile, notamment les dimanches, dans des familles pratiquant le shabbat, que j'ai appris à faire la différence entre les vrais Juifs et les faux : les vrais Juifs ont une foi monothéiste et sont dans l'attente d'un Messie. Israël est tout sauf un État Juif (le bel oxymore !) et il ne suffit pas de s'appeler Blumberg, Benchetrit, Wainstein... et que sais-je encore pour se dire juif/ve !