Épisode §3. Une tragique rencontre entre une juive et un gigolo
Elle s'appelait...
Mais avant d'évoquer cette personne, commençons par un tragique fait-divers.
Hiver
1943. Berlin croule déjà sous les bombes alliées. Tout le monde ne
pense qu'à une chose : trouver un abri sûr et rester vivant au moins
jusqu'au lendemain.
Mais
voilà qu'au beau milieu du chaos, des témoins font une série de
découvertes macabres : des restes humains empaquetés dans divers
emballages, la plupart en carton, mais aussi dans une valise. La police
estime qu'il s'agit des corps démembrés d'une femme et d'une fillette.
Après avoir récupéré les divers "colis", il ne manque que les deux
têtes. Une bonne partie des colis macabres avaient été abandonnés dans
des..., voire à proximité de gares, certains même dans des wagons.
Et c'est là que le chef de la police criminelle (Kriminalpolizei, la fameuse "Kripo" des polars allemands) [pron. kriminalpôlitsaï]
va jeter son dévolu sur la valise : une valise usagée, donc pas neuve,
donc ayant pas mal servi, donc ayant été vue ici ou là. Autant dire
qu'elle n'a pas été achetée exprès par le criminel responsable du
massacre. Une photo de la valise est transmise à l'ensemble des
quotidiens et hebdomadaires berlinois, lesquels ne semblent pas (encore)
perturbés par le capharnaüm ambiant.
L'option
du chef de la police semble porter ses fruits, puisque, quelques jours
plus tard, un homme appartenant à la communauté juive berlinoise se
présente à la police, et affirme avoir déjà vu cette valise. Il l'aurait
vue chez une connaissance : une femme juive du nom de Vera Korn, qu'il
n'aurait pas vue depuis un certain temps. Et le témoin va faire avancer
l'enquête d'un bond, en révélant aux policiers que ladite Vera avait une
fille qu'elle élevait seule.
Bien
évidemment, la police berlinoise va faire ce que toute police sait
faire, et ce, malgré la pluie de bombes qui continue de s'abattre sur la
ville.
Les
voisins de la femme disent avoir perdu toute trace de leur voisine,
tout en informant les enquêteurs de l'existence d'un visiteur assidu
auprès ce cette Vera, un certain Eckert. À un moment, l'homme venait
presque quotidiennement chez la voisine, au point que l'on a pu penser
qu'ils s'étaient mis en ménage.
La
police a vite fait de retrouver le fameux Eckert, lequel est employé...
dans les chemins de fer. L'homme est marié et a un enfant. Par
ailleurs, il a sa carte du NSDAP (parti national-socialiste) et a même
été membre des fameux S.A.
À
partir de ce moment, les limiers de la police ont la conviction qu'ils
tiennent leur homme, lequel, du reste, ne fait aucun mystère de ses
relations, qu'il dit anciennes, avec Vera.
Mais
il faut croire que la police criminelle d'Hitler ne manquait pas de
savoir-faire (!), puisque, très rapidement, Eckert va se mettre à table.
C'est
ainsi qu'un jour, il croise cette Vera, une juive berlinoise un peu
paumée et élevant seule sa fille. Elle aussi travaille comme
"Arbeits-Jüdin" aux chemins de fer. Ils sympathisent, au point que la
femme lui confie un coffret contenant des bijoux de famille, qu'elle
préfère voir dans un lieu plus sûr que son propre domicile. Sauf que,
quelque temps après, son comportement change et elle lui demande de lui
restituer les bijoux.
Le
margoulin se dit que ces bijoux ont assurément pas mal de valeur, et
que si, d'aventure, la juive pouvait disparaître au cours d'une rafle
quelconque, cela faciliterait ses affaires. Il faut dire que Vera Korn
avait été mariée à un "aryen", le père de sa fille, le mariage assurant
aux conjoints relevant de couples "mixtes" - théoriquement interdits par
les nazis, à ceci près qu'en 1933, lorsque Hitler arrive au pouvoir, il
existe déjà une flopée de couples de ce type - une certaine protection.
Le problème c'est que Vera n'est plus en couple avec son "aryen" !
Un
moment, Eckert envisage d'adresser une lettre de dénonciation à la
Gestapo, puis il se ravise, à cause de la petite. Et puis il espère
toujours se rabibocher avec Vera. Seulement voilà, cette dernière ne
semble plus vraiment disposée à poursuivre leur relation.
Arrivent
les bombardiers alliés. Et c'est là qu'Eckert se dit que, dans le chaos
des bombardements et le sauve-qui-peut généralisé qu'ils ne manqueront
pas de provoquer, des restes humains abandonnés ici ou là
n'intéresseraient pas grand monde.
Et
voilà comment, un banal employé des chemins de fer, qui n'avait jamais
commis le moindre délit, va se muer en assassin sans scrupule, capable
d'assassiner une mère et sa fillette afin de faire main basse sur un
coffret de bijoux.
Mais
notre gigolo meurtrier avait présumé de ses compétences en matière de
crime, puisque ce dernier était tout sauf parfait, avec ces restes
humains faciles à retrouver, et ce, quasiment sur le lieu de
travail même de l'assassin, ainsi que cette valise appartenant à la victime
et si facile à identifier par le premier témoin venu.
Le
fait est que Eckert n'avait toujours pas restitué les bijoux à leur
propriétaire. C'est alors que lui est venue l'idée d'attirer Vera et sa
fille dans un traquenard. C'est donc le jour supposé de la restitution
des bijoux que Vera et sa fille se rendent au lieu supposé d'un
rendez-vous au cours duquel Eckert leur restituerait les bijoux. Mais
Vera et sa fille ne rentreront plus jamais à leur domicile.
Arrêté par la police le 8 mars, August
Eckert comparaît devant un tribunal criminel berlinois trois semaines plus tard, soit le 28 mars
1944 ; le verdict tombe le jour-même : condamnation à mort par décapitation. La
sentence sera exécutée dès le lendemain, 29 mars 1944.
C'est ainsi que, sous Hitler, un sinistre margoulin pouvait être condamné à mort et exécuté pour avoir assassiné une juive.
Cette
histoire nous est rendue dans un passionnant récit paru en Allemagne en
2006, sous la plume du journaliste Michael Klein - que je soupçonne
d'avoir quelque peu romancé l'histoire, mais bon, il fallait bien
combler quelques lacunes éventuelles dans le récit ! -, lequel évoque en
quatrième de couverture "la véridique histoire du seul (et unique)
meurtrier de juif/ve condamné à mort par le régime nazi, ainsi que celle
de sa victime.".
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Vera
et le "porteur de chance" brun. 'Glücksmann', de Glück : la chance.
L'homme était censé la tirer d'affaire dans ce Berlin compliqué pour une
juive ; n'était-il pas membre du NSDAP et des S.A. (d'où la référence à
la couleur brune) ? |
Nota bene : ce que le récit de M. Klein m'inspire ? D'aucuns
vont paraître surpris d'apprendre qu'il y ait eu encore des juifs à
Berlin dans ces années 1943-1944, soit autour de cinq mille selon les
estimations. Voilà qui me rappelle une rencontre, avec une
sémillante blondinette : pour faire court, un visage façon Eva Marie
Saint, plus la blondeur (en plus intense) de Marion Maréchal. Et cette juive allemande m'a
dit un jour : "Surtout ne crois pas tout ce qu'on raconte dans les journaux et dans les livres !".
Elle
venait tout juste de me révéler qu'elle était née en Allemagne de deux
parents juifs, eux-mêmes nés en Allemagne de quatre parents juifs,
eux-mêmes nés en Allemagne de huit parents juifs... Et elle de me
confirmer, en me regardant droit dans les yeux, que durant les années
hitlériennes, aucun membre de sa parentèle n'avait dû fuir ni n'avait
été inquiété par le régime nazi. J'avoue que j'en suis resté bouche bée.
Peut-être raconterai-je cette rencontre un jour, ici même... Wait and
see!